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Sur La mort de quelques républiques
La république est éternelle mais elle meurt souvent :
Ce livre refusé par les éditeurs selon le principe que l’on ne parle pas de décès dans la maison d’un grand malade est auto-édité. Il permet d’assister à des condensés d’histoire, formidables accélérations en 1792-97 ; 1848, 1940 ou 1958. Cette enquête commence dans la Grèce antique et à Rome pour finir avec la série française des morts subites en passant par la république de Weimar qui se suicida devant les menaces nazies. Et on finira sur le présent: la Vème devant l’ impératif ordinaire ; car nous voila sans croissance, sans dominations, sans prédations, sans colonies exploitables, avec une industrie manufacturière ou une agriculture à faibles profits...et soudain comme ce le fut dans l’histoire : « Marianne est nue » !
Une étude de décès en série n’a pas été tentée auparavant. Probablement parce que caractériser l’effondrement de différentes républiques n’est pas exaltant ; on préfère les enfantements remarquables et porteurs d’espoir et d’illusions .
D’ailleurs Les auteurs ne sont pas d’accord entre eux ! Morte de quoi ? A la suite de quelles circonstances ou pathologies? Ce brouillage est en soi un mystère : aucune exploration sérieuse, aucune explication n’a été avancée pour saisir la répétition ces morts cruciales. La sociologie s’en est désintéressée. Et l’histoire ? Le refus de ces spécialistes est admissible; les historiens sont par définition conformistes et prudents. En effet, ils dépendent de l’histoire pour faire leur Histoire (sources accessibles ou non, accès ou pas aux témoins, temps libre, autorisations) ; ils font de la sociologie sans le dire, en accordant à tel contexte ou à tel conditionnement, le poids de l’efficace. Ils créent du témoignage comme nous, et sont comme nous, soumis à l’influence de la société. Ils citent des auteurs pour leur crédibilité ; ils dépendent de l’université et de leur audience. Les médias et les intellectuels professionnels se détournent de ce problème des disparitions pour se consacrer aux naissances glorieuses, aux « inventions » prestigieuses, aux débuts rayonnants et de ce fait attirent notre attention ailleurs Ils trouvent des intérêts puissants à voiler l’horizon au profit du passé. Les élites bourgeoises, que ce soit celles de Sciences Po ou de Normale sup, ou d’autres entrées, parvenues au sommet, deviennent passéistes. Dans les familles, on se transmet un héritage politique républicain mais cette passation ne va pas de soi en raison de l’âge et des rapports de générations. Qu’elles soient de Droite ou de Gauche, ou bien des extrêmes les obstacles qu’elles rencontrent à une transmission en douceur du pouvoir rend le nouveau contrat social au centre du capitalisme démocratique inexpliqué
En conséquence, on renversera l’analyse. On partira du postulat que toutes les républiques sont mortelles et que ce qu’on doit expliquer est leur durée anormale... au-delà de 70 ou 80 ans. J’en trouvé un grand nombre de cas, illustres ou méconnus ; je les décris à ma manière. En me servant d’auteurs renommés. Les ayant lus, et souvent connus, j’ai tourné mon regard, non pas seulement sur qu’ils disent, ni sur ce qu’ils proclament de la raison d’être de leurs écrits, mais sur la source de leurs idées et sur leur fiabilité ! C’est à dire comment manifestent-ils leurs idées au quotidien. Amateur de livres, je crois que cet agrégat de papier est un moyen artificiel, un peu « court »pour comprendre un penseur. Plus judicieux pour le sociologue est de chercher à savoir : qui est-il, d’où vient-il, quels sont ses moyens matériels, comment se comporte-t-il dans la vie courante, que fait-il dans telle circonstance de sa vie (enseignement, famille, rapport au pouvoir, attitude de père, employeur, citoyen) ? J’ai appris au sujet des auteurs pris pour témoins (une douzaine que je connais personnellement) autant par cette connaissance directe, que dans ce qu’ils proclament en l’intermédiaire du livre. Ce qui les réunit est l’audace de se libérer des frontières chronologiques, des découpages disciplinaires ou des contraintes de carrière. In fine on posera au sociologue, s’il est chercheur de terrain, la question s’il veut demeurer libre, de savoir s’il peut rester en même temps un universitaire ? A-t-il la faculté de critiquer son employeur, l’Etat, tout en restant un loyal républicain, sauf à scier la branche sur laquelle il est assis confortablement ; cette question est recevable pour la recherche, car dans l’enseignement , la protection du statut est impérative
«Si la République est éternelle et qu’elle meure souvent », l’énigme de ses disparitions régulières nous échappe ; la logique, faisant de chacune une singularité susceptible de confrontations ne nous apparaît pas clairement. Encore faudrait-il des tonnes d’idées neuves. Justement, des Grands Anciens aux auteurs modernes, il y a pléthore, malgré que « les idées neuves soient pourchassées de haine pour rester dans le confort de routine » dit un Ecossais :
« La plus grande part de l’humanité peut être divisée en deux classes ; celle des penseurs superficiels qui s’arrêtent en deçà de la vérité et celle des penseurs abstrus, qui vont au-delà. La seconde classe est la plus rare et, puis-je ajouter, de loin la plus utile et la plus précieuse. Ils ont au moins le mérite d’ébaucher des questions et de lever des difficultés,et même s’il arrive qu’ils manquent d’habileté pour les démêler , au moins peuvent-elles produire de subtiles découvertes lorsqu’elle sont traitées par des hommes qui ont une façon de penser plus juste. Au pire, ce que disent ces penseurs n’est pas commun, et la compréhension dût-elle en coûter quelque peine, on a du moins le plaisir d’entendre quelque chose de nouveau. Un auteur qui ne vous dit rien que l’on ne puisse apprendre de n’importe quelle conversation de café doit être tenu en piètre estime » (David Hume Discours politiques 1758)
Je me suis détourné également des disputes d’assemblées, des diatribes de salon et des chroniques au grand quotidien du monde, Et j’ai trouvé des idées .De source diverses : études, enquêtes, lectures, rencontres; je fais part aussi de mon expérience personnelle : contemporain de deux grands « décès » républicains qui ont marqué les esprits.
L’aléa de la durée rend dubitatif : en France, mortalité infantile forte, deux fois à la naissance (1793 ,1848) ; une fois à l’adolescence à 13 ans (1958) et pour une autre cas, une vieillesse catastrophique, à 70 ans, qui la vit périr en trois semaines. Celle que nous vivons actuellement, à près de 60 ans, n’est plus, dit-on, très robuste. A Athènes et Rome, elles furent de brefs entractes entre oligarchies, tyrannies ou monarchies. Au début du siècle dernier, deux d’entre elles (Espagne et Allemagne), moururent au cours de leur jeunesse, foudroyées par leur armée ou par des milices privées. Parmi les facteurs déterminants on vit en effet immédiatement sortir les longs couteaux de la puissance militaire. Peu étudiée sociologiquement, cette institution, fondamentale en toute nation (les historiens, hélas, en ont fait un secteur marginal et limité de leurs analyses), sera perçue comme un accélérateur, ou bien un déclencheur. C’est parfois simplement du fait de l’abstention (face aux armées privées , SA en Allemagne) ou à la suite du défaitisme de son Etat Major en France de 1940 (voire pour une fraction, du refus de se battre).
La fin de la 4ème française survient en 1958 à la suite de la guerre d’Algérie : l’armée donna le coup de grâce mais n’était-ce pas plutôt une euthanasie masquée ? Des agonies longues ou courtes, des évanouissements temporaires ou des morts définitives, qu’elles soient « héroïques » ou non, l’histoire en proposa à foison : assassinats des mains de Franco, Pinochet ... Nous avons eu aussi bien Bonaparte, Louis-Napoléon, Pétain .
Ce qui entrave l’indispensable intelligence de ces situations est l’absence d’idées explicatives chez de nombreux historiens et sociologues, autant que la faiblesse d’entendement de la part des sciences sociales sur les sujets tels que les crises ou les disparitions. Certes, je prends au sérieux Paul Valery : « L’histoire donne des exemples de tout, elle ne donne donc des leçons sur rien ». Or, le jugement moral une fois éliminé, nous n’imaginons pas d’autre alternative que l’exercice libre critique du comparatif. .Ô surprise, offrant une série de cas d’un phénomène aussi peu exceptionnel que la mort d’une république, je ne croyais pas scandaliser ! Néanmoins, j’ai persisté et je sais que je m’expose. J’ai des droits de citoyens, si ce n’est de sociologue ; et donc j’ouvre une large gamme de disparitions que je rapproche et distingue au centre d’une combinaison de facteurs et de circonstances. Que ce soient les premières cités athéniennes, ou italiennes vers 1500, ou encore les Etats nations du XXè (France ; Allemagne ; Espagne), la continuité de l’intervention des forces militaires, l’omniprésence les professeurs de Droit, des constitutionnalistes, l’activisme des universitaires est frappante. Sans parler des médias et des essayistes, épaulés par les fabricants de livres, sous l’égide des éditeurs ou journalistes. Des lecteurs me diront : Attention danger d’anachronisme ! Ce fut la raison officielle des refus de publication :« vous n’êtes pas dans notre ligne éditoriale ».I l est vrai que le secteur de l’imprimerie livresque, en crise, est soumis à des contraintes, par la mondialisation, de financements rapides, de pressions d’actionnaires, maintenant des milliardaires. Pourtant le moment est propice. Les factions politiques qui se déchirent, font tomber les masques : on voit alors plus clair sur le sens du mot démocratie. Profitons de cette opportunité due à un instant de doute et cherchons des issues au désert de raisonnements
Le plus difficile à admettre, pour les intellectuels contemporains, concernant les idées émises ici, sera la critique de l’usage inconsidéré ou dévoyé de « populisme ». Les idéologues de la république ont su fabriquer une « histoire populaire » de la démocratie ; ont conçu une représentation du peuple unanimiste au fond « républicain » par nature qui fit date à partir de 1945, et à laquelle il est obligatoire de se référer sans vérification de l’adhésion de ce « peuple » inconnu. Que peut apporter le sociologue de terrain? Justement l’enquête et la vérification de la pertinence des catégories usuelles de jugement. Par exemple des enquêtes ethnographiques, empiriques directes, sur des refus motivés d’inscription électorale, sur des populations qui manifestent l’abstention du vote, occasionnelle ou persistante. En confrontant ces attitudes à d’autres modalités d‘action politique qui ne passent pas par le vote mais par d’autres actions citoyennes, on verra que la politisation réelle ne se trouve pas là où on le pense. L’idéalisation peut concerner l’envers du décor. Le sociologue, sur le terrai, rencontre fréquemment des paysans bourgeois et des ouvriers conformistes et, même de plus en plus fréquemment, si on tient le critère de la propriété d’un patrimoine non substantiel, comme essentiel. D’ailleurs le vote des petits paysans et des employés, un brin propriétaires, a fait chuter plusieurs républiques
Les discours des « intellectuels d’Etat », critiques ou non, ont solidifié une application formelle des droits de l’homme et ont masqué les multiples contradictions entre Droit et réalités, entre principes et politiques effectives. Toutes les fractions au pouvoir, ou le convoitant, se servent du peuple et s’emparent du droit à le représenter, jusqu’à un moment où la rupture est inévitable et brutale, bien que personne n’en ait la même vision et sensation. La variation autour de cette notion morale qu’est la participation électorale constitue un morceau de musique si discordant qu’on ne sait plus à qui on parle et de quoi on parle C’est ce qui fait la force du peuple rêvé ou de l’appel à lui : toujours rester purement rhétorique . Pas la moindre enquête directe par immersion. La définition de citoyens est, dès lors, aussi confuse que son histoire ; telle, la mise à l’écart selon le moment des jeunes, les femmes, les propriétaires passifs, les « pas assez riches », les résidents non natifs etc. Aucun cas ne s’identifie à un autre dans la fluctuation historique. Par conséquent la république a été le meilleur régime espéré grâce à sa géométrie variable et à sa grande souplesse d’application. Exemple : le droit électoral change sans qu’on touche à la solennité requise de cérémonie quasi-religieuse du vote de nos représentants (isoloir-confessionnal, attente-cortège, silence et recueillement)
La République a inspiré une terminologie abstraite variée: la plèbe, la masse, la foule, la classe inférieure ou dangereuse, la populace, les prolos, ou pire, quant aux politologues peu exigeants : les « gens » comme si c’était une entité. A cette obscurité, a correspondu un peuple idéalisé. Cette évocation du « peuple » est souvent une diversion dans le rapport de force entre fractions rivales du pouvoir. D’ailleurs comment le connaîtraient-elles ? Aucun de leurs membres, et surtout pas dans la politique, n’a un proche parent, un voisin, un ami intime, à l’état d’ouvrier, de petit employé, d’agent subalterne. Sur plus d’une vingtaine de milliers de députés français choisi dans notre histoire démocratique sur deux siècles, deux cents peuvent être considérés comme véritables ouvriers sur la durée, en ôtant apprentis ou occasionnels avant d’être « permanent ». Proudhon fut le premier et a ouvert une voie peu suivie ; la sociologie, elle aussi, s’est bien embourgeoisée depuis 1968, mis à part la frange des « établis ».
La moindre étude empirique n’a été ethnographiquement entreprise : on s’est retrouvé, mes étudiants et moi, bien seuls en usine, dans les hôpitaux, sur les chantiers. L’abstention du vote, le retrait de la cité ou de la nation - pas forcement à l’échelle du quartier, de l’habitat, de l’entreprise- ne furent jamais étudiés en tant que discriminants. Qu’il y ait une auto-exclusion ou une discrimination, on ne s’étonne plus qu’une moitié des citoyens est ou se met à l’écart. Au pic électoral de l’intérêt (présidentielle), chez nous, 25 millions de citoyens actent quand la population concernée est de plus de 50 millions. Aux Etats-Unis, c’est... pire! 80 millions de citoyens participent à la grande élection nationale sur 180 millions en âge de le faire. Le meilleur marqueur qui allie l’abstention électorale à la non intégration, est, on le verra au cours de l’émergence des fins républicaines, la propriété de biens spéculatifs, de propriétés productives, y compris en faible volume, de plus de deux logements, de participation à des profits capitalistes sous forme de titres, de rentes, d’actions ou de biens mobiliers issus de patrimoines hérités ou créés au delà du foyer et des biens domestiques du logement habité ou des petits comptes d’ épargne. C’est ce critère, non celui de la position dans le processus du travail, la richesse dû au type de revenus qui est la grande nouveauté de ce temps. Ce que les marxistes dépassés par le changement d’époque, n’ont pas vu venir ce paradigme implacable. Les périodes où les républiques tombent adviennent quand les effets d’une redistribution familiale ou clientéliste, l’offre du pain et des jeux (médias, foot, loisirs de masse) ou des exutoires contre le déclassement ne fait plus ressentir ses effets bénéfiques. On le vit toujours depuis 1789.. C’est pourquoi on s’inquiète, maintenant quand on réalise qu’il y ait si peu à redistribuer!
Les profits républicains, généralement hérités de père en fils, incitent à une concurrence des dominants, une lutte interne parfois brutale afin de les maintenir ou maximiser. La production et la plus value, la marchandise et le profit commercial ne sont plus les sources les plus notoires de richesses, puisque la fructification de l’argent, les jeux financiers, les rentes bancaires, les revenus fiduciaires sont l’origine de la puissance d’influence républicaine actuelle. Et deviennent déterminantes la consommation, l’origine du patrimoine, le style d’usage de la valeur, plus que les positions officielles sur une échelle de déclaration d’égalité sociale des revenus. Voici où nous mena la lecture de quelques auteurs largement connus mais...souvent étrangers à la France. Notre enquête nous mena auprès de générations de chefs républicains sélectionnés pour représenter le corps entier des possédants ;une catégorie qui s’épuisa vite (corruption, usure) quand ils tardent à laisser la place à leurs cadets. Parfois ils sont remplacés en douceur en fonction de « révolutions », parfois la transition génère des ratés et des conflits. Et il y eut obligatoirement des mécontents dans les branches écartées, dans les fratries malchanceuses qu’il fallut recaser dans l’histoire de nos républiques. L’hypothèse d’une barrière de trois générations résistantes sur des positions d’influence est ici tenue comme probable vu le nombre des cas où cette idée « a marché » dans l’analyse. Cela suggère l’extraordinaire complexité des transferts au sein d’empires familiaux de passages de la fortune et d’adaptation des législations à la transmission de biens. En tenant compte des changements de style de vie et de certaines formes de respect dues à la vieillesse en démocratie. De surcroît ces bourgeoisies infériorisées en attente de pouvoir, doivent s'ajuster aux types de capitalismes qui se succèdent et se montrer aptes à renouveler les discours au « peuple », ajuster la meilleure présentation de soi et le « juste » cliché du « populaire », le plus efficace.
Certaines des morts étudiées seront en conséquence vues comme l’inadéquation des personnels politiques quasi professionnalisés entre leurs capacités de résolution de crises : dettes accumulées, modifications internationales; mutation de genres de capitalisme ( artisanal, technique, industriel, financier, boursier) qui se succèdent de plus en plus vite. Les fractions familiales les plus aptes à accroître les profits à travers l’économie de marché n’ont pas la même perception des situations aiguës de bouleversement. Elles sont alors renversées par des fractions parentes, moins éprouvées, plus averties des idées qui apparaîtront neuves.
Sans considérer les « pathologies » proprement politiques de la mortalité (faiblesse de caractère, langueur bureaucratique des institutions, variation de la position à l’international, manque d’envergure d’une génération de politiciens) il apparaît toujours une rivalité démographique entre fractions bourgeoises. Sur trois générations de personnels, héritiers de mêmes clans et de mêmes positions d’ Etat, on constate inévitablement une perte de largeur de vue des dirigeants dans une crise d’apparition de contestes neufs . C’est peut-être là la stérilité obligée du recrutement monocorde, face à chaque situation originale. Curieusement on retrouvera ce mur approximatif des « 70 ans », sur 3 ou 4 rapports générationnels, dans d’autres régimes: tels l’ex-URSS, la démocratie américaine au recrutement aussi fermé, mais brutalement renouvelé par des élites imprévues, surgies...de nulle part !
Pour revenir au sens du mot « peuple » (signifiant ici une moitié de la population, celle qui ne participe pas électoralement dans les circonstances qu’on lui impose), il ne pourra être défini que par défaut. L’intéressant se trouve dans les raisons historiques qui nous cachent l’évidence. Par conséquent, après le démontage de mes scénarios, j’ai extrait trois composantes déterminant la chute des républiques : l’Armée, on l’ dit, la « Famille », le Droit (les règles d’héritage sont substantielles à la parenté) ou les fabricants d’idéologies, quoique ce dernier facteur soit un poncif. Plus visibles pour les analystes, l’armée, la police, les milices, les services secrets, émargent au même guichet républicain. Mais s’il n’y a plus de profits, soit par perte de marchés, soit par exploitation particulière qui se tarit, le régime républicain peut se trouver incapable de satisfaire les « besoins » d’enrichissement pressants .Et les mécontents croissent. L'expansionnisme républicain s’épuise naturellement dit Bernanos dans La démocratie impériale. Horreur contemporaine, on découvre : Marianne est nue !
il n’y a peut-être pas de « lois », mais, là, une tendance dans l’aire occidentale. Ce fut la grande idée de Jack Goody. Il restait à étudier l’assemblage en chaque république spécifique des variables qui n’épuisent pas l’ensemble des causes exercées en circonstances complexes distinctes. Par impuissance et non par désintérêt naturel, les dirigeants des « castes » inférieures de bourgeoisies, qui, depuis « toujours » misaient sur l’équité de la concurrence interne pour sélectionner les meilleurs d’entre, se révèlent déçues. Le peuple est alors épisodiquement appelé à arbitrer, souvent dans la rue, quand le sentiment du déclin irrémédiable ou une injustice ressentie de la part d’un clan par rapport à un qui serait mieux privilégié, poussent à cette extrémité mais son intervention est éphémère et rapidement neutralisée
Comment explorer la mortalité républicaine sans être historien soi-même ? En cherchant parmi les spécialistes connus ceux qui sont de réels innovateurs. Nous les prîmes pour « guides » dans le fouillis des explications historiques. Ces auteurs parfois acteurs, eux-mêmes des événements, engagés à leur manière ( Goody par exemple fut un soldat de la guerre mondiale,Godechot révoqué par Vichy, Bloch le Résistant, fusillé ) furent nos « Grands Témoins » appelés à la barre. Ce sont eux qui nous ouvrirent au sentiment qu’il existait un matériau raisonnable, eu égard à la mort des Républiques, dans l’immense bibliographie disponible (sur Weimar et le nazisme ; 120 000 livres parurent à ce jour) ; de Paul Veyne à Richard Dunn (Empire Gréco- romain), de Jacques Godechot à Jean –Clément Martin (Révolution française), de Ian Kerschaw à Richard Evans (pour l’Allemagne), de Maurice Agulhon à Jack Goody qui viennent de disparaître. Les Anglais sont de Cambridge, immense capitale historienne, la compétition des Français étant plutôt autour de Province contre Sorbonne
Nous avons appliqué deux interprétations simultanément: tout décès est accidentel et structurel à la fois, considérant que les électeurs réguliers constituent une unité politique comme agrégat de possédants aux moyens immenses ou faibles, de diverses formes et souches toutefois explicitement unifiés dans une idéologie qui porte la propriété privée comme fondement du contrat social. Les autre critères de l’accord fondamental sont secondaires. Par exemple :la formation supérieure au delà du bac, la lecture des mêmes journaux, la référence aux symboles immuables, la croyance d’avoir eu des expériences populaires telles que le journalisme, le syndicalisme étudiant, l’aspiration aux grandes écoles ou encore la croyance inébranlable dans les sondages qui révèle une conception du peuple si naïve qu’elle en est stupéfiante ;qui implique qu’on puisse remplacer la connaissance directe des mondes des subalternes par des petits salariés de la fabrique de l’opinion
La mort des Républiques prône fièrement l’engagement d’une pensée libre hors des conformismes, l’abolition de la spécialisation disciplinaire et enfin un dialogue par des moyens divers, autres qu’internet dont la facilité et l’inefficacité sont déconcertantes. Ce dont témoignent la crédulité des esprits ordinaires qui s’y expriment ou le formalisme académique de débats, les querelles microscopiques des m’as-tu-vu des réseaux sociaux. Finalement, à l’encontre de toutes les formules qui veulent absolument une thèse et une étiquette quant à la source de l’auteur, ici il y en a plusieurs, et je ne suis assuré d’aucune d’entre elles ; alors certainement ce livre déconcertera le lecteur habitué à voir une idée unique développée du début à la fin par un « metteur en scène » tout puissant s’appuyant sans vraiment l'avouer sur une foule de collègues. L'étonneront aussi le simple propos sociologique qui est, à côté des multiples thèmes abordés, l'intérêt porté aux historiens pour eux-mêmes sans se refuser, à certains endroits le ton virulent, voire engagé dans un mélange moqueur du contenu des sciences sociales. En fin de compte une esquisse de sociologie des historiens français
Depuis l’Antiquité, les républiques qui se succédèrent ne furent jamais envisagées en séries mortelles. D’après Jack Goody, on a gommé allégrement tous les cas qui n’appartiennent pas notre vision et qui ne conviennent donc pas à notre cadre ethnocentriste. In fine, notre jugement dépend des conceptions de professeurs de Droit, constitutionnalistes, historiens et politologues. Le nominalisme juridique qui impose sa propre définition politique déforme notre vision depuis plus de cent cinquante ans. Si l’on s’en tient au vague consensus en cours, pourquoi le descriptif de chacune des disparitions n’a jamais été conçu au point de vue comparatif ? Parmi les obstacles, citons le provincialisme hexagonal et la puissante sinon autoritaire tradition historiographique nationale. Pour les contrer, j’ai mis en oeuvre le comparatisme depuis la Grèce. Une série qui n’a pas l’inclination naturelle des historiens, plus entraînés à l’exhaustivité monographique ; un épisode étant toujours singularisé, circonscrit selon des bornes frontalières. Un sociologue comme Howard Becker a fait pourtant de l’étude de cas, la méthode la plus appropriée en sciences sociales ([1]). Il m’encouragea à traiter -de façon audacieuse peut-être-, les morts subites d’un regard global, multipliant les variables et cherchant différences ou similitudes. Et quand bien même, il n’y a pas de comparabilité possible, l’incomparable est encore une bonne occasion de comparaison puisqu’il permet de dégager quelle caractéristique s’impose ou non à la connaissance. Et puis, qui sait ? Quelque lecteur rencontré au hasard sera heureux de voir que lorsque on appelle à la 6ème Rép, on en ignore les conditions antérieures. Que lorsque les frontières qui s’effritent entre l’Asie et l’Europe ou qu’ on nous parle de crise depuis 50, que le « terrorisme » est lié à tout ordre qui voit son autorité contestée et que le pouvoir appartient à celui en position de définir le peuple. C’est l’émetteur de la théorie qui proclame qui et où est le « peuple » ou qui est le terroriste , son ennemi naturel. Ainsi vu de Paris ou de Weimar, le peuple ou le terroriste ne sont pas identiques. Il y avait le peuple à Londres pour De Gaulle , un suppôt de terroristes selon Vichy qui avait son vrai peuple. Le peuple des paras insurgés d’Alger en 1958 ou 1961 agitant la menace de leurs propres terroristes perçues en images totalement inversées en métropole
Et puis qui sait ? On aura la chance d’ inciter quelque étudiant déçu de l’enseignement qu’il reçoit d’aller voir par lui-même ceux qui ne votent pas, sont peu intéressés par la délégation, la représentation à niveaux complexes et sont détournés par ceux qui ont un perception différente,un sens autre de la dimension espace- temps ; ceux très sensibles aux promesses vitales non tenues, à la lenteur des procédures, au jeu décevant de l‘appareil impénétrable de codes, règles dont les constitutionnalistes et juristes se sont fait une spécialité incontournable sous tous les régimes . Donc le peuple, c’est les autres, les inconnus dangereux des cités et banlieues, les absents qui on toujours tort.., alors abolissons les cloisons entre disciplines, entre les trois censées nous les expliquer : L’Histoire, la Sociologie, et l’Anthropologie. Je sais que la première de ces disciplines défaillantes, l’histoire, est défavorable aux incursions d’outsiders, que la sociologie est, sur ce sujet, impuissante ou plutôt paralysée, et que l’anthropologie a trop déchu pour nous être d’une quelconque aide en France
[1] La Grande Focale la découverte 2016
Chapitre 6 J Goody contre l’ethnocentrisme en histoire politique (110-125)
Avant de disparaître récemment (2015) Jack Goody nous a proposé sans l’avoir expressément prévu, la conscience du Vol de l’histoire politique du monde par l’Europe ([1]) Mais le vol qu’est-ce à dire ? « J’entends par là la main mise de l’Occident sur l’histoire, une manière de conceptualiser et de présenter le passé où l’on part des événements qui se sont produits à l‘échelle provinciale de l’Europe –occidentale le plus souvent- pour les imposer au reste du monde »(p13). Cet exergue en coup de tonnerre, à qui le destine-il ? A la jeunesse ; jeunesse qui se déplace sur la planète à la vitesse que permettent la communication et la circulation moderne. Le maelstrom a commencé. Qui dit ça ? Un « jeune homme » quasi-centenaire( 90 ans) ? Oui, par l’esprit ! Bien entendu sa posture implique qu’en étudiant notre ethnocentrisme, il saisisse celui des autres sociétés, certes moins diffusé mais qui s’alourdit d’incompréhensions meurtries par le passé conquérant de l’Occident. C’est au titre de ce passé équivoque que nous avons-nous même écrit le texte présent
La complexité, la pluralité de formes constitutionnelles, le caractère plus ou moins indéfinissable, avant enquête, de la nature d’un régime quelconque, interdisent une échelle linéaire des mérites de chacun d’eux. Telle est la recommandation initiale. Si on met avant le nominalisme et les classifications propres à tout jugement moral , on s’en remet à la dépendance à des pouvoirs, (ou à certaines des Religions qui définissent le Bien et le Mal publics ) aussi bien qu’au juridisme des intellectuels et de ceux qui contrôlent la terminologie, sans vérification autre que leurs sentiments et intérêts.. Par exemple, dans ce que nous nommons « élections » en démocratie (que nous prenons au sérieux en tant que test d’adhésion républicaine), il existe une complexité de conceptions d’électorats, de rapports publics au vote, de délégations et de droits inhérents au civisme mal définis. Il y a eu une foule d’interprétations de « l’élection » dans le monde qui rendent ces critères peu pertinents, ininterprétables à l’anthropologue qui veut jeter un regard comparatif. L’inclination de critères démocratiques à l’égard de la causalité linéaire interdit une dimension critique, oubliant les fonctions contradictoires de cet acte (élection papale, des juges sous la royauté, dans l’armée, ou maintenant dans les actionnaires d’entreprises). Résultats de l’enquête à l’échelle mondiale de ce que réalisa Jack Goody, avec ses scrupules habituels.
Et la mort des républiques, perçue par un regard extérieur à l’ Occident, aboutira à la conviction de voir là une simple étape, un augure et pas la fin d’un monde. La fin d’une histoire occidentale centralisée (par clercs et universitaires), relativement homogène dans ses thèmes, méthodes et démarches générales :Oui ! Un regard anti-euro-centrique à la Goody au sujet de la « démocratie », du capitalisme, du libéralisme dévoile des concepts fabriqués sur plusieurs siècles à travers empires ou républiques, dictatures ou royaumes appuyés sur la révolution industrielle et la conquête du monde. Est –ce un relativisme absolu ? Non ! il y eut des avancées et des reculs pendant 5 siècles de travail, en histoire moderne : Weber, Braudel, Elias nous firent connaître l’histoire en sa dimension « monde » mais l’anthropologie culturelle et politique mondialisée dans les considérations de l’auteur apporte des sources nouvelles et inattendues
Qu’en penserait P Veyne pour l’Antique ?([2] ) La même chose ! A preuve :.« C’est pourquoi, à mon avis, il est exagéré de saluer en la démocratie athénienne l’aïeule de la notre » p 88 Toutefois, il a pris un chemin différent pour parvenir à la conclusion de fort relativisme ; tel Pomeranz, au sujet de la Chine, Souyry, le Japon « moderne » sans être occidental ([3]) et quelques autres centres arabo-musulmans participant aux inventions politiques. Le mouvement de la Réforme en méthodologie d’études politiques est en marche. Veyne dit de qu’il n’ y a pas de coupure entre systèmes politiques aussi clairement, sans faits étayés, ce qui nous sert d’argument d’autorité. Aucun système n’est vierge du passé et aucun n’est pur dans ses « organisations » intérieures. « Sous l’ Empire , le mot République ne cessera jamais d’être prononcé et ce n’est pas une fiction hypocrite, ... un empereur au contraire était au service de la république » (Veyne p28) . « Le régime impérial ne maintenait pas sa façade républicaine par une fiction, mais au terme d’un compromis ; le prince ne pouvait ni ne voulait abolir la république, car il avait besoin d’elle : sans l’ordre sénatorial, sans les consuls, les magistrats et les promagistrats, l’Empire ,dépouillé de sa colonne vertébrale se serait effondré » (p29.« D’où vient cette idée follement neuve, cette conception si particulière qui a dominé les pensées et partiellement les pratiques ? Selon Vernant elle vient d’un idéal aristocratique qui a été étendu à tout un corps civique auto-proclamé , paysans et gens de ville » . Parfois une oligarchie commande sous les apparences de la dictature avec laquelle des compromis sont passés ; une autre fois, « on pourrait dire que le césarisme n’est que l’instrument d’une groupe de familles dirigeantes qui gouverne derrière les chefs élus et rois ou empereurs »... « D’où vient cette conception aristocratique et clientélique, curieusement associée à la doctrine républicaine selon laquelle c’est la communauté qui choisit son calife ? » (p 21)
Le mélange des de régimes antinomiques
Nos auteurs témoins disent la même chose d’autres périodes :sous la Révolution, sous Bonaparte, sous les consuls, sous les princes, et sous les présidents élus ou non ; mis à part l’Allemagne nazie qui est une singularité historique, toutes les combinaisons sont possibles et donc toutes les terminologies : «Par exemple ce que Max Weber appelle l’alliance naturelle ...mise partout en œuvre de l’autocrate avec les couches plébéiennes contre les couches de statut supérieur » l’atteste (Veyne p 154)
Il n’y a aucune limite claire pour déterminer si Rome relève de la république, du principat, de l’autocratie, du mécénat ou de la « démocratie » La différence est dans l’organisation et l’agencement : « la démocratie moderne réunit les individus en les réduisant tous à une même norme abstraite et égalitaire ; leurs avantages personnels ..s’effacent dans l’abstraction du droit public... tandis que dans la cité antique , ce sont des différences concrètes et complémentaires qui réunissent les citoyens (par l’évergétisme, les notables , les riches s’ils veulent tenir leur rang ont le devoir moral ..le pain , le Cirque, et des monuments publics »). La démonstration de P. Veyne , si elle veut convaincre, doit de s’appuyer sur une immense enquête : 800 pages de faits politiques dans l’Antiquité, et plus de 500 chez Goody. Deux regards aigus sur les formes politiques dans le monde et dans l’histoire qui ne déploie que diversité, variétés de systèmes, y compris le républicain en l’occurrence, et où ne l’emporte aucune légitimité particulière. Malgré qu’un continent, le notre, se soit attribué une supériorité morale ou juridique à ce sujet.
« Regardons les faits et les systèmes concrets »
Là où Veyne dit : oligarchie, clientélisme, autocratie, Goody insiste sur « familles », clans, liens de sang, noblesse et féodalité rapprochés dans l’Histoire ; il mettrait la République, où le partage du pouvoir entre diverses bourgeoisies de gauche, du centre, ou de droite se déroule généralement sans problème, autre que procédural. Là, la « succession » émerge d’autres règles : sélections dont l’élection est une parmi d’autres, (choix fermés des postulants ,formation idoine). Par conséquent, Goody et Veyne ne font pas de l’histoire politique définie à priori par une étiquette de « système », mais font l’histoire du politique, du fait politique, et du mélange de « pouvoirs » que recèle n’importe quel pouvoir qui s’auto-definit ensuite en raison d’intérêts économiques du moment .
En démocratie on constate également une mosaïque de formes, des assemblées aux fonctions disparates, de métissages de formules quant aux libertés, des concepts interchangeables. Les valeurs sont un attribut passe-partout, il y a des valeurs proclamées ailleurs ;même le nazisme prétendait à des valeurs ; ce fut la nature raciale des habitants ; or, des républiques raciales nous en connûmes : esclavages, les sous-hommes , les indigènes, les métèques . Il y a très souvent à l’oeuvre des critères raciaux dans les états du sud des USA, un racisme rampant et même, un quasi fascisme dans les commissariats des villes noires. Ce sont toujours des situations concrètes et des rapports de forces qui fondent au final nos valeurs.
Le Droit accordé à telle ou telle population est une façon de s’opposer aux droits d’autres populations. Des zones d liberté ont existé en dictature, des autonomies locales s’expriment dans des pays aux règles autoritaires et centralisées. Contrairement au politologue, le sociologue ne constate jamais de pureté « juridique » , de natures d’un Droit, d’une essence qui constituerait une hiérarchie morale. L’anthropologue voit lui pluralisme de systèmes et de formules en transitions. La coupure substantielle est une illusion supplémentaire de l’ethnocentrisme
L’enquête de Goody
En résumé, l’allégresse dévastatrice de Goody entamée il y a plus de 50 ans, l’a conduit à combattre systématiquement nos préconceptions. Cette idée roborative n’a pas été admise. C’est pourquoi il proclame de manière tonitruante le sens de sa bataille: « On reproche parfois à ceux qui critiquent le paradigme euro-centrique de se montrer virulents dans leurs commentaires. J’ai essayé d’éviter ce ton de voix pour privilégier l’analyse...Mais les voix qui résonnent dans l‘autre camp sont souvent si fortes, si péremptoires, que l’on me pardonnera peut-être d’avoir élevé la mienne » (Le Vol p 9)
Ses derniers ouvrages auraient dû nous avertir. Ils avaient déjà frappé l’opinion. « L’Evolution de la famille et du mariage en Europe » fut un succès singulier puisqu’il y évoque la fonction de la parenté en politique, sujet peu étudié et peu à la mode. L’Orient dans l’Occident fut pareillement une surprise, à contre-courant. L’intrication des liens, sur la longue durée, d’événements migratoires y a été reconnue. Enfin son chef d’œuvre, Le vol de l’histoire a eu chez nous une réception plutôt mitigée. Il faut noter que le système éducatif, l’esprit de rationalité et toutes autres « marques » d’un occidentalisme orgueilleux et conquérant, confrontés aux autres savoirs sur le globe depuis un millénaire supposaient de nombreuses conditions de virtualités qu’il fallait attribuer d’abord à la supériorité de nos problématiques, de nos méthodes et des notions construites en des historiographies occidentales. En bref :
1) Dans tout régime, quelque soit le territoire, l’époque, la complexité des liens sociaux, il y a toujours des » familles », des clans et des partis, qui commandent contre d’autres fractions. Depuis un temps immémorial, il y a eu des familles régnantes, il y a eu des groupes de familles qui ont dominé la politique
2) Des religions en concurrence organisent, cimentent ces familles et « légifèrent »
3) Des idéologues légitiment, suivent et approuvent. Aujourd’hui ce sont les juristes qui disent le « Droit » des faits et des règles
Avec des variantes temporelles ou celles de continents, une religion peut être un simple pouvoir : Etat religieux; une religion d’Etat ; une religion dans l’Etat, une religion au nom du groupe supérieur (royauté, féodalité, ville ou région). Dans un Etat ou ce qui représente un pouvoir d’état, il y a des pratiques très diverses : cultes, rites, cérémonies, interdits ou prescriptions. Tout ce qui structure dans la société fortune, les rapports H/F, les enfants. Dogmes, obligations, règles de vie, relations aux autres : pauvres riches, races, autres cultes, tolérance ou violence, tout relève d’éléments politiques. Et là encore la religion a été associée et a été une activité éminemment politique. Goody montre l’extrême variété de ces interférences de la religion dans la vie sociale sur 25 siècles Mais ce n’est pas tout. La religion est aussi le plus souvent une organisation, un appareil structuré, des personnels, des agents, des intermédiaires, des lieux sacrés ou de personnes sacrées ; en tout cas une puissance qu’il faut rémunérer et à laquelle il faut se soumettre . Cette histoire du fait religieux montre aussi qu’il existe une toute autre dimension au religieux : la religiosité, intime ou non, les pratiques spirituelles privées.
L’Europe n’ a pas été le lieu de naissance de ces « modernités ». L’Asie en a fourni également. Goody est allé très loin dans cette voie rectificative. Le manifeste : « L’Evolution de la famille et du mariage en Europe » ( dit EFE) décrit la fonction de la parenté en politique. Politique et familles, Eglises et cliques, Politique et économies marchande et industrielle, démocratie et guerres, tels furent les thèmes aussi de Braudel avec des sources moins élargies et originales que Goody qui ajoute des données inconnues, il y a trente ans. l’Orient dans l’Occident fut aussi une surprise à contre-courant. L’intrication des liens sur la longue durée d’événements migratoires dans les deux sens a été enfin admise. Annoncée depuis quelque temps (par son ami Hobsbawm) , les anthropologues, historiens, sociologues du global, inaugurent l’ère de ruptures. En se confrontant à une situation originale, la mondialisation des échanges scientifiques, l’Europe et l’Amérique doivent accepter dans la douleur de ne plus jouer sur le terrain traditionnel, mais d’affronter la dimension planétaire globale. Braudel en serait ravi ou interloqué. L’irruption de pays émergents offrit des données nouvelles modifiant la façon de faire de l’histoire politique par un mélange d’approches savantes les sciences sociales. La France en retard trouva peu des grands livres étrangers traduits avec dix ans de retard hélas avec un faible écho, malgré des traductions de qualité ([4]) . Le vol de l’histoire a posé à la communauté historienne, traditionnellement forte, de nombreux risques d’éclatement quant à la supériorité de ses problématiques, méthodes et des notions dans les historiographies occidentales. Ce qui nous interpelle dans le ce travail est que le capitalisme présent partout, dans le monde, et à toute «époque, les liens qui le soutiennent, s’épanouissent dans une politique toujours associée à la famille et à la religion. Les deux sont liés par héritage et contrôle des mariages. Cela est visible particulièrement dans son livre : « L’Evolution de la famille et du mariage ». Le rôle prépondérant de la parenté dans les affaires et dans la transmission des richesses initia par conséquent l’accumulation primitive. On vit même s’épanouir un capitalisme ecclésiastique ! C’est justement là qu’on voit un modèle bourgeois de la famille républicaine. On le pressentait aujourd’hui en constatant dans notre société justement l’épuisement d’une 3ème génération quant aux valeurs transmises à la suite de changements économiques bouleversants. Les petits-enfants qui ont hérité de leurs parents vers 2000, chez nous, n’ont guère à voir avec leur aïeux. La génération issue de la Libération qui a gouverné le pays de 1945 à 1970 , a donné les clés d’élections et de gestion publique à leurs fils et cela a fonctionné jusqu’en 2000 environ. Ces derniers l’ont transmise à nos dirigeants actuels. Ceux-là, sans passé, sans avenir, sans grande expérience, sont car sans idées, sans solution. Ils vinrent plutôt du dehors de l’économie, eux n’ayant pas eu à travailler directement des affaires, des entreprises, des sciences. Nés en dehors monde réel, ils furent formatés au moule desséchant et terriblement stérile de Sc Po Paris, Sorbonne, ENA. Par ailleurs, le trop plein de ces héritiers sans pratique a poussé les enfants de ces milieux à migrer sur l’échiquier des partis C’est ainsi que la bourgeoisie traditionnellement encline soit à la gestion des âmes, soit à l’affairisme, s’est introduite au PS, en se couvrant d’abord de l’autorité et du prestige de Mitterrand ; ils ont conquis là, et annexé ce parti, dirigé depuis 2000,. En conséquence, bien sûr : aucun risque d’une réelle alternance puisque ce sont les mêmes familles et habitudes de pensée. Mais tout ceci est refoulé au de là de toute expression puisque la droite conquérante s’empara ainsi de la gauche, celle des partis, des syndicats, de la haute fonction publique, du monde de l’édition, des médias. Comme on le voit biens ces jours-ci. Ce phénomène a encouragé temporairement, comme je pus l’observer, les sciences sociales sans contraintes de preuves, aussi faibles, moquées et peu prestigieuse soient-elles
En considérant la progression continue d’un système de souches de pouvoir et d’accumulation productiviste, Goody se refuse à tout jugement moral et il ne fournit aucun prétexte à une célébration civilisatrice, un « décollage » économique de nos sociétés. Les variables qu’on attribue à la réussite des peuples occidentaux, nous les avons évaluées à l’aune de données « intéressées » à confirmer nos analyses. Une complexification de la thèse de l’auteur est celle où il révise le rôle de l’Eglise dans l’accumulation primitive: « La part de l’âme », la vente des marques de salut, la captations des donations bref la mobilisation par les Ecritures de toutes les sources d’enrichissement se trouva en contradiction avec la vision téléologique de la naissance du capitalisme en raison des représentations adéquates (Max Weber). Il y voit plutôt l’importance des grandes institutions, en authentique matérialiste qu’il est, qui expliqua par exemple un capitalisme ecclésiastique qui pourchassât les sectes (Vaudois), les dissidences religieuses (les Cathares), celles, qui font voeu de pauvreté et dénoncent la richesse des clercs au cours de la civilisation occidentale entièrement remuée vers l’enrichissement matériel. Duby avait salué cette démonstration : « Ce livre ne manquera pas de faire grincer quelques dents. Il est sûr que la distance est grande entre les préceptes de l’autorité ecclésiastique en ces matières et les préceptes de l’Ecriture.. Il est sûr que la doctrine ecclésiastique du mariage avait pour avantage d’assujettir l’aristocratie laïque au pouvoir spirituel...Mais l’immense transfert de propriété que j’ai désigné comme le mouvement le plus puissant qui ait animé l’économie européenne au Xè et XIè fut déterminé non moins directement que d’autres effets de la christianisation » avait-il écrit en 1985. Cette rectification au sujet des dévolutions de biens domestiques (n’est pas ce qui nous intéresse le plus ici ; ce sont les systèmes politiques quoique pas de familles sans eux. La famille est la politique primaire il existe une politique des mariages même à bas niveau de dévolution. Les questions de filiation à contrôler strictement est l’objet du Droit privé Patrimoine, alliances héritage sont réglementés dans tout régime depuis des temps très anciens Le mariage est un aspect d’actualité (par adoption ou GPA ou mariage de même sexe) une des questions électorales sensibles lors des primaires de cette présidentielle. L’emprise de l’Eglise sur les règles de filiation et du mariage qui firent d’elle le plus grand propriétaire terrien du Moyen Age, est toujours en pleine actualité ! La Grèce moderne qu’on présente en quémandeurs monétaires insatiables d’aides de Bruxelles devrait faire réfléchir. En Europe une branche actuelle de la Chrétienté, l’Eglise Grecque orthodoxe de rite byzantin, le plus important possesseur de terres du pays est exempt d’impôts. Chacun de ses gouvernements, se doit d’être béni par l’archidiacre pour être légitimé et validé par les partis, y compris socialistes (appartenant à l’Internationale) !
Par un effet de choc et pour un éclairage moderne, voici une définition républicaine (en vigueur lors du début de la 4ème ). Ce qui a un rapport à aujourd’hui avec la fin de la « participation citoyenne au pouvoir » par le biais des élections ; 10% d’abstention au commencement de cette période ici décrite, et les 60% contemporains ([5] ). Un passage en 60 ans d’une république mi –ouvriériste, à une qui est manifestement anti-ouvrière). La preuve : « Il n’y a pas de progrès véritable si ceux qui le font de leurs mains ne doivent pas y trouver leur compte. Le gouvernement de la libération entend qu’il en soit ainsi , non point seulement par des augmentations de salaires mais surtout par des institutions qui modifient profondément la condition ouvrière.....Encore, le plan que je me suis formé va-t-il bien au-delà de ces réformes d’ordre matériel. Il vise à attribuer aux travailleurs, dans l’économie nationale, des responsabilités qui rehaussent de beaucoup le rôle d’instruments où ils étaient, jusqu’alors confinés. Qu’ils soient associés à a marche des entreprises , que leur travail y ait les mêmes droits que détient le capital, que leur rémunération soit liée, comme le revenu des actionnaires aux résultats de l’exploitation... Ces transformations, si tendues qu’elles puissent être, sont réalisées sans secousse .Certes les privilégiés les accueillent mélancoliquement. Certains s’en feront même de secrets griefs plus tard » .De qui est-ce ? ([6])
Autrement dit: comment passe-t-on de 10% d’abstentions de 1945-1948 à 60%, 80 ans plus tard. Alors même république populaire à anti-populaire qui ne fait aucun effort afin de faciliter matériellement le vote par moins de formalisme et même creuse les obstacles et aujourd’hui à des votes dits dangereux (handicaps identiques et résolus en 1945-47 dus à des transferts de populations, de problèmes de prisonniers, de la mobilité des citoyens sans logement). Mais là, à ce moment, tout a été fait pour les intégrer à la communauté et non les rejeter ou les éloigner par un excès de rituels lourds ;
Démocratie et capitalisme
Finalement, que nous apprend Jack Goody ? Qu’il y a d’innombrables « rationalités » démocratiques. Comme il y a de nombreuses variantes du capitalisme mondial, (le système des USA est différent de celui de l’Europe). Il y a également – ce qui nous aveugle- plusieurs branches dans le capitalisme chinois qui n’ont guère de rapport avec le notre. En considérant cette question comme ouverte et centrale, en prolongeant l’idée d’un capitalisme multiforme aux variantes qui se surveillent ( capitalismes américain et chinois s’observent et interfèrent) et les démocraties comme régimes variés , datées qui se combattirent en Europe à la poursuite de fins éternelles de l’ enrichissement, on est susceptible de traiter toutes ce sociétés sur le même plan. Elles produisent, échangent, s’approprient des savoirs et des biens par la force ou l’imitation. Que tout régime soit un mélange de « dictature », de procédures dites démocratiques, de systèmes autoritaires d’exploitation de populations subalternes, et donc un mode de construction de légitimité de domination, est un truisme. Les uns se centrent sur « classes » les autres sur castes, sur « familles » ou clans, ou encore nations ou religions. Une constellation inclassable donc de cas ([7]). Aveuglés nous sommes, car nous ne savons pas nous déprendre des catégories des sciences Politiques ; si nous adoptons les concepts de Sciences Po, nous appliquons les schèmes de ceux qui les financent : Sondeurs, éditeurs, partis, presse, etc. Si nous voulons nous libérer, alors comme l’auteur, faisons un enquête mondiale de ce que l’histoire a créé en formules de pouvoir, de répartition de l’autorité et de sa transmission. Sans savoir empirique large : pas de compréhension possible !
Jusqu’au « Vol », Goody n‘avait qu’incidemment porté son attention sur les régimes politiques de grands Etats modernes et sur les rapports intérieurs de leur redistribution de la richesse. Néanmoins il les avait abordés ainsi qu’on l’ dit, par le biais de la parenté. la famille inculque les liens d’allégeance Mais il n‘avait pas omis de signaler les familles dominantes riches et l’organisation de cités antiques qui furent toujours un modèle, que ce soit pour la naissance du capitalisme ou pour la structure des cités en groupes de familles. Et il nous a rappelé que l’Eglise fut un intermédiaire puissant de la diffusion capitaliste : pas seulement la diffusion, mais l’invention d’un capitalisme de groupes associés et hiérarchisés (Templiers, Ordres temporels) .
Selon l’auteur, l’impérialisme historiographique occidental se développa au rythme de l’apport colonial et des échanges marchands (l’Algérie entre autres fut un élément essentiel de l’accumulation en France). Une tradition démocratique qui puisse se déclarer authentique, sans trop de scrupules contradictoires, se mit en place qu’à la condition de la stabilité d’une minorité : cet impérialisme a suscité l’intérêt des classes dominantes quand elle put maîtriser le résultat incertain des votes : les démocraties inventèrent plusieurs contrôles : l’octroi de plus de voix aux riches et à des citoyens choisis ; limite du vote aux zones rurales réputées conservatrices etc.. . Des mesures préventives par la création d’une deuxième Chambre ou bien la limitation des pouvoirs des élus par renforcement de l’exécutif furent, ailleurs, considérées. Bismarck institua un « universel » à trois niveaux pour prévenir l’autorité d’une des 3 assemblées. L’Angleterre institua une Chambre élue compensatrice par une assemblée héréditaire. Sage précaution, pensa-t-on, tout au long du 19è, pour contrôler la masse électorale erratique et les votes populaires dangereux. En France : découpage favorisant les majorités rurales (Sénat), prévision des collèges électoraux à plusieurs étages. On a même imaginé donner des voix aux seuls citoyens instruits (Belgique, Pologne, Italie) ou des voix supplémentaires octroyées aux représentants de l’Université ( en Grande Bretagne). On a retardé l’avènement de l’isoloir afin de faire pression et intimider des citoyens aux votes « extrémistes ».On a retardé jusqu’en 1913, le vote secret au Danemark ou en Prusse .On a compliqué les procédures d’inscription pour certaines catégories géographiquement mobiles en France. L’imagination n’a jamais manqué pour contrôler le vote. La plus subtile des mesures discriminantes fut la complexification matérielle du vote, conçu comme réservé aux sédentaires, identifiés par un logement stable. Pendant le XIXè, le mouvement ouvrier perçut le refus du suffrage universel comme une sorte de réflexe de résistance contre une duperie construite au long de 50 ans. Il n’y rien de surprenant que, sous une forme peu théorisée, l’abstention ait été assimilée au freinage industriel et condamnée moralement par ceux qui gouvernent grâce au vote. En général, la population qui s’abstient, vise d’autres moyens d’action. En comptabilisant les abstentions, stricto sensu, les non- inscrits (15%), les votes blancs, et en y ajoutant les non recensés ([8] ) des résidents en tous pays, le vote demeure toujours minoritaire dans nos démocraties Goody attire l’attention sur les « votes universels » d’ autres types de démocraties
L’eurocentrisme est plus qu’une variété de l’ethnocentrisme ; c’est une idéologisation de la puissance. « Plus j’ai examiné d’autres facettes de la culture eurasiatique, plus je me suis familiarisé avec certaines parties de l’Inde, de la Chine et du Japon, et plus m’est apparue la nécessité de comprendre l’histoire et la sociologie des grands Etats ou « grandes civilisations eurasiatiques comme autant de variations mutuelles » ([9] ). Il en tire les conséquences:« L’oubli des autres est la négligence obligée de ceux qui s’installent dans la position dominante : organiser l’expérience en fonction de la place centrale que l’on s’adjuge ; qu’ils soient individu , groupe ou communauté , tous manifestent un préjugé qu’on impute sans surprise aux Grecs et des Romains : « Toutes les sociétés humaines affichent un certain degré d’ethnocentrisme qui conditionne en partie l’identité personnelle et sociale de leurs membres ...Mais l’Europe n’a pas inventé l’amour, la démocratie ni la liberté ou le capitalisme de marché, elle n’a pas non plus inventé l’ethnocentrisme... Deux raisons évidentes : l’autorité que conférait la diffusion de l’alphabet grec et secondairement, l’eurocentrisme fut aggravé par les événements ultérieurs que connut le continent européen, l’hégémonie mondiale exercée dans diverses sphères et qu’on a souvent tendance à considérer comme ayant existé de tout temps »...« Je préfère dire quant à moi de la bourgeoisie qu’elle fut un phénomène international ». En concluant, il dira : on « leur » a volé leur Histoire, maintenant il faut la rendre. Le sens que nous avons donné, parmi d’autres significations possibles, à « démocratie », s’apparente au fixisme obsédant: « C’est une chose nouvelle que cette préférence inconditionnelle pour une forme donnée de gouvernement au mépris de tout contexte.La Grèce ou la Rome antiques connurent au fil du temps d’importants changements de régime -on passa de la démocratie à la tyrannie ». De la république à l’empire ; exactement comme en Afrique depuis l’indépendance. Même en Europe ce ne fut pas avant le XVIIIè siècle que commença à se répandre l’idée que la démocratie constituait la seule forme acceptable de gouvernement. L’Europe connut aussi plusieurs changements de régimes, certains violents, impliquant le recours à la force, et d’autres non....En somme, la possibilité de changement de mode de gouvernement existait dans les régimes antiques et la démocratie n’était qu’une des formes que ce changement pouvait prendre »([10] ). Ce principe de recherche (notre schème) entrouvrait le début de la prise de conscience contemporaine ; mais il restait à accomplir le gigantesque travail d’identifier les bourgeoisies existantes dans chaque pays et leur mode de concurrence. Tache à laquelle la sociologie politique a « naturellement »renoncé
Si on a suivi la totalité de ce raisonnement comparatif, il apparaît une continuité entre Dunn, Goody, Evans, tous de Cambridge, tous élèves de Finley. Ils ont, tous, donné leurs œuvres-phares après 2000, en fin de carrière, lorsque, parvenus au sommet éditorial, ils n’avaient plus qu’à gérer une fin de parcours très honorable. Or, ils ont profité de la conjoncture présente d’incertitude et d’effet critique,. Il n’est pas sûr que les changements déclarés ailleurs seront confirmés, car le sentiment fréquent de vivre une « Révolution » n’entraîne pas automatiquement un changement. C’est pourquoi j’insiste sur la fin de plusieurs républiques en critiquant le formalisme de la sociologie politique occidentale.
Tout régime politique, quel que soit son autodénomination est composite ; il ne peut être catalogué selon le dessein des intellectuels, dirigeants, juristes, constitutionnalistes ou historiens et sociologues. Dans les passages précédents on a vu qu’au début de la 4ème rep française et la fin de la 5ème n’y a que peu de points communs sinon formels : la marche des institutions et le respect des codes électoraux. En effet les mêmes familles, grossièrement dit, issues de la bourgeoisie de gauche et de droite, ne gouvernent pas officiellement de la même manière sur 70 ans où 2 ou 3 générations se succèdent avec profils identiques, des formations en apparence différenciées quoique avec des pratiques communes et des résultats proches
La révision de nos certitudes , portée par J.Goody, interroge le devenir des civilisations et peuples que nous étudions.Comment perçoivent-ils le fait que nous ayons toujours associé capitalisme et avènement de la démocratie (individualisme, organisation libérale, « rationalité » de l’action )? Pour notre génération nous avons appris à l’école, que hors du capitalisme libéral il n’y a pas de démocratie. Pour nous, aucune autre « démocratie » (quelle soit « asiatique », antique, africaine) ne mérite ce terme si elle n’adopte pas en même temps le capitalisme libéral sous la forme que nous avons définie. En effet la « Démocratie » est devenue le meilleur lit d’un capitalisme hors contrôle. Nous avons balayé d’un revers de main, les « démocraties », où le partage du pouvoir entre noblesse, élites, clans professionnels ou autres partis héréditaires se réalise de manière relativement pacifique et contrôlée, hors de l’influence du « peuple ». Le spécialiste reconnaîtra aisément des thèses ayant été diffusées en France dans les années 1970. Il s’agissait de décrire tout régime comme élitiste, délégant à une partie des catégories sociales dominantes (Citoyens en Grèce, seigneurs et féodaux en monarchie, élites lettrées ailleurs, clergés, castes bourgeoisies de toute tendances laïques ou religieuses pourvu qu’elles soient des catégories possédantes) une fonction « de droit » de direction naturelle à la condition de partager « équitablement » entre des postulants déjà sélectionnés (université par exemple). Et ce sont ces candidatures qui, depuis l’Antiquité, signalent la formule démocratique choisie, réglant à l’amiable les rivalités de prélèvement des profits par les diverses fractions. « Comment avons-nous été capables de devenir les hérauts de la société moderne » ? se demande le vieux professeur de Cambridge ( [11] )
A la mémoire des Républiques disparues
Les héritiers occidentaux que nous sommes, parviennent difficilement à convaincre les jeunes pays des avantages de l’impérialisme républicain! Parce que, hier et depuis 2 siècles, notre sens de la démocratie était basé sur la « puissance de feu », notre impérialisme se fondait sur un savoir prétendu supérieur au sujet d’un modèle de gestion de conflits économiques et de partages internes propres à toute société! « S’il est vrai que l’Europe en elle-même est venue à constituer une exception au XIXè siècle , rien n’indique clairement qu’elle se soit écartée des autres grandes civilisations avant cela, sinon par sa supériorité à l’époque des « grandes découvertes » -supériorité sans doute liée aux innovations technologiques en matière de « voiles et de canons » ainsi qu’au système de caractères mobiles, grâce auxquels elle parvint à adapter l’imprimerie( utilisée depuis longtemps en Chine) à son écriture alphabétique....([12])
Nous avions réduit l’autre monde (en bref, tout ce qui n’était pas « Occidental ») au statut, au mieux de témoin admiratif de notre supériorité, plus souvent au statut de victime à spolier. Nous avons continûment asservi une partie des indigènes exploités, sujets au travail forcé, main d’œuvre utilisée aux fins d’accaparement de matières premières. Pour cela nous avons cherché des élites locales pour en faire des alliés possibles. La prééminence du mode de travail capitaliste développé nous a donné une supériorité autoritaire temporaire. Cette supériorité est à son tour contestée par d’anciens colonisés qui comme la Chine ; l’Inde, le Brésil ne se satisfont plus de déséquilibre, ne s’intéressent pas à sa pérennité et le manifestent dans des représentations politiques qui n’ont plus que de lointains rapports avec la mythologie que nous avions créée au 20è siècle, une construction savante de la supériorité économique et politique, essence de l’ occidentalisme, issu de l’enracinement dans un type de pensée , le « génie » Grec et Romain :« En d’autres termes un avantage historique bien circonscrit est transformé en une supériorité de très longue date, voire une réalité permanente, presque biologique » (l’évidence du dérapage date de l’invention du « racisme » vis-à-vis de populations « blanches »dites inférieures , attardées ). L’idée de la singularité unique de l’Occident se réduit alors à la « question que les historiens occidentaux devraient s’adresser à eux-mêmes : « comment avons-nous pu écrire cette histoire-là ? »
Dans ce schéma où est « le peuple » ?
S’il y a toujours, en république française, une variante bourgeoise en position d’échanger l’autorité avec les autres fractions, une violence en vue de rester dominant est susceptible de s’installer. Au cours de laquelle le « peuple » est parfois appelé à jouer un rôle d’arbitre, temporaire et sans précision de condition promise. Cette obscurité, dont témoigne l’euphémisme constant de dénomination :Demos, populo, plèbe,Tiers-Etat, prolos, masses, révèle l’embarras du catégorisable. Différents termes, différentes populations, différentes notions .Par ex. citoyens mais quel sexe, âge, nationalité, résidents, travailleurs, hommes « libres », votants ou simples inscrits électoraux....Aucune probabilité d’accord qui permet à tout acteur politique, journalistes, commentateur de bénéficier du non-concept, pour toutes les figures rhétoriques ou les sophismes de langage. A l’exercice, ce discriminant sert à tous amalgames dont la « communication » s’est faite le prototype à travers l’invention du sondage ... comme Rome avait la pythie !!
Goody, Dunn, d’autres ont démystifié le pouvoir au peuple, belle « formule » allégorique, instrument artificiel puisqu’il réduit à sa plus simple expression le rite électoral édifiant. Pour maintenir la confiance, la grande tradition libérale sceptique aspire à ce que les députés vérifient par des referendums, l’accord général. La démocratie devrait exiger une procédure adaptée visant à améliorer constamment les actes de représentation. « On pourrait dire que la seule mesure à même de garantir la démocratie serait la capacité des citoyens à révoquer leurs représentants lorsque ceux-ci cessent de les représenter. Ainsi la volonté du peuple pourrait renverser un gouvernement qui s’apprêterait à entrer dans une guerre en dépit de l’opposition de la majorité des citoyens. Si cette possibilité de « véritable démocratie » avait existé, bon nombre de gouvernements européens se seraient écroulés au début de l’invasion de l’Irak »([13] ). On en est loin. L’Etat partout prééminent impose non une démocratie primitive caractérisant de petites sociétés, mais une logique totale (ou parfois totalitaire) où il représente automatiquement la société, la justice, la liberté, l’autorité. Les citoyens, quant à eux, sans contrôle possible, ressentent leurs relations avec cet Etat comme un des rapports de forces possibles, dont la majorité se sent exclue. La légitimité à aspirer être élu, acquise à la naissance, par l’Ecole ou par titres élitistes, clientélistes, sont occultés par la règle républicaine. Or, ce fonctionnement étatique peut devenir anti-démocratique et son administration peut favoriser telle ou telle catégorie. Sans reforme du scrutin, sans vérification régulière de sa légitimité, la république peut évoluer vers des formes abâtardies, injustes, soumises aux nombreux poisons que véhicule le capitalisme et qu’il diffuse sous des activités anodines de redistribution formellement équitable, y compris la justice sociale qui peut se transformer graduellement en son contraire, un élément de l’injustice sociale.
Les Droits du citoyen, en raison des modalités d’application choisies concernant l’égalité devant la justice, la liberté d’opinion, de religion et d’expression sont susceptibles de se transformer en prohibition de fait. L’accès aux hautes fonctions publiques est garanti mais cela peut se révéler un leurre, au vu des handicaps des uns et des privilèges des autres. Il faudrait vérifier au cas pas cas, l’origine des postulants aux postes électifs. Si ce que les fondateurs ont appelé la liberté d’opinion se constitue en oligopoles privés par la propriété des grands groupes capitalistes dans les médias (possession de la presse qui devrait être interdite ), alors l’opinion libre risque d’apparaître comme un simulacre. La démocratie suscite toujours par la force des héritages et du droit civil, des normes et des pratiques que l’histoire a retenues comme inéquitables (favoritisme, népotisme, corruption) .Par conséquent, si on ne contrôle pas sans cesse les modes d’exercice des principes intangibles, ceux ci peuvent être retournés aisément par une oligarchie républicaine. Et, c’est ce qui s’avère quand on accorde quelque crédit aux faits et aux perceptions quotidiennes. Les citoyens, mis à part une petite frange, sentent l’impuissance à les rectifier. Dans ce cadre, la liberté d’opinion surveillée par des groupes de presse puissants ou des monopoles de fait est menacée.
Tout cela est largement connu sans qu’aucun effet critique institue des groupes spécifiques de surveillance de l’application. Dès qu’on voit apparaître un début de réserve de la part d’associations privées ; une fraction de l’élite s’empare du problème et s’érige rapidement en juge de la légitimité de sa propre capacité et pour quelques-uns d’entre eux, à juger d’autres juges qui appartiennent au même milieu. C’est un cercle vicieux. Qu’il s’agisse, des constitutionnalistes mandatés ou des commissions, genre CSA, la République élabore une corporation au coeur du jeu, intouchable, non élue, de contrôleurs ou de surveillants ou des commissions ad hoc qui calment l’affaire.
De réels, les droits sont devenus, du fait de la main mise des juges et des avocats, des sortes de voeux pieux. Ces procédures et ces choix sont devenus le cœur du système constitué, où le poids de la fortune et l’origine domine les sélections « démocratiques » aux hautes fonctions. C’est ce système qui arbitre les intérêts contemporains des fractions partisanes, les clans régionaux ou de professions fortes qui pouvaient laisser la porte entrouverte à des intrus éventuels compensateurs, issus des sagas d’ascensions au « mérite » venus d’en bas.
Or, la crise financière passée par là, les dettes de l’Etat crées par les dispositifs où les agents du privé distribuent une part notable de l’aide publique, aggravent la stagnation des hiérarchies sociales. La colonisation et l’Empire ne sont plus les ressources qui permettraient, comme hier, des largesses aux self made men, un avenir aux affairistes, des compensations aux frustrés de la fortune. En 1958, en France, du fait de la guerre coûteuse d’Algérie, la quatrième république est morte brutalement à la suite des infortunes d’endettement et de la limitation de prébendes. Déjà, dès 1793, le coût de l’entretien de l’armée, la fin des pillages par des officiers, les retombées réduites aux fournisseurs en campagne provoquèrent une dépréciation de la monnaie et la crise de confiance de la part de prêteurs (inflation, assignats, banqueroutes).
Or, en ce moment, par impossibilité de mobilisation autour d’un projet vigoureux et excitant pour la jeunesse des classes aisées, une intégration quelconque des scolarisés, un espoir d’ascension par conquête ou guerre, une mobilité sans croissance, tout ceci cumulé fait ressortir les limites de cet Etat et de cette république constituant une menace inédite et redoutable.
Et c’est pourquoi, chose incroyable : Marianne est nue !
[1] Le vol de l’histoire ; comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde . Gallimard 2006. Goody n’est pas un inconnu en France (14 livres traduits) Mon texte écrit en 2015 avant son décès, en 2015 a été lu et encouragé par lui dans son dernier mail
[2] Paul Veyne l’Empire Gréco-Romain Seuil, 2005 P 21,28-29 et p 92
[3] Pierre Souyri Moderne sans être occidental ; Origine du Japon Gallimard 2016
[4] Malgré un rétrécissement des intérêts de l’édition, y compris de prestige car, là où ils ont été publiés, ces ouvrages furent peu soutenus ; les éditeurs se sont satisfaits d’un effet vitrine
[5] Parmi ces 60% : Il y a bien d’autres moyens de politisation et d’actions créatrices chez ceux qui refusent du vote ; aussi respectables que les autres. Nous n’avons pas à les décrire ici (mais on sait les trouver en faveur des migrants, l’action locale, associations de bénévoles, la politique de quartier et de groupes de travail etc..)
[6] Du Général De Gaulle bien sûr ! une fraction de bourgeoisie nationaliste et patriote parmi de multiples variantes Mémoires de guerre : le salut 1944-1946, Plon , 1956 p 119
[7] Les deux états les plus riches de ce monde (PIB par habitant) sont deux Etats ultra-religieux et alliées : Amérique et Israël. Les états européens les plus conquérants le furent sous le signe de la religion et à son nom jusqu’au 18è, dans l’ Europe puis les Etats-Unis. La richesse des Nations et des Eglises sont concomitantes. Les deux plus grandes religions en adeptes, biens matériels ( formations richissimes parfois) sans support territorial sont de paradis fiscaux et possèdent des banques. Leurs milliardaires ou nababs influencent le devenir économique du monde au quotidien et sur la durée. Le Vatican est un des plus grandes forces financières au monde, ainsi que les pays autour de l’Arabie saoudite (et émirats)
[8] Une part échappe par défaut de volonté aux enquêtes et aux recensements de l’INSEE qui a un taux de couverture démographique correct lorsqu’on calcule la sous estimation probable à 4% de notre population ; ce qui est faible par rapport à d’autres grands pays comme les USA, La Chine ou la Russie où probablement c’est le double. Modes de comptage où tout Etat peut tester sa légitimité
[9] LeVol p 103
[10] Le Vol p 363
[11] Selon J. Goody :« Braudel, lui-même, semble, attribuer à sa propre culture « ou peut-être à sa mentalité » une place élective. Il est vrai que, dans bien des sphères, le changement intervenu depuis la Révolution industrielle semble avoir été plus rapide en Europe, mais rapporter ce changement à une temporalité de la culture relève d’une démarche a-historique qui esquive les preuves ». IL ironise sur « les éminents historiens » apologistes de la montée de l’Occident ; il évalue le coût du systématisme de Marx ou de Weber. Le capitalisme romain, le féodalisme ne furent pas inconnus ailleurs. Il note le recul des universités du Moyen Age, et celui de l’enseignement en Europe sous l’influence de l’Eglise catholique, militaire et régressive, une particularité de notre histoire contre laquelle l’humanisme se battit avec des succès mitigés à l’égard du « modèle téléologique».
[12] Le Vol p 228
[13] Le Vol p364
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