•  Au sujet de l’excellent  livre de Ch    Brochier  la mort des républiques (ed de st Honoré)

    D’abord ,  ce livre nie l’évidence ,qui  nous aveugle,  qui consiste à penser que la république ne peut avoir   d’autre rapport  étroit  qu’avec la démocratie  puisqu’elle suppose le pouvoir du peuple, sur le peuple, pour le peuple. Or, il s’agit là  bien sûr d’un mythe : Bien des minorités républicaines et anti-républicaines mélangées s’emparent toujours du pouvoir. La finesse de son travail réside dans le regard qu’il apporte   à propos du partage du pouvoir entre gens fortunés, chanceux au départ et qui appartiennent à l’élite des possédants,  une fraction de propriétaires et de riches, ainsi qu'à un groupe de personne sans héritage au départ mais qui deviennent membres de l’élite après de longues études  prestigieuses ( Sciences Po par exemple)  ou autres démarches   serviles.

     

    Une fois éliminés tous les slogans, du genre « liberté, égalité fraternité » (pas beaucoup applicables aux colonies et encore moins en métropole où le droit de vote n'a été octroyé qu'à certaines catégories sociales dont on serait certain qu'elles n’abuseraient pas de la revendication égalitaire).Si des fractions, un peu moins bourgeoises, possédantes et fortunées, ont pris le pouvoir dans certains pays européens, elles ont immédiatement conçu la création d’une élite fermée, repliée, cherchant à se maintenir au pouvoir par tous les moyens possibles sur le mode occidental. On pense bien entendu aux républiques populaires, aux démocraties populaires et à tous les régimes qui, au nom du communisme, ont isolé une partie de la population respectueuse, différente, obéissante, au profit de gens qui avaient fait ou profité d’événements historiques pour faire, disaient-ils, une révolution politique.

     

    Après la lecture de trois-cents pages denses, on est amené à se questionner à propos du rôle que joue la sociologie, étudiant le monde politique, les élites politiques et les grandes fortunes. C. Brochier nous le suggère, indiquant qu’elle ne sert à rien, si ce n’est presque rien, sinon à faire le job du sociologue qui applaudit et cautionne. En d’autres termes, il faudrait multiplier les études de cas, les monographies, les séquences historiques sans leçon, les descriptions gratuites sans morale ni conseil à donner. Là réside la vraie socio, celle qui consiste à décrire pour rien, regarder pour savoir, au mieux pour rire ou pour sourire de la divergence entre les actes et les mots. La vie en société est un théâtre permanent et le sociologue est au raz de la scène, dans le trou du souffleur en regardant, admiratif, de tels mirages se développer et de telles situations se diffuser. Mais il faut d’abord se débarrasser de Sciences Po ,de son histoire traditionnelle ( étroite, évènementielle, non comparative ; à base de  périodes courtes).Mais il faut inventer comme Brochier une  sociologie de l’histoire, une étude de cas multiplié par dix, et faire  des comparaisons sur des siècles  de phénomène de pouvoirs et d’accaparements, qu’on a appelé de façon unanime maintenant « Républiques » 

      Sur le fond il est sain que  l’auteur nous rappelle que faire une cinquantaine de cas, de façon gratuite, sans théorie politique à soutenir, sans idéologie, sans souci de voter, ni militer : c'est là ,le rôle de la sociologie qui réside dans l'acte gratuit de l’Homo Sapiens . Savoir pour savoir. Il fait référence à Howard Becker qui nous confirme que des descriptions, des études de cas, forment le seul objet raisonnable dont on comprendra le sens peut-être dans trois ou quatre siècles, comme on ne comprend rien aujourd'hui aux anciens collectionneurs de timbres ou de papillons qui ne faisaient que ça pour le plaisir de comparer : mettre cinq cents papillons épinglés les uns à côté des autres, et puis on ne sait pas, peut être que dans deux cents ou trois cents ans, il y aura un Darwin de la vie sociale et politique qui nous dira : « j'ai comparé les cinq cents cas dont j'ai trouvé les traces, les survivances, et c'est à vous maintenant de regarder si ça a un sens, une direction, une utilité ». Peut- on étudier la mort de  50 républiques environ,   connues par l’histoire , racontée, fouillée  étudiée à fond par lune multitude d’ historiens , de spécialistes : les journalistes, les hommes politiques, les gens de SC. PO. tous  un peu chercheurs  ; c’est  un pari fou.  Pourtant  à la fin de la lecture de ces trois cents cinquante pages, on se dit que le jeu en valait la chandelle et que le propre de l'Homme c'est de ne jamais demander « pourquoi » mais « comment », ou « dans quelles circonstances une série d'actions et de régimes qui se disent Républicains se produisent » e

     

     

     

     Dans plusieurs de cas étudiés ici, le fait de savoir qu'une catégorie de possédants, de gens très fortunés, de milliardaires, se disent et se montrent les défenseurs de la République, les amis de la démocratie, et que dans chaque cas, ces successions d'alliances, les combinaisons de forces entre fractions, forcément « démocratiques » mais tous appartenant à des fractions riches , à des groupes  de propriétaires, à  des bourgeoisies  aisées , parfois jalouses des moyens d’autres fractions  font la politique, l'idéologie et donnent  le sens de l'existence   républicaine  de la politique de nos sociétés contemporaines : tout ceci n'est pas rien.

     

     Donc c'est la simple curiosité du collectionneur de se dire : les républiques- depuis 2000 ans-  ont une idée forte,  toutes  fondée bien sûr de leur bon Droit !! Elargir leur accès au pouvoir en invoquant des préceptes vieux de 2500 ans  . Et comme tout phénomène de pouvoir, fabriquer  la falsification, la manipulation, l'exploitation, une manière organisée mais avec une bonne conscience et une morale intransigeante.

      Tout cela n’est pas rein que d’examiner sur 20 siécles sur la république est un régime comme un autre. En gros, la sociologie politique à la C. Brochier permet de sourire ou de rire de nos pauvres dirigeants, gouvernants, possédants qui s'agitent pour nous exploiter ( c’est le propre de tout pouvoir, quel que soit le nom et le titre de régime qu’il se donne !), pour détourner notre attention et pour obscurcir notre réflexion.

     

     Inutile de dire que ce livre  montrant sur 50 cas que la REPUBLIQUE  est une organisation   de la force étatique ordinaire, a suscité la colère des historiens, la haine des éditeurs et comme tout écrit de lucidité , a été chassé de la Cité, en tout cas refoulé de notre conscience.

     

     Comme Lepoutre, et à l’exemple de Becker qui définit la discipline comme une « simple » étude de cas , il y a ici aussi un cinquantaine  de Républiques toutes différentes  dans les conceptions  , mais en partie  du moins terminologiques,  sont   homogènes au moins dans le Principe  et dans les références  historiques initiales , au moins à leur naissance .

      Ici aussi, on a un auteur iconoclaste pour nos traditions , une destruction du scientisme pour une  conception de la recherche en socio qui  s’empare du terrain de l’Histoire. Avec quel profit, pour nous, lecteurs ou chercheurs ?  Eh bien je le proclame cette Mort (des Républiques) est pour nous une résurrection !  Nous qui avons fait du Terrain presque clandestinement , de l’observation cachée  et des méthodes parfois moralement limites . Ce que n’appréciait pas nos maîtres et nos chefs. Ni les éditeurs et les amateurs de sociologie morale !ET vola il nous fait une démonstration magistrale ! une source de forces nouvelle ,un puits d ‘innovation qui seront comprises dans 10 ou 20 ans ! Peu importe ; l’esprit de savoir  et la faim de connaissances  s’enrichissent des périodes de clandestinité et de répression morale , telles celles  que nous traversons pour l’esprit critique, celui  que nous prônons , nous, d chercheur , indépendant sans financements, ni autorisations, ni dogmes ou règles dites de la tradition morale  française depuis 5O ans !! En outre, ce livre illustre que l'idée et l'envie de république n'existent jamais que pour une petite minorité de la population, un groupe concerné par le désir de suprématie, de direction et de prise de pouvoir, un groupe à la grande culture et aux grands moyens matériels. Brochier nous explique qu’à un moment donné, la direction et l'invention d'une république est le fait de deux ou trois fractions de la bourgeoisie, deux ou trois fractions des grandes fortunes qui se sentent à l'étroit dans le cadre de la puissance dont ils ont hérité par fortune, par hasard, par membres de l'élite et par connaissance historique et scolaire.

      Par conséquent, la démocratie telle qu'elle est décrite ou racontée, n'existe évidemment pas. C'est le nom donné à l'envie de partage, de participation d'une association hasardeuse de gros et moyens puissants du monde, de gros et moyens possédants, de dirigeants bannis ou exilés, mais de riches et puissants qui veulent revenir dans le métier politique en se saisissant du fait que la démocratie républicaine peut ouvrir plus d'ambitions et d'intérêts que les régimes qui l'ont précédée.

     

    Enfin, ce livre et  son analyse de républiques aussi différentes les unes que les autres, est un pari fou, un défi à la raison, une contradiction avec tout ce que les sciences humaines enseignent, et avec évidemment la critique implicite des régimes en France républicaine précédents, et de l'actuel. N'oublions pas que notre république à nous a été le fait d'un général un peu fou, venant d'un excellent milieu intellectuel et social, qui réalisa deux coups d’Etat pour la purifier, c'est la moindre des choses en 1940 et 1954. Heureusement, cette contradiction n'est relevée par personne, absente des livres scolaires, à l’instar d’un désaveu pour toutes les sciences humaines enseignées et diffusées dans notre monde contemporain

     Ce livre décapant montre l'idéologie latente républicaine sur tout le monde intellectuel français, et notamment sciences po', droit, lettres, sociologie et histoire. Bien que l’auteur ne le dise pas, on y devine  une sociologie ironique de l’histoire de ce modèle républicain, et la revanche de tous les livres mis au ban de la société, condamnés sur le banc des accusés pour ne pas voir été naïvement républicain (beaucoup d'auteurs ont dû renoncer à leur manuscrit). Il y a un « effet France » à cette idéologie, la force de l'imposition de dictatures morales paraissant propre à ce pays, alors que d’autres visions, claires et objectives, se manifestent dans le reste de l’Europe. Je pense bien évidemment à John Dunn, Jack Goody, Kenneth Pomeranz, des auteurs résumés et discutés sur ce blog.

     

     

     Comment est possible  cette critique fondamentale, existentielle en sociologie  ?Finalement  la dernière conclusion quant à la singularité de C. Brochier,est sa capacité de mettre en pratique sa critique du système républicain, manifestant l’existence d’îlots d'intelligence et de lucidité en France. Mais le connaissant, lui ou ses camarades, aussi Novateurs,  aussi   Inventifs, je sais qu'ils se sont mis à l'écart des honneurs, des carrières et des ambitions, pour réaliser ce saut de géant, cette prise de recul que je n'ai vu obtenue dans ma génération que 4 ou 5 fois  et exclusivement peut-être   à certains moments es sciences sociales américaines ( École de  Chicago et encore ,à voir !) . Mais dans d'autres continents, comme le Brésil, le Canada, peut-être l'Orient, il y a de grands historiens-anthropologues-sociologues qui, comme une race en danger, s’appliquent à  maintenir, à tous prix,   tout de même l'esprit de recherche, outre un sens de la besognes réunis pour élaborer des œuvres novatrices

     Une question qui n'intéresse que les nouveaux sociologues : comment organiser une série de cas dans une présentation claire et aérée ?   Ainsi, la sociologie montre que ces études de cas constituent la base du travail, les idées justes naissant de leur comparaison et opposition. Mais ces idées justes sont décevantes pour les esprits simplistes des éditeurs, des lecteurs, des professeurs parce qu’elles ne proposent rien à la vente, rien à en retirer comme gloire et comme honneur, le seul profit qu'on en tire étant de se fâcher avec de nombreux entourages. Cependant, la ténacité des études de cas débouche un jour sur une grande théorie de l'évolution, comme celle de l’anthropologue du vivant, Darwin, qui les a réunis  en une grande et unique perspective.

     


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