• Partie 5

    A vouloir explorer les disparitions républicaines, alors que les temps de crise poussent à l’euphorie, à l’enivrement  de la part de notoriétés littéraires qui s’attachent de préférence aux « naissances », à l’invention sublime, à  l’enfantement « historique » d’institutions,  ce projet comparatif de fins républicaines est contreproductif, suicidaire même ! On me reprochera nos sources  étrangères ; un coup de poignard patriotique,! On  reprochera   une tonalité militante  à l’encontre des médias. Une  hérésie par les temps qui courent ! Néanmoins, les quatre à cinq ans à venir seront  cruciaux.  La fin de la 5ème s’annonce. Alors, par quels signes précurseurs, dans l’histoire républicaine occidentale, ceci s’est-il déjà  manifesté ? Nous n’avons eu que deux républiques longues : la 3è et la 5è qui atteint maintenant ses 60 ans  Il y eut, dans le passé, dans la mort de ces régimes, des périodes  d’anarchie douce, un laxisme institutionnel.  Mais chaque époque, avant tel ou tel enterrement,  a rencontré la barrière du non renouvellement des élites au-delà de 3 générations ( constituant une durée environ de 70 ans). Il fallait donc tenter une comparaison  du recrutement du haut personnel et son nivellement par le bas, sa  médiocrité par stérilisation des bonnes idées de départ, son essoufflement sur 2 ou 3 générations. Personne n’a osé regardé  un échantillon d’une dizaine de cas, (la moitié étant français  bien évidement puisque nous avons collectionné  ce  type de régimes  dans un  défilé au demeurant peu homogène).  Le silence sur la mort surprenante de la 3è, en quelques semaines, est un mystère de l’historiographie française. On se penchera sur ce cas d’école. .D’autant que de grands historiens  comme Bloch  ont écrit leur dernier  livre sur ce sujet .Et ensuite parce que des historiens modernes se mettent à la tache de comprendre « les derniers jours de la 3è rep » tels Claude Quétel qui parle lui de « L’impardonnable  défaite »( [1]). Il serait impardonnable  aujourd’hui de ne pas revenir sur la disparition instantanée d’une république forte et  sure d’elle,  car triomphante vingt ans auparavant.

    L’absence d’idées nouvelles et originales quant à la définition républicaine,  bien que  nécessaire à toute évolution, est flagrante. En effet  on verra que le gaullisme a  été une forme de républicanisme à entité propre, son engendrement  à exigences  morales pour les chefs,  un autoritarisme  modéré mais aussi le respect des électorats par obligation de démission si perte d’élections .Personne ne remarque que cette source d’idées neuves dans le giron républicain  a persisté  près de cent ans (depuis les  « conférences » de De Gaulle dans les camps allemands de prisonniers  en 1917)  et qu’elle a demeuré une inspiration  puissante sur un siècle ; illustrant  une révolte républicaine  légaliste  permanente,  une adaptation   progressive aux changements des sociétés,  un renouveau des hauts personnels par des procédures de sélection.  Pour finir, il est vrai, dans la dérision,   de nos jours, de la part des chefs qui s’en réclament. Mais de 1920 à 1969, cette variable républicaine    a été puissante. Sans oser la nommer et la décrire, les  politologues et les historiens socialistes ont  choisi le terme de « Bonapartisme » afin de la définir (M. Agulhon). Or il n’y a aucun lien, Bonaparte n’a pas fini en chef républicain et n’a pas eu de « descendance » politique, sinon un « petit » neveu. Le césarisme n’est pas non plus une variante républicaine.  La Royauté avait inventé après Rome, le droit d’aînesse donc héréditaire de sang.

    Nous  ressentons une lacune d’idées dans ce domaine. Ce courant en France perdure et  représente une alternative crédible  mais « sans nom », car les fils spirituels n’ont plus rien à voir avec leur célèbre ancêtre. Si la république française   alterne entre le modèle dit gaulliste réformiste et celui  du parlementarisme   hésitant, de la 3è à la 4è , c’est que le socialisme n’a pas su inventer son modèle  républicain, son type de renouvellement et de rajeunissement des hommes de pouvoir, son style, comme le gaullisme  tenta de le faire. Aucune idée sur le contrôle des élites politiques, pas de tirage au sort pour les édiles,  pas de cumul des mandatures,  (sauf exception), aucun quota de professionnels  parmi les élus etc...Le genre de République socialiste souhaité par Jaurès ou Blum  n’a pu voir le jour, ni  n’a créé un mode d’accès au pouvoir  ou un style de  direction tel que le républicanisme gaullien  le fit et donc ne proposa aucune éducation des députés, aucun  renouvellement   dans la gestion du pouvoir dans la durée. La gauche est absente du monde des idées politiques depuis cent ans.  Blum n’a pas eu le temps d’apprendre  et  Jaurès, le seul a avoir eu  une vision   de ce type ( par exemple l’armée de civils..  contre l’armée de métier!) , a été assassiné par l’extrême droite, je dirais, bien entendu !Le marxisme  a contourné ce problème par  défaut de démocratie constitutionnaliste mais n’a  inventé qu’un ersatz : «  Le Parti » ;c'est-à-dire une cooptation interne des élites  dans le secret. D’où, qu’également, le modèle marxiste  expira de mort naturelle au bout de 70 ans (1918-1989) : le » notoire » barrage des trois générations qui stérilisent une souche vivante.  Et la Chine va accéder, avec son « modèle «  à elle », à ce terme dans 3 ans !! Tout bascule en ce moment et c’est pourquoi cette réflexion générale s’impose : on doit interroger Bloch, le seul  qui, lucide en 1939,  réfléchit à la mort de sa  propre république, avant sa propre disparition héroïque. Le seul qui fut frappé par le fait  que,  dans l’Assemblée nationale  du « Front Populaire »,  seuls 85 députés refusèrent le suicide   collectif au profit d’une dictature   se livrant sans frein à la trahison et à  la remise de la nation à  des pouvoirs étrangers terrifiants. Donc pauvreté  des réflexions, chez nous,  et abandon de la Raison, par des intellectuels  dits engagés.  On est curieux de voir comment Bloch qui, devenu  clairvoyant en quelques mois (abasourdi de son propre aveuglement antérieur), explique le sort de la 3è ,  puis comment il  aurait vu   le destin de la 4è et ...  probablement celui  de la 5è

      (Extrait de mon blog)  ERMITE  Louable intention mais personne ne vous y autorisera.  Les medias   tenus autrefois  par des personnes morales sont maintenant dans les mains des grandes banques ou des affairistes milliardaires.  Les éditeurs sont  devenus des commerçants dévoués et donc des conservateurs peu audacieux. Vous n’êtes pas le seul à faire ce constat: beaucoup de livres sont refusés  en ce moment à cet égard   

    Candide : Mais quatre « tsunamis » sont survenus. C’est surtout le dernier, l’émigration   de masse qui fait tomber les masques ; or le temps de la lucidité est venu. On est  juste avant l’effondrement  civique,  la fin d’une communion nationale et cette année écoulée suggère  même une résistance à la conception unanimiste qui a duré 30 ans  1985-2015. Le passé français  est maintenant rediscuté par de nombreux auteurs qui reprennent notre histoire contemporaine sous un nouveau jour !Avec « La mort » je veux  me situer  dans ce mouvement - non  un simple changement d’humeur-  qui a vu de grands événements dans l’année écoulée se produire, tous totalement imprévus pour des commentateurs aux pronostics  aventureux : les attentats ; le FN premier parti à plus de 30%, et la crise morale avec les luttes de clans au sein des 2 grands partis du Centre (PR et PS) 

     Ermite : Si vous signifiez que  le XXè est mort en 2015  comme le XIXè était mort en 1914 ; quand s’annoncèrent les deux plus grandes guerres que l’humanité ait connues avec des atrocités jamais rencontrées (même si auparavant on assista à diverses traites, esclavages, guerres de conquête et  destructions), alors oui, d’accord !   

    Candide : Le moment est de faire des comparaisons et  non pas une histoire événementielle singulière. L’année vient  2015 d’accoucher de plusieurs tremblements de terre .Vous avez des attentats de masse  en janvier et le 13 novembre ! .Dont personne n’a vu d’ailleurs qu’ils étaient très différents d’objectifs et de moyens. Le premier était politico-religieux et  visait des prétendus ennemis de l’Islam, le second  est une réaction  face la situation  morale de la société et visait des jeunes de la part d’autres jeunes, en crise de la société de consommation et de loisirs. Rien à voir avec une idéologie gauchisante ou anar,  mais un   moindre goût de vivre ! Vous avez lu :les tueries de masse  de jeunes en Norvège et  d’autres jeunes surarmés  aux USA   qui n’ont pourtant aucun lien avec Daesch ! 2015 fut l’année de la montée apparemment irrespirable et pourtant si  évidente de l’incompréhension, du  FN. Mais l’essentiel est que 2015  a vu une émigration de masse  inédite depuis la seconde guerre mondiale.  

     ERMITE : Les républiques chez nous sont tombées  généralement sous les coups de l’armée mais il n’y a pas  de  logique. On   ajoutera particulièrement   le vieillissement des « élites » intellectuelles,  l’absence de mobilité des  politiques  du fait  de quasi- cooptation, la  sclérose des institutions : tout cela engendrant  la paralysie des pouvoirs. L’abstention électorale massive est un indicateur, pas une cause. L’appel au peuple n’est guère convaincant, ni d’ailleurs fréquent en république bien qu’il ait eu lieu parfois et se termina mal pour ce dernier.  Notre pays   a le sentiment de traverser une  période  catastrophique avec l’irruption  massive des migrants. Ce faisant on oublie sa tradition d’ouverture  (comme le fait d’accueillir 500 000 Espagnols en fuite devant Franco en 1939, ou encore le million réfugiés du nord et de l’est  de la France en juin 40 lors de l’exode de la défaite). Les Français  découvrent avec stupeur des mouvements de population qu’ils croyaient  périmés et qui sont de tos les temps ( les croisades ont transporté en 12   transportations sur deux siècles, un  demi-million d’Européens vers l’Orient pour la reconquête de Jérusalem. Ce sont leurs descendants, les Chrétiens de Syrie qui reviennent d’ailleurs maintenant. On a oublié le maelstrom de l’Europe chamboulée par les Nazis : 10 millions d’étrangers sur le sol  allemand en  1945 (ce qui fit de nombreuses naissances  - cachées-  par dizaines de milliers (et chez nous,au moins deux cent mille, issues de couples mixtes (soldats allemands et femmes françaises)  . Nous sommes aveuglés et sans mémoire de ce mélange d’allogènes. Les migrants récents font partie d’une immense tradition européenne et proche- orientale. Ils viennent maintenant du Moyen-Orient  et de plus loin, d’Asie, bombardés parfois par nos avions;  ils convergent dignes et respectueux, ne demandant qu’asile et travail. Meurtris certainement ils se saisissent de la porte ouverte   que nous avons produite chez eux puisque en détruisant  leurs systèmes, leurs patriarcats, leurs  traditions culturelles, avons excité leurs querelles byzantines ancestrales religieuses.  Irréductibles, ils seront  incontrôlables.

     Ai-je le droit de juger ? Avoir  assisté à deux fins de républiques donne-t-il  le sens du jugement équilibré ? J’ai vu la mort de l’une en 1940 (pas de souvenirs car trop jeune enfant, mais j’ai su  ma famille proche de Vincent Auriol, de Léon Blum , déchirée ). J’ai éprouvé  directement la disparition de la 4ème de 1956 à 58.  Ma famille toujours plus déchirée  devant l’équivoque socialiste « Paix en Algérie » slogan vainqueur de élections législatives en 1956  et l’envoi  illico du contingent pour faire le sale boulot  de jeunes néo- nazis comme dit Paul Veyne. Cette épreuve  donne le droit de témoigner

    Episode insensiblement oublié, le 13 mai 58, événement édulcoré dans les mémoires et les historiographies ? Simple incident ou révolution ? Coup d’Etat (style  2 décembre) , possible  Bonapartisme,  sédition à la Franco ou réelle Contre –Révolution,? l’émeute algéroise qui fit tomber le quatrième  est-elle une continuité républicaine puisque les processus légaux ont été ensuite respectés par De Gaulle ? Cette interprétation  paisible des historiens qui avaient 30 ou 40 ans à l’époque manifeste par là une circonstance banale .Y compris Agulhon qui minimise par le ton qu’il emploie dans son récit,  l’effroi qui a saisi les travailleurs([2]) .Je rappelle que le 13 mai a été une émeute de rue à Alger avec occupation des lieux de pouvoir (Forum, délégation générale, préfectures ) prise en main sinon organisée par des franges dures ; mais le pouvoir à Alger dont s’empare les généraux sous l’égide  de Salan, débarque avec des troupes en Corse  et menace les villes du sud-ouest par des occupations de casernes et des aéroports. Légionnaires, régiments de parachutistes se disposent à envahir la France si la république ne se dissout pas, ne  laisse pas la place à  un régime autoritaire, favorable à leurs thèses.   Ce matin-là, vieille d’un week-end, nous,  étudiants sommes abasourdis et angoissés. Nous nous réunissons à L’UNEF, organisons des A .G, sortons des tracts et demandons de l’aide aux organisations proches,à Saint Sernin; l’UNEF à Toulouse se trouve à quelques centaines de mètres de la Bourse du travail  des cégétistes que nous rencontrons, fébriles eux aussi, préparant des affiches, des barricades  et des manifs pour montrer que «  le fascisme  ne passera pas » dit-on une fois de plus. L’assemblée nationale est   comme paralysée et cela  nous remémore ce qu’on nous a raconté de l’absence de volonté de résistance en Mai 40. Le reste appartient à l’histoire nationale  qui se conclut par le  passage légal  de pouvoir et l’investiture à De Gaulle dans les formes officielles Pour nous qui avions 20 ans, le problème était autrement plus urgent et grave que les relations historiques le laissent transparaître.  L’atmosphère des rues est tendue,  grave ; la population s’attendait à une guerre civile et les plus militants ressortirent des armes cachées à la Libération. Par rapport aux adultes la situation  des jeunes était cruciale, le risque d’être  enrôlés immédiatement et envoyés en Algérie, encadrés par des éléments fascisants  représentaient un  avenir des plus sombres ; nous n’avions pas comme les civils  âgés le temps de la réflexion ;  nous ne vivions pas ce moment comme les historiens assurés par la suite et même parfois amusés le traitent maintenant dans leurs livres. Nous avons compris là  que les historiographies rétrospectives ne  s’identifiaient pas toujours à ce que vivent les acteurs .Nous avons saisi la différence entre vécu et raconté et l’appris que  l’histoire reconstitue, selon les sensibilités des auteurs, une compréhension, bien que non partisane, dépouillée des affects et  des  inclinations,  selon les tendances  de ceux qui connaissent la fin de l’histoire. De là, une méfiance  envers l’«objectivité » . En tout état de choses, nous avons  expérimenté « sur le tas » ce que la sociologie nous suggérerait plus tard comme options ou concepts afin d’analyser les ruptures et les affrontements : inertie des institutions, pouvoir vide,  lutte des mille factions qui pouvaient être militaires ; conflits internes aux bourgeoisies civiles telles que  guerres de laïques contre catholiques, factieux contre légalistes,  pro ou adversaires de l’« Empire français » en avaient montrés. Les fractures (Dreyfus, l’Allemagne, l’expansionnisme de colonisation) au sein des  diverses bourgeoisies nous semblèrent être des conflits fratricides où le « peuple » n’a rien à gagner. Nous pressentîmes  la menace d’un retour possible du fascisme. Il se manifestait d’ailleurs ouvertement dans nos amphis de la Faculté de Droit, où l’extrême-droite faisait la loi par l’entremise des mouvements tels que Ordre  nouveau ou Occident. Y lire Le Monde exposait à des sévices ; cet acte était perçu  comme provocateur. Jacques Amalric, le futur reporter directeur à Moscou  et Washington, du journal, alors étudiant à Toulouse, en fut une victime; les partisans  de l’indépendance de l’Algérie étaient  souvent tabassés devant les appariteurs ou professeurs « compréhensifs ».On peut s’interroger sur le genre de politisation en partie lucide, ou, à tout le moins, non angélique  qui correspondait à la conscience du vide républicain, des handicaps d’un régime apeuré par son armée, qui  renonçait à ses idéaux  de gouvernement respectueux des  promesses faites aux électeurs, qui reculait  le 6 février à Alger, comme ce fut le cas de Guy Mollet. Ce fut un moment de stupeur équivalent à  la perte de nos illusions sur la fermeté des démocraties. Puisque  quiconque peut devenir un jeune nazi si on lui donne armes,  pouvoir de vie et de mort sur autrui et  légitimité idéologique, sans compter  la liberté d’exactions, outre quelques pillages des mechtas, de vols de bijoux et de viols, toutes les transformations humaines sont psychologiquement possibles. Ceci ne fait pas de la dépendance civile  du 13 mai 58, un appendice malheureux ou un incident de parcours de la 4ème république mais  le constat de la faiblesse d’un Etat de droit  s’il est représenté par des chefs au faible courage physique, à la médiocrité d’imagination, au  manque de vision par absence de connaissances internationales. Et pire,  la volonté de tout socialiste qui se veut grandi, de  manifester qu’il n’y a pas plus patriote qu’un leader de la SFIO , et ce, depuis la mort de Jaurès et de l’Union sacrée,  union refaite à Suez, Algérie, Irak, et aujourd’hui partout en Afrique noire ou au Moyen-Oriennt est mortifère.   La politique est une forme d’errements, d’essais, de mobilité intellectuelle et on est frappé de l’inaptitude du personnel de la IVème   à changer de cadre de pensée. Que ce soit au cours de mai 40  quand l’armée s’écroule, que ce soit en mai 58  quant à l’impuissance à concevoir d’autres solutions que l’abdication, quand une catégorie d‘acteurs  civils est épuisée,  eh bien, se substitue alors, dans un contexte d’événements meurtriers, une séquence aux commandes desquelles une  fraction militaire  rajeunie apprend la désobéissance.   

     

     

     

    L’armée, la fin de la troisième République, l’Algérie et la mort de la quatrième

     L’agonie d’une République, nous l’avons connue ; l’épuisement des idéaux,  éprouvés dans la Résistance  chère à nos parents, nous l’avons vécu de 1954 à 1958 ;  les conditionnements et les pressions physiques sur la jeunesse militarisée au cours de la guerre coloniale nous les avons éprouvés. Pour nous éclairer,  nous  nous tournâmes ver Marc Bloch lui, qui avant  de mourir fusillé par les Allemands laissa en testament un témoignage  sur la fin d’une république emblématique  empli de lucidité  et de recherches des causes de l’aveuglement antérieur ([3].) La  disparition de la troisième  République nous a  contraints à remettre en question  l’histoire républicaine apprise  et enseignée par les postulants aux fonctions politiques, les fameux  professeurs  de la 3è république. Tout cela fut occulté et  le terme « République »  sous-tend actuellement une représentation essentialiste, enfantant de nombreux mythes fondateurs, rites et normes confondus. Toutefois aucune république  ne fonctionne à l’identique,  ni n’organise les mêmes modes de résolution de conflits entre fractions rivales au pouvoir. La République  n’est pas  un concept  tombé  du ciel des idées. Les systèmes républicains ne sont pas interchangeables ; chacun a eu son mode d’exhibition médiatique et de raisonnement. Des personnels politiques qui ont les mêmes références et « théories », règlent des situations similaires  par des  moyens et des options  très différentes. Il n’y pas de sens à l’histoire républicaine, faite de  processus, d’événements aux déroulements  sans finalité, hormis semble-t-il, téléologique. L’histoire ou la sociologie servent  à  analyser sans cesse et sans cesse  les cadres institutionnels et circonstanciels Si on en revient  aux deux théories   justifiant les nombreuses morts de ce régime  en France, les jeunes historiens  , contournent  la spécialisation chronologique et le découpage académique ; ils ne  traitent plus de la colonisation comme un monde en soi, ni en discipline de l’histoire institutionnelle qui y vit souvent un avatar   (un à-côté),  un qui affaiblirait  l’idéal.

    La première théorie explicitée au début de ce manuscrit (le temps long, les structures, les mentalités évoluant lentement, l’économique et le culturel) nous conduit à faire une place à Tocqueville –infra-. Si les colonisations et occupations  d’autres continents (esclavages)  sont un exutoire des difficultés en république, un moyen de régler les luttes mortelles de factions, alors l’auteur de la démocratie en Amérique  avait raison ! La guerre coloniale est   le creuset de l’idéologie républicaine. Et on verra son histoire comme  le résultat de l’action métropolitaine de patriciens et de proconsuls   associés ou dans les mains des colons autonomes  aux méthodes antidémocratiques  qui bafouent ouvertement le régime de leur patrie avec l’accord de politiciens locaux.  Le colonialisme est conçu  enfin comme le prolongement fonctionnel du capitalisme.  Ce point de vue  envisage   le colonialisme comme partie du fonctionnement démocratique et non en lui-même; comme si le Sud des USA avait été « accidentellement » esclavagiste. Et c’est exactement  ce que nous avons observé de 1945 à 1962

     

     

    En effet, quel que  soit le lyrisme aujourd’hui qui  accompagne la naissance de telle première ou  deuxième république,   malchanceuse ou pas, la troisième connut honte et opprobre du fait d’un incroyable  effondrement en 4 semaines, l’étrange défaite dont Marc Bloch tira sa remarquable analyse avant sa mort  dans la Résistance.  Il s’agit d’une mort piteuse  clôturant la guerre interne des États-majors, des amiraux et maréchaux quand la priorité  fut,  au lieu de la France, de sauver la face  de l’armée française   au cours de la défaite, vingt-deux ans  après le troisième trimestre de 1918 qui vit l’armée allemande reculer jusqu’au Rhin. Faits qu’il nous revient de reprendre ces jours-ci. Les pages  de la déposition d’un vaincu  qui serait à signer maintenant,  présentent  son excuse auprès de jeunes générations, à propos   des erreurs   d’une génération entière (dont –lui-même), née au début du siècle et le regret  de transmettre un tel héritage  à leurs fils et à tous les jeunes gens. Exemple  rare de lucidité et de courage intellectuel. « Nous venons de subir une incroyable défaite. A qui la faute ? Au régime parlementaire, à la troupe, aux Anglais, à la cinquième colonne, répondent nos généraux, à tout le monde, en somme, sauf à eux. » ([4])

    Le faible intérêt  pour trouver les relations entre  les pratiques républicaines du choix de ses élites  et sa disparition a trouvé une compensation dans la réflexion finale de Bloch et dans quelques livres récents. Bloch insiste particulièrement sur le vieillissement des  hauts gradés ( le rapport entre" vitesse de compréhension» et « âge » de l’état major : en gros, plus on est vieux ; moins on est sensible au mouvement et aux «  idées  de rapidité » quant aux manœuvres dur le champ de bataille) . Il voit un second défaut rédhibitoire : la bureaucratie militaire  qu’il a éprouvée pendant  la mobilisation 39-40 et les premiers affrontement  ou escarmouches. Il passe vite sur le problème des élites civiles  dont il évoque avec  regret  l’uniformité de l’origine sociale  et  le formatage de préparation par les grandes écoles dont Sciences Po. Il est prolixe sur les réformes de l’enseignement supérieur qui ont été manquées. Pas d’ouverture d’esprit, pas de sens critique enseignés.  Dans la théorie de « la fin »  soutenue par Bloch,  le dépérissement dû à l’âge nous interpelle. Le vieillissement des chefs politiques signifie  l’inadaptation aux faits modernes  de l’évolution, perçue par des catégories mentales   dépassées depuis  20 ans au  moins. Il suggère qu’avec de telles mentalités, on ne pouvait rien comprendre à la montée du nazisme et des transformations de stratégie d’armement ou  de manœuvres, puisqu’ils avaient bouté eux, l’ennemi vingt ans auparavant ....et qu’ils avaient construit la Ligne Maginot ! On sait  qu’un jeune capitaine qui avait vécu le feu et qui, prisonnier, réfléchit, en fit  l’argument de toute sa vie républicaine : renouvellement obligatoire du personnel éprouvé et reclus d’année par les jeunes  générations expérimentées  par l’épreuve :  « Quel tollé , quand, par l’établissement d’une Ecole d’administration,un ministère du front populaire prétendit  battre en brèche le monopole des « Sciences  Po ([5]) « Le régime  eut-il tort  ou raison de respecter  ces antiques corporations ? on peut en disserter.....,j’avoue incliner  vers routine, bureaucratie, morgue collective »( [6]) « l’école de la vraie liberté d’esprit » empêche   que la médiocrité du personnel politique  soit compensée  et non paralysée par une armée mystificatrice  Dilettantisme du personnel ministériel  paralysé par l’idolâtrie  à l’égard de ses chefs  encensés  et dominateurs dont les débats  sclérosés  valent démission et immobilisme

    Marc Bloch : réflexions sur  l’étrange disparition de la  IIIè république

     

    Bloch,  fut par conséquent  le premier sociologue-historien,  mêlant à la fin de sa vie, l’action  (clandestine) et la réflexion sur l’action,. Il   fait un usage raisonné de la double méthode : histoire et observation participante. Au long de son livre , « l’Étrange défaite » ,  on ne trouve pas de diatribe superfétatoire  mais  le récit de ce qu’il a vu et vécu au sein de l’armée, de Septembre 39 à Juillet 40  en tant que capitaine  comparé à ce qu’il vécut comme sergent au front en 1914-16.

    Reprenons, une à une, les causes de l’effondrement d’une puissance en quelques semaines. Quelles forces s’opposent à la prise de conscience et de décision des personnels politiques et militaires, quelles incapacités deviennent rédhibitoires et dangereuses pour le salut du pays ? L’âge, le décalage de générations, l’impossibilité d’imposer une direction ferme !voila les 3 caractéristiques qui créèrent une impardonnable défection. « Les Allemands ont fait une guerre de vitesse .Nous n’avons pas seulement tenté de notre part un guerre de la veille ou de l’avant-veille...nous n’avons pas su ou voulu  en comprendre  le rythme  accordé aux vibrations  accélérées d’une ère nouvelle.... Ce furent deux adversaires appartenant  chacun à un âge différent de l’humanité...Nous avons en somme renouvelé les combats, familiers de notre histoire coloniale, de la sagaie contre le fusil. Mais c’est nous, cette fois, qui jouions les primitifs »([7]) jusqu’à aboutir à une incompétence militaire due en premier, à l’âge élevé  des généraux  de l’état major , autorité  corrélée au  prestige acquis en 1914-18, bref un  haut personnel  quasiment inamovible qui annonce  sa paralysie  future quand les personnels,  qui avaient 40 ans  à l’époque, avaient été refoulés à des rangs inférieurs . Pour simplifier : le confort et le vieillissement d’élites  au profit  de clans,  de castes dans la marine et l’armée de terre. Par ses exemples vécus – ---en second  à la « rivalité burlesque dans un tel contexte »   d’une « pléthore d’organes d’informations aux idées bornées de conformisme, bref une candide ignorance de l’analyse sociale véritable »( [8])

    Aujourd’hui l’aveuglement   serait probablement  imputé  à l‘écart démographique de la prise de responsabilités . De 1880 et à  1940, trois générations de politiciens s’étaient succédées et la dernière se présentait  singulièrement épuisée après la guerre, sans idée, sans force. On se souvient de la colère de De Gaulle contre l’inertie  conceptuelle tactique et du matériel! En quelques mois,  Bloch, au front, repéra  une sclérose   semblable dont il rend responsable deux facteurs : l’arrogance intellectuelle issue de la prétention de la victoire au cours du seul trimestre de l’année 1918 ; un pouvoir imbu d’officiers supérieurs vaniteux; personnages chenus   à la  médiocre  qualification  stratégique  d’enseignants aux élèves à Saint-Cyr.. L’observateur d  Bloch juge   d’un autre point de vue,  les civils, frileux et craintifs, devant le pouvoir militaire et leur incapacité   à saisir la nouveauté des situations, sans idées et initiatives. On déclare la guerre mais on ne la fait pas  et quand l’armée allemande  est occupée en Pologne ; on attend, on ne  bouge en rien.  Seul Léon Blum au pouvoir deux ans  fut attentif à cette  menace ;  il redouta   l’autonomie des militaires. Lui, Blum, qui dans l’urgence de la lutte contre le défaitisme de  l’Etat Major,  en février 1940 s’écria :« Que la direction du pays soit exercée par n’importe qui, mais qu’elle soit exercée ! » ; lui, qui connaissait la philosophie allemande et  son  « Herrenvolskdemokratie » : le concept  de la démocratie pour « la race des seigneurs », (signifiant  à l’usage exclusif    des élites  scolarisées, et des aristocraties de pensée).

     

    Bloch adopte une perspective (ici « théorie ») que nous avons évoquée : les luttes  entre bourgeoisies rivales se manifestent  dans les conflits de partis proches en dépit des apparences et des proclamations fracassantes. Les rivalités des clans empêchent de percevoir  l’état timoré dans lequel on    s’est réfugié grâce au  confort protecteur de la ligne Maginot devenue un concept, celui du symbole de  cécité, de la paresse de pensée.  A certaines occasions, refusant de  se remettre en cause, l’une des  bourgeoisies qui gouverne est plus ou moins attentive à la dimension des conflits qui se préparent et donc elle élimine les autres versions de compréhension ou les marginalisent. Par cette notion    de concurrence bourgeoise,  plus ou moins exacerbée, nous entendons  la mise à l’écart des membres des  fractions  également aptes par l’ éducation,  diplômes,  patrimoine,  titres  ou  formation professionnelle sans appartenir au sérail des hauts fonctionnaires.. La rivalité des élites  et des influences  fait de toute république, un assemblage hétérogène  de petites composantes  fictivement en opposition et se paralysant les unes, les autres. Robespierre dénonça les cent mille factions qui couraient à la surenchère  produisant l’immobilisme. On  devine l’usage heuristique d’une telle idée aujourd’hui. Le décalage, le style de la bourgeoisie particulière qui s’est emparée du pouvoir, passéiste ou conservatrice au détriment d’autres bourgeoisies  plus dynamiques (administratives, industrielles, financières, terriennes ou intellectuelles)  crée pour se maintenir  un blocage artificiel,  se transformant en fossile  y compris pour ses aspirations propres. Cela n’est guère nouveau mais--et c’est là-dessus que l’analyse de Bloch est éclatante- une explication de la démocratie à contenu  variable vide ou chaque « famille politique », chaque clan bourgeois,  se veut, de toute force,  dominant. Voila pourquoi en approchant la démocratie par sa forme  originale de règlements de guerres intérieures, la situation  concrète de 1940 aide à concevoir une république en forme d’  Etat ordinaire combinant le laxisme d’action, les errements sans direction, l’incohérence des moyens  et l’absence   d’un  cadre de pensée. Plus loin on retrouvera  une autre république immobile conduisant à l’impuissance à traiter du problème algérien .Bref, ce  que De Gaulle nomma le « système des partis » auquel il opposa  une autre formule républicaine  propre à notre l’histoire : les pleins pouvoirs,  la rapidité  d’action dont il s’inspira pour rétablir l’autorité civile contre l’autorité militaire subversive. Bloch le pressentit : « Telle fut, certainement, la grande faiblesse de notre système, prétendument démocratique, le pire crime de nos prétendus démocrates... »([9].) Les classes supérieures pratiquèrent  les mensonges, les omissions,  l’esprit de parti outrancier... ajoutons y  l’absence de curiosité mondiale, le manque d’ouverture créative,  l’imperméabilité  au nouveau conteste».   A l’instar de l’avenir prévisible, la Vè République  manifeste un consensus  de tous les écrits et radios dans leurs styles différents,  prêche dans le sens de  l’obéissance et de la servilité,  la persuasion par la suggestion émotive.  « Ce n’est pas de gaîté de cœur  que les bourgeoisies européennes ont laissé les « basses classes » apprendre à lire », dit-il. Mais maintenant, elles ont, de plus, appris à décrypter les faux messages et les informations vides ... Tout ce dont nous souffrons  dans l’espace contemporain était en germe dans ces défectuosités que critiquait Bloch  avant de disparaître dans son combat glorieux. Un exemple pour tous les historiens qui l’ont  refoulé présentement. « L’histoire  est par essence science du changement ; elle sait et elle enseigne  que deux événements  ne se reproduisent jamais  tout à fait semblables, parce que jamais les conditions  ne coïncident  exactement. Sans doute, reconnaît-elle,  dans l’évolution  humaine,  des éléments  sinon permanents  du moins durables. C’est pour avouer, en même temps,  la variété, presque infinie, de leurs combinaisons. » ([10])

     

     Je laisse  volontairement de côté  l’autre piste, l’autre théorie explicative,  concernant le temps court, les interactions et l’événement tel le supposé complot militaire, faits immédiats et  réactions  engendrées ; par exemple: le rôle de la « synarchie »  de 1934 à 39,  un  complot poussant à l’empressement  défaitiste à la faveur de l’alliance avec l’Hitlérisme. La vie diplomatique ou parlementaire au quotidien n’explique pas comment  les fractions républicaines aspirant au pouvoir manifestent  une telle inertie   et un tel aveuglement ; incompréhension  que l’on  saisit mieux au vu de leur  origine et de leur parcours    professionnel. Peu tournées vers l’étranger, leur méconnaissance  du monde    implique les erreurs d’appréciation de ce qui est réalisable ou non, ainsi que l’anticipation des conséquences d’inventions  ou la diversion vis-à-vis de problèmes intérieurs apparemment  insolubles.   La république est devenue une étiquette à l’échelle, une désignation pour des systèmes de fédérations de l’ordre de plusieurs centaines de millions d’individus. Bloch qui raisonnait en sociologue de terrain   jugeait du reste les hommes  hauts placés de la même manière.  Les élites qu’il avait fréquentées  étaient  totalement anachroniques. Tout fut résumé par le général de Gaulle en quelques mots le 18 juin au sujet de l’enjeu -sur l’échiquier où nous étions un grain de sable- de la raison de ne pas accepter la défaite humiliante car la bataille ne faisait que commencer en juin 40. Encore faut-il s’ouvrir et ne  pas  prendre comme   norme, le passé reconstruit, idéalisé ou malmené.

     

    A la suite  des mêmes erreurs, la quatrième république à la vie brève   de 1945 à  1958 allait partiellement  reproduire l’histoire, de pair avec celle des guerres qu’elle mène..  Ainsi il nous faut tourner notre regard vers une autre guerre républicaine, circonstance  d’une mort aussi « retentissante » que celle de 1940. L’armée qu’elle soit défaite ou se prétende victorieuse  permet à une République de se survivre ou la condamne à disparaître

     

    La guerre d’Algérie  et la mort de la quatrième

     

     On se trompe en imaginant qu’après 1945 le système républicain est définitivement établi. Une autre guerre civile, coloniale celle-là, va aboutir à un compromis  entre militaires : ensuite un général à la retraite prendra les décisions qui s’imposent, il matera  d’autres militaires, rebelles ceux là, et remplacera le régime par une forme de présidentialisme parlementaire. Un « césarisme » ? Non ! Mais  il mit fin d’autorité à la décomposition par un referendum à un conflit qui commença à Sétif  en 1945, dans le prolongement de la deuxième guerre mondiale,  que nous avions manquée en partie.  C’est le sujet  qui suit .

     

     

    1. La guerre d’Algérie a commencé en 1945

     

    Nous allons associer cette fin de république à l’histoire de la décolonisation en Algérie  mais auparavant  on doit rappeler le contexte où l’armée, sans prendre le pouvoir imposa ses   choix et son agenda. Le pays  s’engagea à contre temps et à contre-emploi du pays libéré dans une entreprise hallucinante, un parcours rétrograde de pays le plus « terroriste » qui soit, faisant  un million de morts sur trois terrains  de  la planète de 1945 à 1962. En Indochine, Madagascar, Afrique du Nord. Des  massacres coloniaux d’un  autre âge puisque, en effet,  les autres décolonisations : Inde, Indonésie, Egypte, Congo etc... se  réalisèrent en douceur, si on ose dire, comparées à note action  à contre-courant  mondial . « Sétif » fut un symbole  de la  « renaissance » répressive mis en œuvre dès la Libération, occasion  de questionnements pour ceux qui  vécurent nos conflits coloniaux marquant l’histoire du monde. Les événements et répressions de Sétif et Guelma  à l’été 1945, seront ici suivis attentivement  avec comme guide  J-L Planche ([11]).. On croit savoir comment l’Algérie coloniale a pesé sur notre histoire républicaine. Néanmoins, si on examine les soubresauts parlementaires et les errements  des parlementaires à la lumière de la question des colonies et de l’esclavage (qui a autant clivé que la question religieuse sous la Révolution), on doit les associer à la question des territoires d’outre-mer qui a été obsédante en Europe durant deux guerres mondiales (pour Bismarck, ensuite pour Hitler). Il y a eu guerre au sein de l’armée : la fraction républicaine contre une fraction  autoritaire,  très antiparlementaire, pour  finir en guerre civile entre clans  et la guerre d’Algérie fut le lieu d’expression du mépris ou de la haine  réciproque  qu’elles se vouaient comme souvent cela se passe dans les cercles très fermés. Les luttes de fractions au sein de l’armée s’aggravèrent sous de Gaulle incluant plusieurs tentatives d’assassinat du Président (organisées par de jeunes  officiers). L’année précédente, en 1961 un renversement des fronts surprenant avait eu lieu : le général en appela au contingent (« Aidez-moi ») ; effectivement les soldats du rang le soutinrent contre les capitaines et les colonels engagés, eux-mêmes divisés entre  réactionnaires sans véritable idéologie mais solidaires des élites locales ou des groupes de pression, qu’ils soient colons, policiers, ou intellectuels. Des « colonels », notamment ceux qui dans l’armée étaient sur le terrain, plus sensibles à l’accueil des petits Blancs  ou au style de vie des grands propriétaires, devinrent les idéologues  de la « dernière défense de l’occident chrétien ». Par ailleurs, une fraction anti-gaulliste qui survivait dans l’armée depuis 1940 inclinait à prendre sa revanche sur le général détesté.  Donc « Sétif 1945 », par ses apports détournés, est un livre d’histoire nationale pour une  génération qui   se souviendrait de l’évènement avant de l’intégrer à la mondialisation des luttes  (le Tiers-mondisme).

     La métropole impuissante et la démocratie paralysée

     

    Les faits décrits ont été partiellement oubliés en métropole où l’ampleur de la  violence  a été tenue secrète. Divulguée  seulement dans les reportages de la presse anglo-américaine qui les transmit à l’opinion mondiale, cette répression est un inventaire de  situations qui allaient se reproduire dix ans plus tard en 1954. Le colonialisme au centre du débat divisa les élites républicaines par la définition d’un certain type de colonisation de peuplement ou de simple exploitation  minière et pétrolière. Rappelons aussi que le contexte  de la 4ème République (personnel politique  sans autorité en Algérie ([12]) et son  instabilité, son manque d’autorité sur l’armée) ne favorise pas les décisions courageuses. Une alliance droite/gauche de bourgeoisies s’était retrouvée  pour déclarer la guerre au Vietnamiens  contestant notre présence en Indochine,  amorça une atmosphère où l’anticommunisme prédominait (guerre froide et emprisonnement des militants) aggravé par  la peur des  grèves générales (1947). Ce fut le temps de répressions  en Afrique, en Algérie, en 1947 à Madagascar qui fit douter la jeunesse des principes « éternels » républicains ou des  droits de l’homme.

     

    Avertissement de Tocqueville

     

     Le  pressentiment  de l’insoumission inexorable de l’armée en Algérie et le renoncement des citoyens en France,  nous l’avons retrouvé, paradoxalement  exprimé cent ans auparavant chez Tocqueville, lui qui connut  la première  colonisation ([13]). Les occasions de l’enrichissement sans frein, le pillage par des officiers (de toute armée,  de Napoléon à Hitler, on l’a dit) sont un  conditionnement à la prévarication des  officiers en raison  de la  taille du territoire, de la durée et des missions  et des conditions de guérilla. Il apparaît donc   une  possibilité  d’être  pillard et  « vertueux » à la fois,. Tel est le constat  lucide de Tocqueville qui l’explique  sans être « anti-coloniste » ([14]). D’autant que les officiers devinrent propriétaires ; des légionnaires  sont installés dans les meilleures terres prises aux tribus ; habitude prise de  confusion des pouvoirs civil et militaire. Mais Tocqueville va plus loin .Il pressent le danger de l’autonomie excessive de l’armée républicaine ayant les pleins pouvoirs, acquérant un droit  de légiférer  sous le couvert de la « chasse aux terroristes ». D’autant que les généraux on un savoir faire dû au passé  vieux de vingt ans. Bugeaud a été formé  à la pratique de la terreur sur des autochtones dans l’armée napoléonienne en Espagne. Lamoricière, Pélissier et d’autres  furent formés sous Napoléon.  Ils usèrent des mêmes méthodes que celles appliquées dans la péninsule ibérique ([15]). La  métropole a délivré ainsi une rente de pouvoir à ses généraux  et colons. Et plus tard ceux-ci s’armeront en milices privées,  forces de police discrétionnaire, à l’écart de tout contrôle légal. Il régnait, selon Tocqueville si on suit son Rapport parlementaire en 1840, un risque de corruption anti- républicaine. La situation est si  intense que  l’auteur avait jugé bon d’avertir Paris des maux à venir et va proposer des remèdes. L’un, subtil, consiste à ne pas laisser durablement les mêmes  régiments  sur le sol algérien,  à prévoir une rotation pour éviter l’ivrognerie et l’absence de scrupules face aux indigènes.  Et il avait même redouté, qu’une fois rentrées en France, ces troupes ne contaminent l’armée  métropolitaine. Il  mit ainsi en garde : « on ne peut se dissimuler que l’officier, qui une fois a adopté l’Afrique, et en fait son théâtre, n’y contracte bientôt des habitudes, des façons de penser dangereuses et d’agir  partout, mais surtout dans un pays libre...Il y prend le goût d’un gouvernement dur, violent, arbitraire et grossier. C’est là une éducation que je ne me soucie pas de généraliser et de répandre. Je crois donc nécessaire d’envoyer en Afrique un certain nombre de régiments qui n’y font qu’y passer et rentrent en France au bout de peu d’années » ([16]). Tocqueville est bien entendu un partisan de la colonisation à la condition du contrôle strict de l’armée par un gouvernement vigilant et fort qui la contrôle!. « Quelque partisan que je sois de la création de régiments spéciaux à l’Afrique, je suis loin de croire cependant qu’il faille avoir en Afrique que des corps de cette espèce. » ([17]). Prémonitoire : l’habitude  de l’oppression (pas de  droits, au mieux un code de l’indigénat), les massacres, les bagnes, et bien entendu l’exploitation intense de la main d’œuvre : une situation pas du tout exceptionnelle de « militaires livrés à eux-mêmes »

     

    Les faits de l’été 1945

     

    En étudiant « trois mois terribles » pour le peuple algérien, on fait la chronique d’un « événement »  fortement structuré dans le temps et l’espace, de  la société coloniale des années 1950,  de la nature de la répression (tortures, famines) et les arguments qui allaient être imposés à travers la presse et l’administration à l’opinion. Ceci est grave car cet épisode, souvent cité, a été rarement étudié en profondeur, alors même qu’il a occasionné des dégâts démographiques, politiques, moraux, dans la droite ligne de la conquête française qui, de 1830 à 1871 dans l’Est, (dernière révolte tribale qui figure  une étrange coïncidence répressive à la même date: la Commune)  réduisant la population musulmane d’un tiers. « La surmortalité liée à la guerre et à la répression pendant 40 ans (1830-1870) est estimée à plus de 800 000 hommes. Par la violence et la durée, elle ne peut se comparer qu’à celle des guerres menées en Amérique du Nord contre les Indiens ». (p.21). En effet, notons les similitudes : disette organisée, expulsion et déplacement des tribus, mise sous séquestre de 400 000 ha des meilleures terres, utilisation  des antagonismes entre régions, emploi de soldats indigènes (harkis, tirailleurs algériens ou sénégalais), association de la gauche à la répression au nom de l’unité raciale européenne. Sortir du système « démocratique » métropolitain parut la seule alternative recevable pour les militants algériens post-Sétif.

    La répression  des musulmans  a été considérable au cours de cet été 1945: 30 000 civils tués en trois mois, du 8 Mai à début Août. Le rythme des tueries fut hallucinant, village par village, par « soirées », par sortie de bandes d’Européens (formés en milices), de  commandos qui font la chasse aux Arabes (l’invention de la « ratonnade »). En face, on dénombrera une centaine de « Blancs » victimes des troubles. Notons que c’est exactement le rythme des assassinats de civils commis par les nazis dans les pays de l’Est (Pologne Ukraine, Russie). Bien sûr, là, la largeur du front, leur durée les ont été  rendus plus « efficaces ». Ce fut aussi l’intensité de la mortalité des Algériens durant la guerre de libération. 3 000 morts sur 3 mois équivalent à 120 000 sur un an ; soit, sur 7 ans de guerre, le chiffre estimé par les Algériens de près d’un million de morts. A part la seconde guerre mondiale, aucun autre fait de guerre n’a été aussi meurtrier (sinon la répression contre les Communards pendant un mois). Les commandos seront incontrôlables dans le Constantinois et la contamination a touché toutes les catégories, les unes surenchérissant sur les autres. La peur raciale a fonctionné sur la base de rumeurs organisées, amplifiées par la presse et des institutions. Phénomènes bien évidemment préparant  la scène survenant dix ans après

      Le Pétainisme en Algérie sort renforcé  en 1945

     

    La fascisation d’une large partie  de la société coloniale se manifeste lors de l’arrivée au pouvoir à Paris de Pétain ; une forme réactionnaire et raciste dans la colonie qui a perduré au-delà de la Libération en 1944. Marc Ferro qui découvre alors l’Algérie a été abasourdi de l’ambiance qui régnait dans l’Ouest où il est nommé professeur au Lycée Lamoricière à Oran en 1947. Aux élections de 1947  il est  stupéfait de voir des candidats à le députation se réclamer franchement de Pétain « Voter pour De Saivre, c’est voter pour Pétain » (p 25). Voilà comment on obtient plus de 20% des voix à la libération ([18]).

    Le jour donc de la victoire des Alliés contre l’Allemagne, le 8 mai 45, victoire à laquelle les tirailleurs « indigènes » avaient participé, donna lieu dans l’Est constantinois à une résurgence du nazisme, qui, le jour même où il agonisait, réapparaissait dans un département français. Lors des célébrations spontanées de la victoire, le 8 mai, dans toutes les villes algériennes, l’Est Algérien prend un relief particulier Il est pourtant le moins peuplé de colons et donc le moins politisé et administré. La singularité réside plutôt dans un passé vieux de 70 ans (révolte d’El-Mokrani en Kabylie et des tribus du Sud).. Les cadres administratifs, les chefs, la presse pétainistes y subsistent après la Révolution nationale qui deviendra alors la « Répression nationale ».  L’esprit de Vichy y avait prospéré. L’épuration  des républicains et des laïques avait commencé tôt, dès juin 1940 : « Plus de 10 000 communistes, socialistes, francs-maçons, nationalistes algériens sont enfermés dans les prisons et les camps de la steppe, 2500 fonctionnaires jugés indésirables sont révoqués. Ceux qui ont appartenu au Front populaire doivent se repentir » .... « Le Juif sert de référence pour désigner ceux que le Maréchal appelle l’Anti-France. Trois mille fonctionnaires de confession israélite sont chassés, soit à population égale trois fois plus qu’en France métropolitaine » (p.45). La croix gammée avait été précocement affichée dès 1930 sur  le bandeau du journal du maire-député d’Oran. La confusion avait régné dans la colonie. Le Front Populaire n’avait pas été absent mais il s’était manifesté à travers une versatilité, une faiblesse des partis de gauches, divisés. A la Libération,  un espoir fragile : un maire communiste à Oran, à Alger un socialiste, un général français proche des communistes à Constantine ! Ce sera inextricable au bout du compte  pendant 20 ans puisque les lignes de l’opinion sont brouillées entre des villes ouvrières et le bled des colons qui demeurent  profondément réactionnaire. Les progressistes, en effet, sont divisés par la religion ou par les doctrines; entre socialistes et Francs maçons et  entre communistes  (témoin l’entreprise présidée par Ferro de « Fraternité algérienne »  qui s’éteindra en 1957). Après le 6 février, Guy Mollet manifeste son incompréhension totale de la situation algérienne : il capitule devant quelques jets de tomates et  cris hostiles. Les Israélites sont eux-mêmes divisés entre une intelligentsia de fonctionnaires ou de professions libérales et une masse de petits commerçants et artisans. Les musulmans, en face, sont déboussolés par le fractionnement des hommes de progrès prêts à des réformes; tantôt ils se retrouvent aux côtés des Juifs dominés, tantôt ils les tiennent à distance ou les prennent à partie (un pogrom à Constantine). Le Parti communiste à Alger est dirigé par des Juifs mais à l’intérieur ils sont écartelés entre plusieurs lignes. Avant la défaite de 1940, des manifestants juifs et arabes crient : « Vive la guerre ! A bas Hitler ! ». D’autres coloniaux clament : « Vive Hitler ! A bas les Juifs !». Le brouillage et le désarroi  furent ceux que Camus a parfaitement illustrés. Même aux grandes manifestations de l’été 1936, la politisation est faible et sporadique : « A Constantine, où les communistes ont rassemblé 5% des voix, les socialistes sont exaspérés d’avoir manqué l’occasion d’avoir un député. Le nombre de musulmans qui rejoignent, à l’appel des communistes, les défilés organisés le juin pour fêter la victoire de Blum déchaînent la colère au comité du Front Populaire ; le représentant du PS met en garde contre ce qu’il appelle : « ces masses incohérentes d’Indigènes pouilleux, l’écume à la bouche prostituant l’Internationale » (p.39). Socialistes et communistes en viennent aux mains. L’auteur montre que les grèves de 1936 furent aussi fortes à Constantine ou autres villes de l’Est qu’ailleurs. « Mais la CGT refuse de les coordonner et les abandonne à la répression en 1939 ».

    Le trouble règne dans la gauche  métropolitaine. Personne n’a prévu que les départements de l’Algérie pouvaient être concernés par des revendications propres aux travailleurs musulmans. La SFIO et le PCF locaux appellent à la répression après Sétif. Durant l’été 1936, Messali Hadj à la tête de l’étoile Nord Africaine, un parti d’émigrés réclame « l’indépendance ». Six mois plus tard, Blum la dissout, bien que ce parti soit membre du Front populaire et il lui applique la loi contre les ligues factieuses. Les positions sont compliquées par la succession de 4 régimes politiques antagonistes en 5 ans : « Vichy », Darlan, Giraud et les Américains ;de Gaulle et la 4e République. Les Arabes sont déçus après 100 ans de promesses non tenues et se retrouvent seuls en face de leur destin alors que leurs colonisateurs  sont plus puissants qu’ils ne l’étaient en 1935, consolidés à la fois par le Pétainisme structurellement conservé et le renforcement de la position internationale de la France. La voie est libre pour l’isolement de la colonie de sa métropole et pour la désinformation  systématique, particulièrement de la part de fonctionnaires devenus des proconsuls (comme Achiari, ex- jeune socialiste, à Constantine) qui invitent la police à des actions illégales. En mars 1956, Maurice Papon sera nommé super-préfet de Constantine par le gouvernement de Guy Mollet. On comprend qu’il se soit enthousiasmé « pour sa nouvelle tâche » et que la population de la capitale de l’Est l’ait accueilli en  « sauveur » ([19]).

    Une fascisation latente ou ouverte persévère dans ces circonstances. Les références historiques scolaires de la Grande révolution s’inversent. Le lieu de la suspension des procédures judiciaires légales s’appellera le « Tribunal de salut public » (p.203) ; l’histoire de la gauche devient la caution de la justice. L’ « organisation de la terreur » devient une valeur républicaine; l’assimilation des milices civiques fait appel aux « fédérés ». Une guerre impitoyable est alors renforcée contre ceux qu’on appelle les Indigènes devenus « ennemis de la République », « Vendéens ». Avec les mêmes méthodes : isoler une région, l’affamer, créer une psychose, susciter des informateurs, user des  délations entre voisins. Mécanismes de masse, de pouvoir  au service de domination de race et de religion, les conditions du basculement  vers un extrémisme récent  témoignent de la fragilité de frontières morales. On le saisit aussi bien sur une autre scène quand les Français Résistants sortant de la clandestinité ou des camps allemands oublièrent leurs engagements antérieurs. Un Résistant au pouvoir n’est plus le même résistant  du fait de la responsabilité du pouvoir. On n’écoute plus alors les camarades restés, eux, en dehors du pouvoir, comme G. Tillion ([20]) qui ont dénoncé la faillite des autorités face aux massacres  par des coloniaux. A Madagascar, au même moment des répressions brutales identiques firent plus de 80 000 morts et se produisirent justement au Nord-Ouest, région aux colons pareillement pétainistes. Les postures varient, soumises aux conditions nouvelles des rapports de force, et les résistants ou la gauche au pouvoir à Paris ne comprend pas qu’il n’y a pas des « justes » ou des « bons » par principe. On peut être le même et alternativement occuper un bon ou  mauvais côté. Robespierre avant de mourir, emporté par la Terreur qu’il a animée, voyait juste quant au sujet  des colonies quand  il y défendait ardemment l’abolition de l’esclavage.

    Le concept de situation est bien plus explicatif,  que celui de nature d’ethos, de « caractère ». De même les interactions locales (relations entre masses et groupes, effets de temps et d’espace) sont plus opératoires que les définitions historiques substantielles ou les concepts trop teintés d’idéologies. Toutefois, les embranchements une fois empruntés deviennent irréversibles. En 1945, l’Algérie s’engage dans la guerre. Les violences qui s’enchaînent sont irréparables pour  l’honneur des républicains. Paul Veyne décrit son étonnement dans un entretien bilan  de sa carrière : « Je ne me suis pas dépolitisé car il y eu quelques années plus tard la guerre d’Algérie ; un choc car je fus médusé par les rapports entre colons et indigènes .On m’avait envoyé en Algérie pour des raisons archéologiques .Et je n’ai vu que les rapports humains. Cela m’a paru invraisemblable ! La façon dont se comportaient les colons avec les indigènes était pour moi insupportable, révoltant, intolérable... Mais il a y eu après, les révélations sur la torture et ce fut pire encore ! Chaque matin je me réveillais  avec une idée dans le crâne : « Nous sommes en train de faire en Algérie ce que les nazis ont fait en Europe ([21])  ».

     

     Les événements de mai 58 et la fin de la quatrième république

     

    Episode  insensiblement oublié, le 13 mai 58,  événement édulcoré dans les mémoires. Est-il un simple accident ou une révolution ? Après coup on évoque le 2 décembre 1851, un éventuel  « Bonapartisme gaulliste », ou une sédition à la Franco qui se préparait en coulisses. L’émeute algéroise  fit tomber la Quatrième  bien qu’une  certaine continuité républicaine fut sauvegardée puisque les processus légaux ont été respectés par Coty et De Gaulle se soumettant au Parlement mais exigeant les pouvoirs spéciaux ; ce qui fit hurler de vieux républicains. Cette interprétation  légaliste des historiens à l’époque, manifeste là une certaine incompréhension .Y compris chez  Agulhon qui minimise quelque peu l’émotion qui a saisi les travailleurs ([22]).

    Rappelons que le 13 mai a été une émeute de rue à Alger avec occupation des lieux de pouvoir (forum, délégation générale, préfectures), puis une reprise en main  organisée par des franges dures des colons et les généraux sous l’égide de Salan. Devant les  refus d’obtempérer à des demandes de démissions politiques, et d’installation d’un  pouvoir militaire à Paris, des troupes débarquent en Corse, puis menacent les villes du sud-ouest  d’occupations des casernes et des aéroports. Légionnaires, régiments de parachutistes se disposent à envahir la France si la République ne laisse pas la place à  un régime autoritaire, favorable à leurs thèses.  

    Ceux qui ont vécu ces moments, se souviennent de l’atmosphère des rues, tendue, grave ; les étudiants à l’UNEF étaient abasourdis ; la population s’attendait à un affrontement  et les plus  belliqueux ressortirent des armes cachées à la Libération. Par rapport aux adultes, la situation cruciale des jeunes impliquait le risque d’être  immédiatement  envoyés en Algérie, encadrés par des éléments fascisants.  Un  avenir des plus sombres. C’est dans ces moments que l’on réalise que les historiographies ne s’identifient pas à ce que vivent les acteurs.  La crise de 1958 a été l’occasion pour une génération, toujours en vie, d’observer et de vivre la grande Histoire : l’inertie des institutions, le vide du  pouvoir, la  lutte de mille fractions qui pouvaient être militaires ou civiles, les conflits entre bourgeoisies  ou celles,   pacifiques et laïques, de partisans ou adversaires de l’« Empire français ». La réaction populaire  fut partiellement lucide, ou, à tout le moins, non angélique ; elle   avait jugé en conscience le vide républicain et les infirmités d’un régime apeuré. Mais les dégâts seront  catastrophiques et persistants. Puisque,  quiconque peut devenir un jeune nazi si on lui donne armes,  pouvoir de vie et de mort sur autrui et une légitimité idéologique, sans compter la liberté  de quelques pillages des mechtas, de viols ; toutes les transformations humaines sont psychologiquement réalisables. Ceci ne fait pas du 13 mai 58 un incident malheureux de parcours de la 4ème République mais  le constat de la faiblesse d’un  régime s’il est représenté par des chefs  sans courage physique, au  manque de vision par absence de qualités intellectuelles requises. Depuis Suez, la quatrième république s’était inscrite dans une série  d’aveuglements, d’absence de lucidité  de la part de  professeurs, avocats, fonctionnaires face à des rebellions indigènes et à l’incapacité  à  dépasser leur ignorance. A ce moment-là, aucun cadre de haut niveau politique ne parlait l’arabe (sauf quelques-uns, tel Soustelle), n’était réellement entouré de bons informateurs sur la société coloniale contrairement aux élites anglaises en Inde. On ne peut aujourd’hui qu’être frappé de l’inaptitude du haut personnel, que ce soit au cours du printemps 40, ou en mai 58. Leur abdication  conduit à questionner la formation de dirigeants  aux commandes, apeurés devant une  fraction militaire qui, rajeunie, a pris goût à la désobéissance.  Comme si les républiques existaient dans les parenthèses que les  généraux leur accordent.

    Cette réflexion,  les étudiants et les jeunes travailleurs des années 1950 ne l’avaient pas entreprise clairement car, à l’époque, l’historiographie  manifestait une discrétion au sujet du plus important des faits contemporains :le colonialisme et insistait plutôt sur la Libération et la Résistance en métropole. En faculté, l’enseignement de l’histoire coloniale  se révélait affligeant ; le manque d’informations  sur l’Islam ou l’Afrique paralysait l’Université préoccupée  après la guerre à refonder ses disciplines, et à occuper un nouvel espace. La gauche qui se disait libératrice pouvait-elle garder les colonies sans violence ? Qui définit la violence sinon les juges et les gendarmeries ?  Qui contrôle les appareils de contrainte ? Toutes les questions étaient sans réponse dans l’euphorie de l’après guerre[23].

    C’est ce que découvrait au même moment Paul Veyne, par ses propres  expériences  « Il y avait donc pas deux versions de  l’histoire, la gauche et la droite- mais également celle des colonisés ... ce qui dans cette expérience algérienne m’avait frappé , c’est bien l’ignorance dans laquelle se trouvait la métropole des problèmes qui se posaient  dans ce pays , le miroir déformé que les Européens, les Arabes, les métropolitains avaient, chacun de  la situation » (art. cit.  p. 94 »).

    Les appelés, en permission, racontaient l’innommable : les exécutions et les morts d’enfants, de femmes, de vieillards (et les tortures qui leur étaient infligés), les destructions systématiques de mechtas, de troupeaux, des biens, les vols de bijoux et bien sûr les viols lors des razzias. Quelques-uns  d’entre eux sombrèrent dans l’alcoolisme, d’autres dans la folie ou le suicide. Dérive incompréhensible du régime : on n’impute pas ce « travail » ou cette expérience  de  violence à une jeune génération, de plus sans raison et sans justification, sinon l’éternel et inusable argument de terrorisme : nos proches ou nos voisins, Résistants, avaient été ainsi qualifiés par les Allemands.  Les dégâts psychologiques et humains  furent masqués, silencieux car le plus souvent refoulés ([24]). Mais les  soldats  du rang s’expriment aujourd’hui, expliquent les comportements induits, les  réflexes ordinaires de collectifs isolés  cherchant  l’évitement des conflits avec leur hiérarchie ou avec certains de leurs camarades tortionnaires. Le pire (ainsi que pour les soldats du troisième Reich) consista pour quelques-uns  à suspendre les codes et  les valeurs  contredisant trop ouvertement leurs actes et à faire cohabiter les divers « moi ». Ces déchirements visibles dans les carnets intimes, les correspondances, des « confessions » quelquefois envoyées à la presse , suggèrent que  le contingent fut en guerre  contre lui- même : quelle loyauté servir ? Se taire ou  avertir la métropole ? Que conseiller aux camarades non encore mobilisés: la désertion, l’insoumission, la complicité ou bien l’évitement par le témoin impuissant?  La  déchirure  fut profonde   d’autant que seuls quelques engagés volontaires, les membres des commandos ou des parachutistes, assumaient  l’utopie de la fraternisation  et de l’intégration mais la aveint la force des armes pour eux. Les plus politisés des jeunes Français furent désemparés devant les hésitations de la gauche,  sa compromission  locale ou nationale. En 1954, en Algérie, on assista à une situation  qui n’est pas rare – dans le cadre de l’héritage culturel et  militant- où des jeunes optèrent pour la rupture complète avec leur famille politique et avec leurs « pères » spirituels. Cela est  significatif. Nous avons appris après coup, stupéfaits qu même le Général de Gaulle au pouvoir après mai 58, fut censuré par l’armée qui détenait les  moyens de transmission aux médias et donc  faisait localement l’opinion  Le nazisme, pour un exemple inverse, fut un mouvement qu’ont rallié et animé les jeunes (ils en ont payé le prix fort en terme de vies) ; en revanche ce mouvement, le nazisme, a été initié, dominé  par des quadragénaires pour renverser et prendre la place des   septuagénaires.  

    En Algérie, les situations étaient brouillées,  différentes  selon le sentiment de chacun ; elles dépendaient de circonstances singulières ;  l’effort de réflexivité, sur place, impliquait des risques certains. Cependant dominait toujours l’impression de l’incohérence individuelle, de changements rapides d’attitude au vu des situations immédiates. Regardons, dans son  autobiographie , les allers-retours de Gilles Perrault de  famille de droite catholique stricte qui  devient communiste et s’engage alors comme para dans un régiment « dur », aux méthodes répressives radicales ; quand il revient il reprend sa carte au PCF. Que de sinuosités et de hasards dans ces cheminements ! Sans aller à ces extrémités, chacun des protagonistes a été   porté à des  appréciations extrêmes, influencées par des situations  et des visions au hasard. Un jour passé aux  atrocités assumées, un autre jour  démoralisé par l’inéluctable violence gratuite ; un jour on s’insurge et se révolte, un jour on ferme  les yeux. Il n’y a pas d’unité personnelle quand la situation est si chaotique et changeante. Les réactions à chaud sont imprévisibles, non maîtrisables.  Le difficile problème de l’historien réside dans la recherche d’une logique improbable dans la transcription ainsi que dans l’interprétation de cette narration  aux ressources volatiles. 

     L’invocation à tort et à travers de la Démocratie ou de la liberté en République occulte l’arbitraire,  participe d’une politique de l’amalgame. Il y a de multiples variantes à l’organisation interne d’une république,  éparpillées dans ses pratiques concrètes. Une démocratie peut être autoritaire, anarchiste, ou laxiste, ouvertement ou subtilement, ici ou là, violente pour les uns, paisible pour d’autres, parfois démocrate, parfois fascisante. Dans les départements français  d’Algérie les deux formes coexistaient. Aucune définition n’est  claire, ni acquise  puisqu’elle est un rapport de force à l’intérieur de chaque segment de la société 

     

    La lucidité  démocratique est par conséquent un combat jamais gagné  Ce qu’elle fut au cours de la guerre d’Algérie  (suspension des procédures ordinaires, ordonnances d’urgence,  referendums, pouvoirs spéciaux, discours  gouvernementaux censurés) comparée à ce qu’elle est devenue après 1968,  jusqu’aux années 1995 : un césarisme doux, parfois  un Etat mi- anarchique irréformable. La Vème que nous vivons,  cultive sa vieillesse, à  près de 70 ans, âge canonique d constitutionnel),  a été bouleversée au point que son fondateur le général de Gaulle ne la reconnaîtrait  probablement pas

     

    [1]   Claude Quétel L’impardonnable défaite 1918-1940, éditions JC Lattès 2010 Livre indispensable à celui qui veut saisir l’analyse par le temps court et l’événementiel d’interactions des chefs et des institutions

    [2] M Agulhon Histoire et politique à gauche  Perrin 2005

    !

    [3] Nous y avons été sensibilisés en tant qu’étudiants : Bloch fut un des historiens Résistants (Vernant était alors philosophe, M.Ferro, et A.Kriegel étudiants )  un universitaire qui s’était engagé. La profession historienne, souvent prudente, sinon timorée,  a  pourtant accompagné  les résistants ethnologues, philosophes, scientifiques, médecins...  

     ([4]).Une contre-histoire de la IIIè république. Cette tentative de synthèse  équivaut au  livre cité supra le « 2 décembre, un coup d’Etat »,  correspond à un moment  de   mise en cause  des mythes républicains  de

    Ces  livres sont  iconoclastes  encore que les contributeurs du second  se montrent  radicaux traitant notamment de la « mission civilisatrice de la république coloniale : d’une légende,  l’autre ». L’introduction des trois éditeurs « L’historiographie de la IIIème Republique, ni histoire, ni République ? » amorce un tournant dans la prise en compte de  « l’armée,  une institution républicaine ? »  

    [5] L’étrange défaite p.203

    [6] Ibid p 195

    [7] Ibid p 62

    [8] Ibid p 116

    [9] Ibid p 186

    [10] Lire p 156 et suivantes

    [11] Jean-Louis Planche, Sétif 1945 : Chronique d’un massacre annoncé, Paris, Perrin,.  L’auteur consacre une cinquantaine de pages à l’avant 1945.

    [12] Ainsi que ce fut le cas en 1937 où Blum essaya  d’imposer un statut d’autonomie  avantageux pour les indigènes « évolués » Echec complet de projet dit « Violette » 

    [13] Tocqueville : Sur l’Algérie, Flammarion 2003.

    [14] P 28

    [15] Jean –Joël Brangeon a  donné  un exemple de l’action des troupes françaises en Espagne de 1808 à 1812 : impuissants contre la guérilla les soldats français se vengent sur les civils faute de vaincre les guérilleros.

    [16] Tocqueville  

    [17] Ibid

    [18] Marc Ferro : Autobiographie intellectuelle,  Perrin   

     

    [19]  Toujours en première ligne dans ce genre d’activisme, sa carrière après Vichy et la préfecture de Bordeaux  en témoigne. En effet il est en 1949 préfet de Constantine ; Au Maroc, nommé pour réprimer les troubles lors de la déposition du sultan en 1954-56. Il est en Algérie, de retour à Constantine de 1956 à 58; puis préfet de police de Paris et responsable de la mort de jeunes manifestants français au métro Charonne, le « jeudi noir » du 8 février 1962, après le lynchage et les noyades dans la Seine des ouvriers musulmans, ou encore mêlé en 1965 à l’enlèvement de l’opposant marocain Ben Barka avant d’être nommé ministre de Giscard. Toujours présent au « bon » moment, dans tous les coups « durs » de la République.

    [20] Elle a réuni ses réflexions de l’époque dans un bilan : Combats de guerre et de paix, Seuil 

    [21] Référence!  Revue Lire  déc. 2005, p 94

    [22] Maurice Agulhon Histoire et politique à gauche, Paris,  Perrin 2005.

     

    [23] Lire De Gaulle et l’Algérie 1943-1969 ; Maurice Vaïsse éditeur  A Colin/ Min Défense  2012 « De la parole confisquée »

    [24] Cette partie de l’histoire maintenant connue,  s’exprime spécialement dans l’essai collectif :    « Oublier nos crimes ; l’amnésie nationale : une spécificité française ? (Publié par les éditions Autrement en 1994). De jeunes historiens depuis une vingtaine d’années ont pris à bras le corps, cette remise à jour : Florence Beaugé :Algérie une guerre sans gloire,  Calmann-Lévy, 2005 ; Raphaëlle Branche, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée ? Paris, Le Seuil 2005,Claire Mauss- Copeaux, Appelés en Algérie : la parole confisquée Hachette 1998 ; Sylvie Thénault Histoire de la guerre d‘indépendance algérienne Flammarion 2005 et de la même : « Une drôle de justice, : les magistrats dans la guerre d’Algérie, La découverte 2001 ; Jean-Charles Jauffret  Soldats en Algérie 1954-62 (sld) expériences contrastées des hommes du contingent  2000, Paris, Editions Autrement.

     

     


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  •  L’ermite et l’euro de foot

    Candide :  Alors vous avez vu la victoire sur l’Allemagne. La première fois qu’on les bat en tournoi officiel depuis 1958 !

    -L’ermite : Oui je sais ; j’y étais

    -Candide :comment ça ?

    -Oui la grande épopée de Suède, la grande équipe, je l’ai suivie à la télévision. C’était les débuts de retransmissions. La télé existait à peine ; on voyait les matches en noir sur gris,  des images tremblotantes  et  floues...A la coupe du monde 1958 ; un formidable match pour la troisième place  contre l’Allemagne qu’on a écrasée :4 à 1 ; après avoir été battu  par le Brésil en demi,  à 10 contre 11 (Jonquet demi centre  fracture de la jambe ; on ne remplaçait pas à l’époque c’était injuste) :  pourtant on avait ouvert le score contre le Brésil !Une magnifique époque ; Just  Fontaine et ses pointes c’était Giroud ; Griezman le félin c’était notre Kopa ; Payet ? Alors nous, on avait le pied gauche de Piantoni.   Ce fut inoubliable : les salles du fond des bistrots étaient pleines (presque personne  n‘avait la télé chez soi).  le petit écran suspendu au plafond ; blafard ; on était  dans la découverte du direct en image .On avait jamais vu ça  en vrai :Pour nous qui découvrions la télz :  une révolution !

    -Candide : Comment vous ! vous vous intéressiez au foot ?

    - L’ermite Et comment ! Oui j’avais 18 ans et déjà quelques matchs  en équipe première.  Savez vous que j’ai joué jusqu’à 40 ans dans trois clubs différents : Cadours (31) le TUC (Toulouse) et la Bernerie en Retz (44).  Les  villes où j’ai habité : la banlieue, Toulouse, Nantes. Et j’ai remis ça, il y a 10 ans :  j’ai repris ma licence et ressorti me crampons

    -Où ?

    -L’ermite : A St martin d’Uriage, pas loin des montagnes où vous me voyez : une équipe de vétérans-Loisirs, un groupe de copains, on joue entre nous toutes les semaines ou contre d’autres équipes du club, et quelques tournois.  Une  ambiance très sympathique ce club, ouvert à tous (même aux femmes maintenant !).  On chambre, on rigole mais quand on a enfilé la chasuble,  on joue à fond, D’ailleurs ils m’ont fait l’honneur d’un article dans le Dauphiné Libéré  l’an dernier . Je suis le licencié le plus âgé de la ligue Rhône –Alpes. Quelle fierté!!

    -Candide : Vous un intello  pur et dur  jouer comme un gamin !! Pourquoi ?

    - Je n’ai cessé de jouer tous les dimanches.  Équilibre indispensable pour un métier d’individualiste, un prof, un chercheur que le métier isole du monde !!  La nécessité du groupe, principe de vie sociale dans les professions les plus solitaires : La modestie  quant à  l’égocentrisme. On gagne à 11 ou  on perd ensemble. On est bon si le groupe est bon et inversement, mauvais  si le groupe se désunit.   Donc remise à plat de  la vanité  de l’intellectuel. Mais j’ai appris plus que ça : un creuset de races, de classes,  de niveaux scolaires ou de métiers. Des médecins  côtoient des ouvriers, des   vendeurs,  leurs cadres,  des enseignants  et des petits personnels ou  commerçants etc... Quel  mélange social ! je n’ai pas vu ça ailleurs ;ça n’abolit pas toutes barrières, mais ça les suspend 90 minutes ; un moment, la hiérarchie est  battue en brèche,  la distance économique, et  aussi  la couleur . J’ai joué avec des Arabes (pendant la guerre d’Algérie à Toulouse : pas simple !), des Noirs, de nombreux Espagnols ou Portugais, justement, des réfugiés dans nos villages ; comme des Italiens antifascistes ! Belle cohabitation, extraordinaire communion du village ou du quartier urbain avec son équipe. La communauté remise à l’honneur, de même que l’altruisme, un  après midi de chaque semaine : que des bénéfices !Un intellectuel devrait avoir cette pratique  obligatoire dans son cursus, de peur d’être coupé du « peuple » et de la vie ordinaire.   Alors oui ! Je suis fan de foot, et ce soir, je ne vais pas manquer le match. Que le meilleur (et le plus chanceux) gagne !


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  •  « Louer son corps à la science ; l’organisation des essais thérapeutiques » par Christophe Brochier  situé à  Accueil  sur mon second blog : jeanpeneff.eklablog.com

    A Lire à tout prix sans risque pour la santé

     

     Ce texte est une expérience de longue durée (6 mois)  dont il faut expliquer les raisons

    Nous sommes un petit groupe formé de 3  ou 4 profs de socio (quadragénaires) et d’un retraité depuis 10 ans. Ce groupe fonctionne sur des bases originales qu’il faut justifier puisqu’elles paraissent surprenantes alors qu’elles sont banales et naturelles exploitée presque partout dans le monde sauf en France

    Nous,  sociologues, nous  sommes différents des journalistes, experts en sciences sociales,  littéraires ou philosophes,, politologues, baratineurs à longueur  de papier ou d’antenne sur ce qu’ils ont « vu » de loin,  qui ne vivent jamais les conditions  des gens dont ils parlent ; qui se tiennent éloignés des lieux conflictuels   ou  trop dissemblables, qui ne veulent jamais quitter  les habitudes de classes  de leur petite bourgeoisie intellectuelle  originelle ; à laquelle nous appartenons mais en nous distinguant par la mobilité et la croyance que la vérité scientifique ne s’appréhende  que par le partage des conditions avec les enquêtés et des épreuves qu’ils subissent, et que nous subissons à notre tour selon un désir sérieux de compréhension .  Cela demande d’apprendre la langue et  de vérifier au jour le jour nos impressions et croyances  sur le terrain ,de l’éprouver face aux faits quotidiens.  Pratiquement jamais de questionnaires et d’entretiens mais des observations, de l’écoute, des archives etc. Nous en fîmes la raison d’être de  notre vie professionnelle,  d’autant que nous avions tous des origines ouvrières, ce qui en sociologie est encore un scandale  (soigneusement refoulé). Quand c’est chaud quelque part, nous allons voir systématiquement. Ainsi nous sommes allés  étudier des populations démunies au Brésil, en Algérie, au Moyen-Orient... et  récemment à Calais. Nous y restons et enquêtons de manière  anonyme, sans  tapage  médiatique, sans  faire  de bruit sur  notre intérêt personnel pour l’observation participante,  et sans la prétention des sciences sociales de tout comprendre, et tout savoir interpréter   !! Qui le voudra, trouvera en librairie ou bibliothèque (revues) les travaux de C.Brochier, M. El-Miri ou C. Andréo ou les nôtres.

    Le texte sur les essais de médicaments  de Christophe Brochier est tout entier dans cette logique. II fallait aller voir avant de parler et de conclure. Il le fit. Le résultat est édifiant : surprenant, mais pas là où  on l’attendait ! Quant aux élites, aux pseudo intellectuels, aux  responsables, et aux professeurs de sociologie ou autre, ils préfèrent  ignorer ce genre de papiers  et les refouler en douce dans  l’oubli. Bref les enterrer et quand surgit l’inévitable : la mort d’un testeur,  ils compatissent la larme à l’oeil et ne changent rien jusqu’au prochain accident! Bonne lecture 

    « Maintenant le règne des banquiers va commencer»  

                                   (Jean Peneff, Mustapha El Miri)

     Aux éditions de la Découverte, 244 pages, 2010,

     

     Quatrième de couverture :

    Le titre est emprunté à la première page de Marx dans « Les luttes de classe en France ». En partie fiction imaginant le retour de Marx en France, 160 ans après son arrivée en 1849, ce livre est également une description de situations vécues en politique par les auteurs. Cet ouvrage rassemble plusieurs intrigues : l’irruption des banquiers dans notre vie, les migrations de populations entre continents, l’arrivée de la Chine sur la scène de l’Histoire, les doutes des gouvernements libéraux au sujet de leur marge d’action.

    La question des dettes est une question qui divise un pays, ou les nations entre elles.  Ce livre propose donc une histoire des luttes en prenant la question des déficits comme centre des événements. Par exemple en France : savoir, sur 40 ans : la dette, qui l’a « faite » ? Qui en profite ? Qui va la payer ? Marx commence toujours ses études historiques en se demandant qui a construit le déficit et qui en  a bénéficié ? Et quelles catégories sociales vont en payer le prix ? Il soutient qu’un Etat révolutionnaire ne doit jamais assumer les déficits creusés par les privilégiés ; c’est ce qui engendra la défaite de la Commune ; on sait que les bolcheviks ont repris son idée en 1917 et refusé de rembourser les emprunts faits par le tsar.

    Il n’est pas nouveau que des États ne paient pas leurs dettes mais les reportent sur d’autres pays, exploités ou vaincus d’une guerre, ou sur les pauvres de leur propre pays ou bien -nouveauté- sur d’autres générations. A toutes ces occasions, la crise financière produisit des bouleversements en cascade : dévaluations, guerres, révolutions ou dictatures. La dette révèle donc l’état des rapports de classe réels. Quand les caisses sont vides, les têtes sont emplies d’idées au sujet des  « trous » à combler, des compensations à demander face aux pressions de créanciers. . Mais aujourd’hui, demain, que faisons-nous ? Le niveau de vie à maintenir, la fermeture des usines, le chômage de masse, la place des enfants dans le capitalisme des jouets fabriqués en Asie (par d’autres enfants), le poids de la médecine commerciale dans nos finances, les retraites, le désarmement et d’autres menaces immédiates sont pourtant les questions urgentes  à régler.

     

    Table des matières

     

    1 « Au travail » :  Marx à la bibliothèque

    La Mondialisation ambiguë

    Concentration des profits  et dispersion de l’exploitation 

    Histoire des grands déficits

    Les crises successives 

    Faire payer nos enfants 

    Le capitalisme par blocs continentaux

    Les deux classes moyennes : riche et pauvre

    Définition d’une classe moyenne dirigeante

    « Look rich »

    Le rapport à l’autorité

    Une croisade morale ? Les gouvernants sont tétanisés

    Le rapport aux loisirs, la culture, la santé

    Les classes ouvrières dispersées

    L’exploitation segmentée

    L’éclatement : les ouvriers partout et nulle part

    L’exil ou le chômage

    Les Jeunes  Chinois en colère

    Jeunes Indiens et Brésiliens

     Le face à face et l’immobilité

    La Révolution française : 1848, 1871, 1917,1936

    Caisses vides et têtes pleines.....d’idées

     

    2 Les bourgeoisies rivales mais solidaires

              La bourgeoisie financière américaine

               Etats  Protecteurs ou Prédateurs

               La spéculation comme loisirs

               L’inspiration anglo-saxonne

               Solidaires dans l’exploitation

    Les budgets et les perceptions de classe

            Trois France

            Vivre avec 50 euros quotidiens

           Vivre avec 500 euros quotidiens

            L’univers singulier des 5000 euros par jour

    Cliques, clans, fractions, coalitions bourgeoises

          La bourgeoisie de droite et de gauche s’inquiète pour ses enfants

           La gauche n’a jamais eu le pouvoir

           Une invention du capitalisme : les enfants agents et proies

        

    3 Que défaire ?

    Les autres nous regardent. Comment construisent-ils leur opinion ?

          « Nous vous haïssons messieurs »

            La voie intermédiaire  chinoise

    « Au travail encore »

          Des centaines de petits Marx en réseaux

          Changer d’école 

         Consommer ou étudier : il faut choisir

     « Je ne veux pas devenir une machine à fric » dit Marx au gérant du casino  

     


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  •  Etat de la migration qui tue. A ce jour (Avril-Mai)  543 noyés de plus, dont des mineurs disparus et autres  « évaporations » dues au  travail clandestin aux champs ou en usine en Italie, rapt par des maffias...

    Il n’y a pas que la mer  qui tue... la montagne aussi. Deux jeunes Maliens ( 17 et 20 ans) qui avaient vaincu le désert Libyen, ont  tenté de traverser les Alpes pour passer d’Italie à la France  le 3-4 mai dernier. L’un a disparu dans une crevasse, l’autre a rejoint par le col de la Basset partis de Suza, la vallée de la Clarée,  où on l’a retrouvé épuisé... avec les pieds gelés (leur équipement était sommaire pour  traverser à  2500 mètres). Il a été amputé des deux pieds à l’hôpital de Briançon. Bon joueur de foot, il venait pour trouver une équipe !

    D’où on voit que ces migrants ont de la suite dans les idées, du courage à revendre.  Rien ne les arrêtera. C’est pourquoi nous ressortons du placard   le préambule d’un livre  que nous avons  écrit il y a ans : Maintenant le règne des banquiers va commencer. (La découverte 2009).Livre bien entendu invendable et invendu !! Mis à l’index à l’époque par tous les partis, de l’extrême droite à l’extrême gauche ... et tous les médias. Mais basta ! Si les nouveaux jeunes  qui se battent jour et nuit en ce moment sont encore lecteurs ; alors ils  apprécieront peut- être  ces histoire du retour de Marx .Des histoires ...à dormir debout !  Voila prémonitoire  des  bouleversements migratoires,  ce que le vieux fou de Karl leur aurait dit !

     Extrait du début du livre  écrit en 2009 Maintenant le règne des banquiers va commencer (La découverte)

    « On doit se défendre contre les prolétaires d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, ceux qu’on avait mis au placard de l’histoire. Bien heureux encore qu’on ait aboli l’esclavage, mis fin au colonialisme. Mais les accueillir chez nous, les aider de surcroît, maintenant, ah, ça non !

    Dès lors, depuis une cinquantaine d’années, ces peuples, décidément bien peu reconnaissants, se sont aidés eux-mêmes, avec l‘appui de leurs bourgeoisies conquérantes, ou malgré celles, corrompues.

    Et maintenant ils viennent nous facturer des comptes, nous présenter les créances impayées de l’Histoire ! Ils ne trouvent à notre porte que des prêches, la morale écologique ou les exigences de la liberté, bref tout ce qui se mérite. Alors qu’ils devraient manifester de la pudeur et de la gratitude pour l’honneur que nous leur fîmes de nous endetter auprès de leurs gouvernements après les avoir asservis ; qu’ils se montrent plutôt heureux, qu’en retour, nous les acceptions à nos tables de conférences internationales. Que les pauvres restent donc entre eux et ne viennent pas quémander les intérêts que nous levons sur leur épargne.  Qu’ils se satisfassent de la chance des privations que nous leur imposons, qu’ils se détournent ainsi de notre consommation maladive et qu’ils deviennent comme nous, écologistes, en passant, eux, de la famine à l’abstinence ou à la pénurie consentie ».

    Voila ce que dirait, de la mondialisation, l’ironie mordante de Marx .

     

    PRÉSENTATION

     

    Les temps de crise sont bons pour la publication de livres, les éditeurs se découvrent une vocation, les auteurs connaissent une frénésie de justification ou de dénonciation. Chacun y va de ses prédictions et offre ses recettes. Les économistes et les politologues sont en première ligne, suivis de près par les philosophes et bien sûr par les journalistes spécialisés. Chacun se projette dans l’avenir, annonce ses solutions miracles : « Si on fait ceci ou cela... si on m’écoute... ». On appelle l’Europe à la rescousse ou on accuse l’euro ; on espère le sursaut ou on déclare notre déclin irrémédiable ; on cherche à mobiliser tel électorat, orienter tel parti, à en créer un nouveau; on ajoute les programmes à l’inaction, bref, on a tout et son contraire ; peu importe d’ailleurs puisqu’on est dans l’énonciation gratuite ou dans la dénonciation routinière.

    Ce livre s’écarte de la manie prédicatrice. Nous n’avons aucune solution dans notre tiroir, aucune réforme salvatrice à proclamer, aucun parti à recommander, aucun programme à soutenir. Nous n’avons d’ailleurs aucune compétence de guérisseur social ni aucune aptitude à la prophétie. Nous avons retenu la leçon des errements de prévision de Marx et Engels, mais aussi la pertinence de leurs analyses. Ce texte consistant à imaginer ce que dirait Marx s’il revenait ; la mondialisation qu’il nous raconterait, nous l’avons écrit particulièrement à l’adresse des jeunes gens qui ont perdu leurs repères dans la trépidation moderne, sous la pression du travail, du fait du manque des lectures que la génération née au cours de la guerre ou peu après, eut, en revanche, la chance de faire[1]

     

     Et s’il n’y avait pas de solution ?

     

    Ou, si elle était si désespérante (ou bien trop tardive ; les dernières   alternatives ou les changements de cap des années 1980 à 90 n’ayant pas été empruntés) qu’il vaudrait mieux fermer les yeux. Alors pourquoi publier ce livre ? D’autant que nous pensons que nos gesticulations intellectuelles sont dérisoires; que les spéculations modifient rarement le cours de l’histoire. Nous croyons toutefois que le moment est venu de prendre le temps de réfléchir. Y compris, si ça n’a aucun effet ! Mais un peu d’intelligence individuelle gagnée ne fera de mal à personne. Les épisodes critiques sont favorables au renouvellement de la pensée vivifiée par l’aiguillon de la nécessité. Quand les caisses sont vides, les têtes s’emplissent d’idées neuves. La conscience s‘éveille. Quand tout paraît sans issue, la lucidité revient.

     

    Et d’abord prenons le parti de rire ! Si on fait un énième livre sur la globalisation, cessons d’être ennuyeux et quitte à être pessimiste, ne nous prenons pas au sérieux. Mis à part de l’ironie, nous ne sommes spécialistes en rien, ni en économie, ni en politique internationale. Ce livre n’a donc aucune excuse. Si nous avons le titre et le métier de sociologue, ceci n’en est pas un traité; nous avons préféré cuisiner une étrange mixture : un peu de fiction (le retour de Marx vivant), des observations sur la vie politique faites sur 20 ou 30 ans, pimentées d’un peu de bon sens qui est la chose, dit-on, la mieux partagée, quoique ce ne soit pas évident de nos jours. Qui sommes-nous pour demander une place dans  l’espace éditorial ? Nous sommes des praticiens de l’enquête. Nous avons des idées politiques, comme tout un chacun, mais pas de finalités politiques déterminées a priori. Nos idées viennent des réflexions, lectures et de nos expériences. Et non exclusivement de nos diplômes ou de quelconques compétences « scientifiques ». Notre avantage, par rapport aux « professeurs », découle de notre pratique, la seule légitime, la moins contestable. L’épreuve des idées soumises au jugement des militants et des électeurs est notre critère du « réalisme » et celui de la pertinence ajustée à une phase historique. Les candidatures à des élections nationales, gagnées ou perdues, les mandats d’élus, les responsabilités d’organisation ne se confondent pas avec la marche aux premiers rangs des défilés ou la présence aux « manifs » rituelles. Nos convictions furent donc forgées dans des actions, dans des élections de villes ouvrières. Les convictions théoriques doivent être avalisées par une majorité d’électeurs sinon elles ne sont pas dignes d’être présentées hormis dans des préfaces engagées ou des actes sectaires. Le jugement électoral, nous n’en faisons pas toutefois un dogme, surtout pas dans les formes actuellement en vigueur du suffrage mis en scène. Notre expérience est donc la seule chose à faire valoir et elle remplace notre impuissance à spéculer hors des réalités

     

     

    [1.

     

    Les  émigrants noyés : Premier Mai =les records sont faits pour être battus

    Depuis le 1er janvier 1232 noyés en mer

    Record d’indifférence et de mépris pour ces Non Européens

    Nous tiendrons ici scrupuleusement  et régulièrement  le compte des noyés

    Pertes et profits  pour les peuples chrétiens

     Bonne soirée!


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  • Retour de Calais

    Compte-rendu pour les amis

     

     Présent à Calais du lundi 25-3 au Vendredi premier avril

     

     

     

    1 Le camp

    2 Les discussions, le travail des associations

    3 L’analyse de la situation : les 3 émigrations, les trois origines  géographiques  

     4 Questions  pour l’avenir. Alternative à la soumission étatique  et à l’anarchie

    sensations  Première vision,  cocasse ; pour aller à la « jungle » je suis le défilé des migrants qui retournent de la ville par petits paquets ( de 3 ou 4). Ils se suivent les uns derrière les autres. On ne peut pas « manquer le train » même si comme moi on situe mal le camp sur le plan. Donc leur emboîter le pas en parfait anonyme. Un groupe de deux Syriens et deux Soudanais  finalement m’associe à leur marche. On parle avec les mains et un sabir arabo-anglais. Première évidence : ils fuient la guerre (toutes les guerres de leurs pays ). N’ont pas envie de mourir et se battre pour une quelconque idéologie.  Je leur parais crédible car ils se confient, je crois sincèrement.  Je les retrouverai un autre jour dans le camp, me sourient, m’appellent  le « teacher » ( car j’ai en bandoulière ma serviette de prof avec papiers, carnet de notes, plan) ; et que j’ai  voulu initialement  entrer en contact avec « l’école »  du camp  . Il me semble que ce surnom me restera les autres jours où je serai connu comme le prof. Tout ça,  dans la bonne humeur et les souvenirs : le Messie de Haendel a été joué là, à Noël

     

                La  deuxième vision est par contre effrayante, une fois la route nationale quittée,  les deux fourgons de CRS  à l’entrée, passés, vue cauchemardesque : un terrain de 4 ou 5 hectares  labourés comme un bombardement ; plus l’action incessante des  Bulldozers , pelleteuses et camions  qui nettoient les  cinq cents « habitations » avant  l’expulsion de la Zone nord ;  serrement de cœur quand, dans les débris, on voit des poupées d‘enfants, un ballon de foot , des habits broyés ou salis, outre un peu de matériel de cuisine traînés  là  qui demeure après l’évacuation. Je  m’approche de la seule cabane : les écoles (deux minuscules « salles »)  où un cours d’anglais  se déroule.  Les panneaux d’indications et les programmes tous en anglais. Je crois voir sur un tableau  une proposition de cours d’art ! La bibliothèque qui devait être garnie avec rangées de livres  brinquebalantes,  sans toit étanche,  maintenant est livrée au mauvais temps([1]).  Pensée pour Victor Hugo dont on lit la célèbre  sentence esquissée au pinceau « Une école qu’on ouvre, c’est une prison qui se ferme » !  Bref, un déluge d’impressions contradictoires. Dans la partie sud du camp qui résiste, le conglomérat de baraques dites « jungle »  me rappelle étrangement ce que les colons appelaient en Algérie, les villages nègres, c’est à dire  les bidonvilles, gourbis des quartiers indigènes à la sortie de la ville européenne.  Ou encore les villages de regroupement en  préfabriqué pour les expulsés des douars. Comme dans des bidonvilles, d’abord : le sentiment absolu de sécurité !! Rien de menaçant, aucun regard méfiant, en dessous,  aucune  interpellation menaçante,  aucune entrave à mes mouvements. Me sens plus en sécurité que dans les  rues de Marseille ou de Grenoble ([2]) Anarchie des « constructions » de fortune avec des rues au sol  boueux, quoique « propre » ;  sauf les ruisseaux recèlent des détritus. Pas d’odeur  nauséabonde non plus : (toilettes sèches). Immensité et  pauvreté des lieux,  la taille  du camp, même réduite de moitié,  correspond à un ghetto  de 6000  hab. Seuls subsistent quelques commerces et  « bistrots », façon squats, c’est à dire bricolés à partir de « rien ».  Sous les tentes ou les baraques, on aperçoit  un réchaud, une caisse comme    table avec des verres, Les rejets de notre société  servent là, ad minima, transformés par de gens inventifs. Peu de bruit : pas de musique arabe ou noire, pas de  haut parleur  (au café,   en sourdine,  table bancale,  minuscule espace). Population  beaucoup plus jeune que je ne le pensais ;  impression d’une majorité des moins de 25 ans ; ils ne mendient pas, ne se plaignent pas. Le camp est leur famille : ils se visitent,  silencieux   de baraque à l’autre, sans trop se mélanger (trop de nationalités différentes ?).Ils vivent en petits groupes  par affinités et non entièrement par nationalité. Ethniquement, on devine trois émigrations : le Moyen –Orient, l’Asie ( Pakistan, Afghanistan, Caucase, et en partie Inde) , la corne de l’Afrique avec ses Egyptiens et ses Noirs.  Pas d’uniformité, pas d’habits traditionnels sauf quelques Afghans ou Pakistanais.  Pas de femmes en vue ou d’enfants, mais une fois le camp vidé, les familles venaient d’être « dégroupées » et mises dans les abris-conteners (malgré leur  réticence d’être enfermés et envoyés de force vers leur pays).  Donc une impression  pas trop déprimante, vu la jeunesse et l’absence de désespoir.  Si on salue le premier,  ils saluent, si on sourit, ils sourient en retour, si on demande un renseignement ils s’arrêtent et tentent de comprendre et d’aider. Dénuement bien sûr  mais aucune fraction des habitants ne joue la victimisation.  Ce qui frappe  cependant est entre eux la double barrière de la langue, et au-delà du mur invisible du ghetto, une aisance urbaine à circuler dans   la ville à coté (4 ou 5 Kms).  Ils la fréquentent peu,  sauf les grandes surfaces  discount. Ils  reviennent rapidement comme si le camp était la sécurité, la  matrice contre les aléas de la police. Quand  ils marchent hors du camp,  c’est  d’un pas rapide et  ne traînent pas ; quand ils parlent c’est vite aussi.  En ville,  ils ne regardent pas les vitrines de luxe  ou les commerces de mode. Ils vont visiter d’autres  compatriotes, ailleurs et paraissent toujours occupés : pas d’oisifs, bien qu’il n’y ait  probablement  peu à faire.  Pas d’attente inactive, le mouvement est l’animation incessante. Dans quels buts ?  Améliorer  l’ordinaire, trouver de menus biens en vue de son confort,  et des choses à cuisiner.  Personne  ne  dévisage l’étranger  de passage. Ils font la queue aux lieux de distribution par les volontaires,  genre « soupes populaires », qu’ils avalent vite debout.  Ambiance d’occupations sans finalité visible mais  des taches inconnues  se pratiquent. Aucun symbole,  ni nom de rue ou de direction. Tous ont l’air de s’y retrouver et chaque quartier parait avoir ses « nationaux ».  Impression d’une communauté  parmi un chaos matériel ; un maëlstrom de mouvements, une circulation incessante, bref une marche en rond 

    En dialoguant  en un sabir ou avec les rares francophones,  on apprend ou on  devine : ils veulent tous  partir en Angleterre et apparaissent sûrs d’y arriver. Donc ils  sont patients  et  déterminés. En contact téléphonique et mails avec l’Outre-Manche et avec leur familles restées au pays. Beaucoup sont des urbains, bien scolarisés, cultivés qui ont voyagé.  Si on  parle  arabe, on apprend qu’ils furent étudiants, informaticiens, agents publics, cadres d’industrie, comptables et instructeurs. L’émigration, là, serait culturelle et antireligieuse,  fuite  face au traditionalisme  de leur société, fuite devant le patriarcat et  l’anti-développement  des régimes féodaux.

    Une seule aversion  leur est commune : l’antimilitarisme ; ils détestent toutes les armées, toutes les limites de mouvement, y compris les ex-talibans, les Irakiens ou ceux venus d’Asie centrale,  après 20  ans de  combats.  Ils furent souvent enrôlés de force, battus et maltraités,  veulent échapper à tous les conflits armés. Ne veulent combattre pour aucun parti, ni clan religieux. Quelques-uns  sont des déserteurs de chez Assad ou Daesch, ont parfois été prisonniers d’un camp ou de l’autre, et cherchent à s’éloigner de cet enfer à brutalité égale.  Ils ont des ordinateurs et des portables qu’ils manipulent, assis à terre, avec un courant  alimenté  de générateurs.  Conditions spartiates dont ils ne se plaignent pas, conscients de leur chance d’avoir mis des milliers de Kms entre eux et le « front ». Ne veulent pas être pris en photos, de peur de représailles contre leurs parents. 

    Mes impressions  sont rapides  et subjectives ; donc à vérifier avant de conclure. Mais  ces rencontres, ce voyage à Calais, sont à faire à tout prix ! Sans risques mais instructives. Je ne le regrette pas  car j’ai appris en 4 jours plus qu’en 4 ans de reportages de médias

     

      II  la longue marche des associations de bénévoles et des collectifs militants. Début d’un mouvement de fond qui fera de ces bénévoles dans 10 ans, des   pionniers,   des soldats de la paix de  cette Europe-contacts qui naît ici ,voire  du futur pays: « l’Eurasie ». La sensation qu’un monde nouveau se créé là, qu’une ère  de relations avec le tiers ou le quart-monde émerge là est très forte.  En tout cas, c’est cette conviction qui m’a conduit  à mon âge à  faire des observations sur cette entreprise, hors du commun et totalement imprévue

    La foule des « assos », les volontaires locaux nombreux, un forum  de toutes sortes d’ ONG  ou petits groupes  internationaux se concentrent  sur  une étroite bordure littorale.  Des militants, partout dans le camp, avec  la même obsession ; secourir dans l’urgence. Une  intense activité, mais sans énervement et à chacune, un secteur  d’action. Souvent regroupées en plateformes, auberges, elles offrent soins, ressources alimentaires ; ces associations au fort dynamisme et sens d’inventif ont improvisé une aide en quelques mois grâce à une organisation spontanée ! Il semble régner  une égalité (entre responsables et la base ?) : est-ce le résultat de  la   jeunesse des « engagés » ? Où à l'automatisme de l’internationalisme coopératif ? (Nombreux pays représentés :40 nationalités de  volontaires  se côtoient là  depuis 5 ans). Donc d’innombrables collectifs, informels ou pas, des grandes ONG  et des inorganisés de la région,  collaborent, indistinctement,  dans une lutte anonyme, sans sigles, sans signes d’appartenance, sans moyens, sans gratifications ; avec une seule visée : être utile et  nourrir 6000 personnes tous les jours. Le sentiment d’estime et de gratitude envers tous  ces  gens dévoués, devrait être entier de la part du reste de la population  française. Une fraction de  nos compatriotes a cependant la certitude inverse. Quand je feuillette le bulletin municipal de Mme Bouchart,  la maire de Calais : deux articles  me frappent,    deux problèmes  ramenés  à une seule solution : « Eradiquez les goélands ( ils saliraient,   crevant les sacs poubelles ; déjections sur les toits ) et  éloignez les migrants. Dans un cas elle préconise la stérilisation....  des nids et  veut chasser les migrants hors de notre vue,  au  titre du projet en cours : faire de Calais, la Saint Tropez  du Nord !

    En parlant en ville avec taxis, commerçants, employés de service, on  devine que cette politique discriminatoire  gêne  bien des administrés. On ne sent vraiment pas d’hostilité forte, en tout cas aucun racisme « petit blanc ».  Les notables « excédés »  sont  néanmoins ceux qui font les  meilleures affaires (hôtels pleins, commerce apparemment pas atteint : des bénévoles étrangers, des touristes  consomment et améliorent les profits hôteliers). Ils profitent  de ça pour que l’Etat déclare la zone sinistrée,  « en catastrophe naturelle ». Le business as usual ?

     

     Dans le centre ville, peu de migrants visibles ou alors très discrets, ils passent vite de peur de la...fourrière ! Les Anglais viennent nombreux pour la journée : hôtels à eux,  une brasserie, un pub irlandais... Ce mélange est très curieux et se vit dans la bonne humeur. Impression que la solidarité internationale  a trouvé là un terrain  d’élection, un lieu de rencontre et de discussion permanente. J’ai visité un « gare » de triage de la récupération des matériaux de construction, de vêtements usagés, de nourriture, un entrepôt, non loin du port,  où s’entassent de montagnes de produits à  distribuer. Chaussures bienvenues, habits chauds recherchés.  .Les policiers   déplacent parfois des groupes de migrants qu’ils  abandonnent loin dans la nature ....et  prennent leurs chaussures pour les immobiliser.  Exclusions dérisoires car ils reviennent toujours 

    En conséquence, ce ramassage au sein de  l’Europe  procure habits, couvertures, sacs de couchage,  tentes,  outils de construction d’abris,  bois de chauffage (débiter les palettes abandonnées au port) . Intense activité autour de ces tas en vrac. Une centaine de bénévoles se relaient, l’air heureux  malgré  la rusticité  du lieu et  chacun fait sa tache sans disputes et apparemment, sans  discussions : une ruche ou mieux une fourmilière où chacun sait parfaitement ce qu’il doit faire et le réalise sans s’arrêter, sans bavarder, sans gêner les divers déménagements.  Des équipes d’Anglaises (à première vue : jeunes filles de 20  à 30 ans, motivées, concentrées) vivent sur l’entrepôt  dans des petites baraques ou caravanes installées là. Propreté malgré la vétusté.  Au sein de ce chaos, on pressent  une logique de fraternité, et  de liberté par l’action. Un ordre de l’efficacité règne sous le désordre.  Impressionnante conviction qui se dégage du fait de l’énergie de la jeunesse inébranlable (recommencer toujours et toujours ce que notre administration et  police démolissent). Les Anglais viennent, me dit-on, par roulement de 15 jours en aide intensive. Partout, on entend plus d’anglais que de français ou d’arabe (manque des traducteurs malgré des bénévoles africains). Une authentique Internationale en faveur des damnés de la terre de Calais!

    Qu’il n’y ait pas beaucoup de  nos compatriotes, hors les  volontaires de la région, est regrettable. On ne voit pas d’étudiants,  militants de nos universités. Pourtant observer ce  cas d’école de concentration  de bonne volonté  et de collaboration extranationale serait unique. On rencontre de nombreux jeunes journalistes free-lance, photographes, cinéastes ; quelques thésards étrangers  recueillant des documents. Une mémoire à construire ? Je le souhaite comme de trouver le futur mémorialiste de cette épopée qui  symbolisera longtemps, un moment de l’histoire de l’Europe et de l’Asie-Afrique

    Insolites, des convois de camions viennent de l’Europe entière et débarquent leurs marchandises . Une  fois  les Belges arrivèrent avec 40 véhicules  emplis de tous les résidus  de la société de consommation (incongruité des contenus: parfois des sous vêtements  féminins ou de luxe !)   Bien sûr  geste maladroit et involontairement « provocateur » pour des  hommes depuis longtemps  coupés des femmes. Au passage : comment fait-on pour qu’une cohorte   de 5000 jeunes gens  se contrôlent,  soient en tous points respectueux de l’autre sexe, ne le  dévisage pas, ni ne pratique invites, ou  allusions douteuses ; bien entendu  des maffias, (Russes ? très présents en ville de Calais à l’affût d’affaires)  ont  installé un bordel de « campagne »,

    On présumera que la  retenue de la part de milliers de jeunes gens coupés de relations féminines, n’est pas uniquement   due à l’appréhension  de l’expulsion mais, je pense,  plutôt à leur culture familiale, une relation  moderne  entre jeunes des deux sexes : On  signale quelques  viols aussi.. par des CRS !). Quand on  sait  la violence sexuelle exercée par nos soldats  durant les guerres coloniales  –où celle, actuelles, des soldats  des forces d’interposition ONU, au Mali, République centrafricaine ,on ne peut   qu’apprécier la différence de mentalité et  une distinction  native,  entre une soi disant civilisation et  la barbarie,  différences qui ne sont pas là où on les croit

    J’ai assisté à 2 réunions de collectifs d’aide  à Calais- même. Là aussi une bonne surprise : pas de rite ni de bavardage creux,   pas de hiérarchie avérée ;  pas d’autoritarisme de leader, pas de contrainte sur sujets et temps de parole. Sur  la trentaine de  militants observés :   jeunesse manifeste ; tous  moins de 30 ans plus  trois ou 4 sexagénaires.  Mélange sans problème et sans  imposition  d’ordre d’intervention ou d’un droit de parole d’aînesse. Tous les participants semblent respecter un temps équivalent à celui des autres. Personne ne monopolise un avis. Là, donc changement total par rapport aux discussion militantes.  Peu de conflits de personnes ; peu de polémiques entre associations : il faut être direct, rapide, efficace dans la prise de décision et  la réalisation des taches

    Cette nouvelle démocratie  de base a-t-elle  demandé un  gros effort, est-elle une contrainte de la situation ?les ego politiques semblent disparus dans une logique d’urgence d’action. Pour celui qui a vécu l’inverse, dans les années antérieures, des mouvements activistes,  c’est un événement à réfléchir D’autant plus surprenant que les origines  et les caractéristiques de la dizaine d’associations présentes  sont variées, incluant des divergences probablement, mais elles n’entravent pas le collectif . Pas de complaisance  à soi, pas de valorisation de son propre groupe. Les sujets évoqués sont la diffusion des informations données par chaque  association ou collectif pour son secteur  au sujet  de l’état de santé  (par exemple les grévistes de la faim); les répliques à l’Etat et à la police ;  les réactions en cours par les personnels et autres actions en  cours justice saisie des instances internationales, un recensement de la population. Je résume excessivement 2 h. 30 de discussions.  Pour  celui qui   abhorre la volonté  ordinaire de se mettre en avant,  la sélection (dureté des actes à mener,  conditions de travail précaires)  engendre des acteurs réalistes et  dynamiques  pour qui l’engagement semble aller de soi.  On ne parle pas des difficultés ordinairesà   se faire entendre de  l’extérieur.   Tous Volontaires  sans complainte, une volonté de se battre contre l’apathie générale malgré l’indifférence des partis locaux et  la pression des groupes fascisants

     Les interventions portent sur la stratégie  à court terme. Les discussions sont basiques et réalistes : résoudrent des cas particuliers ; familles dispersées par la police qui dispatche et ou sépare parents et enfants. Parmi les militants  (en majorité de femmes), plusieurs nationalités,  notamment d’ avocats et personnels de santé  (je n’ai pas vu d’enseignants) se battent sur ce front depuis 3 ou 4 ans (ils étaient là  pour Sangate)

    Quelques  points de l’ordre du jour : les recours, plaintes déposées,  enquêtes pour étayer un dossier,  affectations par la préfecture des abris et destinations,  évacuation des squats  ou assignement et  l’attribution  du  papier (demande d’asile) «  le fameux papier » qui donne le minimum d’existence  face à l’expulsion ou aux  menaces policières ( chez les CRS on   devine deux extrêmes :  tolérance et même bienveillance dans les contrôles ou bien animosité  et violences gratuites : un coup de matraque sur la tête sans raison , en passant)

     

     

     

     

     3 Part du compte–rendu adressé : « Aux camarades » ( et à la mémoire de l’un d’eux, récemment disparu à 38 ans : Max Brichet)

     

     

    Les attentes  à l’égard de la démocratie et de la république ressenties au cours de mes discussions avec des militants de Calais, devenus vite des amis (qui m’ont facilité l’accès) s’appuient, -je le dis avec tout le respect à l’égard  de leur action-, plus que je ne le pensais, sur des  schémas où le rôle de l’Etat reste prédominant.  Ils sont  étonnamment à la fois très critiques et légalistes. Les recherches de solutions qu’ils poursuivent avec acharnement  passent  toutes par la justice civile, administrative ou internationale (faire condamner par la Cour Européenne de justice ; l’appel aux Droits de l’Homme) ,bref mobiliser la conscience des élus et des électeurs,  s’appuyer  tout en les critiquant sur les organes locaux du pouvoir. Et ceci est bien naturel .Premier adversaire : l’Etat, dont l’absence de volonté de solutions humaines  aux migrations est manifeste, mais aussi qui représente contradictoirement, le seul et unique remède (à part l’action citoyenne) . Pas d’autre  « sortie » sinon la violence  pour la violence. Car en face de la force publique et de la loi,  il n’y a rien,  sinon la violence en réponse; les anarchistes au coup par coup ;; l’extrême -gauche agitatrice qui tentent  d’opposer une réponse constructive de féderations d'associations; celle de la république indigne et inhumaine. Entre ces deux  extrêmes :pas d’alternative. Apparemment on ne pourrait sortir du piège actuel  du  manichéisme. Selon l’opinion, si on abandonne le  « modèle » du régime démocratique dominant, même  pourrissant, on tombe dans le nihilisme ou  l’opposition stérile et systématique

    Or, il existe des issues qui nous paraissent, à nous, naturelles.  De vrais exemples et de vraies expériences sur deux siècles  manifestent le contraire du fixisme et de l’immobilisme. Et quand nous leur en faisons part,  ils sont surpris. Les  idées que nous avons abandonnées, nous, il y a longtemps, à base de clichés, de tutelle de la pensée dominante, de catégories de raisonnement devenues obsolètes,  sont-elles trop lourdes à soulever? Entre le système Gauche/Droite qui a pu être un moyen de classement et d’analyse  et qui ne l’est plus depuis 20 ans  (ou même avant) que faire ?  Nous savons  qu’il y a  d’autres voies. Si on n’accepte pas la république et la démocratie actuellement en vigueur, on tomberait dans le chaos ! Non !il suffit d’inventer, de montrer un peu d’imagination historique ; la pauvreté des idées et le conformisme de débat est déprimante. Tous les volontaires, engagés avec qui j’ai discuté, n’imaginent pas  des solutions moyennes. Ils tombent des nues quand je leur dis que nous, notre groupe (c’est-à-dire rien ; personne ; c’est vrai)  avons pensé à la transition vers une autre République très différente, mieux adaptée  au temps, meilleure en résultats que celle qui s’effondre (qui n’a jamais  été convaincante, ex : les épisodes coloniaux)  et qu‘une  démocratie enrichie peu  dépasser celle que nos aïeux ont inventée.

    Quand j’évoque les moyens techniques juridiques dont, nous, nous parlons tous les jours et qui nous semblent évidents,ils restent attentifs mais incrédules comme si les jeux était fait depuis 2 siècles, les normes intouchables, les codes, sacrés puisqu’ ils viendraient de « 89 » ! Gauche / Droite même combat : les « gaudro » comme on dit entre nous, confusion des valeurs et des partis. C’est  simple, pour nous qui avons pensé le combat G/D comme illusoire depuis la guerre d’Algérie et qui avons esquissé des solutions autres

    C’est ce fossé de croyances possibles, le réalisme ordinaire, qui nous sépare des meilleurs militants de Calais  ou d’ailleurs, et qui me fait vous dire que nous avons du pain sur la planche, camarades, pour justifier les solutions  banales, pour nous, démocrates et républicains, mais d’une autre sorte. Alors Calais m’a fait sentir que nous devions combler le fossé,  et redoubler d’efforts  de diffusion de ce qui est pour nous si manifeste ; les  bénévoles qui  oeuvrent et qui sont la régénération au nom de la libération de migrants  devraient être pour nous, le premier public. Les migrants n’échapperont au destin funeste que si la conscience politique française est « révolutionnée ». Mais notre aveuglement ne date pas d’hier, il est historique ; le gaspillage de notre enseignement est ahurissant, idem la pauvreté de notre recherche universitaire.  

    Aux armes, amis,  stylos,  blogs,  exposés  publics : le boulot nous attend et commence  sur ce bord de France !  

    La République  actuelle est fausse bonne idée, la démocratie est fictive  dans les faits et dans les réalisations : il nous faut de la patience, de la pédagogie  et accepter le refus de institutions installées, l’académisme, le journalisme que nous vivons tous les jours,  en lanceur d’alertes   de la médiocrité intellectuelle. Vous savez le sort fait à nos conceptions sur la vie et la fin  des républiques qui ne fait pas débat. Vous le savez, camarades : ce chemin  clandestin sur le web évoqué souvent  entre nous, et le livre quasi collectif ([3] ) qui  en est issu raconte les cas vécus  de républiques fortes ou faibles, vivantes ou en  morts  cérébrales. Toutes les innovations ayant vu le jour doivent être connues. Je rappelle quelques inventions de nos ancêtres de toutes nationalités ;  représentation élective ou tirage au sort sélectif, choix locaux ou nationaux, contrôle des élus par des jurys populaires ? Des quotas de certaines professions ou certains secteurs parmi les élus ?  Droit de vote  ou droit à l’accès au scrutin il faut choisir ! Beaucoup de choses ont été tentées et ont  réussi ailleurs dans l’histoire républicaine.  Nous, on reste bloqué sur notre Révolution de 89.  Le suffrage universel doit être revu  afin que la fausse égalité « un Homme, une voix »  soit atténuée car formelle  ainsi que l’éligibilité à base de la fortune et des dépenses personnelles à   salarier des agents de propagande. Que soient  réhabilités le vote de groupes en collectifs acteurs, et la gratuité de candidature soutenues par des régions ou  des professions

    La limitation des droits de la propriété, notamment  celle économique cruciale imposerait  un  non droit à l’héritage au-delà de 2 générations ; les portefeuilles d’actions et les  fonds  hérités seraient plafonnés. Surveillance des propriétés associatives extensives, la propriété privée, elle même,    ne peut être sans limites ; celle d’entreprise doit être surveillée (corps d’avocats publics à ce service) ;  les directions  ne seraient pas de droit divin mais renouvelables par tirage au sort ou issues  d’horizons variés ;  les groupes de taille mondiale doivent être surveillés et particulièrement la propriété des grands médias et des éditions. Ils nous dictent ce qu’il faut penser aujourd’hui, ce que nous devons croire, comme seules solutions. Notre manque d’imagination créatrice est  funeste et nous renvoie aux vieilles lunes dont se servent de piètres  opportunistes  dans nos organes de pouvoir

     Des anthropologues (Jack Goody le plus connu),  de nombreux historiens ont étudié les diverses républiques dans le temps et par le monde.  Elles ont connu des expériences incomparables et des solutions ingénieuses, riches, aux contradictions parfois fécondes. Nous n’en savons rien puisqu’on ne les étudie jamais en série.  Notre ignorance rétrospective est insondable et personne au sommet ne nous aide, ni n’incite, puisque le mot d’ordre de tout pouvoir est le pouvoir en soi.  La complexité des cas démocratiques  inventés depuis l’Antiquité mérite une réflexion comparative. La diversité des situations mondiales doit faire sortir l’Europe de son enclos frileux

    Par exemple :

    Le mode de gestion des élus devra être contrôlé par les électeurs : refus de mandats successifs ;  mélange  obligatoire des professions à L’Assemblée  Nationales où seules  une quinzaine de professions sont surreprésentées .Chercher des équilibres dans le mélange  des expériences professionnelles vécues par les députés et mélange des compétences des élus. Mille solutions et mille suggestions ont été analysées dans le passé et expérimentées Mais les juristes se taisent et c’est les moins bien placés d’entre eux qui parlent. Donc refuser la professionnalisation des politiciens, à vie. Renouveler  les écoles de formation à la politique et  interdire l’autosélection des élites qui gouvernent depuis 50 ans en puisant dans le même vivier de scolarisation « diplômé ès études politiques » ; de là la sclérose des vedettes en politique  ,leur étroitesse d’esprit  et leur absence de sens pratique

     De nombreuses autres solutions ont été trouvées dans la longue histoire des Républiques -notamment sur le mode de scrutin (ni majoritaire, ni proportionnel par quotas de grands secteurs économiques nationaux). Le mode de représentation : abandon du « Un homme-une voix », au profit des choix de votes multiples, pour des individus en charge de la Nation  (actifs/ jeunes parents)

    -Sur les modalités de vote : rapprocher les  urnes et les bureaux, des cités et des quartiers, les étaler sur plusieurs jours pour intéresser la population qui est actuellement exclue (lourdeur des procédures et  immobilisation du lieu de vote). Votes de groupes ou d’associations qui auraient droit  de parole au mode d’élection; les urnes sur les lieux de vie  et les cités faciliteraient  un scrutin adapté au mode de vie. Tout ceci a été expérimenté  et a marché au profit de la mobilité et de l’ouverture. Depuis 50 ans aucune idée nouvelle des constitutionnalistes, hors de  leur petit terrain,  n’a vu le jour.  La culture historique s’est étiolée

    -Un corps de comptables itinérants comme ceux de la Cour des comptes assurerait la  surveillance de la grande corruption et la peine capitale pour les récidivistes.   Renouvellement obligatoire des assemblées élues par interdiction de deux mandats (la Constituante l’avait fait en 1791,  sinon autosatisfaction permanente des élus)

    Notre sens critique est émoussé, les initiatives sont étouffées. Nous avons perdu toute imagination. Cependant l’étendue de l’expertise des  diverses républiques, bien sûr toutes mortelles, permettra la réflexion sur forces et moyens, sur progressisme et conservatisme,  succès et échecs.

    Un répertoire de création  d’idées neuves  en  amélioration démocratique  sera ouvert.

    A vos tribunes !!

    Et  Merci à Calais  si ce fut le point de départ du renouvellement

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    [1] Pancarte qui survit dans les ruines « Ecole laïque des dunes ». Quelques graffitis  sur ce qui reste de l’ « église » (genre étable de Bethlehem) : « La France se prostitue  sur les trottoirs des dictatures du monde »

    [2] Anecdote cocasse :  avant le départ j’ai fait l’expérience de la menace; allant à la gare avec ma valise, sur le trottoir d’une avenue passante, je me suis porté sans le temps de réfléchir au secours d’une  conductrice qui, se garant, ouvre sa fenêtre et se voir dérobée  par un homme, de sa bourse, le sac et le portable sur le siège. Elle les agrippe, l’homme tire par la vitre et secoue; je suis à pied, et saisis entre les deux,  la lanière tirée par  chacun : je demande poliment  au voleur de « laisser la dame tranquille ». Je reçois un coup de pied au ventre, genre boxe  libre ou karaté, et  suis cul à terre. L’homme qui arrache,  part en courant ;  une leçon : Moi ?  Vouloir porter secours à une femme ?   Pas deux fois !

    [3]  Cf.Nos publications, ou celles introuvables telle ; « La mort des républiques »  : site Mondialisation et Histoire (Peneff et al.)


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