• A mes camarades,

     

    Pour vous remercier tous les 4 ou 5, pour le cadeau que vous m’avez fait. Depuis le début de l’année, ou l’année dernière, j’ai reçu une série d’hommages ou de compliments que je ne mérite pas certainement mais qui m’ont fait beaucoup réfléchir sur moi-même, sur le bien que m’a fait la mise à distance d’avec la profession, que ces 20 ans d’exil passés en montagne.
    Vos réactions, m’ont beaucoup intéressé et j’ai enfin compris un petit peu ce que je voulais dire.

     

    D’abord, je remercie Alain Blanc et le livre somptueux des PUG ( Sur le Terrain, un demi siècle d’observation du monde social), et surtout son introduction. Je veux remercier aussi David Lepoutre ( Ne me demandez pas pourquoi, mais comment…) qui a été à l’origine de cette mise en situation : expliquer ce que j’écris, à la lumière de la solitude et du silence de la haute montagne. Je voulais le remercier aussi pour avoir introduit le naturalisme et l’écologie, dans la sociologie de l’observation.
    Je veux remercier aussi Philippe Masson pour son excellent  livre sur Becker (Introduction à Howard Becker – Editions La Découverte ) que je viens de recevoir. C’est une merveille d’analyse interne, d’intuition analytique et clarté d’écriture. Il nous fait découvrir un Becker fascinant : un de nos plus riches auteurs. A la fin, Masson évoque les problèmes des positions politiques cachées ou connues des sociologues. Cette question est essentielle, et je le remercie de l’avoir introduite.

    Il ne faut pas oublier mes deux jeunes camarades, les Christophe Brochier, qui dans son livre très original (Qu'est-ce qu'une République? Sociologie historique du gouvernement républicain, Editions St Honoré-Paris), a bousculé toutes les représentations de ce que on a appelé République et fait rentrer en sociologie le vent de l’histoire comparative, ébranlant les idées toutes faites sur les rapports avec l’histoire politique, les théories de Sciences Po, et il amène en sociologie un vent frais qui est celui de l’histoire comparative, systématique et bien documentée. Je n’oublie pas le second de nos Christophe (Andréo ) qui est sans cesse en ébullition sociologique à la recherche du petit fait significatif . Au moment où je ferme la boutique, avoir connu tous ces gens-là, avoir été leur prof, est pour moi une grande fierté et justifie de m’être retiré dans mon ermitage pour revoir et écrire cette vie mouvementée.

     

    J’avais apprécié l’allusion de Alain Blanc dans sa somptueuse introduction à mon livre, au fait que le premier jour de ma retraite prise le lendemain de mes 62 ans, j’étais allé à Calais visiter les migrants. Le souci de faire apparaître ce que masquent les sociologues, qui est, leur engagement politique ou son absence, cachés depuis Bourdieu  manifestant la fausse objectivité de notre discipline. La question migratoire est évidement essentielle. Elle occupera nos enfants ou petits enfants et les générations futures. Je suis sensible au fait que les deux intervieweurs de Lausanne m’aient interpelé sur cette question. Et que j’ai pu clairement dire les dates et les raisons de mon engagement au PCF et les raisons de mon départ  : "pour une sociologie curieuse, libre et tenace(entretien par Morgane Kuehni et Micaël Meyer  (dans Cambouis revue de Lausanne  que j'ai mis dans mon blog)
    Je trouve plus clair, que les sociologues qui s’engagent ou pas, disent ce qu’ils font et pour qui ils votent. Becker par exemple, ne cache pas son faible intérêt pour la vie politique américaine. Et le fait qu’il ne vote pas, si même il a voté un jour, ce dont je doute. C’est pourquoi, le premier jour de ma retraite, j’ai moi-même proclamé sur mon blog, que je ne votais plus depuis 30 ans (1988, deuxième élection de Mitterrand) et que je ne voterai plus probablement.
    C’est pourquoi, j’ai apprécié ces divers cadeaux de mes jeunes camarades qui m’ont permis de définir ma non position.

     

    La politique des sociologues est cachée. Elle masque des intérêts de classe, en prétendant se mettre au-dessus et donc elle est fausse et anti-démocratique.
    Tous ces cadeaux reçus en un an, me font prendre conscience de la chance que j’ai eue de rencontrer ces personnes qui justifient le refus d’engagement et la levée de mon silence. Ce sont des problèmes sociaux que Philippe Masson a raison d’évoquer dans son livre sur Becker dont il raconte l’itinéraire, la profondeur, la richesse d’une pensée qui ne s’est pas démenties. Alors que pour moi, dans le livre des PUG, on voit nettement apparaître, non la profondeur, mais la dispersion, la variété des intérêts et la largeur des terrains. Ce que j’ai perdu en hauteur, je l’ai peut-être gagné en surface. En tout cas ,je l'espère. Je n’ai pas fait profond, j’ai élargi  peut-être les centres d’intérêts.

     P.S. : je voudrais signaler un de mes regrets… Mon dernier livre, sur Clément Ader (Ader l'aérien : un ingénieur toulousin - Saint Honoré Editions) n’a pas été lu. Cet échec ne me chagrine pas. Le sujet est sans intérêt 100 ans après. Mais dans mon espoir, il n’y avait pas la volonté de sortir du grenier, ce vieil inventeur ni de célébrer les mérites du premier avion. Donc ce livre sur Ader n’était pas une foucade, un caprice, ni une banale vanité familiale.
    Car il était littéralement, destiné aux enfants, aux instituteurs, aux profs de maths et de physique. J’y racontais avec précision, l’importance du fait de commencer l’école à 3 ans, d'apprendre à lire et à écrire correctement à 4 ou 5 ans et de  pouvoir observer la nature ou les gens à 6 ou 7.
    Je regrette que le rôle des instits de la Troisième république ne soit jamais rappelé, à  moi-même, à 4 ou 5 ans, l’école primaire m’a demandé d’observer, de décrire, tout et n’importe quoi (la botanique par exemple. On faisait pousser des plantes dans le jardin voisin de l’école, destinées à l’instit, ou on élevait des petits animaux dans l’école). Ce fût un apprentissage primaire de l’observation tous genres, tous fait de voisinage, que le maître décortiquait, justifiait et nous expliquait en classe.
    Donc cette richesse de pensée, de description, que j’ai pu mettre au service de la sociologie, je la dois, comme Ader qui en parle beaucoup aussi, à l’école primaire et à des instituteurs dévoués.
    Donc, mon livre sur Ader, n’a pas été vu ainsi, et je le regrette, parce que la fin de l’observation, la fin de la nomination, la fin de l’explication, se sont opérés là, à l’école primaire et c’est irrattrapable. Maintenant, en fait d’explication et de description, de coordination, on entend dans le langage très pauvre des jeunes gens que « en fait, en fait, en fait… »
    C’est tout ce qu’on sait dire en explicitations, coordinations, justifications, causalités, réduites à deux termes : « en fait ».
    "En fait" c’est le début de l’ignorance et l’abaissement de la langue, que la pauvreté de notre langage réduit à deux mots.

     

    Jean

     


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