• Candide : j’ai retrouvé dans les papiers de l’ermite cette évaluation

    Petit rapport sur L’Ecole de sociologie d’Aix-en-Provence (ESA) à la demande de l’inspecteur d’Académie

    L’ESA a tenté de créer une « Ecole de Chicago » en France formant de jeunes sociologues prometteurs, futurs chercheurs. C’était la grande Ecole d’enquêteurs de terrain, un métier en gestation pas tout à fait abouti, quoique cette Ecole tombât au mauvais moment, lors de la période noire de l’emploi en sciences sociales. Arrivés trop tard sur le marché, quand se fermaient les postes, les recrutements à chances égales face aux enfants choyés du sérail ou les jeunes agrégés ! On fit bien sentir cela aux enquêteurs dans les commissions recrutement universitaire ou au CNRS

    I Qui étaient-ils ?

    Une cinquantaine d’étudiants parvenus au moins jusqu’à des maîtrises de qualité ont travaillé en commun, avec une foi commune dans une sociologie pratique qui ne s’apprend pas dans une succession de théories, mais implique un savoir empirique gagné au quotidien sur soi, contre l’ ignorance naturelle des autres classes et donc contre ses propres préjugés . Ils constituèrent une expertise collective qui, à Aix ou Paris 8, eut à définir ses normes de travail de terrain. Ils furent une quinzaine pour ceux qui publièrent leur thèse ou des études approfondies; ils venaient de Marseille ou de loin. A la fin du projet, en 2000, une douzaine de bons apôtres supplémentaires, dévorés par leur foi, déboulèrent en Provence : un ouvrier marseillais qui reprenait ses études, des Savoyards arrivés par monts et par vaux depuis Chambéry, on vit même un fils d’émir marocain, guidé par sa bonne étoile et un berger d’origine belge qui survint en poussant ses brebis !

    II La marque de fabrique ; l’observation participante

    Cette sociologie a vécu son âge d’or en France une vingtaine d’années de 1990 à 2010 C’est étonnamment long pour une école scientifique et cela mérite d’être souligné Cette Ecole pratique faisait réaliser de l’enquête directe sans attendre 4 années d’études. La pédagogie était simplifiée à l’extrême : « débrouillez vous, innovez, inventez mais lisez beaucoup » ! L’observation participante a abouti à d’excellentes publications. Cette vieille idée de la sociologie enseignée à Chicago d’apprendre uniquement au cours d’expériences descendait de l’empirisme et héritait du pragmatisme philosophique américain. Elle a marqué profondément les recherches sociales et eut même de retentissements inattendus dans le monde en politique notamment en Chine révolutionnaire ou dans les guérillas sud américaines

    L’Ecole sociologique d’ Aix-en-Provence s’inspira de tout cela, même si ce fût informel. Vers 1980 la sociologie française, devenue hyper-théorique, se servira en priorité de statistiques d’Etat et des questionnaires officiels, évitant le terrain et la mise à l’épreuve des analyses par la participation à la vie sociale et plus précisément au travail manuel. Les principes de l’ ESA se sont affinés à partir d’idées simples. Tout terrain accessible est un bon terrain ; Il n’y a pas de bons et mauvais sujets. Dès qu’un étudiant se présentait en connaisseur pratique d’un milieu mal connu, il était admis comme chercheur sans examen d’admissibilité ni une longue préparation
    L’ESA a travaillé, parvenant à la publication nationale sur une variété de sujets ; des transhumances alpines aux labos pharmaceutiques et leurs essais sur l’homme –cobaye. Ces jeunes auteurs avaient la fibre « populo » contrairement à leurs prédécesseurs et inspirateurs de l’Ecole de Chicago (où les origines et les emplois de classes moyennes étaient privilégiés). La plupart avaient un père ou grand-père ouvrier et cela permit une approche plus fine des nouveaux comportements d’indifférence populaire à l’égard de l’école et les problèmes de santé. Les connaissances familiales leur ouvrirent les portes de catégories sociales dont ils saisirent le début d’une dissidence (retrait de l’engagement public, repli sur la famille, désyndicalisation, non inscription électorale). Dès les premiers contacts avec son terrain, afin de ne pas se sentir isolé, le jeune chercheur en manque de repères participait à des réunions régulières avec ses professeurs et autres chercheurs. Les notes d’observation y étaient rendues homogènes et discutées à des fins de preuve et de rationalité. L’échange avec les autres «engagés » dans un groupe équivalent (une école doctorale créée à Paris 8, le GETI) était permanent

    III Une constante : La force les institutions

    La politique était sous-jacente : à travers un cas, étudier la politique des emplois, la définition des fonctions dans les organisations, les contraintes de traitement de clients ou l’offre de places pour saisir ces institutions que sont l’école, les hôpitaux,les partis et autres médias. L’observation des guichets administratifs, des entrées (urgences et services publics), des équipes sur les chantiers, se pratiquait en contestant le point de vue hiérarchique d’autorité. Il manquait certes dans cet éventail, la police (sauf une observation des CRS à Marseille) et la justice qui demeure la grande insuffisance des sciences sociales. Observer le travail réel implique de donner les deux visions, celle du haut mais aussi celle relevant des intérêts populaires que ce soit au sujet des institutions de la République, des services de l’Etat détournés par d’autres catégories, le difficile maintien de l’ordre. La gestion des flux par les employés, l’école (colonies de vacances ou grandes écoles d’ingénieurs), le comportement des usagers, furent ainsi décrits mais également le travail politique d’organisation des directions, de la création du cadre du Droit ou des questions de militantisme (ainsi furent investis: Attac, le PCF, le F N). D’autres appareils d’Etat à l’oeuvre furent examinés (police à la plage ou politiques publiques à Marseille) .Des livres en sortirent : la médecine ; l’école au Brésil, la vie scolaire dans les quartiers de Marseille ; les chantiers etc... Ajoutons-y trois manuels de pratique se l’observation. En tout une douzaine de livres en 15 ans, et une trentaine d’articles manifestèrent des connaissances en progrès. Notons que ces terrains difficiles ont été « conquis » sans financements aucun, ni autorisations, y compris à l’étranger (Brésil, Monde arabe, USA). Des modes d’ « infiltrations » insolites ont engendré toutes sortes d’ observations : bergers alpins, testeurs de médicaments, déménageurs, chauffeurs routiers, soignants des urgences, élèves d’Ecoles d’ingénieurs. Avec une constante : le travail relégué, souvent invisible et dévalué, par des administrations parasites ou des classes intermédiaires, incarna une récusation de la sociologie trop respectueuse des institutions malgré des intentions fracassantes. C’est pourquoi à part 3 ou 4 candidatures, le recrutement de ces élèves ne suivit pas. La conjoncture était par ailleurs mauvaise : à partir de 2000, les patronages, les cooptations, la féodalisation au service de quelques mandarinats étaient indispensables .Si l’emploi d’enseignant n’a pas été gagné, ces démarches ont toutefois forgé des personnalités et des caractères !

    L’époque, en effet, n’était pas à étudier les prolétaires ordinaires et le travail manuel. C’est bien simple :ils « n‘existaient » plus, ils n’intéressaient personne. Une sociologie du prolétariat, est-ce que ça avait encore un sens, réalisé par des étudiants proches ou membres des classes ouvrières ? Le Bannissement Populaire que nous connaissons (et que maints de nos compatriotes expatriés ont subi) avait débuté tôt à l’université (moins de recrutement d’enfants d’origine populaire et distanciation des thèmes ou thèses au sujet du travail).Et ce fut pourtant le moment où leur professeur les engageât à étudier des ouvriers, en partageant leurs conditions de vie et leur travail ! Projet fou ou irresponsable ? En tout cas une sociologie du prolétariat par des étudiants prolétariens était une aberration au moment de triomphe du libéralisme individualisant et exacerbé!

    Néanmoins cette école a laissé des traces. Habitants tous sur un axe Paris -Marseille en passant par Grenoble et Avignon, ces anciens d’Aix se revoient, ironisent sur cette sociologie d’ex ! D’ex-promise à un bel avenir, d’ex-bons étudiants , elle n’a pas cependant ex-piré. Elle se maintient sous forme de petites enquêtes, de sondages « menés » selon ses principes, des notes « d’expériences ».
    Elle renaîtra de ses cendres comme le Phénix puisque la forte probabilité pour que des franges de classe populaire, étudiants devant travailler pour payer leurs études , rencontrent des enfants de classes moyennes du service public dont le profil était caractéristique des audiences traditionnelles de sociologie se reproduira. La greffe prendra à nouveau parce que l’obligation de travailler en même temps que de passer ses examens se transformera en test de réalité, en expérience sociologique elle-même par l’évaluation que les étudiants font (et feront de plus en plus) de l’utilité de l’enseignement reçu, de l’efficacité de la pédagogie ou de la rapidité de corrections de leurs prestations. En 1995, la jeunesse commençait à se démobiliser en Fac de Lettres et s’inscrivait en sociologie par défaut de vocation et d’intérêts dans l’éducation supérieure. L’ambiance changeait alors et le pragmatisme américain qui valorisait l’ethnologie urbaine, ayant su s’exprimer à Chicago, a trouvé sa place en France. La conjonction de l’emploi salarié avec le goût de l’enquête de terrain valorisait des méthodes et des thèmes correspondant au nouveau profil de la jeunesse. Becker qui en est le pur produit l’a superbement décrit. Et... comme l’atmosphère est en train de changer à nouveau, son temps reviendra !

    Cette petite histoire des sciences sociales avait eu, en effet, des échos dans l’Histoire , telle la révolution chinoise et d’autres restés discrets :Guérillas guevaristes ou sandinistes. Mao tsé Toung et ses acolytes lièrent cette observation participante à l’action pratique révolutionnaire. La jeunesse chinoise des années 1910 à 1930 avait été turbulente, mobile, se transformant en sociologues ou ethnologues engagés. Le destin des jeunes Chinois venus en masse dans les années 1920 en France en ouvriers intellectuels n’a pas été « distingué » de celui de la masse. Environ 3000 chaque année, dont une grosse part s’installait à Lyon; Chou en Lai (fils de mandarin) a travaillé chez Berliet ainsi que Deng xio Ping (fils de propriétaire). Une enquête à leur sujet était alors impensable puisqu’ ils étaient« insignifiants » car « colonisables ». Ils sont encore plus nombreux aujourd’hui en tant qu’étudiants sur notre sol mais personne ne les « enquête » puisqu’ ils sont studieux et silencieux. Ils nous observent comme le firent leurs grands-parents.
    L’histoire des jeunes Chinois venus en masse dans les années 1920 et 30 est partiellement comparable à celle de nos compatriotes expatriés pour des raisons plus économiques. Ces émigrés français contemporains sont en position de se mettre à la place des élites anciennes (chinoise ou d’autres pays lointains) et de comprendre ce jeu de bascule. Fini le provincialisme, l’ethnocentrisme, l’appauvrissement de la pensée par un chauvinisme inconscient. Échecs ou succès de ces divers schèmes d’analyse de l’ESA ? Peu importe : ce n’est pas à nous de décider, c’est à l’Histoire de la pluralité actuelle, qu’on la loue ou la dénonce ! A tous les marginaux, expatriés ou exilés de l’intérieur, dissidents nés sous l’Occupation et la Collaboration avec la bêtise du politique, l’impuissance de cette société, le manque de lucidité enseignée aux jeunes générations, etc....nous adressons ce texte

     


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