• Le texte correspondant aux essais de médicaments suite au décès d'un testeur faisant suite à la lettre ouverte à Mme la Ministre Marisol Touraine se trouve sur  mon blog particulier jeanpeneff.eklablog.com

     

     

     

     

     

     

    Lettre envoyée par Eric Chabauty ( auteur du livre "7 jours à Calais" voir plus bas , à la fin du Chant des Emigrants) à Mme la Maire de Calais début décembre, avant les élections régionales

    Les médias ont relayé en début de semaine passée (lundi 19 octobre) la proposition de la sénatrice, maire LR de Calais, Natacha Bouchart d’envoyer l’armée pour rétablir une situation qu’elle estime « incontrôlable » dans un bidonville où elle n’a jamais mis les pieds mais où vivent désormais six mille migrants qui cherchent à gagner l’Angleterre. Dès le lendemain de cette annonce, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve s’est rendu pour la septième fois à Calais avec un contingent supplémentaire de policiers, à défaut des soldats réclamés par l’élue qui admet « ne pas trop savoir ce qui se passe à l’intérieur » de la « new jungle ».

    Suggérons donc à l’élue responsable de s’y rendre sans plus tarder, sans oublier d’enfiler ses bottes, avant de balancer ce genre de proposition. Pour voir comment vit cette jungle, dont elle a été une des instigatrices en chassant les réfugiés de sa ville avec l’aide de la force publique. L’accès y est facile. Pas de barrière. Pas de gardiens à la solde des mafias trafiquantes aux portes de cette ville précaire. Elle aurait vu dans quelles conditions survivent ces milliers de personnes, dont plusieurs centaines de femmes et d’enfants, au milieu d’ajoncs impénétrables et coupants, sur des chemins de traverses inondés à la moindre ondée. C’est dans cet espace dunaire, inhospitalier, qu’après Calais et Mack, s’est constituée, en deux mois, la troisième ville du Calaisis selon la Voix du Nord. Un gros bourg avec ses quartiers communautaires, ses places publiques, ses petits commerces, ses écoles, ses églises. Est-ce pour autant qu’il faille donner l’armée dans cet entassement de tentes et de baraques où les « rues » ne sont pas au cordeau ?
    Sur place, à quatre kilomètres à vol d’oiseau de l’imposant beffroi de l’hôtel de ville, la maire de Calais aurait découvert l’activité fourmillante et continue depuis l’été de bénévoles britanniques, jeunes et moins jeunes, qui soutiennent voire suppléent des bénévoles locaux sur les rotules. Elle aurait mesuré l’effet de cet élan dans l’émergence de plusieurs dizaines d’abris à ossature bois conçus et isolés pour résister au vent et à la pluie. Dire que les associations britanniques sont pour beaucoup dans l’érection de cette ville-jungle est une évidence. Il vaut mieux parler anglais quand on veut comprendre ce qui se passe réellement, et non de façon fantasmée, dans la new jungle. Natacha Bouchart ne parle pas l’anglais. Elle n’est pas la seule. Mais faut-il pour autant y envoyer l’armée ?
    Il lui aurait suffi de faire comme nous, de prendre un thé ou manger une paratha, la galette de pain afghane, dans une des échoppes qui ont émergé sur ce bout de terre « urbanisé » contre toute logique. Elle aurait constaté que, malgré le peu d’engagement de ses services– les associations de bénévoles ne lui connaissent qu’un seul véritable investissement dans l’aménagement d’une butte entre le bidonville et un lotissement dont il fallait, sans doute, préserver la vue de ses résidents - s’est constituée une ville monde qui pourrait préfigurer, comme l’affirme l’architecte Cyrille Hanappe, qui s’est rendu sur place avec ses étudiants, un lieu de vie « amélioré par le haut». Une ville-monde aménagée en s’appuyant sur le savoir-faire de ses occupants. Tout le contraire des camps HCR où se figent sans espoir, des années durant, des populations exilées.

    Les réfugiés en transit à Calais méritent mieux que le bidonville actuel, plus et mieux que le camp de tentes chauffées de mille cinq cents places proposé par le premier ministre Manuel Valls. Un camp de cent vingt tentes qui ne sera installé qu’au plus fort de l’hiver et au prix fort : vingt-cinq millions d’euros. En attendant, l’Etat, qui le financera, n’a pas les moyens de combler les cheminements inondées, d’installer des points d’eau et des douches en nombre suffisant, d’assurer un ramassage régulier des ordures dans la new jungle. Ses atermoiements sont inadmissibles et propres à alimenter un climat délétère, pas forcément dans la new jungle mais à Calais et ailleurs, un climat dont tire profit l’extrême droite donnée gagnante dans le nord aux élections régionales.
    L’idée saugrenue d’envoyer l’armée dans la new jungle vise-t-elle, plus prosaïquement, à rebattre les cartes à quelques semaines de l’échéance électorale ? Natacha Bouchart, deuxième sur la liste LR du Nord Pas-de-Calais, n’en est pas à son coup d’essai. Avant les municipales de 2014, la maire sortante avait invité sur sa page Facebook les électeurs calaisiens à dénoncer les squats en ville, une initiative qui avait contribué à sa réélection… Aujourd’hui, plus question de délation, les squats et les camps en ville ont été évacués par les forces aux ordres du ministre socialiste de l’Intérieur. Le coup de l’armée arrive à propos pour rappeler aux impatients et aux apeurés qu’on s’occupe des migrants, moins visibles mais tellement plus nombreux dans un endroit dont on dit tant de choses… un endroit dont on feint de découvrir aujourd’hui qu’il se trouve en partie sur une zone Seveso. Un bon prétexte pour invoquer, un de ces quatre, la nécessité le faire évacuer manu militari.

    La France et Calais n’auraient-elles pourtant pas tout à gagner en facilitant le flux, dans la dignité, des réfugiés ? Il y a treize ans, fermait le camp de Sangatte qui a vu transiter en trois ans quelque soixante-huit mille personnes. Cette expérience aurait dû être mise à profit par les autorités pour prévenir les migrations suivantes et faciliter le passage des réfugiés, en leur proposant des cadres décents, respectueux de leur dignité. Aujourd’hui, les droits fondamentaux des réfugiés ne sont pas respectés dans ce coin de France, comme l’a rappelé le Défenseur des droits Jacques Toubon qui en passant, a vertement répondu, dans une tribune parue dans Libération, aux attaques dont il a fait l’objet de la part du gouvernement de gauche, qui utilise les mêmes arguments que la droite quand elle était au pouvoir, en opposant les pauvres d’ici aux pauvres d’ailleurs. Attitude indigne, indécente où le citoyen, peu au fait de la situation réelle, est dans l’obligation de se prononcer, de trancher. Alors quand une personnalité politique, responsable et appréciée dans sa ville, propose l’armée comme panacée, qui trompe-t-elle, sinon ses administrés, qui se raccrochent à quelques formules aussi odieuses qu’irréalistes (« tous les étrangers dehors ! ») ?

    Qu’avons-nous vu, en réalité, dans la new jungle ? Un endroit accessible, sans filtrage. Un dénuement flagrant, bien sûr, qui s’étale au détour des abris de fortune, éparpillés sur des dunes rabotées, des détritus omniprésents aussi tenaces que l’entrelacs inextricable d’une végétation revêche. Nous avons aussi vu les manifestations multiples d’une volonté collective de vivre mieux dans ce grand désordre, d’atténuer les souffrances physiques et mentales du quotidien à travers une flopée de services et de petits commerces, de lieux d’échanges et de partage. Nous avons vu des équipes sanitaires efficaces au milieu de cette ville champignon structurée, autour de deux voies qui se croisent, tracées à la hâte par quelques bulls après les demandes réitérées des bénévoles, des poteaux électriques, également dressés à la hâte, quelques points d’eau, trois ou cinq, guère plus, comprenant chacun une demi-douzaine de robinets raccordés à un tuyau fixé sur des dalles de béton surélevées. Pour plus de six mille personnes, c’est ridicule… Nous avons vu des camionnettes d’associations anglaises distribuant des repas à celles et ceux qui n’ont pas eu à manger au centre Jules-Ferry, en face de la new jungle, qui distribue deux mille cinq cent cinquante repas chaque jour. Un centre uniquement ouvert à une centaine de femmes et d’enfants, dont la capacité doit être triplée, c dans les mois à venir. Nous avons vu des Anglais, opposés à la politique de fermeture du gouvernement Cameron, arrivés à point nommé pour soulager des associations locales, usées avec le temps, par les obstacles et l’ampleur d’une tâche qui ne cesse d’augmenter. Certaines, comme l’Auberge des migrants, ont remis en cause leur fonctionnement, levant le pied sur la distribution de la nourriture, pour servir de plateforme et de relais logistiques aux « bâtisseurs » d’Outre-Manche.
    C’est entendu, les autorités anglaises ne veulent pas voir les réfugiés débarquer à Douvres. Mais plutôt que de répéter ad nauseum que c’est leur faute (et celle des migrants qui s’obstinent) si Calais est dans l’impasse, nos politiques ne doivent pas oublier qu’ils ont approuvé le traité du Touquet en 2003 permettant aux douaniers anglais de travailler sur le territoire national avec le soutien efficace et zélé de nos gabelous et de nos gendarmes. Ils ne doivent pas non plus oublier que l’Etat français accepte les aides financières conséquentes octroyés par ces Anglais honnis pour doubler les grillages rehaussés et surmontés de barbelés sur des kilomètres autour des zones d’embarquement ferry et du tunnel sous la Manche.

    Par endroits, Calais ressemble à Berlin au temps du rideau de fer.

    Nous avons enfin vu un Etat de droit incapable d’anticiper et de répondre dignement à la demande de paix à ces gens en transit, rescapé de la guerre. La seule réponse de Bernard Cazeneuve à la situation actuelle ? L’envoi de quatre cent soixante policiers et gendarmes supplémentaires, ajoutés au mille trois cents déjà comptabilisés sur place. Natacha Bouchart doit être contente.
    Les Calaisiens se plaignent d’une image négative de leur ville. Mais rendre les migrants responsables de la situation est faux, inacceptable. Laisser plusieurs milliers de réfugiés dans le plus complet dénuement à la vue de tout le monde renvoie effectivement une image désastreuse de la ville, du Calaisis et de la France


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