• Clément Ader

     

    ADER: créateur  d’avions et autres machines

     

    Deux savants à cent ans de distance : Ader physicien expérimental et Lévy-Leblond, physicien théorique– éditeur  scientifique 

     

     

    : « Français qu’avez-vous fait d’Ader l’aérien ?

          Il lui restait un mot, il n’en reste plus rien »

     

    Premier vers de « L’avion » de Guillaume Apollinaire (cité à la dernière page)  

     

    Présentation

     

    Pourquoi avoir introduit Ader, un ancêtre de l’aviation, parmi les innovateurs ? Non pas en vue d’une réhabilitation : point n’est besoin. Mais pour comprendre dans quelles conditions, une autre époque fut si féconde, si attractive pour les inventeurs, et passionnante pour les usagers des sciences.

    Il a été un de nombreux pionniers qui ont participé à la naissance de la locomotion aérienne ou terrestre, du transport de masse (vélocipède, rail, automobile, avion). Ils firent, vers 1860, entrer la France dans l’ère industrielle. Et Ader est toujours d’actualité puisque le téléphone, le câble sous-marin, les véhicules auxquels il a fortement contribué sont devenus des éléments de notre vie quotidienne.  Pendant près de 40 ans, il fut un travailleur scientifique dans l’ombre ; c’est à dire que, s’il accepta d’être  un court moment  salarié  par une entreprise (les Chemins de fer) ou collaborateur ponctuellement rémunéré (la Société des téléphones),  il demeura indépendant et préserva son statut  au service  de la création. La liberté de pensée, d’imaginer et de tester ses hypothèses a été décisive pour lui ; ils ont été nombreux, les inventeurs qui exclurent la fonctionnarisation de leur condition, qui évitèrent l’entrée dans les institutions et préférèrent gérer  de petites entreprises  de recherches, libérées des contraintes étatiques. Cette mentalité, dans un monde structuré, compartimenté par l’administration surprendra peut-être.

    Ses études sur « comment voler » furent une passion d’enfant, puis devinrent un loisir de jeune homme avant de devenir à ses frais une activité dévorante à coté de métiers, il est vrai rémunérateurs, « alimentaires » dirions-nous. A l’âge de 45 ans- et depuis peu marié et père- il signa un contrat avec l’armée pour faire aboutir son projet d’« appareil de locomotion aérienne », idée pour ainsi dire insolite par rapport au ballon qui avait alors plus de cent ans d’âge et d’expérience. De perfectionnements en perfectionnements, l’avion est devenu, pour nous, en 2010, un moyen si banal que l’on ne s’interroge plus sur son histoire compliquée.

     Ader, avant d’être « aviateur », a été « conseiller-expert » et créateur d’entreprises dans des domaines divers puisqu’ ingénieur, il maîtrisait les sciences physiques. A 45 ans il avait déposé 70 brevets (ou additions) et plus d’une centaine vingt ans tard. « Notre ingénieur –conseil M, Ader dont le nom fait autorité en électricité et en mécanique a combiné et construit un moteur très intéressant » écrit une grande entreprise d’automobile. Comment cette pluriactivité était-elle possible ? Il fallut que la société dans ses profondeurs croie à quelque chose qui soit les technologies avancées et qu’elle orientat les meilleurs de ses jeunes gens vers les sciences appliquées. Les inventeurs n’émergent que dans un milieu favorable. Point besoin alors de génies mais seulement des savants opiniâtres, doués en physique et mathématiques (mais de quelle nature et à quelle dose, ces deux disciplines doivent être combinées : la question reste toujours posée cent ans après).

     

    La diffusion d’une mentalité scientifique ne se décrète pas –comme on le croit aujourd’hui- et n’a guère de chances d’aboutir si dans notre société on idolâtre les « têtes pensantes » ainsi que le déclare une revue scientifique qui célèbre la ruée contemporaine vers l’intelligence !On assisterait - d’après les journalistes enthousiastes– à « la course des cerveaux » «  au débordement de l’ inventivité ».  Il est vrai que quelques têtes chenues, repues de gloire médiatique, déversent leurs convictions de directeurs de labos à succès. Or, la réalité est plus sévère : des millions d’élèves et d’étudiants (en nette baisse dans les spécialités scientifiques) sont manquants. Ce ne sont pas les labos de pointe du cognitif qu’il faut multiplier mais, si on suit Ader, les petits labos indépendants propices à la progression des techniques. Y avoir travaillé jeune est certainement un avantage. Ader a débuté ingénieur à 20 ans et il a donné l’exemple   de la précocité de carrière. A méditer si on veut réindustrialiser le pays et répandre à nouveau le goût de la recherche scientifique chez les jeunes. Il y a un siècle, la science était partout dans l’approche de la nature, dans le travail de la terre ou celui des minéraux, bref au contact de matériaux palpables. On ne sait plus aujourd’hui comment définir le « scientifique », sinon accepter tel quel l’une des formules concurrentes ?

     

    Puisqu’on ne sait pas faire « comme avant », il faut inventer un rapport à la nature. Chaque époque a la sienne. Alors que le père de Clément Ader (un artisan) qui, voyant son fils intéressé par la compréhension mécanique du vol lui disait : « fabrique, manipule, expérimente», l’autre, l’enfant de 14 ans, avec de la toile fine, de la colle, des membrures tendues avec des bouts de ficelle construisit son aile volante . Et le père du jeune Ader l’encourage pour qu’il puisse se jeter dans le vide avec son étrange attirail ; il achète un terrain de falaise à côté de Muret pour une essai audacieux qui réunit néanmoins les ingrédients de l’avion de demain. Darwin découpait à 10 ans ses grenouilles et collectionnait ses papillons, bref les choses qui entourent généralement un enfant. Aujourd’hui, à qui va-t-on dire : « bricolez, inventez, manipulez » ? Si on dit à un élève : « si tu veux toucher du doigt la science : alors démonte ton ordinateur, modifie-le ou perfectionne-le ! » : c’est stupide ! Les plumes et bouts de ficelle d’Ader, le cahier de botaniste en herbe de Darwin sont plus qu’inappropriés pour notre édification : ils sont anachroniques. La science actuelle est diffuse, si infiltrée dans le quotidien que personne ne sait l’isoler ; un enfant ne peut manipuler des objets de haute conception technologique et il n’a, il n’aura aucune idée d’où provient cet objet, la façon dont il a été conçu ou fonctionne.  On en fera plus tard un des jeunes doctrinaires de la science satisfaits des calculs fournis par des appareils de haute puissance. L’investissement d’hier fut l’extrême jeunesse de ses techniciens. Le rapprochement avec Lévy-Leblond que nous faisons (originaire de Montpellier), physicien quantique, s’impose puisque ce dernier fut aussi bachelier à 16 ans comme Ader et Normalien à 18 ans. Avantages ou inconvénients d’avoir été exposé intensivement et tôt à la science avancée au cours d’une carrière scientifique ? Chacun donne sa réponse  

     

     Actualité d’Ader

     

    Il y a  de nombreuses raisons de reparler d’ « Ader l’aérien », puisque viennent d’être publiées de nouvelles  biographies, celle de P. Lissarrague (éd Privat, 1990) et celle L. Ariès. Le centenaire de l’envol de l’Eole (1890) a donné lieu à « l’Année Ader », qui a vu un ensemble de débats, de colloques ou de conférences (à l’Académie des sciences ou à l’Université), d’exposition de ses engins, d’études spécialisées tombant fort à propos dans la discussion relative à une stratégie industrielle à reconquérir. Ces biographies nouvelles sont le fait de physiciens ou d’officiers de l’air bien qu’ils fussent peu accoutumés à l’écriture biographique. Ils se sont donc positionnés en rivaux des philosophes ou historiens des sciences. Ader offre le cas insolite d’être l’occasion d’une modalité biographique paradoxale puisqu’elle a été exclusivement exercée par le milieu scientifique lui-même. Ses trois principaux biographes d’ailleurs ont la particularité de situer leur récit spécialisé à partir des plans, notes et  expériences. Le premier des biographes est un ancien aviateur devenu un journaliste expert  (R. Cahisa). Le second P. Lissarrague est un ancien pilote de chasse de l’armée  devenu général : il a consacré 13 ans de sa vie à acquérir la connaissance fine des inventions d’Ader au Musée de l’Air, projetant de faire voler l’avion n°3 souhaitant in fine convaincre les détracteurs d’Ader. Le troisième, L. Ariès est un professeur de physique de l’Université de Toulouse qui s’est emparé d’Ader, l’imitateur d’oiseaux, le jeune concepteur qui s’élance dans le vide avec des ailes fabriquées par lui-même. Ariès eut aussi l’intention de rendre justice à la pratique expérimentale dans l’enseignement de la physique des matériaux, adressé aux étudiants attirés par les techniques et peu enclins à l’exclusivisme de l’abstrait hors de tout laboratoire. L’intérêt était de comprendre comment un   jeune ingénieur tel qu’Ader a pu résoudre des problèmes de la physique du moteur, de sa miniaturisation et soulever dans les airs une mécanique lourde. Réalisation originale quoiqu’elle ait eu de nombreux précurseurs conceptuels ou imaginatifs.  Sur Ader, les officiers de l’air, les pilotes, les physiciens ont donc pris-on le sent bien- le pas, techniquement parlant, sur les historiens de profession. Les auteurs de vies de savants, généralement littéraires, journalistes, romanciers sont relativement ignorants des domaines explorés. Au lieu de problématiques scientifiques ou techniques en tant que telles, les philosophes des sciences (discipline en pleine expansion) privilégient l’aspect épique, la psychologie, la vocation, le caractère, la personnalité. C’est pourquoi nombre de biographies sont des simplifications quoique qu’elles en respectent les faits essentiels. On s’en félicitera quand ce n’est pas au risque de la dramatisation excessive de la vie scientifique (les rivalités, les conflits, les aléas), réduisant les inventions à prétexte d’anecdotes savoureuses, plus qu’à de solides démonstrations mathématiques dont nous avons besoin

     

    Un autre physicien commenté en parallèle,  Lévy-Leblond[1], né cent ans après lui ( 1841 /1940) le cite  et on peut mesurer  le bond en avant des connaissances  ou apprécier la nature des inventions à un siècle d’écart. Un abîme qui donne le vertige mais les techniciens de l’époque ne se posaient pas les questions terminologiques ou ontologiques : invention ou innovation, trouvaille ou découverte, application pratique ou savoir fondamental sur lesquelles nous spéculons sans fin. Les précurseurs et les découvreurs d’alors, les bilans séculaires, ou le destin de leur recherche, ils les faisaient après, ils avançaient un peu en aveugle.

    Egalement Ader nous interpelle au sujet de la place des praticiens expérimentaux et de leurs relations avec les théoriciens, dans l’histoire des techniques.  Sont-ils un simple élément de décoration de la science se faisant, un comparse ou une référence élémentaire ? Les universitaires ne leur accordent pas une grande place dans l’arrière fond historique. On le regrettera, d’autant plus que les membres actuels de la « Big Science » n’assument plus le rôle d’éducateur, voire n’enseignent plus, consacrant leur temps à l’entretien de leur statut.

     

    Une part de l’actualité d’Ader réside par conséquent dans un possible renouvellement pédagogique. Peut-on instruire en physique sans un contact direct avec la nature ? Ou encore l’élément   bionique est-il totalement inadéquat aujourd’hui ? Le réalisme dans la nature ne se prête plus aux manipulations comparatives et   n’inspire plus que les calculs mathématiques sophistiqués. Faudrait-il aménager une formation des ingénieurs dans le sens d’une pédagogie plus concrète ? Probablement irréaliste ; quand il n’est plus possible de toucher du doigt la matière brute ; ni construire son propre laboratoire comme Ader physicien, électricien, mécanicien alors qu’en même temps il s’instruisait en autodidacte naturaliste à l’ornithologie.  En inventant une polyvalence de compétences, il évita le cloisonnement des savoirs. En cela, il prolonge les Lumières où les ingénieurs étaient en même temps artisans, artistes, philosophes, écrivains

     

     

    A  Enfance « scientifique » dans un milieu  pré-industriel

     

    Ader est né en 1841 à Muret en Haute Garonne, petite ville à 25 Kms au sud de Toulouse dans une famille d’artisans associée aux technologies modernes.  Son père est un maître-menuisier, charpentier à son compte. Des deux grands-pères, l’un fut soldat de la levée en masse de 1793, l’autre, des guerres napoléoniennes.  Le premier en reçut un brevet de civisme des autorités républicaines et l’autre acquit une opportunité de « visiter » l’Europe (pour finir sur les pontons de Plymouth, prisonnier des Anglais). En tant que soldats voyageurs, ils ont découvert l’industrie manufacturière de grande taille, celle qui existait à peine dans la région toulousaine (sauf peut-être au nord à Carmaux,    Decazeville).  S’introduisit ensuite un machinisme des moulins à lin, à céréales, de pastel, de fours à chaux qui se détourne peu à peu de l’énergie  hydraulique en faveur du moteur à vapeur. Le charbon arrive par la ligne de chemin de fer toute récente. Le paysage est fait de moulins, d’ industries minuscules, d’ateliers aux cheminées fumantes et de marchés ou  de cafés aux clients en ébullition commentant les  dernières tentatives de la technique. En 1850, ce Sud-Ouest traverse  sa première révolution industrielle ;  en effet l’énergie bon marché surgit. Auparavant l’animal de trait, le bois de combustion étaient les sources de la force motrice. Le charbon et donc le moteur à vapeur s’imposent au moment où la déforestation aurait pu ralentir le machinisme naissant. L’énergie fossile du nord de la région déverse grâce à leurs hauts fourneaux, leurs Kwatts [2].

     Progressiste et laïque depuis la Révolution, le milieu familial d’Ader  est peu christianisé, bien que non anticlérical . "Mon curé est un brave homme, dit-il, je n’ai pas sa croyance mais s‘il a besoin d’aide pour son église ... ".  Cette situation est courante dans le Sud-Ouest, ainsi qu’on l’a constaté puisqu’ à défaut de la grande bourgeoisie terrienne ou d’ancienne noblesse, l’ouverture d’un espace scolaire aux petits propriétaires entreprenants, aux enfants des classes productives encouragea leur accession aux affaires et éventuellement au pouvoir  municipal. La petite bourgeoisie progressiste forma des générations de radicaux et de socialistes. Carmaux, Castres pays de Jaurès ne sont  pas loin de Muret dont le  maire sera un ami de la famille Ader, le ministre des Finances du Front Populaire de Léon Blum et le futur premier président de la quatrième République, Vincent Auriol, dont la fille sera une des premières pilotes femmes sur avions à réaction. 

     

     L’imitation de la nature

     

    Cette partie de l’enfance d’Ader est bien connue car spectaculaire à souhait. L’anecdote s’y prête également par son aspect singulier. Par exemple quand, dans un terrain en pente, il teste ses planeurs, ses cerfs-volants, pour comprendre les appuis sur l’air et l’aérodynamisme en vue d’un envol. A 14 ans avec un accoutrement d’homme oiseau, il attend que le vent d’autan se lève pour se faire emporter dans les airs. Tout rappelle le rêve d’Icare mais contrairement à ce dernier qui se croyait aspiré, lui, supposait que l’homme devait s’appuyer sur la résistance de l’air en mouvement selon des coefficients de force à trouver ( qu’il mesurait avec des dynamomètres). Il pensait   que vaincre la gravité à l’aide d’un gaz léger (Hydrogène) était peu opérant. Il avait calculé à 20 ans la corrélation entre le poids des oiseaux et la surface de leurs ailes en fonction de leur forme (angle de sustentation). Pour cela il fit d’innombrables observations en plein air ou dans sa volière suivies de dissections d’ailes, d’études de squelettes. Une méthode de transposition à la mécanique de solutions créées par la nature : la « bionique » qu’il a largement anticipée. Il a donc fabriqué une aile ajustée à ses bras, proportionnée à son poids, selon une relation algébrique qui devait le faire décoller du haut d’une falaise, près de Muret, un champ acheté par son père à cette seule fin. Il s’aventure dans l’inconnu en s’élançant dans son étrange attirail d’homme oiseau. Le père   permissif tolère qu’il teste son matériel, défiant là tous les principes de précaution que notre société a depuis érigés en dogmes. Une famille supporte de telles fantaisies parce que le contexte est à la créativité industrielle[3]. Fabriquer des planeurs, manipuler des cerfs volants est le lot de nombreux enfants mais si, en plus, on envisage de se faire soulever par le vent, cela dénote une certaine audace ou pour le moins une confiance en ses calculs. Le siècle le voulait puisqu’ ouvert aux jeunes audacieux, aux bricoleurs astucieux.

    Ader se montre curieux du vol des oiseaux et en même temps est intéressé par le machinisme ambiant qui se diffuse largement. On l’imagine tourner autour des mécaniques des moulins de ses oncles et grands –pères discutant de leur fonctionnement. Il faut comprendre ce qu’est une société saisie de la frénésie de créer, d’entreprendre. La petite entreprise est à la base de l’économie. Les industries chimiques éclosent. Ces nouveaux entrepreneurs, venus de bas, ne sont pas écrasés par la révolution industrielle ni menacés par l’environnement d‘un prolétariat misérable.  La prolifération des petites industries rurales suscite une ambiance fiévreuse, imprégnant la société. Des ouvriers débrouillards se saisissent de ces opportunités de développement. Point besoin de capitaux importants mais du savoir faire et de la ténacité. Ader participe de cette effervescence, discute avec les patrons amis de son père et quand il ira à Castelnaudary plus tard, il se mettra en contact avec les entrepreneurs et les bons ouvriers de sa connaissance susceptibles de l’aider à résoudre la question du vol du plus lourd que l’air.

     

    Ecole  

    Sa scolarité est classique. Bon élève à l’école publique jusqu’à 11 ans, puis interne à Toulouse chez les « Pères » dans un collège recommandé par l’instituteur : le pensionnat Saint Joseph. Le grand lycée municipal, Pierre de Fermat, a été évité en raison, semble-t-il, du poids des Humanités, latin et grec.  Il sera bachelier ès sciences à 16 ans (on comptait alors trois mille bacheliers annuels en France environ). Sur les conseils de ses professeurs (l’enfant est doué pour les mathématiques et le dessin) on le met dans une « Ecole supérieure privée », laïque, la pension Assiot[4]. Assiot a eu des parents professeurs de physique à l’université de Toulouse et lui-même fut un universitaire de valeur. Mais il veut former des techniciens qualifiés, des ingénieurs praticiens hors de l’université tout en préparant ceux qui le souhaitent à Polytechnique ou à Centrale. Sorti à 20 ans de cette « grande Ecole », Ader, avec son diplôme d’ingénieur, au lieu d’aller à Paris tenter les hauts concours –il est à la charge de ses parents- préfère un emploi immédiat qu’il trouve aux Chemins de fer du Midi construisant les lignes nouvelles Toulouse- Bayonne  ou Narbonne- Sète. Comme il est un expérimental, il va mettre à l’épreuve son esprit intuitif et ingénieux au cours de ce premier emploi. Mais auparavant, attiré par le sport et le vélo, il va perfectionner cet   engin.  Entre le vélo et l’avion, Ader manifestera, à de multiples autres occasions, son goût de l’invention ou plutôt de l’innovation. J’ai évoqué ce genre d’enfances libres et heureuses, vécues par des garçons du Sud Ouest qui associèrent, intérêt pour les études, attirance pour le sport et amour de la nature[5].

     

    B Le  premier succès  d’inventeur : Le vélo

     

     

    Jeune sportif et chercheur expérimental, sa carrière d’inventeur commence donc à 20 ans. Pratiquant des courses de vélocipède, il s’impose en bon coureur régional et réfléchit à l’amélioration de sa machine. Il attire l’attention puisqu’il a des résultats intéressants (quatrième de Toulouse-Villlefranche et retour). En esprit toujours intuitif et curieux, il « se fait la main »  au moyen de deux idées promises à un  avenir et se perpétuant jusqu’à nous. Il fabrique des roues, non de bois mais équipées des bandes caoutchoutées (le pneu plein est ainsi né) ; il use d’ un cadre avec des tubes creux et des axes de roues sur galets maintenues avec  des rayons de fil de fer et actionnés de pédales  au centre du cadre, les axes sur paliers simples.

     Comme toujours il simplifie un problème et entrevoit les progrès complexes intéressants à partir de là. Il fait fabriquer son spécimen par son ami le maréchal –ferrant.  Il   réalise des temps de course si surprenants qu’ils sont aussitôt mis en doute par les coureurs parisiens. Et le secrétaire du club de Toulouse est contraint de les confirmer à la presse nationale. Quand il gagne contre les champions régionaux, ceux-ci l’interrogent, l’imitent et lancent sa renommée de machiniste efficace. Réputation qui parvient jusqu’à New-York grâce à un gymnaste   qui s’était mis à la course de vélo et qui après l’avoir rencontré en course et battu de peu[6], lui fit de la publicité outre–Atlantique. Les Américains auront l’œil sur lui dorénavant.  Au grand prix de Lille, ce vélo bat tous les records et Léotard écrit à Ader : « Epatant Clément Ader !! Deux bandes de caoutchouc SVP, promptement, l’une pour une roue de 0,95 et l’autre pour une de 0,75».  Les jantes creuses et les rayons de fer, cela prête à sourire maintenant mais le pneu caoutchouté, sa première trouvaille, n’était pas une idée aussi simple que ça. Il fallait sortir du cercle provincial, élargir son expérience, connaître les producteurs en France de caoutchouc vulcanisé. Il fallait lire livres et publicités, s’informer de toute nouveauté industrielle. Cela n’est pas évident pour un petit rural. Dès lors son innovation équipera tous les cyclistes professionnels et lui assurera des rentrées financières intéressantes pour un jeune inventeur.

     Il est sans cesse en alerte où qu’il se trouve. Pionnier ? Artisan débrouillard ? Théoricien intelligent ? Tout ça ensemble mais cela ne suffit pas : il faut une position crédible ; ses diplômes la lui assurent. De plus il est sociable, bavard, et sympathise dans les milieux où il pénètre et où il se fera de nombreux amis (sport, industrie, aviation, photographie). Le milieu industriel est toujours favorable à une occasion de profit.  Le surprenant est qu’Ader se tienne à l’écart de la production ainsi que de la commercialisation de ses découvertes. Il se détourne de l’industrie pour se consacrer à la création. En tant que savant, il préfère justifier par la recherche le passage d’un état de connaissances à un autre. Cette tournure d’esprit était peut-être concevable vers le milieu du 19ème, parce que les éléments de la science physique étaient diffus et   presque familiers à de nombreux acteurs de l’artisanat ou l’industrie. Lissarrague dit qu’Ader se sent à l’aise dès le moment où les théories scientifiques sont à la portée d’un jeune ingénieur disposé à l’expérimentation permanente. C’est ce que va prouver la suite de sa carrière. Une fois l’invention réalisée, il dépose ses brevets (6 pour le vélo) et il passe à autre chose. Il ne fabrique pas, ne s’intéresse pas à la production en série ; d’autres s’en chargent et assurent sa promotion. Il aime construire des prototypes, inventer des formules « qui marchent » et cela devient, pour lui, un « métier » en soi. Se tenir informé (y compris en anglais), lire, voyager, discuter implique plus que le sens du bricolage, genre concours Lépine. Il eut très tôt des commanditaires qui mettent en place les premières relations juridiques stables entre l’inventeur de métier et les exploitants d’idées [7]

    Ader est un savant tourné vers la résolution de problèmes pratiques, sensibles pour la société. Entre hier et aujourd’hui, la culture ouvrière dont il est imprégné a complètement changé de sens : de glorieuse ou positive, l’ambiance technique dans laquelle la société baignait au début du siècle dernier se transforme en un état de fuite devant la production industrielle, en une éducation anti-manuelle, honteuse de la condition ouvrière.  A  la place des ateliers ouverts que fréquentait Ader et où on se livrait à  des milliers de petites expériences spontanées, accessibles et visibles aux enfants, on ne rencontre que des schèmes  conceptuels ou des systèmes abstraits,  hors des forces de compréhension d’un jeune, simplement curieux.

     

    C La deuxième carrière : le rail, la voiture à chenille,  

     

    Il rentre aux Chemins de fer du Midi, son premier emploi salarié ; et le seul de son existence et qui  se prolongera 5 ans. Le travail d’Ader, sur la ligne Orthez-Bayonne débute en 1862, à 21 ans. Il s’occupe des ouvrages (ponts ou tunnels) et de l’installation des voies.  Il est embauché comme ingénieur et à ce titre il est interpellé par la résolution de la pose rapide des rails.  Il a l’idée d’une machine à les relever et les installer.  Dès qu’il s’intègre dans un nouveau milieu, Ader se passionne pour une amélioration du travail et de son efficacité.  Ici l’industrie tire la science. Lissarrague qui a fouillé les archives de la SNCF régionale, conservées à Toulouse, peut décrire cette machine[8] :« Les rails sont fixés sur un lit de ballast, composé de cailloux ou de matériaux de petite taille dont le rôle est de laisser traverser aisément par les eaux de pluie. Le sol naturel est profilé de telle sorte que les eaux soient évacuées latéralement ; ainsi les traverses de bois ne séjournent pas dans l’eau stagnante. Le problème alors est de s’assurer que les rails posés sur un lit de cailloux filent bien droit ; de plus, dans les virages, le rail extérieur doit être surélevé pour faire pencher les wagons et limiter l’usure sous l’effet de la force centrifuge qui pousse les roues contre le coté du rail. ». Le travail manuel de plusieurs compagnons pour synchroniser les leviers glissés sous les rails tandis que d’autres jetaient du ballast sous les traverses était dangereux et pénible. L’appareil d’Ader se composait de deux crics mécaniques ; le rail était saisi par un crochet fixé à la partie montante du cric ; deux hommes suffisaient pour lever deux rails se faisant vis-à-vis. Il n’est pas prouvé que la machine ait été vraiment utilisée avant que Ader ne quitte l’entreprise car la construction de la voie se terminait. Construite avec l’aide d’un artisan, un maréchal ferrant, Ader qui l’avait brevetée, la proposait en location dans un tract commercial pour les diverses opérations de manutention des entrepreneurs de Forges et de Travaux Publics. En tout cas, il inaugure sa voie d’innovateur pragmatique quand il tire, de son expérience des voies ferrées, une conception originale de chemins de fer amovible, considérée depuis comme la figuration des chenilles, précurseur des chars. « Un train qui porte avec lui, sous forme d’une chaîne sans fin, les rails sur lesquels il roule ».  Il continue à déposer brevets ou additions partout où la science moderne débutante tend à rentabiliser le travail industriel quoique tout autre « appel » de la société le concerne (sport, communication ou transports)

     

    Peut-être sans emploi, après l’interruption de la construction des voies ferrées, il veut rester indépendant. Un ami, rencontré aux Chemins de fer, Douarche, lui propose une association; il va s’installer chez lui à Castelnaudary pendant quelques années. C’est la guerre avec la Prusse ; il s’engage dans la garde nationale mais à trente ans il n’est pas mobilisé. Dans le Lauraguais, il travaille dans l’usine de céramique et tuiles plates à crochets et met au point de nouvelles presses et méthodes de cuisson. Idéal que ce job car Douarche   met à sa disposition un local dans l’usine pour construire son planeur à plumes d’oie. L’industriel lui prête aussi quelques ouvriers parmi lesquels il remarque Bacquié qu’il fera venir plus tard à Paris avec sa femme[9].  Ariès, natif des lieux, excelle à décrire le milieu des artisans et des industriels que le coté simple et populaire d’Ader, connu dans la région, autorise de solliciter pour conseiller les PMI . La qualification, toujours acquise sur le tas, soutient et tire la science alors que tout le milieu ambiant devient propice. Douarche, adjoint au maire, franc-maçon, introduisit Ader auprès des personnalités locales.

    Cette période   montre ce qu’un jeune ingénieur pouvait espérer d’une population où toute idée un peu neuve est testée, puis éventuellement retenue. Partout où il passe, il laisse quelque  trouvaille derrière lui ; mais encore faut-il qu’il ait été intrigué par un incident de la vie économique, que son esprit ait été mobilisé par une question industrielle, une solution d’énigme.

    La multiplicité de compétences, l’ouverture à toutes directions,le refus de  spécialisation font d’Ader plus un créateur permanent que le concepteur du seul  avion. Ses centres d’intérêt sont là où on peut exercer l’esprit de raisonnement logique entre dix autres possibles. Il se caractérise par une volonté d’indépendance, le refus de la routine, ennemi mortel du créateur. Son invention de l’oiseau en plumes dépend par conséquent du temps libre et des espaces disponibles pour ses essais.  Ader, à trente ans, célibataire, consacre tous ses loisirs à son oiseau; déjà des différences d’approches apparaissent avec ses homologues parisiens qui sont soit supporters des ballons soit partisans d’autres types d’engins.

    La légende locale s’empara de son planeur à Castelnaudary, projet que l’on ne peut qualifier d’enfantin en dépit de l’aspect folklorique du revêtement alaire en plumes d’oie :ce planeur supportait un homme. La nature reste son inspiration irréductible quoique la construction mécanique soit particulièrement soignée car « Ader aime le travail bien fait et s’applique à obtenir un appareil robuste et léger. Il a déjà une idée de la charge alaire et de l’efficacité du profil d’aile creux qu’il appelle la courbe universelle (la forme d’aile et l’angle de tous les oiseux planeurs). C’est dans la méthode d’essai imaginée par Ader qu’éclate son talent d’ expérimentateur. Il utilise son planeur en cerf –volant captif, l’expose au vent d’autan –dont la fixité en direction est une précieuse caractéristique – retenu par quatre cordes disposées en croix ; celles de devant munies de dynamomètres. Ainsi l’appareil peut s’élever verticalement , de un ou deux mètres, grâce à l’élasticité des cordes tout en restant près du sol et  peu dangereux à  mesurer et à chevaucher. En somme il réalise une soufflerie naturelle »[10] .  

    Ader racontera plus tard à un homme de Lettres l’impression qu’il ressentit en volant, essayant la manipulation des ailes selon l’intensité du vent. On peut appeler ceci son vrai premier vol et dès lors appeler cet appareil l’avion n°1. Il confirme ses intuitions sur la position et le réglage de la queue, une athentique simulation de pilotage. Les frères Wright utiliseront ce principe d’essai partiel, avec un modèle également captif 20 ans après, en 1900, pour vérifier certaines données dont le gauchissement des ailes sans traction.  Ader, « à bord » a fait bouger son planeur monter et descendre avec aisance pour étudier la maniabilité du pilotage avant de se lancer plus loin.  Ici, on est tout près de l’ancêtre de l’Eole

    Les  biographes techniciens, sont surpris par la démarche scientifique d’ Ader et par sa conception de l’appareil léger ; notamment son usage de matériaux innovants. Tout chez Ader rappelle le praticien inductif, serrant au plus près l’expérience et ses résultats. Les théoriciens seront ultérieurement dédaigneux de sa démarche, la trouvant bassement empirique, alors que la courbe universelle de sustentation est une trouvaille savante[11] .  

     

     

     Les premiers essais d’avion captif : 

     

    A Toulouse l’armée lui prête un terrain d’essai d’artillerie : le polygone de tir. Il a intéressé les militaires qui lui ont donné leur accord pour tester son « appareil aérien qui se mouvra à volonté grâce au vent ».  Ce planeur de 20 kg et de 8 m. d’envergure n’est pas un jouet mais une véritable machine aux ailes repliables pour le transport, tubes creux pour alléger. Comment faire voler un planeur portant un homme de 70 kg en s’aidant seulement de l’air et la force du vent ? « Ader dispose d’une donnée expérimentale capitale ; il connaît les bases sur lesquelles on peut fixer les dimensions générales d’un avion : charge au mètre carré et charge par cheval vapeur. A ce moment –en 1873- et pour longtemps encore -, le seul au monde à disposer de ces données ; aussi tient-il à en assurer le secret absolu car son but n’est pas d’être le premier au monde à voler et d’assurer sa gloire, mais bien de construire un avion qui donnera à son pays un avantage militaire de premier ordre.... En ingénieur qu’il est, il calcule rapidement la puissance et le poids du moteur pour assure un vol motorisé avec une charge alaire de l’ordre de 10kg/m2 et pour obtenir une traction égale au cinquième de la masse totale »[12] . La défaite   de 1871 met fin à la collaboration avec l’armée et il se retire de Toulouse.

    Il a néanmoins un plan en tête et sait ce qu’il fera quand il aura les moyens financiers d’entretenir une équipe d’ouvriers.   Le plus ingénieux des ingénieurs, le plus expérimental des essayeurs est aussi le premier à user des multi-matériaux, des matériaux composites avant la lettre.  Sans s‘expliquer, sans conceptualiser ses calculs il innove en continu et poursuit sa route. Quand Panhard -Dion lui demande une expertise sur leur nouveau moteur, en touche à tout, au flair sûr, il  envisage une solution technique. Tout ceci témoigne que l’industrie tire et soutient la Science ; laquelle en retour lui fournit les informations ou les effets théorisés. Sans gros moyens matériels, son ambition et sa stimulation sont d’aider son pays à reconquérir les provinces perdues après 1870 ; c’est pourquoi il espère que son lien avec l’armée sera maintenu. Comment lui reprocher ce nationalisme quand on voit des bourgeoisies européennes héritières d’un grand passé industriel, vendre à n’importe quel milliardaire Indien ou Russe venu, leur patrimoine, leurs brevets, leur savoir-faire ?

     

    D La montée à Paris. Le succès : le téléphone

     

    Ader constate qu’il  a besoin de fonds importants et  ne doit  compter que sur lui pour se financer. A 37 ans, à Paris, sa vie privée se stabilise et il fait un tri dans ses innovations. Par ailleurs sa réputation devient nationale parce qu’elle s’élargit par deux succès dont le téléphone ( le théatrophone ou la stéréo) et les câbles sous marins.  Ader se marie mais son mariage ne l’amène pas à rompre avec sa région d’origine, au contraire. Son ami Castex, un condisciple toulousain de l’ Ecole Supérieure Assiot, d’une famille voisine de Muret, lui proposa de venir à Paris et à cette occasion lui présenta sa sœur qui deviendra sa femme dont ils auront une fille unique Clémence. Il achète un logement confortable et fait venir son père à Paris lorsque celui-ci devint veuf.

     

     

    La   réputation d’ingénieur conseil de la société des téléphones

     

    C’est l’électricité qui l’intéresse et il se lance dans la transmission de la voix (téléphonie, câble sous-marin).Il en tirera la théorie des ondes sonores et il entre dans le monde de l’innovation. Paris est au centre de la recherche, hors la grande sidérurgie ou filatures (forges, acier, mines). C’est à Paris que la technologie des transmissions, là que les retombées sont intellectuellement concentrées, là où se décident les autorisations, mais là où règnent des concurrents en recherche.   Néanmoins sa réputation est bien assise et la connaissance de ses premiers travaux est maintenant bien balisée  

     Pour le téléphone, rien ne le prédisposait à ce qu’il apporte sa touche. « Les perfectionnements apportés par Ader porteront sur la disposition des éléments, leur robustesse ... Mais le principe reste le même.Il va travailler deux ans à explorer beaucoup de systèmes capables de produire des vibrations –plaques, fils, tiges- et de matériaux, fer, bois, verre, membranes, etc. Il recherchera l’influence de la taille des bobines d’électro-aimants, du diamètre optimum des noyaux, de la grosseur du fil.[13] » Long travail d’expérimentation (où il utilise son père comme cobaye en le faisant parler depuis une pièce éloignée de la maison qu’ils occupent) : il n’existe encore aucune connaissance formalisée du téléphone mais son travail rapide lui permet de déposer un brevet s’appuyant sur des modèles fonctionnant en 1878. Cependant Ader explore de nouveaux principes, comme par exemple, la production de courants ondulatoires par l’effet de choc sur une masse métallique magnétisée d’un petit marteau entraîné par les vibrations d’une plaque recevant les sons. La théorie n’a pas encore été trouvée ni suivie analytiquement sinon par analogies et intuitions. Le spécialiste de l’époque, l’académicien Th. du Moncel en 1880, déclara : « Tout ceci reste qu’une hypothèse prématurée et il vaut mieux ,je crois, conclure en ce moment , comme M. Ader, que les phénomènes en question n’ont pas une explication satisfaisante dans l’état actuel de la science ». L’expérimentation devance la théorie qui a du mal à suivre ; une théorie scientifique bien établie sur ces courants mettra une vingtaine d’années à arriver.

     L’Académie des Sciences le sollicite également afin qu’il explique comment devancer les Américains dans un projet d’invention fiable de la conversation à distance. « De fait, en 1877, on voit arriver en Europe les représentants de Bell en France,  les Américains Cornelius Roosevelt et Frédéric Gower ..Ce sont eux qui, au vu des brevets Ader dont ils comprennent vite l’intérêt, lui proposent de s’associer en 1878. Et ce sera son coup de maître, financièrement parlant, car les grasses royalties serviront son projet personnel qui reste de « voler ». Il faudra toutefois une longue bataille juridique et technique où le gouvernement français ne se montra pas à la hauteur de l’enjeu de la découverte faite par Ader pour que les règlements financiers avec les USA jouent en notre faveur ». On s’aperçoit à ce sujet combien les Anglo-Américains qui ont entendu parler de lui suivent les événements concernant ses découvertes. La confiance que ces pragmatistes accordent à des praticiens anticipant la théorie, à l’avant-garde du progrès technique, intéresse plus l’étranger que notre pays, méfiant vis-à-vis des provinciaux un peu trop éclectiques.   

    A l’Académie des sciences où il fait une conférence, Ader étonne par sa polyvalence, son activité inlassable de trouvailles mais il ne convainc pas toujours. En tant que directeur à l’Académie, du Moncel, lui apporte informations, livres et revues américaines sur le téléphone et l’encourage à rattraper notre retard sur les Américains, voire à les dépasser.  Les Centraliens de l’industrie et les Polytechniciens du ministère le considèrent avec surprise ; il surgit d’une petite ville du sud-ouest, n’est guère connu du milieu académique, est extérieur au monde citadin et il avance plus vite que les  autres.  Sa démarche inverse de la croyance des étapes de la connaissance surprend : « D’abord, on se lance, on explore, on tâtonne, et puis si ça marche, on explique par la logique et une théorie neuve». En ce sens, Ader est un marginal intégré, un  chercheur un peu atypique, « outsider » non universitaire. Pour lui, la recherche appliquée tire la connaissance fondamentale vers le haut. En pragmatiste, Ader invente et ensuite justifie conceptuellement si possible.

     Pendant 20 ans, Ader fut donc un collaborateur de la Société des téléphones tout en restant indépendant, sans salaire fixe ; ce qui est pour lui déterminant.  L’indépendance de mouvement, la liberté de tester sont vitales pour l’inventeur qui exclut l’entreprise qu’il ne dirige pas. Actif sur trois fronts de la recherche (sur le téléphone, la télégraphie et l’aviation),  il signe en 1894, un accord avec l’armée en prévision d’un appareil de locomotion aérienne.  En 1897 il dépose encore un brevet après avoir supervisé à Marseille les essais de ses récepteurs de télégraphie sous-marine. Il se déplace sans cesse entre les installations, les annexes et il cherche des terrains d’essais. Par exemple il va observer directement les vols des grands oiseaux planeurs en Alsace ou en Algérie.  Quelques mois plus tard il dirigera les essais de l‘avion n°3 à Satory. Chercheur apparemment inlassable, il mène une activité soutenue sur les moteurs. Et quand il est à la retraite à 70 ans, Panhard-Levasseur lui demandera d’expertiser quelques-unes de ses nouveautés motorisées

     

     

    Le travail sur les relations sociales

     

    « Loin d’être un inventeur solitaire, écrit G. Galvès-Behar, Ader se trouvait être à la tête d’une affaire reposant sur un laboratoire outillé où travaillaient plusieurs ouvriers et dont l’objet était de produire des inventions. S’il acceptait le risque d’essais infructueux, il refusait de mettre en péril son entreprise en l’exposant à des risques commerciaux. La tache d’affronter les aléas du marché revenait au capitaliste ; à l’inventeur échouait celle de se confronter aux vicissitudes de la technique, l’invention »[14]. Pas aussi simple ! Ces praticiens, en hommes libres prennent des risques financiers, des risques de carrière, de position car ils dépendent d’appuis locaux pour des essais ou pour du prêt de matériel. Ils prennent également des risques corporels (course de vélos, pilotage et même un voyage d’études en Allemagne qui aurait pu mal finir car on le prend pour un espion, comme on le verra).

     Semblablement à certains de ses pairs peu connus, il se consacre à toutes les formes de l’expérimentation, y compris les plus éloignées de son laboratoire dont il sort fréquemment. « Je ne suis pas un pionnier dira-t-il plus tard, mais « un humble serviteur des sciences ». Humilité, conscience des hiérarchies pyramidales intellectuelles ? En tout cas, ces empiristes sont   difficilement admis dans le monde  savant et sont d’ailleurs mal perçus. S’ils sont sur la piste d’une quelconque trouvaille, ils ne possèdent aucun moyen efficace afin de « travailler » l’opinion en leur faveur, quand la gloire sera attribuée aux détenteurs de savoirs formels et scolaires. Eux tentent de comprendre après coup ce qu’ils ont trouvé, de justifier par des schèmes explicatifs, les résultats reproductibles sous certaines conditions, qui résisteront au temps avant d’accéder au statut de lois stables mais ils le font en silence, sans répercussion, sans relations sociales efficientes. Ader en sera en partie victime.

    Le milieu de la physique appliquée n’était pas encore stabilisé, bien que le fossé se soit creusé entre générations de chercheurs. Présentement la situation a totalement changé : les spécialistes contemporains de physique sont des fonctionnaires aux positions confortables exerçant dans des institutions d’Etat. Le savant moderne est un organisateur, un chef administratif de labo, un entrepreneur à l’aise dans le directionnel d’équipes et qui reçoit, au nom de son autorité, les fonds étatiques ou supranationaux. Ce qui les expose à la pression des résultats immédiats et si possible spectaculaires. Le témoin profane ne perçoit que de loin l’intense professionnalisation actuelle qui s’incarne dans le modèle des organisations bureaucratiques coordonnées par des règles internes et des législations qui nuisent souvent à l’autonomisation de la recherche. Cette différence n’est pas mince et n’est pas sans conséquences sur les définitions de la nature du contenu « scientifique ». Qui doit recevoir le label de la consécration de la part de plusieurs pouvoirs extérieurs académiques ou non ?

     

     Ader, quant à lui, persévère sur sa route dans des domaines où l’autofinancement est faible quoique rapidement rentable, à forte visibilité, permettant de rémunérer sa petite entreprise; « l’alimentaire » du chercheur lambda.  Il devine où sont les profits immédiats et juteux, le coup à jouer au sein de la petite société parisienne.   Il invente le « théatrophone », sorte de stéréophonie domestique.  Il s’agissait de relier par un téléphone particulier les théâtres ou salles de concert avec des immeubles privés ou des cafés, où les auditeurs pouvaient écouter ce qui se déroulait sur une scène éloignée. Cet instrument connut son heure de gloire et fut pour lui une occasion de relations intéressées.  Il écrit des centaines de prospectus et lettres, rencontre les artistes, les journalistes de l’Illustration ou de l’Auto qui lui consacrent un numéro. Nadar devient son ami et le soutient bien qu’il eut été lui-même auparavant un fervent aéropostier. Les entreprises privées achètent les droits et commercialisent en suivant ses conseils.  C’est pourquoi il soigne la présentation du téléphone, on dirait aujourd’hui le design, et il en fait un bel objet au socle de bois travaillé.  Les PTT,  qui ont commémoré le centenaire de la sortie de cet appareil, ont créé à cette intention une carte téléphonique. « Ce téléphone conçu par Clément Ader est l’un des premiers modèles à être installé chez les abonnés de le Société Générale des Téléphones ; le microphone à crayons de charbon est logé sous la planchette en sapin. Il est de fait le premier téléphone français à équiper un réseau » (cité au dos de la Télécarte 50 unités Télécom sortie en 1997)

    La rapidité de la carrière d’Ader associée à la progressivité de sa compréhension technologique sur 20 ans d’inventions cumulées (en dépit  de son jeune age), lui ont donné confiance et un sens des relations sociales au sein de la bourgeoisie.  Que les Américains de Bell l’ait invité à les rejoindre, le flatte assurément ! Le fait de traiter avec eux ou avec les Anglais lui donne une idée de la manière de négocier dans les activités internationales de pointe. Quoique au fond, il demeure l’homme d’une seule passion : l’avion au service de la patrie. Et avec les droits des ses inventions, il peut enfin se lancer, autonome, dans la grande aventure du vol d’un plus lourd que l’air. Il  cherche des  locaux, de  vastes ateliers et il quitte donc la rue de l’Assomption où il était installé, pour une structure plus grande,rue Jasmin ; il lui faut aussi des crédits supérieurs à ses émoluments afin d’embaucher la vingtaine d’ouvriers nécessaires.   

     

     

     

     E La troisième carrière : l’avion

     

     Très connue, cette partie de l’histoire de l’aviation, polémique parfois, ne sera pas reprise par nos soins. On constate simplement que la compétition, la concurrence, la collaboration assurent la circulation des idées. C’est pourquoi on ne peut octroyer, à un seul homme, l’idée de l’avion ou un commencement de réalisation : on accordera cependant à Ader la paternité indubitable du terme « avion ». Baptême et dénomination néanmoins que l’Académie des Lettres récusera en proposant de remplacer « avion » dans le dictionnaire par « aéroplane ». A la fin, ce fut l’avion qui l’emporta et sa renommée en fut amplifiée et symbolisée par le beau poème écrit en 1910 par Apollinaire qui défendit l’invention linguistique d’Ader

      

    L’engagement de P. Lissarrague

     

    Un livre entier a été consacré au récit des étapes de la fabrication d’Ader, de l’assemblage aux essais. La reconstitution à l’identique du prototype a été racontée par le biographe. Restaurer, tel fut son projet, à la fois la réputation d’Ader et l’objet de la contestation.  « Ça ne peut pas voler » disaient les ingénieurs de l’Airbus contemplant le spécimen d’Ader au Musée des Arts et Métiers, horrifiés par cette « chauve –souris » inesthétique pour un héritage. « Si, ça peut voler ! » répond le directeur du Musée de l’air et de l’espace, défenseur inconditionnel qui a déployé d’énormes efforts appuyés de solides arguments.  Les avatars ou la chance du premier vol, réussi ou raté, - c’est selon les appréciations a posteriori- sont maintenant fidèlement décrits puisque Lissarrague en a testé le modèle en vol. Il a fourni à l’opinion les données et les témoignages qu’on peut découvrir sur un site riche en détails techniques[15]. Il obtint certainement l’aide de l’armée de l’air pour son entreprise. Son coup de foudre pour cet avion, dû au hasard d’abord, puis progressivement au sentiment d’une mission de réparation morale à l’égard du Muretain, naquit particulièrement de la valeur des intuitions techniques et de l'habileté manuelle dans la résolution. On a les détails sur le site ainsi que les photos du   moteur et des ailes, un bijou de miniaturisation. La finesse d’explications, leur lisibilité sont un régal  pour les non initiés,  d’autant que  cette  reconstitution  fait  toucher du doigt  la physique d’alors et le bond en avant que de tels hommes de terrain ont fait faire à cette discipline

    Sur le moteur, plusieurs voies aux avantages relatifs,  s’ouvraient : il a fait un mauvais choix  parce qu’il arrive trop tôt ou trop tard. Le mieux est de se reporter à l’excellente biographie de Raymond Cahisa (ed. Albin Michel, 1950, avec préface  de Robert Morane). Les moteurs possibles étaient l’électrique (mais lourdeur des accumulateurs en plomb :500 kg) ; le moteur à explosion (alors trop faible, incapable de d’enlever une machine en fonction de sa faible puissance) ; le moteur à air comprimé qui a fait voler des modèles réduits, (à l’autonomie trop réduite) ; le moteur atomique ; Henry Ford vient d’annoncer une auto dont l’énergie sera fournie par de l’eau transformée en vapeur par désintégration de l’uranium 235 ; énergie encore pas totalement maîtrisée. Il reste le moteur à vapeur.

    Le pari d’Ader n’est pas saugrenu car il a réussi à construire une machine apte à soulever cent kilos dans les airs. Le poids du moteur étant 20 Kgs on voit le rapport  poids/puissance est de 4 kg par cheval d’énergie fourni ; c’est très ingénieux. Outre le poids supplémentaire du réservoir d’eau (avec de l’alcool, l’eau est portée à ébullition)  et un système de refroidissement,  le moteur Ader une petite révolution technologique à portée du futur.  

     « L’Éole de 14 mètres d’envergure reproduisant l’aile de la chauve souris, le moteur est un bicylindre fonctionnant à la vapeur développe 20 chevaux pour 91 Kg d’alcool. Le carburant, le moteur est couplé par un arbre horizontal à hélice tractrice. Lorsque le pilote montera à bord le poids total atteindra 295 kg pour 28 M2  de surface alaire portante. On se trouve au Cx près dans une configuration proche de celle d’un planeur moderne à dispositif d’envol incorporé »[16]....Fin 1890, l’inventeur est prêt à tester sa machine et en bon ingénieur pudique et prudent il s’entoure de toutes les précautions pour que sa tentative soit effectuée dans une confidentialité extrême.  L’événement se déroule le 9 octobre vers 16 h sur une pelouse du château d’Arminvilliers près de Gretz en Seine et Marne.  Il parvint à arracher du sol son engin à moteur sans aucune aide extérieure autre que le moteur de 12 CV qui entraînait à 350 tr /Mn, une hélice quadripale à pas variable de 2,6 m de diamètre fournissant 40 kg de traction au point fixe . L’avion quand il fut réexaminé révéla des solutions ingénieuses et soignées qui sont la marque d’un grand ingénieur ». Telle est la conclusion de Lissarrague et de son équipe

    Les continuités et les ruptures dans les cinq prototypes, en incluant le planeur et l’Eole concernent, on l’a dit, le moteur, le bâti des ailes démontables, la cellule, l’hélice simple ou double. On voit qu’Ader avait de la continuité dans les esquisses et les idées dans sa série des fabrications.  A 32 ans, il avait débuté avec  son  expérience capitale de mesure de la force de traction nécessaire  au vol, sur un appareil de 8 M carrés de surface, à bord de laquelle il a pris place  pour vérifier l’efficacité de systèmes de contrôle. Il mettra 20 ans à résoudre tous les problèmes du premier décollage d’un avion à moteur à la maîtrise de l’effet de sol. Les péripéties à Arminvilliers puis à Satory  sont connues, de petits envols de quelques centaines de mètres à une hauteur  d‘un mètre. « Après talonnements et errances, Ader a soupçonné l’effet de couple de renversement dû à l‘hélice ; ensuite par un calcul explicite dans ses notes, il a trouvé l’effet de ce couple dû à la rotation d’une hélice qui, par réaction, fait pencher l’avion en sens inverse et le fait dévier de la ligne droite.  Comme cela est arrivé à l’Eole à Satory en 1891, il n’a soupçonné cet effet que plus tard en 1893 au moment où il s’attaquait à la construction du fuselage de l’Avion n° 2 monomoteur.  D’où sa décision brutale de transformer l’avion n°2 en N°3, bimoteur à hélices tournant en sens inverse ». Le tâtonnement, les paris successifs sont les normes de l’empirisme de la science se faisant.

    Ader ingénieur travaille lui-même en ouvrier, mécanicien, tout en étant théoricien de la sustentation et de la physique de fluides. Débordant d’idées, il fut aussi un visionnaire économique puisqu’ il a prévu la structure industrielle qui irait avec l‘avion alors qu’on ne voyait là qu’un objet bizarre.  Il a ouvert des techniques nouvelles, des recherches parallèles, des mécanismes d’attaches et des matériaux composites qui demeurent encore utilisés par rapport aux enjeux industriels et scientifiques

     

    Les ingénieurs, les professionnels de l’air et les pilotes, voire les journalistes ou des artistes, sont moins sceptiques et d’une manière générale plus positifs à l’égard d’Ader que les hommes de lettres institués spécialistes de l’air ou les philosophes de l’histoire des sciences qui, eux, soutinrent d’autres candidats (les frères Wright surtout) dans la course au premier qui ait « volé ». Cette dispute n’a qu’un sens en politique internationale. Les historiens des sciences en sont victimes quand ils s’adonnent aux classements d’exploits singuliers isolés de leur contexte. Mieux vaut s’interroger sur ce qu’on appelle une invention ou ce qui détermine ou consacre son auteur, promu unique et singulier, au lieu et place d’un petit ou grand collectif.  Pour un rappel des faits, évoquons  quelques échos  contemporains . Les commentateurs au XXème siècle se sont divisés en deux camps après la mort d’Ader. Car, bien sûr, « voler » à cette étape ne veut rien dire.  Les allégations d’Ader de s’être élevé sur une courte distance, confirmées ou non par des témoins, signifient seulement qu’il fut un soldat de cette épopée. Et si ce n’est lui qui fut le premier, peu importe. L’unique bénéfice du débat est de nous mettre sur la piste de la polémique : la concurrence technologique française et américaine qui se poursuivit longtemps à travers le Concorde ou l’Airbus face au Boeing

     

     L’organisation : Qui fait quoi dans le travail d’invention ?

     

    Le problème « a-t- il volé ? » est donc secondaire. Question anecdotique qui masque deux questions brûlantes d’actualité. Comment inculquer aux futurs savants ou aux ingénieurs un esprit authentiquement inventif et innovateur ? Comment encourager le goût des sciences dans la jeunesse ? A travers le sens critique ou la docilité aux savoirs ?  Souvent les savants n’ont pas demandé –et Ader le premier- l’émergence du culte des héros. L’aviation, activité relativement jeune, y a pourtant succombé. Si on impute   la caractérisation historique d’une invention à un seul homme, si on réduit une découverte à une personnalité, on historicise une série d’actes individuels établissant des performances trop indépendantes de leur milieu, et on réduit la gangue inextricable de relations de collaboration et d’échanges. Or, la marque de signature de l’invention est parfois indécise.  C’est plutôt la capacité de sauter d’un domaine à l’autre, de s’avérer polyvalent qui révèle le savant, de même que sa capacité à l’induction et à l’imagination créatrice. Ainsi Galilée multiplie les petites découvertes, s’est intéressé à un grand nombre de techniques. Il a amélioré la règle à calcul, la lunette astronomique, construit un aimant puissant, élaboré un thermoscope qui sert à établir la dilatation des gaz. Il exposa une théorie de lunette à oculaire convexe, déjà fabriquée par des artisans italiens. Il n’a pas inventé la lunette astronomique mais il s’en octroie le privilège, effrontément. Toutefois il a découvert des astres qu’elle révélait. Il est surtout l’initiateur de l’isochronisme des oscillations pendulaires que l’astronomie arabe avait déjà étudié mais était inconnu en Europe. La mesure du temps- qui fut primordiale- en découla promptement (mesure du pouls par exemple). Le sens créatif de Pasteur fut aussi éparpillé. Une invention, pas plus notable qu’une autre, est attachée à vie par l’hagiographie influençant l’historiographie. Elle préfère montrer un progrès continu par à coups de révolution et de paradigmes dits définitifs

     Le savant, en revanche, est éclectique; il exerce son intuition et son sens d’imagination à une réalité impalpable, encore hypothétique. Il s’attaque à tout ce qui présente un élément intéressant issu «de la mode du scientifique » ou  de l’air du temps. Le progrès n’est pas linéaire mais erratique ; le savant se disperse pour trouver quelque chose qui va le mettra en évidence, qui  lui apportera gloire,argent, ou l’écrasement d’un adversaire. Vagabondant, il fait des découvertes inopinées. La vulgarisation, par la suite, lui attribue tel mérite ou le disqualifie.

    Ader ne correspond pas à l’idée du savant isolé, égaré dans le monde, ni au surhomme des images romantiques. Dans le quotidien, il ressemble plutôt à un notable, un bon bourgeois de cette période de la révolution industrielle où l’on travaille intensément. La sociologie des sciences ne voit pas en détail le travail dans l’atelier ou bien y néglige les rapports patrons-employés. Si une invention (la découverte, une idée neuve) est l’addition de nombreuses innovations pratiques  apportant en même temps des solutions pour de meilleurs appareils de mesures et de calculs ; alors le spectaculaire ne lui convient pas. Notre connaissance d’Ader s’est enrichie d’informations neuves sur les conditions matérielles, centrales ou annexes, ainsi que sur les circonstances financières des inventions qu’on se doit d’évoquer

    Pour Ader, au départ peu fortuné, l’argent est la clé de l’expertise.  Il épargne les royalties de ses brevets vendus dans le monde non pour son enrichissement personnel, mais en vue de satisfaire son aspiration à construire. Il sait qu’il aura besoin de payer une vingtaine d’ouvriers ainsi que des sous-traitants. Jusqu’ici ses inventions étaient de faible coût, mais il passe à une autre dimension. 

     

    Le labo et l’atelier

     

    Plus féconde en sociologie serait la description des collectifs d’invention. Néanmoins il est toujours difficile à savoir qui fait quoi dans le laboratoire, notamment si le travail y est informel (un peu comme le travail de l’artiste à la Renaissance). Aujourd’hui la confusion s’est aggravée tant la personnalisation, les gratifications concentrées sur une ou deux personnes excluent ou démoralisent les petites mains de la recherche que l’on va maintenir dans des statuts inférieurs d’employés ou de laborantins, de post docs ou d’assistants tombés dans l’oubli. La science moderne devient à son tour exploiteuse. Quelques hauts dignitaires en bénéficient prioritairement. Cette ignorance demeure la grande lacune des travaux de sociologie qui négligent les processus des décisions, les revenus, la mobilisation d’hommes et de femmes à associer au produit final.  Le travail dans le laboratoire, les relations entre les différents départements, l’organisation du pouvoir du chef ou ses relations avec ses aides, les subalternes, tout un monde de commandement et d’autorité qui disparaît derrière le respect dû à la science intimidante. Rares sont les auteurs qui nous y ont fait pénétrer.  Et ce silence est compréhensible : ce travail serait considérablement ardu. 

     Intéressant est donc de savoir comment Ader travaille. Il passe ses journées dans deux centres accolés qu’il nomme le laboratoire et l’atelier. Il travaille au sein d’une petite équipe de vingt et un ouvriers avec deux ou trois contremaîtres   soudée par l’ingéniosité pratique[17].  Tous, des chefs aux ouvriers, semblent fiers d’avoir participé à cette aventure.

     

    Ader chef du projet circule entre des cellules éclatées de son atelier. S’il s’occupe du moteur, il ne résout pas le problème de la maniabilité de la direction et du gouvernail qui sera plus ou moins bien résolu. S’il se passionne pour les ailes et leur articulation , leur légèreté et souplesse, il doit concevoir aussi le bloc solide de la tuyauterie, la structure en bois : les efforts subis par l’arbre de transmission dus à l’effet de couple, en fonction des vibrations de cylindre provoquant la désintégration et la rupture du berceau moteur. Avance ici, retard là. Il s’égare avec la vapeur mais à quelques années près, il ne peut prévoir la spécification du moteur à essence.

    Ce qu’il appelle son « laboratoire » est une structure relativement petite : deux contremaîtres, un chef d’équipe, une  vingtaine de compagnons recrutés et sélectionnés par leur tolérance à l’intensité du travail et par la promesse du secret gardé (Ader a fait signer à l’embauche, une clause de secret absolu sur les conseils de l’armée contractante) A l’intérieur du groupe, autour de l’avion, il apparaît une division du travail faible.  Le personnel administratif est ici réduit à presque rien. Peut-être un commis aux écritures et un comptable ? Un notaire par ailleurs pour les contrats et les brevets ; il en aura un attitré. En tout cas, on constate qu’Ader rédige tout le courrier de sa main. Il écrit bien, son orthographe est impeccable. Ce cloisonnement des activités était renforcé par le compartimentage de l’espace (dont l’essentiel était occupé par l’avion ; une dizaine d’ouvriers s’affairaient autour de l’avion n°3  de 16 mètres d’envergure et 6 m de haut).  Roussel chef des « laboratoires Ader », une sorte de sous-directeur, n’appartenait pas à l’équipe d’ouvriers sur l’avion.  Nous n’avons pas de données directes mis à part quelques photos et des témoignages de contremaîtres (dans Pégase sont publiées 5 photographies de l’atelier vers 1901) pour apprécier la vie dans l’atelier. Lui, Ader se consacre à la conception, aux calculs mais fait les tests avec ses contremaîtres.  Il travaille, sur la durée, avec deux d’entre eux, Vallier et Espinosa qu’il a débauchés et qui lui resteront fidèles jusqu’au bout et remplaceront Bacquié agé.  La passion les prenait : ils se piquèrent au jeu et aux horaires insensés : 14 h  par jour dit Vallier. Le premier, qu’il a découvert chez un artisan fabriquant le moteur le suivit toute sa vie et fut l’homme en second. L’autre l’assista durant les essais à Satory et à Arminvilliers où il s’imposa comme homme à tout faire, alors qu’Ader s’apprête à piloter. A 60 ans Ader s’assied aux commandes, dans le poste étroit et part dans l’inconnu. S’il décolle comment réagir : la maîtrise est imprévisible, et s’il échoue, où va-t-il s’écraser ? L’accident ? C’est à lui à prendre les risques physiques

     

    Inventeur et Directeur

     

    On ne connaît donc pas le type de rapports et le style d’autorité dans l’équipe. Ader doit lire, réfléchir, concevoir, calculer, diriger et organiser le travail.  Hiérarchie faible et autorité visible probablement.  A la fin, Ader signe, donne les ordres, dépose les dessins et les programmes qu’il a réalisés la nuit pour ses ouvriers au matin. Il rédige les articles, les notes d’expérimentation, les   brochures pour la presse ; il est contraint de se tenir au courant (sa bibliothèque léguée à la mairie de Muret manifeste sa connaissance de revues parfois en anglais). Mais on peut inférer certains types de relations internes à partir des souvenirs de témoins.  A Castelnaudary, il était connu pour être un homme paisible et tranquille. A Paris, il semble estimé par la population du quartier qui voit dans son avion éventuel une performance remarquable. L’environnement urbain est celui d’industriels ou des artisans qui fabriquent les pièces sur ses instructions. Le voisinage est peuplé d’ouvriers débrouillards pris parfois à la semaine. D’après les témoignages, il y a eu pléthore de candidatures. Travailler chez Ader est une occasion de produire des choses intéressantes pour tout ouvrier un peu curieux.   Petites républiques d’égaux, ces minuscules ateliers parisiens ?  En tout cas, Ader qui n’est pas en bleus de travail et n’a pas les mains dans le cambouis sait exécuter avec des manuels, ses salariés. Les souvenirs confirment son aptitude au travail d’usinage ainsi qu’à une proximité   (paternaliste ?) avec son personnel à qui il souhaitait fêtes et événements et offrait quelque don aux occasions  de naissances et  mariages 

     

    Peut-on croire à une impression démocratique ou du moins à une ambiance non autoritaire ?  Aujourd’hui, dans ces univers   feutré, les relations sont tendues, amorties par la pression du milieu scientifique et par les négociations transforment subtilement le rôle du responsable, en « père » du labo, en directeur des carrières et de conscience ; ce qui désolidarise le personnel de son directeur qui ne met plus la main à la paillasse, pas plus au synchrotron, ni au télescope. Woolgar et Latour en ont parlé dans « La vie de laboratoire » sans conceptualiser le travail sur les relations internes. 

     

    L’automobile, plus le téléphone, l’avion, l’atelier était bien empli de projets d’envergure distincte dont Ader faisait  le lien avec en jeu les risques d’accidents,  les répétitions intermédiaires. Ader, homme méthodique, organisé, a pu travailler sur plusieurs  front grâce à son système  de rangement et de cloisonnement ordonné. Cependant il n’a plus alors le temps nécessaire pour les relations sociales et mondaines.  Il n’a pas respecté les rites académiques (déférence envers les sociétés savantes auxquelles on lui reproche de ne pas avoir adhéré ou d’avoir, s’il l’a fait, manqué à ses devoirs de présence). Renard, Penaud, ses rivaux dans la prétention du vol lui en voudront.  Dans un milieu subtilement stratifié par la fortune, le nom ou le diplôme (Centrale ou Polytechnique se partageant le droit de décider des réputations et la légitimation), il a peu respecté la hiérarchie, peu  enclin  en Occitan  égalitaire à adhérer à la  dimension symbolique des rangs, des titres ou des origines familiales. On le lui fera payer par une réputation surprenante de « mauvais caractère », étiquette qui lui collera à la peau. On y reviendra plus loin malgré l’aspect marginal de ces polémiques.

     

    Ader à Paris n’est pas un homme retiré ; encore moins solitaire. Ceux qui l’ont approché en témoignent.  Ses relations avec la presse, les politiques, les fournisseurs, les académiciens tissent une toile complexe : il a collaboré avec eux quoique avec mesure pour ne pas s’égarer dans la communication. Il sait qu’il doit recevoir s’il veut s’imposer. Or  en bourgeois tranquille, il souhaitait rentrer le soir chez lui et retrouver sa femme et sa fille. S’il ne sortait pas, il acceptait volontiers de faire visiter son atelier et montrer à quiconque le demandait ses plans et maquettes puisque le contrat d’avions avec l’armée abandonné, l’a libéré de cette entrave (il présenta l’avion n°3 à l’exposition universelle de Paris et à d’autres audiences).  Nadar son ami entraînait la curiosité des artistes qui étaient des porte-parole et des guides de la mode à l’égard des événements scientifiques. Il entretint aussi des relations étroites avec des industriels et des journalistes (sportifs notamment qui le connaissaient depuis ses améliorations sur le vélo ou la voiture). Ces spécialistes lui apportaient l’information technique inhérente du milieu des passionnés de l’avion ; milieu en pleine ébullition. Les rencontres avec les banquiers dont les Pereire (l’épouse se piquait de pratiquer l’aérostier) étaient indispensables ; ils lui prêteront un terrain à Arminvilliers pour les premiers essais. Mais il n’appartenait en rien à ce milieu.

     

    Ballon contre avion

     

     Auparavant il fallut que le ballon s’avère une impasse ; ce fut long. Rappelons  que l’Allemagne  s’orienta dans cette direction et y persista jusque durant la deuxième guerre mondiale. L’officier de cavalerie, le baron Zepellin dirigeait sa flotte de dirigeables militaires propulsés par des moteurs en 1906. Par ailleurs les raids de zeppelin en 1916 avaient fait plus de 500 morts à Londres. Il fallut attendre 1940 où des dirigeables nazis bombardaient encore Londres pour qu’ils disparaissent du fait de la guerre, impitoyable juge de l’efficacité des découvertes  [18] .  Le ballon à hydrogène avait de plus d’ancienneté ; 2 mois après que Lavoisier eut identifié ce gaz en 1783, un engin s’abat à 20 Kms de Paris heureusement sans passagers.  L’année suivante, le général Jourdan s’est aidé d’un ballon captif pour observer les mouvements des Prussiens. En 1858, Nadar publie une série de photos de Paris vu du ballon. Transportant quelques personnes fortunées, le ballon a ravi les imaginations éprises d’évasions et d’exotisme. Et la   fuite de gouvernement de Gambetta, hors de Paris encerclé se déroula en ballon. Jusqu’en 1920, l’engouement est de leur côté, les utilisations se diffusent : une vague d’innovations déferle en forme de ballons, de planeurs, qui ont le vent en poupe

     L’adversaire de l’avion d’Ader et de ses acolytes se trouve de ce côté-là. Il a lui-même pensé améliorer le ballon mais son intuition l’a prévenu assez tôt. On a du mal actuellement à imaginer la France divisée en deux clans au sujet de la prééminence à accorder à ces deux modes de transport aérien. La grande affaire demeure qu’ en 1890, l’avion est une utopie et le restera encore une vingtaine d’années.  Mieux que le ballon, le dirigeable focalise l’attention, reçoit les soutiens les plus notables et polarise les discussions des militaires et des élites intellectuelles. Seule une minorité de sportifs intrépides croient à l’avion. L’armée abandonnera d’ailleurs vers 1900 le projet d’aviation pour se rabattre sur les aéronefs avant que 1914 ne fasse pencher la balance .....et pas encore définitivement. Les railleries, le scepticisme ne furent pas absents. Les hommes volants paraissaient des farfelus sans avenir. Ceci est frappant quand on lit les documents d’époque ; la société ne sait où elle va, techniquement parlant.  Les avant-gardistes en art, sport ainsi que quelques industriels créèrent certainement un courant favorable à l’aviation.  En raison  de cette difficulté à s’imposer dès sa naissance, l’avion pourra être perçu production d’essence populaire et demeura longtemps un objectif de « jeunes », une passion de mécaniciens, d’ ouvriers épris de moteurs ou bien une  occupation  d’originaux  de bonne famille. Les clubs d’aviation « Léo Lagrange » sont à venir, trente ans plus tard, au titre de loisirs authentiquement populaires. Peut-on dire qu’une partie de la bourgeoisie pariait sur le ballon pour des raisons traditionalistes : idée née sous la royauté ? Un inventeur fait des paris sociétaux.  Il se risque sur plusieurs plans ne pouvant prévoir la naissance ou le développement d’une activité matérielle et économique.

    Par ailleurs on oublie que les créateurs les plus féconds ont toujours plusieurs idées en chantier et l’une d’elles, une fois choisie, ouvre alors plusieurs options. La chance d’une intuition conduisant à perfectionner l’état antérieur commence par l’esprit de contradiction, la critique de ce qui existait en établissant de multiples petites étapes innovatrices  dans la fabrique ou l’industrie.  Ader   s’est nourri   de cet alliage de petites trouvailles avant de se lancer dans une invention extrêmement complexe qui nécessite une vigoureuse culture et une forte personnalité. Le paradigme de la « rupture » contre les idées admises ne fait pas partie du raisonnement scientifique ; lequel n’est jamais purement rationnel puisque passible de la détermination par le hasard et par le contexte local et national.  L’invention est une suite de paris, chanceux ou malheureux dont la globalité représente une composante de hasards, de flair autant que de talent.

     

     

    « Un inventeur parmi 30 autres »  

     

    Notre formule, « Un inventeur parmi d’autres », tend à appuyer un retour à l’histoire des techniques à partir de groupes ,       ou à partir des problèmes pendants.  Les difficultés de la science contemporaine à s’adapter aux changements techniques, à ignorer la résistance  de la société à ses analyses, à ne pas tenir compte  des attentes ou des déceptions , parfois implicites, qui remontent de la base sociale , de ses besoins et à s’enfermer  dans le « champ ». On constate  fréquemment l’absence de liaisons effectives entre les équipes différentes confrontées aux mêmes obstacles.  Ceci n’a pas changé. La notion de structure a aboli le désordre et l’anarchie dans la circulation  des  informations scientifiques

     La participation singulière de la part de chaque participant dispersé, célébrée pour certains, au destin anonyme pour d’autres masque la confusion au niveau de chaque individu mais la cohérence  au final du résultat global. Auparavant on ne perçoit que des gestes désordonnées rationnels ou incohérents 

    Par exemple dans les progrès apportés par Ader en ce qui concerne les paramètres de changement de puissance pour le décollage et l'atterrissage, il se polarise sur une pièce comme l’hélice ou les articulations de ailes mobiles et alors il néglige le moteur ou le train d’atterrissage qui sont aussi essentiels, Tout comme  la légèreté  de la structure qui ne va pas avec  la solidité des matériaux. Au sujet d’une invention très complexe telle que l’avion, l’histoire individualisante est peu féconde ; il faut regarder la spécialisation d’un collectif et les relations internes. Les démarches à la fois apparaîtront à la fois comme originales et archaïques. Si par exemple le moteur à vapeur l’emportait au même moment pour les bateaux et les locomotives, il serait  difficile de ne pas concevoir son usage pour les avions. Les critiques à posteriori des ingénieurs ou des faiseurs d’histoire sont étayées de telles réflexions anachroniques. On l’a ressenti lors de « l’Année Ader ».  Chaque inventeur d’avion a vu quelque chose de plus mais a aussi vu quelque chose de moins. Chaque invention révèle un extraordinaire réseau d’individus astucieux qui se sont distingués dans un élément et qui avancent plus ou moins de concert ; chacun apportant sa petite pierre à l’édifice, qui deviendra un savoir définitif dans les années suivantes. Au final une grande entreprise collective transgressant les frontières, à laquelle Ader a contribué marquant les esprits puisqu’il a trouvé beaucoup de solutions dans l’ensemble. Le plus sage est de considérer une invention comme un produit collectif étalé dans le temps ; une émanation de la société scientifique et industrielle avec des répercussions politiques, déterminées par le poids social et par le volume des finances requise au profit d’inventeurs  inégalement assistés des Etats, des banques ou des industriels.  

     Par conséquent le point de vue pris dans notre commentaire considère qu’au niveau national ou des régions, tous les laboratoires et tous les chercheurs ne partent pas à égalité et que le jugement doit en tenir compte dans l’attribution postérieure des mérites. Les soutiens publics (on l’a vu journalistes, artistes); les hommes politiques, les ministres et les généraux interfèrent. Pas encore les experts puisqu’il n’y a pas de précédents, que le milieu n’est pas stable au bénéfice des décideurs des moyens et des détenteurs des titres de la légitimité.

    On compte vers 1900 quatre pays avancés -et parmi eux des   individus venant de catégories sociales variées- qui ont collaboré sans le savoir, d’une manière ou l’autre à la naissance de l’avion.  Sans les citer tous : Louis Mouillard (1834-1897),Ferdinand Ferber (1862-1909) Ernest Archdeacon Françaisd’origine irlandaise, Levavasseur(1863-1922), A. Santos-Dumont (1873-1932) le roi du café vivant à Paris, les frères Voisin, Henry Farman. Tous présentent des biographies intéressantes et originales[19].   Cela en fait une des inventions « démocratiques » dont l’essor dépend des enthousiasmes et des capacités y compris des couches populaires : la réussite allant parfois à des jeunes ouvriers  intrépides, mécanos ou  techniciens,  jusqu’à des pilotes  issus de la vieille aristocratie.   Autre chose est le profit à se faire consacrer « le premier », le créateur, le père, lesquels voisinent dans l’histoire avec des isolés, des concurrents oubliés, des malchanceux. Le reste n’est que vulgarisation naïve d’images d’Epinal héroïques ou   cocasses.   

     

    Ainsi,  Horatio. Philips applique les théories aéronautiques de Cayley émises 90 ans plus tôt.   De nombreux amateurs peuvent figurer dans le cénacle (voir dans le livre d’E.  Chadeau, la série de promoteurs). En 1880 le Français Félix du Temple fait quelques bonds propulsés par un moteur vapeur .Tous doivent quelque chose à un concurrent, soit un élément de succès, soit les raisons d’un échec qui sert de leçon. C’est à Lilienthal que les frères Wright doivent le gauchissement par torsion des extrémités des ailes pour contrôler l’engin en vol.  Les Frères Wright abandonnent la voie ouverte par Lilienthal pour l’étape de la propulsion ; ils fabriquèrent un 4 cylindres  à refroidissement a eau qu’ Ader avait prévu ainsi que son hélice. La prolifération de formes suggère que toutes ont été essayées : tâtonnement autour des multiples queues ou empennages, en taube, en queue de poisson etc.   La voilure de Philips est celle qui fut la plus proche d’ailes décalées. De même que la variété des moteurs ou des matériaux, l’avion au début est imaginé à ailes battantes, avec hélice horizontale (hélicoptère), queue horizontale ou verticale et bien d’autres  formes

     

    Ader dans cet univers de relations complexes a peu de contacts mais il possède probablement des informations sur ses collègues. Il est membre de la confrérie « des hommes volants » (il  assistera à leur banquet en 1910 et y contestera à Santos-Dumont le titre de premier pilote). Nombreux sont ceux qui participant à la course industrielle des machines volantes de tous poils qui se disputaient l’espace neuf à gagner.  A un moment de la course, Ader se place en tête en raison de ses capacités de  projeter  les plans et épures Mis à part un autre physicien , il est le plus  diplômé des pionniers, ce qui lui fait entrevoir des solutions momentanément avancées au point de vue expérimental.   En tout cas, si on examine sa « chauve souris » exposée au musée des Arts et Métiers, la ressemblance avec l’aile volante actuelle (l’ULM)  est frappante. Dans cette logique du transport court d’une ou deux personnes, on ne lui contestera qu’il avait trouvé la  formule idéale. Or dans l’esprit du temps c’est cela qu’on cherchait. Si l’on juge avec cent ans de progrès et d’évolution dans l’esprit, on peut contester ses choix mais alors c’est de l’histoire contrefactuelle et anachronique

     

    F Faire voir, faire savoir, proclamer, prétendre

     

    Les composantes du travail d’invention ne s’arrêtent pas à  participer à la progression de techniques; encore faut-il convaincre et faire reconnaître le résultat. Donc il faut susciter une réception, trouver un public, et pour cela, mettre en avant les effets positifs et recevables, utiles et pratiques, dans la société du temps. Toute invention est encadrée par la société technique selon une hiérarchie de crédibilité proche d’une hiérarchie d’intérêts (incluant ceux de classes).  Il faut avoir « un comité de soutien », on dirait maintenant un lobby, des supporters, constituer une « communauté interprétative » selon l’expression de Becker.  L’acceptation de l’objet nouveau comme « invention » est le fruit d’une action collective de croyance qui nécessite un travail de diffusion de conviction. Chaque formule de représentation est ainsi le fait d’une communauté c’est-à-dire « un ensemble organisé d’individus :les « fabricants » qui produisent de manière courante ces représentations standardisées d’un type particulier, pour d’autres personnes , les « usagers », lesquels s’en servent de façon courante dans des  normes standardisées. Fabricants et usagers se sont adaptés réciproquement à leurs pratiques, de sorte que l’organisation de la production et de l’utilisation demande un certain temps[20].

    Le type de réception qui compte pour l’histoire des techniques est celle qui consacre le « pionnier ». Devant cet « oiseau machine », breveté en 1884, au moment de la création de l’Eole, le public ne sut comment définir cet objet bizarre. Est-ce la réponse au grand problème de l’envol, alors que le ballon à hydrogène s’imposait dans toutes les nations ? L’incertitude sur la fonction ou l’utilité de cet objet volant non identifié qui cherche sa voie s’exprime au cours de discussions ; la photographie dont l’essor est contemporain  y contribue  et  favorise les aviateurs  qui se prêtent au jeu  de la pose médiatique. Les courses, les acrobaties sont récompensées des prix.   Les triomphes lors des parcours de ville à ville sont assurés par la presse et la représentation de ces étranges machines.  Que l’aéroplane paraisse peu pratique par rapport au train et au navire -il n’a pas été   conçu pour réduire les dimensions d’un continent sans penser même à voyager entre les continents- se manifesta  à travers le premier usage social. Au début, pris comme simple   moyen de loisirs ; par exemple pour aller visiter des amis à la campagne où l’on atterrit n’importe où. Les baptêmes de l’air deviennent à la mode, le sport féminin s’en empare comme instrument de libération féminine. C’est pourquoi, se singularisant sans rancoeur ni aucune arrogance puisqu’il n’a pas été maltraité par l’opinion, Ader  en a  prévu un usage autre: militaire. Malgré lui il, fut perçu  comme un de ces originaux que les photographes, les poètes comme Apollinaire, des peintres ou des journalistes vont immortaliser voyant   dans l’avion une manifestation plutôt libertaire et dans Ader,  un indépendant voire individualiste  résolu. Il n’était pas totalement autonome mais cela ne se savait pas. Quand il demanda  des crédits publics sur l’usage desquels les commanditaires, le ministère des armées eut son mot à dire au cours d’un programme s’étalant sur  une décade,  il les obtint mais sur fonds secrets. Or, le secret ne va pas avec la vulgarisation publique ; le « donneur d’ordres » était pointilleux ; Ader admettait aisément cette situation. Cependant   après 1900, le contexte international changeant avec l’irruption des concurrents anglais et américains et les disputes commencèrent. Cependant pour Lissarrague, le vol est avéré : «  il ne  reste plus alors qu’à examiner par quelles intuitions, Ader a pu réussir son premier envol de 50 m, réalisé en 1890 suivi d’un second –de 210 m- en 1891, et d’un troisième , le plus long , de 300 m, et le plus décrié parce que la reconnaissance de ce vol aurait jeté de l’ombre sur les « premiers exploits » réalisés par d’autres au début du XXè ».

    Faire reconnaître l’objet par l’opinion ou faire la démonstration d’une ressource en gestation auprès des industriels devinrent une priorité mal assurée dans un équilibre international instable. Les Etats décident des orientations et s’il y a inertie de certaines institutions ou secret, il sera difficile de diffuser l’innovation par son auteur. Par exemple quand se constitua un embryon de lobby de l’air, il se heurta à la marine et à l’artillerie qui se prétendaient reines des batailles. Toute la période 1900-1020 baigne dans une compétition industrielle et financière américano-européenne. Sur le projet de l’avion, il y a eu pléthore et peu de réalisations effectives. Certaines plus ou moins fantaisistes apparurent puis disparurent. Mais toutes les étapes ont été intéressantes, utiles même non reconnues, du planeur au ballon et à ses variantes jusqu’à son achèvement le dirigeable Italien de Nobile, et bien sûr peu après  l’avion qui s’imposa finalement.

     

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     Les « affaires » Dreyfus  et Dollfus

     

    On observe fréquemment des rapports de force dans le monde des inventeurs potentiels. Parti de loin avec ses premières idées, fixées dès 1860, Ader a été un des premiers à théoriser le « vol » et à calculer les paramètres scientifiques à maîtriser. Le fait qu’il ait « volé » (peut-être), combien de temps et à quelle hauteur (fait  secondaire  sauf pour les concurrents) a déchaîné les passions.... plusieurs années après les faits ! Et là, le sociologue a des choses à dire alors qu’il se taisait sur les problèmes techniques ou sur le contenu physico-mathématique de la conception théorique. Deux détracteurs furent le capitaine Renard qui estimait mériter les crédits militaires et C. Dollfus ; le premier,  fils d’un amiral et l’autre, de milliardaire. Ils ne comprirent pas pourquoi l’armée finançait un extérieur à leur milieu, un marginal peu intégré au sein des associations existantes.

    Pas d’invention, ni gloire au cours d’une carrière   sans polémique et celle-ci dure, relancée par le centenaire. Ader a eu comme les autres des ennemis coriaces mais aussi un réseau de supporters que sa tentative d’homme oiseau et sa sociabilité méridionale maintenaient motivés et intéressés. Toutefois dans l’obligation de dissimuler ses performances et de garder le mystère, sur ordre de l’armée, il demeura longtemps enfermé dans cette contradiction. Il ne put s’expliquer que plus tard. Son dilemme consista à peser les désavantages du manque de reconnaissance publique au prix de l’intervention de ses sponsors. La diffusion en l’état de ses travaux était irréalisable. Contractant avec la haute administration, engagé au confidentiel, son avion a été perçu comme un instrument militaire dont les tests se faisaient sous le couvert des officiers. De plus le climat politique était compliqué ; en coulisses, les gouvernants évoquaient ouvertement une revanche contre l’Allemagne et le devant de la scène était intensément occupé par l’affaire Dreyfus où des militaires paraissaient de plus en plus compromis.  Cela a été bien établi et il n’y a pas lieu d’attribuer les errements de la médiocre publicité des vols à un trait de caractère d’Ader, prétendu méfiant ou autoritaire, ou bien à son comportement antipathique qui n’est pas prouvé. Le ministre-général qui a soutenu Ader est celui-là même qui fit condamner Dreyfus comme traître. Le général Mercier a été le principal protagoniste des faux et de la couverture des abus de jugement. Ader vit dans l’ambiance de l’affaire d’Etat que fut la condamnation du capitaine Dreyfus mais il n’en dit jamais mot officiellement, sauf en privé si j’en crois les proches qui vécurent cette période. Le constat du vol dépendait en partie des jugements politiques bien instables par ailleurs.  Les opposants à Ader mêlaient des résultats tangibles à des arrières-pensées politiques. Au fur et à mesure de la découverte de l’importance de l’escroquerie des faux par les Dreyfusards, en 1889, l’avion disparaissait peu à peu de l’horizon des services du ministère. Le général Mercier était un polytechnicien dont le projet et le souhait, affirmait-il, étaient de rattraper l’industrie anglaise. Républicain sincère mais sans clairvoyance ni réalisme politique,il fut  condamné  et sa conviction  d’un avion viable disparut   avec lui.  Le général Billot qui ne l’aimait pas et qui le remplaça au gouvernement deviendra l’homme du retournement de l’opinion en faveur de Dreyfus...mais pas de l’avion qu’il laissa choir. L’armée était soumise à des tensions internes : l’infanterie pensait qu’elle était l’arme décisive et ne voyait pas l’intérêt d’équipements même déclarés «  arme  miracle ». Pour la marine, la réaction est plus classique : elle dédaigna de manière répétée les ingénieurs, terriens qui pensaient que son influence serait forcement détrônée par l’aviation

     

     

     L’ affaire Dollfus

     

    Une autre affaire doubla la première et affecta la sérénité de jugement sur le vol. La hargne du détracteur le plus sévère fut le fait de Charles Dollfus. Celui-ci a été lié  du fait d’ une proximité familiale parisienne au capitaine Renard, ce concurrent malheureux pour les crédits, on l’a dit. Ils   furent d’ailleurs associés dans une passion commune pour les ballons et le dédain des avions. Étonnant manque de perspicacité pour celui qui deviendra le futur Directeur du Musée de l’Air ! 

    Les éléments de ce débat sont donnés avec minutie par plusieurs ouvrages qui retracent comme dans un roman policier la trace du vol ou celle des machinations. Lissarrague  qui occupa, au départ de Dollfus, sa charge  de directeur du Musée de l’Air  a fouillé toutes les archives au cours d’une enquête à  multiples facettes pour comprendre l’inimitié à l’égard d’Ader de la part d’un homme aussi influent  que  fut Dollfus . Les disputes de savants ont été parfois tragiques. Pénaud (1850-1880) à trente ans, ingénieur théoricien, ne verra pas voler le premier dirigeable en 1884 qui pourtant possède une hélice construite selon ses recommandations. Son engin n’a provoqué que de sarcasmes parmi les membres de la société aéronautique de France où cependant les fervents « balloniers » estimaient improbable l’avènement des plus lourds que l’air. Les critiques contre Pénaud furent si fortes que l’inventeur se suicida en 1880 (à 30 ans) accompagnant cet acte ultime d’un geste de vengeance .Le jour de sa mort il envoie à ses collègues un petit paquet : un cercueil en modèle réduit dans lequel il a placé une copie de ses brevets et de ses calculs ainsi que le raconte E. Chadeau 

     

    Pour Ader, l’hostilité académique n’a pas eu d’effets aussi dramatiques mais les jugements   sceptiques à son endroit furent repris-ce qui n’est pas surprenant- de la part d’ Octave Chanute, Otto Lilienthal, Samuel Langley, G. Voisin, R. Hanriot, les rivaux directs de cette époque.  

    Dans quelques livres aujourd'hui, les reproches de Dollfus sont répétés sans vérifications :  Ader l’ « autodidacte », « celui qui ne fait pas école », celui qui a ignoré la théorie. Lissarrague fit justice de ces accusations : la théorie alors n’existait pas !  Toutefois les deux registres choisis pour affaiblir la prétention d’Ader ne sont pas anodins dans une histoire générale des sciences et techniques  

    a) Le reproche le plus sérieux impliquait son manque de sens déductif, l’absence de point de vue méthodologique, rationnel et progressif.  Ceci est appuyé sur un argument  résumé en  médiocrité de son « capital scolaire » ! Le fait qu’il ait été un jeune et brillant ingénieur est ignoré par les historiens livresques. Cet argument fut néanmoins largement récupéré par les journalistes anglais ou par des historiens français récents : B. Mack l’affirme dans le Monde[21]  à l’occasion du centenaire et c’est l’opinion anglo-saxonne qu’il représente. Ces jugements expéditifs ont choqué les biographes qui déplorent que l’opinion française fut désinformée par des compatriotes dépendant pour leurs sources,  de  rivaux anglais.  La présumée « sous-scolarisation » est typiquement un préjugé de classe, puisqu’on l’impute à un provincial, d’origine modeste : jugement émis avec condescendance. L’autre reproche qui parait aussi décalé dans ce milieu d’aviateurs serait qu’Ader n’aurait pas fait école et n’eut pas de disciple. Le critère d’obligation de professer et d’avoir des successeurs est une critique plutôt d’artiste conventionnel. Dollfus   l’a répandue abondamment notamment dans la revue Icare qu’il dirigeait. Rappelons que Dollfus a  fait la guerre dans les ballons en 14-18, et a lui, comme capital scolaire, d’avoir fait l’ Ecole du Louvre  en tant que  fils d’un riche collectionneur d’art, alors que sa mère férue des ballons s’occupait des boutiques  de luxe. Dollfus  fut embauché par le Musée de l’air qui se  créa en 1930   d’abord en tant qu’ adjoint du Directeur,un Polytechnicien  désinvolte dans ce poste sans prestige, qui lui laissa rapidement sa place. Guerre de classes ? On dirait maintenant un bobo de grande famille contre un petit provincial industrieux.

     

    La sociologie des sciences est de maigre profit pour comprendre des conflits de contenus et orientations scientifiques; mais elle peut juger des rapports de classe dans la diffusion des innovations et des conditions de l’émergence d’une jeune historiographie de la conquête de l’air.  Sous cet angle, le conflit autour d’Ader, relancé en 1970, manifeste l’autre volet : l’interférence   de la politique  internationale. Dollfus irréductible se révèlera après la mort d’Ader en 1925 un partisan déterminé de la prééminence américaine dans la compétition de l’espace. C’est lui qui a fourni les arguments aux historiens américains créant ainsi une présomption d’Ader affabulateur. Il a vendu des papiers personnels d’Ader tirés du musée qu’il dirigeait et les a prévenus  contre des témoignages favorables à Ader. Et ce au cours de ses nombreuses invitations que lui firent les institutions américaines prestigieuses de Washington. Lissarrague a été choqué  du renoncement à défendre un compatriote, donnant des arguments  à l’une  des historiographies qui fut parmi les plus impérialistes ; celle de l’air et de l’espace,  patrimoine des  Etats-Unis . Ainsi va la vie savante.

     

    Je concède avoir eu des doutes concernant la « paranoïa »  suscitée au titre de l’hostilité  qu’on aurait manifestée à l’égard d’Ader. Elle me semblait excessive. Mais un article du Wall Street Journal, du 22-10-1990 a balayé mes hésitations. Qu’avait besoin le Journal de la Banque de relever le centenaire français et d’ironiser à son propos ?  Cela signifie-t-il que la guerre intemporelle des attributions d’inventions resurgissait à cette occasion ?  Probablement !  Sinon qu’est-ce qui justifie la réaction de l’« illustre »  quotidien, en première page sur deux colonnes   débordantes de commisération vis-à-vis des  « Frenchies »  ayant la prétention  de rivaliser avec les Frères Wright. Crime de lèse majesté, cette « Année Ader » a été traitée outre-Atlantique comme une aimable plaisanterie par le journal de la Bourse. Il est arrivé à « Ader » ce qui est arrivé par la suite au Concorde, et également à l’Airbus face au Boeing. Malheur à celui qui s’attaque à la suprématie américaine aérienne de sa naissance jusqu’à son essor contemporain. Il n’était pas question pour la finance américaine de céder un pouce de terrain sur le plan de l’histoire des idées.

    Dès 1870, la préoccupation américaine de concurrencer l’Europe se manifesta à propos de tous les sujets. Ils connaissaient Ader depuis le vélo, avaient traité avec lui et tenté de l’embaucher; ils savaient qu’il préparait un engin plus lourd que l’air. Vielle rancune à son égard ou simple sous-estimation de l’Europe dans l’historiographie contemporaine de langue anglaise ? On constate indubitablement qu’à partir de 1907 les USA    veulent s’imposer dans cette arène. Et là le poids de l’histoire s’inverse lentement. L’Europe perd la main dans l’aviation.  Si la nation des frères Wright prend la tête, toutefois la prééminence, même à retardement, l’Amérique la doit en partie à un homme lui aussi très controversé, Ch. Lindbergh . Et après 1918, ce fut l’explosion : de quelques centaines de prototypes de formes et de propulsion variées, on passe brutalement à quelques milliers d’avions construits depuis août 1914.  La France construisit 68 000 machines, la Grande-Bretagne 55 000, l’Allemagne 48 000 et l’Italie 20 000.  Seuls les USA sont encore à la traîne avec seulement 15 000 appareils. Et ils vont prendre la tête à l’occasion de la seconde guerre mondiale

    Les liens puissants entre politique et science se sont manifestés, là, principalement par l’intermédiaire de la physique.  Les infortunes de Galilée, pour ne prendre que le plus célèbre des cas, sont connues. Du protecteur, Laurent de Médicis le magnifique, jusqu’à la pression de l’inquisition, il supporta toute la gamme des interventions des pouvoirs dans la vie scientifique.  Pourquoi est-ce la physique qui fut toujours la plus exposée mais aussi corrélativement celle qui a tiré le  meilleur profit des événements politiques ?  La deuxième guerre mondiale a mobilisé un nombre impressionnant de savants permettant à l’atome de s’affirmer et à la théorie quantique de s’imposer ouvrant après coup la voie à des progrès civils. Si on considère les guerres ou les conquêtes territoriales (navigation et découvertes de continents) comme des stimulants de la science, la physique a été en premier et directement impliquée, à coup sûr. C’est une des sciences qui a le plus de responsabilité dans les événements des siècles écoulés. Ne serait-ce que parce qu’elle a apporté 80% des inventions sous forme de « progrès » en armements, motorisations, capacité de tirs et de bombardements, sans compter les transmissions.  La chimie, la biologie sont intervenues peut-être pour 10% dans l’ « efficacité » militaire : les munitions, les carburants et aussi en médicaments et soins médicaux. Hélas, elles ont aussi fourni aux Nazis les moyens de l’holocauste et ceux des essais sur les humains.  L’élucidation des liens entre la science physique, la guerre ou la paix devraient être, si possible, un objectif raisonnable de l’histoire des sciences. Faut-il renoncer à la science ? Non ; bien sûr ! La science exercée avec esprit critique établit progressivement, dit-on, un sens de la responsabilité et une indépendance vis-à-vis des idéologies. Peut-être, mais réponse facile et ambiguë ! Ader y a été confronté. L’avion fut pour lui d’abord un moyen de revanche et de  défense nationale

     

     C’est pourquoi l’invention du monde par la physique sur un siècle se transforme en une norme jamais « finie ». L’aviation eut sa part et devint le symbole de ce bond en avant. La science soutient et a besoin de l’industrie ainsi que de ses applications, lui fournissant une mine d’enseignements, d’informations, ses financements et une impulsion ou l’estime profane également. L’armée des savants est à étudier comme celle des capitaines d’industries.

     

     

    Le poids de la Politique dans la Science

     

     Revenant à Ader : on conviendra qu’un cadre explicatif intéressant, plus  fécond que les références psychologiques (le  caractère), par lequel on a justifié  ou caricaturé sa carrière serait plus approprié : celui des analyses sociales des jugements. Selon ses biographes, Ader aurait été « abandonné par le public, trop en avance sur les connaissances de son temps » ou encore « Ader se sent alors si découragé qu’il attendra dix ans avant de publier dans une petite brochure illustrée les résultats de ses expériences ».  D’un autre côté, les arguments des détracteurs lui imputent une pose au génie maudit, attribut classique de la justification de l’échec.  Ces qualifications viennent parfois de notre impuissance à concevoir les luttes savantes dans les mêmes termes que les luttes de clans politiques ou de fractions scientifiques, voire « de classes », transformées en disputes académiques puis éditoriales. Le mythe du chercheur malheureux, l’enfermement dans le secret sont une pirouette, un raccourci de la justification de l’abandon de ses projets et de son retour dans le Midi natal qui surprennent les commentateurs et l’élite qui ne comprennent pas l « ’abandon » de Paris.  En réalité, il voulut passer la fin de ses jours à Muret au milieu d’une phalange d’amis, vivant une vieillesse heureuse au milieu de paysans et d’artisans avec lesquels il parlait occitan, bavardant avec les ouvriers sur les chantiers, et comme un méridional égarant par son humour rentré parfois l’interlocuteur « étranger » (et le Parisien, journaliste ou non, est ainsi perçu).  Ader, à 65 ans, est si peu découragé qu’il continue à réfléchir et à innover. A aucun moment, il n’y eut de « trou » dans sa carrière, pas plus qu’il ne vécut une retraite amère. Au contraire, il demeura un créateur incessant.  Il élabore, par exemple, la conception du « Canot glissant sur l’eau avec un coussin d’air », annonciateur de l’ hydroglisseur ;  ce fut d’ailleurs son dernier brevet.

     Sa carrière lui valut des récompenses : remise du titre de Commandeur de la légion d’honneur, amitié des ministres Flandrin, de Freycinet, Auriol.   Il ne s’est proclamé en rien précurseur ni géniteur, ne s’est pas battu pour être reconnu. Son combat, il le mène au plan politique par l’intermédiaire d’une croisade inattendue à son âge, visant à l’établissement d’une aviation nationale puissante. Il choisit ce moment–là  pour écrire un dernier livre    publié -à ses frais d’abord- sur l’aviation militaire et l’a envoyé à des personnalités éminents, à des journalistes et à tous les parlementaires. Il a de bonnes raisons à 70 ans d’être persuadé des risques de guerre. Retraité, inquiet des menaces contre la paix, il a été le visionnaire, le prophète des événements qui allaient ensanglanter l’Europe. S’il se construisit à son égard une légende noire, nous avançons pour cela une explication : il ne cacha pas ses idées nationalistes.  .Problème qui n’est pas anodin vu les enjeux internationaux qu’on verra surgir et qui furent l’ obsession de l’époque d’Ader

     

     

    Ader auteur et patriote.  

     

    Pourquoi fut-il patriote au point de financer une campagne, avant la guerre de 1914 afin que la France se dote d’une armée aérienne ? Voila ce qu’il déclara aux élèves officiers de Saint-Cyr, en 1920 : « Chers enfants de la France, une sublime vocation vous anime et appelle votre dévouement vers la Défense nationale .Un avenir incertain se présente devant vous. Mais il pourrait devenir des plus glorieux pour ceux qui sauraient le comprendre. N’oubliez jamais ; sera maître du monde qui sera maître de l’Air »

     

    Ader crût jusqu’en 1900 que l’avion pouvait exclusivement servir à l’observation de l’ennemi et à des bombardements ponctuels. Il ne prêchait pas pour sa paroisse car en 1911 dans son deuxième livre, il savait que son engin avait été dépassé. La volonté de reconquérir l’Alsace et la Lorraine lui suffisait comme justification d’écriture et d’action. Les événements allaient vite et il se jeta dans le combat stratégique. Le patriotisme est-il un ingrédient nécessaire ou utile à l’incitation aux inventions ? Pour Ader, cela est manifeste. Il a écrit des livres tous orientés vers une fin identique : la revendication des moyens d’une victoire en cas de prochaine guerre avec l’Allemagne

     

    Son œuvre écrite comprend :

    : La première étape de l’aviation militaire en France, J. Bosc, 1907

    L’aviation militaire, Berger-Levrault ,1911 ; réédition, Service historique de l’armée de l’air, 1990

    Les vérités sur l’utilisation de l’aviation militaire avant et après la guerre ; Les Frères Douladoure, Toulouse,1919

     

     Ces publications sont curieuses ; il ne parle ni de son passé, ni de revendications au titre de précurseur mais uniquement d’avenir et d'intérêt pour des machines   volantes. Ces ouvrages ne sont pas des traités savants, pas plus des relations ou des discussions techniques mais ils sont des raisonnements politiques au sujet de la légitimation de l’extension qu’il entrevoyait à l’aviation.

     L’aviation militaire est particulièrement une compilation de notes, d’exposés ou de conférences. On y trouve des anecdotes drôles. Ader a du style et de l’humour. Dommage qu’il ait évité toute autobiographie même succincte. Les anecdotes au sujet des femmes arabes intriguées, à la décharge de Constantine, par cet homme qui est obsédé par le vol  plané et le vol ramé des gypaètes et des vautours, ne cessant de les dessiner, sont drolatiques. On sent le spécialiste et en même temps l’amoureux de la nature, notamment quand il parle des grands oiseaux à l’aise dans la maîtrise des tempêtes aériennes, comme les cormorans  s’enthousiasmant de leurs capacités à l’aérodynamisme, de leur usage et leur sensibilité à l’altitude et aux courants. Il voit les oiseaux en pure merveille de l’évolution. Ader est un naturaliste parfois emporté par ses observations et par sa tendance à une imitation servile de la nature, la bionique.  Textes drôles et incidents bizarres  dans ce livre se succèdent quand  il  se déplace en Alsace, à Strasbourg où, observant les cigognes, depuis les tours de la cathédrale, il est arrêté pour espionnage par le commandant de la forteresse. Finalement relâché grâce à l’intervention providentielle d’ un ingénieur allemand en train d’installer des lignes dans la citadelle  qui avait   entendu parler des téléphones « Bell-Ader ». 

     

    On peut lire ses livres comme une fiction devenue réalité, au service d’un nationalisme exacerbé qui paraîtrait aujourd’hui déplacé.  Il y perçoit tous les ingrédients du conflit à venir ainsi que les futurs usages de l’aviation par l’armée de Hitler en Espagne d’abord, puis en France et en Grande-Bretagne ensuite à l’été 40 afin de faire plier les civils, otages de nouvelles guerres.  Ses descriptions anticipatrices, et ses prévisions argumentées aux détails près, semblent sorties d’un traité militaire des années 50 : tactique des bombardiers, usage de l’avion léger armé, analyses des angles de tir en fonction de la vitesse, organisation d’une armée de l’air avec ses infrastructures. Sans parler de son programme minutieux d’écoles de pilotage de bombardier ou de chasseurs.  Au point qu’on se demande si la Lufthansa ne l’a pas étudié avec minutie. Plus que probable : tant la leçon parait claire et manifestement apprise.  Ader était connu à Berlin (son téléphone avait retenu l’attention, des brevets en Allemagne avaient été achetés), et ses articles ou livres ont dû été envoyés de France par l’ambassade allemande, hélas à notre détriment pour les stratèges nazis. Par un paradoxe fréquent en Histoire, le patriote le plus farouche a servi involontairement le camp qu’il voulait combattre ; contradiction   banale en temps de guerre où les savants sont des pions qu’on échange. Avant 1939 et après 1945, les Allemands ont donné une telle avance à la physique américaine que la dette de cette dernière vis-à-vis de l’Allemagne ne sera pas éteinte si tôt.  

    Dans le genre prévision réaliste, il a exposé 30 ans avant qu’ils ne se produisent les bombardements allemands de Londres. Ces prémonitions sont extraordinaires, particulièrement lorsqu’ il élabore un plan de défense en cas d’invasion. « Voyons les avantages que nous recueillerions dans une alliance anglo-française : l’Allemagne à son tour deviendrait partie antagoniste.  Si une guerre survenait, peut-être sans déclaration préalable, depuis Metz, de grandes armées aviatrices viendraient à nous surprendre et nous aurions à supportes seuls les premiers chocs..Et si les résistances dans l’Est lâchaient et si les aviateurs ennemis se présentaient, que faire ? »

    D’accord, il s’est trompé de guerre mais son anticipation en est encore plus confondante !  Car c’est la seconde guerre qui fait justice à ses pronostics pessimistes pour notre destin national en raison d’une utilisation  médiocre de notre aviation. La maîtrise de l’air pour aider l’infanterie à gagner du terrain équivalait à concevoir l’avion non comme un adjuvant mais une arme en soi et il l’avait théorisé ! La tactique de combat en vol : c’est lui ! L’usage de l’avion comme bombardier terrorisant les civils, la stratégie de conquête territoriale par l‘aviation (Japon et Pacifique) c’est lui !  Le concept de porte-avions et son impact sur les opérations maritimes, vision prémonitoire de la stratégie navale du XXè : c’est lui ! Il n’est pas étonnant que la marine ait recommandé récemment son nom pour un futur porte-avion. Il a même prévu l’enseignement, le programme de la formation des pilotes : matières et contenus de cours compris

     

    On le sait après coup, l’aviation modifia assez peu finalement le destin de la première guerre, pas plus qu’elle ne changea en 1914 le type des confrontations traditionnelles entre l’Allemagne, l’Angleterre  et nous. Dans ce cas l’ aviation   n’a pas bouleversé les lois de la guerre mais Ader  prévoit  des  bénéfices de fourniture  de données fortuites que ce soit au sujet de la météo, du renseignement immédiat pour une intervention plus  rapide du fait de la vision directe de l’ennemi. Les détails des terrains à construire à l’arrière, la soin à porter aux cours de pilotage accélérés pour nos soldats, les formations à prévoir des mitrailleurs : son imagination est intarissable   côté opérations tactiques.  Pour preuve : l’exergue de couverture : « je ne vous présente pas ce livre puisque vous le connaissez déjà. Vous savez qu’il a pour unique objet la défense nationale. Propagez –le, vous rendrez service à votre pays ». Visionnaire stratège,nationaliste résolu, militariste obtus? Qui est politiquement cet Ader ?

    Sentimentalement et socialement, il est proche de cette petite bourgeoisie des professions libérales, type Auriol et Blum. Mon grand père, socialiste, ayant épousé sa nièce a conquis la mairie de Muret avec Auriol, en 1925 pour la première fois à gauche ; il connaissait bien Ader avec lequel il aimait discuter politique comme avec tout notable. Sa femme l’accompagnait dans ses promenades campagnardes ; il mourra six mois après elle. Leur fille unique ne fit pas d’études scientifiques. Elle épousa un vicomte et mourut à Nice sans descendance, ayant dépensé au casino les bénéfices des brevets avec son mari dilapidateur qui vendit aux Américains les papiers et les maquettes.  Ruiné au jeu, il écrira un livre de souvenirs  commercialement anecdotique au sujet de son beau-père. Tout ceci a scandalisé le reste de la famille Ader, austère et moraliste. Lui-même, avares de confidences, n’a rien dit ou écrit de sa vie privée. Il a légué à sa ville natale ses documents et les livres de sa bibliothèque qui en retour lui éleva un monument construit par Landowski. Profondément provincial, enraciné et intégré, a-t-il été franc-maçon comme beaucoup de ses amis locaux ? Je ne le pense pas ; car trop connu comme nationaliste  intraitable à l’encontre de la grande bourgeoisie  du second Empire, et à laquelle il   reprochait son défaitisme militaire et sa faiblesse politique en 1870. Lui, fut partisan de Gambetta et de Clemenceau. On ne connaît rien de son opinion sur la Commune. Il était resté  géneralement silencieux : peu de conférences et d’exposés, pas de vie mondaine, peu d’interviewes aux journalistes ou de déclarations sauf sous forme de lettres aux Parlementaires ou aux généraux influents à l’ Etat-major (tel Mensier). Il ne s’est guère défendu quand l’histoire marginalisa  la portée de son envol de Satory.  Il a volé  dit-il, des vols.. des sauts de puce peut –être, mais vols tout même.

     

    L’ordre chronologique d’apparition, la propriété légale ou non des « inventions » sont une des énigmes que l’histoire racontée aime mettre en exergue : or, elle est sans importance quant au résultat ultime.  Le plus intéressant des querelles byzantines est que découle du combat pour le progrès technique  et  pour la considération, une intelligence universelle. L’hagiographie nationaliste affecte l’historiographie.  Le reste relève de la psychologie chauvine ou cocardière.   Finalement Ader a participé à la création scientifique de son temps ; c’est tout et suffisant !

     

     

    Conclusion

     

    L’esprit scientifique est un amalgame de divers modes de penser, traditionnels (les savoirs accumulés, formalisés mathématiquement) et originaux ou inédits par imitation, comparaison, induction. A excessivement valoriser l’un ou l’autre, à insister sur l’impératif hypothético-déductif au détriment de l’indicatif intuitif, l’imagination créatrice   risque d’être bridée.  Le trouble subséquent   a été de valoriser un scientisme du conceptuel, de la théorie achevée  dans la description philosophique et historique des sciences. Le cas Ader nous a aidés à sortir de l’impasse et à envisager un retournement du dilemme.  En effet, qu’ont fait dans le même temps d’Ader et ses émules, les plus diplômés des académiciens, les centraliens ou polytechniciens ? Certes de la gestion des affaires intellectuelles, de l’administration publique, de la direction d’entreprises ou de l’animation des sociétés savantes...

     L’histoire des techniques a souvent occulté les aspects de conflits de classe, les relations de pouvoir. Elle s’est déplacée d’un concept de   pionnier ou de prophète à celui d’acteur- réseau, ce qui est un progrès bien qu’on ait sauté l’étape des petites entreprises de sciences appliquées, projets de groupes de proximité avec l’industrie, ou  d’alliance avec l’armée. Il y a matière à réflexion en sociologie quand on parvient à observer ethnographiquement les procès de travail au laboratoire (modes opératoires, processus de fabrication, division du travail technique) ou bien les subtilités de l’influence de la part des intellectuels non scientifiques à l’égard du public amateur de sciences. La création matérielle est due à de nombreux innovateurs et à des mises en relations inattendues entre domaines de connaissances proches qu’il est malaisé de démêler dans un état général insaisissable du devenir social

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    Théorie contre  Sens Pratique ?  

     

    Il faudrait sérieusement questionner l’ampleur   d’une vision sans a priori, confrontée à l’étroitesse spécialisée d’une recherche à base de concepts et de théories formelles : que privilégier ?  Ce débat date de l’Antiquité et n’est pas prêt de se terminer.  Ader a choisi la voie du praticien empiriste, de la construction à partir d’une idée pratiquement fondée. Là où il n’y a pas de théorie du vol ni   de  maîtrise de l’espace, il décide d’envoyer une machine à vapeur  dans les airs, inventant pas à pas  l’hélice et les ailes souples et repliables, le moteur léger et puissant, les matériaux spéciaux.

    Ses démonstrations et essais s’appuient sur des mathématiques de haut niveau sans être exceptionnelles. Il ne les a pas favorisées en tant que telles, sauf en forme d’outil d’appoint. On sait que l’histoire des sciences ne voit pas les choses comme lui .D’abord on pose en priorité les mathématiques très sophistiquées puis les applications éventuelles en physique surgiront. C’est pourquoi Ader peut être considéré comme un « Chinois » du siècle passé. Il et un des derniers inventeurs d’une « science sans théorie » ; c'est-à-dire un pragmatique manipulateur au sens expérimental du terme, un intuitif de la mise à l’épreuve. Cette positon est relativement abaissante et dévaluée  dans notre épistémologie. L’excès de passion théorique et de savoirs abstraits freine la compréhension jusque et surtout  dans les sciences sociales.   Ader n’était pas ignare en mathématique ni n’était un physicien autodidacte quoiqu’il n’eût pas d’idées très précises à 15 ans avant de commencer son aventure d’inventeur professionnel. Mais, en revanche, il avait accumulé une masse de connaissances concrètes immense. Sa chance fut qu’à un jeune âge (à l’obtention du bac mathématiques), il ne fut pas empêché de développer son sens pratique, son intuition d’observateur de la nature.  Dans la période où l’industrie et la technologie entraînaient la science et où les savants ressentaient cette forte impulsion,une conception pragmatiste  prit  le dessus non sur l’application expérimentale  qui n’existe pas encore ou est imparfaitement définie,  mais sur  l’étape de l’imagination préalable en vue de la conception  de machines ex nihilo. Les théoriciens suivront.

     

    L’hypothético-déductif en méthodologie scientifique –comme dans une autre- où les problématiques initialement déterminées  font perdre le point de vue matérialiste spécialisé.  Et Ader, généraliste, pressent immédiatement à partir de la biologie des oiseaux vivants (planeurs, migrateurs qui parcourent plusieurs centaines de Kms par jour faisant bon usage du vent et des courants), l’ utilisation subtile de la résistance de l’air, selon l’altitude ; et  voit ce que les humains peuvent en tirer. Enfant, il avait remarqué   combien la vision de l’action pratique était une source inépuisable en physique concrète  des fluides ou ailleurs.  Ce rapport à la nature manque aussi bien aux naturalistes théoriciens de la genèse qu’aux pédagogues actuels.  Conceptualiser outrancièrement, lutter pour la théorie nouvelle sans faits nouveaux  tend à aggraver la déresponsabilisation des savants : notamment des physiciens formalistes ce qui dans la  vie sociale et politique les rend maladroits et  gauches, les exposent, plus impuissants  que d’autres à la manipulation par des philosophes, des idéologues ou bien par les éditeurs et journalistes flatteurs.  On oublie pourtant que c’est là, en histoire, la marche logique : tel Claude Bernard qui théorise après coup ou Pasteur qui essaie de comprendre ce qu’il a trouvé par tâtonnements et expériences erratiques. L’apport théorique, ils s’y consacreront les dernières années de leur vie, quand ils présenteront au public des connaissances plus élaborées. Quand il n’existe pas de théorie et de savoir stabilisé (la plupart du temps), qu’est ce qu’on fait ? On attend, on patiente ! Il y a quand même une science. C’est ce qui s’est passé en Chine pendant deux ou trois millénaires, alors que nous avons les yeux rivés de façon trompeuse sur les mathématiciens et physiciens Grecs. On crée avec de l’imagination et on s’appuie sur le sens pratique normalisé par les connaissances accumulées dans un autre champ du savoir.  Les hommes de sciences souvent dévalués, ingénieurs ou techniciens, sont des praticiens aux résultats également aboutis durant des siècles.  Ce qui ne signifie pas qu’une telle position soit sans équivoque ou sans risque. Des savoirs empiriques peuvent avoir été accumulés et établis et oubliés, ne plus être maîtrisés par les successeurs. Les marins Chinois avaient inventé la boussole bien avant nous mais dans leur Empire vieillissant ils avaient perdu son usage. Et la science fondamentale peut aussi connaître cette mésaventure.

    Le cas Ader, un des ces hommes amoureux des sciences, ouvre donc un débat moderne. Mieux vaut imiter et inventer, se tromper que reproduire de façon mécanique, routinière, oublieuse. Des quatre éléments, l’air était resté longtemps le plus inaccessible. Sa maîtrise supprima l’isolement des continents ainsi que la lenteur maritime des rencontres, améliorant les relations entre les hommes mais a donné une nouvelle impulsion et des moyens neufs à la guerre et aux conflits entre nations.  Faut-il, à cause de ceci, renoncer à la science ? Non, bien sûr ! Mais tout dépend de sa transmission : avec ou sans esprit critique, avec une indépendance ou pas vis-à-vis des employeurs ou commanditaires. Ader y a été confronté et n’a pas tranché, sinon par une sagesse de retraité qui ne revendique pas une place spéciale dans l’histoire ou dans l’actualité

     

     Enseigner la science aux enfants 

     

    Peut-on faire raisonnablement d’Ader un penseur, un éducateur des sciences ? Probablement pas ! Comme Lévy-Leblond, il aurait cependant souhaité développer chez les jeunes un certain penchant à l’anticonformisme. Penser « au contraire », c’est à dire valoriser la séparation, la disjonction, la rupture raisonnable. Penser contre le présent et pour l’avenir est inconcevable si on fonde, pour les jeunes gens, l’éducation des sciences sur l’abstraction mathématique pure, celle qui est la plus formalisée. Quel mélange de mathématiques -et de quelles sortes- pour les futurs physiciens ? L’imposer : en préalable obligé ou en conclusion des écoles préparatoires aux études d’ingénieurs ? L'intervention de la société dans les circonstances de l’enseignement est essentielle quoique peu réfléchie en dépit des apparences. Ceci dit, l’ambiance anti-ouvrière qui règne présentement pèse dans la faible  légitimité accordée à l’éducation expérimentale que ce soit dans la mécanique, en métallurgie ou en ... théorie quantique. Pourtant si la cible est de revaloriser le savoir technique, on  reviendra sur ce pari raté que fut la rencontre de la science et de l'éducation française très formaliste. Dans un pays où la pédagogie est traditionnellement orientée vers le culturel, l'art ou les Humanités, on sous-estime et laisse en jachère la tendance de nombreux enfants à se sentir attirés vers des résolutions d'énigmes naturelles,  la sensibilité aux matériaux, la géologie, les sciences de la vie ou encore la climatologie ou l’écologie. Une mentalité où les jeunes esprits garderaient leur étonnement et la curiosité au delà de leurs 20 ans est devenu   difficilement abordable dans l'univers tentateur des jeux proposés. Plus l'attention est portée au virtuel, au magique, au mystère, plus les ados s’adonneront dans leur loisir à la fiction, ; livrés à  un fond anti-rationnel; ils s'abandonneront à la culture des gadgets des instruments domestiques. Ces « choses» mystérieuses, manipulées constamment mais au fonctionnement incompréhensible qui marchent en appuyant sur des boutons; la vie est alors un mécanisme non maîtrisé par la pensée rationnelle 

    Alors, quelle instruction scientifique donner maintenant à nos enfants, eux qui vivent dans un univers de commercialisation techniciste sans l'avoir voulu, cherché, compris. Ader n’est pas dépassé par ces enjeux ou décalé par l’époque. Si on laisse l’avion de côté qui a occupé au mieux une petite moitié de sa vie d’inventeur, Ader reste singulièrement moderne et peut-être inspirateur d’une réforme de l’éducation en sciences. La preuve est qu’il a contribué à de nombreux instruments courants de notre vie de tous jours dont nous usons en l’ayant oublié ou sans que nous le sachions. Il a participé à l’épopée du vélo, de l’automobile ; il a développé le téléphone et amélioré les transmissions ; il s’est consacré au rail et a construit un ancêtre de l’avion. Tout ceci fait de lui notre contemporain dans la vie quotidienne. Quelle prescience et quelle avancée si on additionne la totalité de ses innovations ! Sa perspicacité et une clairvoyance à l’épreuve à chaque instant sont ses meilleures créations et par conséquent une piste de réflexion pour l’époque et ses besoins.

    Il proposerait certainement de redonner une valeur centrale au travail manuel, à la propension au bricolage inspiré par le contact avec la matière, avec la nature, avec le concret des énoncés didactiques. Pas suffisant si par hasard  manque la concentration intellectuelle : tout ce qui est  imposé dans la société de l'anodin, du prêt-à-porter superficiel par la « culture ado » des outils fabriqués par des anonymes dans des conditions inconnues d’ailleurs à l’étranger et par des enfants ! L'éducation scientifique est à repenser car elle est abusivement associée à des programmes rigides, à l’inertie des pédagogies scolaires. Il manque des bibliothèques purement scientifiques, des livres d'initiation pour  enfants bricoleurs ou des musées avec des moniteurs expliquant comment manipuler les moteurs ou les procédés bio-chimiques élémentaires. Revenir à des travaux pratiques classiques pour éviter la magie des instruments actionnés règne à la maison et à l'école n’est pas simple si règne l’obscurantisme dans les médias. Une mentalité scientifique ne s’acquiert pas facilement dans les lycées techniques ou professionnels si elle est absente en famille, à l’usine ou dans la société civile.  Le droit à l’erreur doit être constamment reconnu. Le nombre d’essais accordés devraient être illimités, les mauvaises réponses non inhibées, les fausses pistes non systématiquement refusées. On a beau multiplier les institutions éducatives, les orienteurs sont embarrassés du primaire aux Grandes Ecoles parce que la transmission du sens expérimental ne peut être routinier ou pur didactisme. Par exemple en écoles d'ingénieurs, on demande simultanément soumission et émancipation, docilité dans l’apprentissage et la créativité dans la recherche ! L’autonomie est en fait niée. Permettre d'acquérir la confiance en soi de la part de jeunes gens consisterait à leur laisser une liberté de construction de leur cursus scolaire : options, choix des cours, du calendrier, de type de contrôle. Cela octroie l’autonomie dont le savoir dépend.

     C’est pourquoi osons imaginer ce qu’Ader aurait dit aux écoliers s’il les avait visités dans les tournées de lycées que font aujourd’hui parfois des physiciens célèbres.  

     

    « Gamins, Gamines, emparez vous de vos écoles, ces magnifiques locaux vides plus de deux cents jours par an. Revenez-y pendant les congés, en week-end, occupez vos salles bien équipées (par rapport à celles des enfants du Tiers monde) mais hélas sous-employées pour concevoir des loisirs intelligents à votre rythme et selon vos inclinations et modes d’acquisition. Développez-y votre regard, l'esprit d'enquête, la curiosité en commun. Cherchez à savoir, à apprendre hors internet et hors téléphones potables, ennemis mortels de la concentration. Usez modérément de l'ordinateur; feuilletez, lisez encyclopédies atlas, dictionnaires, manuels avec les conseils orientés des adultes si vous le souhaitez. Consommez mais des connaissances ; fuyez la société de consommation. Faites comme moi, enfant. Rêvez et restez réaliste; éveillez-vous à l’avenir, fréquentez les précurseurs que vous choisirez vous-mêmes. Emparez-vous donc de vos écoles pour en faire des lieux de vie, d'ouverture au monde. Les périodes scolaires sont bien trop courtes et formatées. A la maison, vous n’avez ni le temps, ni souvent l’espace ou le silence requis si vous n'êtes pas des privilégiés du logement. Et si vous l'êtes, si vous avez tout l’attirail des manuels, des encyclopédies à votre disposition ; il vous manque la stimulation et la discussion collective, l'émulation du groupe libre. Demandez à vos parents des jeux créatifs, leur manipulation (constructions, miniaturisation, puzzles complexes, carnets de collections). Inventez le concept, à la place du bibliobus, de « labobus » pour faire vos expériences de mécanique simple, pour les travaux pratiques  de votre invention ;  visitez des musées techniques et s’il faut à nouveau observer les oiseaux n’hésitez pas ! En bref, devenez de jeunes savants » ! Voila ce que vous aurait dit Ader.

     

     

    Sources

     

     Citons d’abord le poème de Guillaume Apollinaire (cf la Pléiade p 728) 

     

    Non, tes ailes, Ader, n’étaient pas anonymes,

    Lorsque pour les nommer intervient le grammairien ;

    Forger un mot savant sans rien d’aérien

    Où le lourd hiatus, l’âne qui l’accompagne

    Font ensemble un mot long comme un mot d’Allemagne

    Il fallait un murmure et la voix d’Ariel

    Pour nommer l’instrument qui nous emporte au ciel

    La plaine et la brise, un oiseau dans l’espace

    Et c’est un mot français qui dans nos bouches passe.

     

    L’avion ! L’avion ! Qu’il monte dans les airs

    Qu’il plane sur les monts, qu’il traverse les mers,

    Qu’il aille regarder le soleil comme Icare

    Et que plus loin encore un avion s’égare

    Et trace dans l’éther un éternel sillon

    Mais gardons-lui le nom suave d’avion

    Car du magique mot les cinq lettres habiles

    Eurent cette vertu d’ouvrir les ciels mobiles

     

    Français, qu’avez-vous fait d’Ader l’aérien ?

    Il lui restait un mot, il n’en reste plus rien.

     

    Ecrit  en 1910, en réaction à l’Académie qui choisit à la place d’avion, mot créé par Ader, celui d’ « aéroplane »

     

    J’ai été invité aux manifestations du centenaire, ai écouté, amusé ces passes d’armes et ces échanges mouchetés entre ingénieurs prestigieux de notre aéronautique(grande époque des airbus dans les années 90)  ; j’ai lu  ce qui parut. J’ai usé de sources privées familiales,  documents ou lettres de Cl. Ader. J’ai interrogé les témoins le plus proches avant leur disparition : ma grand-mère Germaine Ader sa nièce – qui jouait pendant les vacances avec Clémence, sa fille - ou ma mère et sa soeur qui habitaient la même rue que lui à Muret. Signalons enfin que C. Ader n’a pas de descendants directs après sa fille restée sans enfants 

     

    Bibliographie

     

    Il y eut  récemment un renouveau des études concernant Cl. Ader.  On recommande :

    Lucien Ariès : « Clément Ader en Lauraguais ; Terre d’essais aéronautiques », ARBRE, éditions, Toulouse, 2011

     

    Raymond Cahisa : « L’aviation d’Ader et des temps héroïques », Albin Michel, 1950

     

    Claude Carlier : « L’affaire Clément Ader ; la vérité rétablie », Perrin, 1990

     
    Gabriel Galvez-Behar « Externalisation et internalisation de la recherche.  Le cas Ader entrepreneur d’inventions »  in De l’atelier au laboratoire,  Yves Bouvier et al. (Sld) Peter Lang ed. ; Bruxelles, 2011 Ce maître de conférences en histoire contemporaine de l’Université de Lille a fait une étude très fouillée à partir de fonds Ader dans plusieurs archives 

     

    Pierre Lissarrague : « Clément Ader , Inventeur d’avion » ;  Privat éditions, 1990

     

    P.Lissarrague « Ader sa vie, son œuvre » in La vie des sciences ; Comptes rendus de l’Académie des sciences ; Tome 7,série n°4-5, 1990

     

    Jean Peneff : «Une biographie d’inventeur ; Clément Ader » ; Actes de la Recherche en sciences sociales, n°108, Juin 1995

     

     

    -Le livre le plus critique envers Ader  est anglais : « Clément Ader, his claims and his place in History » par Charles Gibbs-Smith, Londres, 1968

    La question de la priorité du vol n’est cruciale et déterminante que dans le cas où on accorde une importance injustifiée aux classements entre  chercheurs  dont les antagonismes  interviennent automatiquement dans l’attribution des crédits, des réputations  et des gratifications; attribution déterminant en partie les définitions  de « succès » et  d’échec

     

    -Icare n° 68,1974 , numéro spécial rédigé entièrement par Ch. Dollfus

     

    -Icare , n°134, 1990, numéro spécial « Ader ».  Deux longs articles de Pierre Lissarrague et de Jean Forestier, ingénieur principal.

     

    Sources Annexes

    -Le séminaire de la Villette P. 8 Paris -Nanterre 2001, « Invention et intuition, l’exemple de Clément Ader »

    -Emmanuel Chadeau : « Le rêve et la puissance ; l’avion et son siècle », Fayard, 1996

    .-Institut Cl. Ader de l’Université Paul Sabatier, Toulouse : au sujet des systèmes et procédés mécaniques aéronautiques ; espaces et études des structures

    Les revues techniques ou spéciales comme celles de l’Académie Nationale de l’Air et de l’Espace,« Au temps de Clément Ader ; contribution à la compréhension et à la diffusion de l’œuvre aéronautique de Clément Ader » ; Tecknea ed., Toulouse, 1994 ou  Pégase, ainsi que Icare, publié par le Musée  de  l’air et de l’espace ; ou encore les articles et études du service historique de l’armé de l’Air qui ont traité d’Ader en de nombreuses brochures et dessins. Parallèlement aux magazines scientifiques ou aux revues sportives, telle que l’Equipe magazine ou à la presse quotidienne notamment régionale ( Dépêche du midi) 

     

     

    .

     

     

     

     


     

    [1] J-J Lévy-Leblond,  Impasciences, Bayard éditions, 2000, p104

    [2].Ariès décrit ces initiatives dans le Lauraguais. Les historiens et romanciers anglais, sur cette fièvre qui saisit leur pays   et les campagnes vers 1800 (dont K. Pomeranz) , racontent  le bouleversement dû à  la puissance des moteurs à vapeur  qui décuple les initiatives 

    [3]  Lire les détails dans les biographies de Cahisa, d’ Ariès et de Lissarrague  (cf. bibliographie) .

    [4] Ariès p.103 

    [5] Jean Peneff, Le goût de l’observation, La découverte, 2009

    6 Léotard vainqueur de Toulouse–Caraman, 45 Kms en trois heures ; Ader est troisième à 7 minutes .Le palmarès d’ Ader est dans Lissarague p. 39.  Léotard était  un gymnaste de réputation mondiale ce qui lui valut de s’ exhiber à New York

     

     

    [7]  Gabriel Galvès-Behar  a  documenté  cet aspect

    [8]  Voir Lissarrague p.37

    [9] Ariès, l’universitaire toulousain a consacré un livre (et Lissarrague, plusieurs pages)  à cet avant projet d’aéroplane et  au premier essai de vol à Castelnaudary .  Ariès  connaît  cette région d’où il est originaire et  apparenté aux témoins  qu’il  a retrouvés grace à   des archives privées Clément Ader en Lauraguais ;  terres d’essais aéronautiques ARBRE éditions  2011

    [10]  Lissarrague communication à l’Académie des sciences p.307

    [11] Qu’Ariés a mis en CD peut-être dans l’espoir de susciter une pédagogie par l’exemple. Comment faire naître d’autres vocations correspondant à la tradition expérimentale de la physique ?

    [12] Lissarrague p.49

    [13] Lissarague p 55

    [14]Gabriel Galvez-Behar  Voir Bibliographie

    [15] Site d’Alain Vassel  (page perso.orange.fr ) . Lissarrague révèle des faits inconnus au cours de plusieurs communications dont une à l’académie des Sciences, devant diverses audiences . Lissarrague  est  peut-être un outsider,à  l’instar d’Ader,  au sein de la bourgeoisie parisienne .E n tant que général  d’armée (d’origine française né en Argentine)  il fut promu  à la direction de Musée de l’air et de l’espace. Il a  consacré 15 ans de sa retraite à fouiller les archives éparpillées en France, à retracer  la vie d’Ader, retrouver sa famille. Il en connaissait cent fois plus qu’un quelconque parent, ami ou spécialiste

    [16] P. Lissarrague

    [17] R. Cahusa est prolixe sur l’atelier et son personnel. Ses descriptions sont extrêmement détaillées

    [18]. Voir le livre de Peter Allmond, fils d’un officier de la RAF . Ce correspondant de guerre a fait plusieurs missions de combat ; et 33 ans de journalisme aéronautique. Première photo d’un aéroplane Le Bris en France en 1868 qui ne vola jamais mais donna l’idée des ailes d’oiseau  

    [19] Voir R. Cahisa, p. 50 et suivantes

    [20] H. Becker dit dans « Commet parler de la société ? » (La découverte, 2009)  que la notation en musique , les styles en art, la présentation  statistique , les diverses définitions  algébriques ont en commun  d’avoir été institutionnalisés un peu par hasard alors que d’autres modes de  représentation contemporains aussi utilitaires  furent des échecs

    [21] daté du 15-10- 1990 


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