• Trois articles importants de Mustapha El-Miri

    Ces trois articles sont le point de départ important pour penser à une histoire critique de la sociologie et à une critique dévastatrice de l'ambition sociologique.

     

    L'idée de départ c' est de trouver la conception raciale de l'ambition sociologique et des conditions de son histoire ou des moyens utilisés aujourd'hui pour l'exposer ou pour l’exporter.

     

     Cette sociologie relativiste, cette négation de la possibilité d'en faire une science est une conception ancienne liée à l'expansion économique, à l'exploitation coloniale, et à l’ethnocentrisme des pays occidentaux, essentiellement Amérique du Nord et Europe.

     

     Depuis la découverte de Colomb, nous avons reconstruit une histoire du monde et la sociologie ou l’ethnologie sont les héritières de cette équivoque qui mélange expansion géographique, colonialisme, mais aussi progrès et avancées dans les sciences mathématiques et physiques.

     Le mirage de la sociologie est de croire qu'elle est une science alors qu'elle est comme l'histoire, la géographie, l’ethnologie ou les sciences politiques, ou bien le droit . Elles sont donc des idéologies empruntant à la science le mirage de la rigueur, de la preuve, bref elle est une culture intellectuelle que n auraient pas connu les autres continents.

     

     Donc depuis 5 ou 6 siècles, la sociologie ou l'ethnologie sont "naturelles" parce que liées à la conquête du monde mais aussi associées en contemporaines au très grand progrès de l'esprit humain portant sur les sciences exactes ( examen des faits, mesures, preuves numériques, reproduction des expériences, etc.)

     Or, Mustapha suggère que de telles ambitions spirituelles , de telles représentations du monde sont illusoires mais ont été pratiquées depuis l'antiquité par des groupes de sages, de savants, de philosophes, d'hommes d'église, de juristes, écrivains et surtout par des religions.

     Pour renoncer à l'idée que la sociologie puisse être une science, ou au moins une connaissance rationnelle, mais qu'elle est une simple idéologie du savoir dominant, cette vision, j'y ai adhérée et l'ai soutenue depuis 60 ans de vie intellectuelle.

     C'est pour ça que le hasard ou la chance de retarder mon service militaire en Algérie m'ont donné le contact avec cette idée farfelue de la sociologie comme science du sociale, cette vision donc purement opportuniste à laquelle je ne croyais et ne crois pas encore, m'a donné ô miracle un métier incroyable et que je suis devenu un sociologue de hasard, de pur opportunisme, quand en 1963 ont m'a demandé d'enseigner cette pseudo-science à la faculté d'Alger.

    Mais comme je l'ai raconté par ailleurs, cette occasion d'enseigner quelque chose à laquelle je ne croyais pas m'a donné finalement une situation, un métier, une carrière, et j ai transformé ça en ethnographie de la vie quotidienne.

     

     J'ai adhéré à cette sociologie critique parce que j'avais un penchant pour le biculturel, un goût des rencontres intercontinentales (j'avais vu 3 continents avant 25 ans ) et que je me sentais moi-même un peu bâtard, un peu migrant, un peu sang mêlé.
    D'ailleurs j ai remarqué que les "grands sociologues" étaient des gens métis, bâtards, et évidement grand migrateurs. Je pense à Jack Goody, à Evans et tous les autres connaisseurs de la Chine qui ont vu en Mao Tse Toung un grand ethnologue, un grand observateur, un grand enquêteur et donc un homme d'action et un homme d'Etat qui avait ses analyses confirmées.

     Mon manque de culture avait été remplacé par une grande curiosité géographique et sociale et j ai toujours poussé les étudiants à sortir des facs et des cursus pour aller voir le vrai monde, la vraie réalité, sans espérer la connaitre, sans espérer la mettre en mots et en pages, simplement pour voir et pour savoir.

     Ce contact direct avec les faits, la traversée des grandes épreuves comme les guerres (j'étais enfant en 1940), le nombre de milieux sociaux que j'avais traversés par hasard m'ont incité à prendre ce métier qui fût un cadeau et pour lequel je disais que je n avais aucune affinité mais que ce n 'était pas grave parce que quelques autres avaient fait le même parcours chaotique que moi et qu'ils disaient que c'était ça qu'il faut faire, qu'on l'appel sociologie ou non, idéologie maîtrisée ou non, ethnographie spontanée ...

     Mais sans bercer d'illusions les étudiants je leur ai dit qu'il fallait toujours voir pour savoir, être un grand voyageur, avoir beaucoup d'humilité et de modestie, enfin de saisir ce point de vue que d'autres avaient, et que c'était un plaisir de les rencontrer par hasard.

     Je pense à ces sociologues masqués  que sont Becker, Freidson, surtout leur maître John Dewey qui disait n'avoir qu'un seul but de voir pour savoir, d'éprouver des évènements en les traversant et de parcourir les continents sans espérer en tirer une représentation, une idéologie ou une sociologie. Alors entre nous, on a fait que des études de cas quelques vagues comparaisons en laissant faire le hasard ou la chance ou non de voir nos élucubrations éditées.

     Dans ce long voyage, j ai eu la chance de rencontrer des grands frères. J'ai dit Becker et les autres de Chicago, mais aussi les anthropologues anglais comme jack Goody, Evans, etc.

     Nous avons fait une académie de sceptiques pour réfuter l'ambition illusoire de la sociologie, mais de vivre d'elle comme d'une pure idéologie qui se croit une science.

    Mao qui fait 30 km à la nage. Imagine-t-on Macron en crise ministérielle faisant la même chose, tout ça pour dire l'incommunicabilité entre cultures politiques.

     

    Les 3 articles de Mustapha et notamment le dernier, qui concluent aux présupposés racistes et aux préjugés pro-occidentaux, sont les bienvenus.

    Il "accuse" la sociologie, l'ethnologie, les sciences politiques, l'histoire et autres sciences prétendues objectives d'être le simples produits de préjugés et de représentations des autres continents (Asie, Amérique, Afrique qui n'auraient pas inventé la sociologie).

    Or, toute représentation sociale est plus ou moins sociale et politique, ne pouvant satisfaire aucune ambition de mesure, d'objectivité, de régulation, mais une simple philosophie sacrée ou laïque, une religion de la dite science, bref une conception, qui a soutenu la conquête et l'occupation, l'exploitation des êtres ou des richesses naturelles qu'on appelle colonialisme. Que la sociologie ait été associée à cette philosophie ethnocentrique, n'est pas un hasard. Et le but de Mustapha est de montrer les implications et les sous-entendus racistes ou racialistes des livres, enquêtes, exposés, que les sociologues font dans les deux ou trois continents dont ils ont été l'épicentre pendant trois siècles.

     Mustapha se demande donc quelle est cette conception raciale, cette présentation cachée mais implicite pour conclure que la sociologie est relative car récente et "blanche".

    Il prend un grand risque parce que du racisme intellectuel occidental, on n'arrive pas à se défaire et que le mythe de la sociologie science exacte est plus fort en France qu'ailleurs et qu il est difficile de s'en débarrasser.

    Je suis content qu il pense comme moi, qu'il faut enseigner le scepticisme intellectuel en sociologie, en faire une critique du point de vue des races, et se défaire du mythe de la sociologie blanche qui a 100 ou 200 ans et qui vient de voler en éclats.

    En gros elle a été une idéologie laïque, mais comme une religion hiérarchisée avec ses clans, ses papes ou ses évêques, la seule chose à faire, était de sortir des Facs pour voir, pour savoir.
    On comprendrait mieux alors pourquoi les enfants d'ouvriers et de prolos sont venus rarement ou tardivement aux études de sociologie. Par exemple on n'a pas de cas connu de sociologues, anciens migrants ou ouvriers déplacés en France, encore moins de jeunes de banlieues, mais si nous ne voyons pas ça c'est que notre esprit est resté colonisateur, supérieur, alors que n'importe quel ouvrier du peuple ou jeune des banlieues a une optique plus riche et plus ouverte.

     Je suis allé confirmer toutes mes idées un peu négatives et dévastatrices quand, le premier jour de ma retraite, sans vouloir prolonger les honneurs indus que l'on me fît, au long d'une carrière heureuse, mais pour venir au milieu du peuple, retraité anonyme et obscur intellectuel pour les gens autour de moi à la montagne.
    Mais ce premier jour de la retraite, premier jour de ma liberté, heureux de baisser le masque de la sociologie scientifique et méthodologique, je suis donc allé à Calais comme symbole pour rencontrer les migrants clandestins, noirs, blancs, bruns, etc. bref de me retrouver en naturel dans la vie réelle.

     Et j'ai souri parce que bien entendu, dans ce haut lieu des rencontres et des continents, le camp de Calais, je n'y ai rencontré évidement aucun sociologue, aucun étudiant de sociologie, malgré le nombre important d'étudiants étrangers présents sur le site.

     Il serait important, pour les chercheurs, demain, de comprendre ces faits anormaux, partout où il y a des évènements essentiels dans le monde, partout où il y a des chocs de civilisation, partout où il se joue une part de notre destin, il n'y a évidement aucun sociologue,  aucun économiste, aucun historien, aucun philosophe : mais peut-être y avait-t-il quelques géographes et ethnologues.

     Comme le sous-entend Mustapha, nous n'avons pas été beaucoup décolonisés ni libérés en étudiant par exemple les mythes fondateurs de notre discipline qui est une construction, comme une autre, des idées et donc est une idéologie qui nous permet de maintenir encore à l’écart les peuples du tiers monde, des autres continents ou les sociétés moins riches et moins arrogantes que la nôtre.

    Nous ne sommes en rien aptes à juger le monde entier ( on l'a fait rarement  et tardivement au sujet des ouvriers et prolétaires français mais cela n 'a pas été un grand thème porteur dans la sociologie française au sein de laquelle on ne voit pas beaucoup de migrants, d'ouvriers, déplacés, de jeunes de banlieues.

    Bref, notre esprit de sociologue est resté un peu colonisé parce que colonisable.

     

    Références : Mustapha El-Miri


    "Plus de secteurs et moins d’État-providence. La mutation de l'intervention sociale de l’État-providence et la crise de ses institutions."


    'L'Imam et l'éducateur. L'intégration des migrants clandestins dans les espaces de la globalisation, par les marges du marché du travail. Le cas des migrants marocains en Espagne et en France."


    "Le recours aux catégories ethniques : une sociologie de l'ethnicisation ou une ethnicisation du social.
    Le poids de la raciologie et l'invisibilité du racisme en sociologie."

     

     

     

     

     


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