• Jeunes gens, comptez sur vous-mêmes comme vous aînés l'ont fait.

    Mercredi 08 décembre 2021

     

    Jeunes gens, comptez sur vous-mêmes comme vous aînés l'ont fait.

     

    Je suis triste, très triste, quand je vois vos aînés, quand je relis vos ancêtres, et que je repense à tous ceux sur cinq siècles qui se sont battus pour une société un peu plus juste, un peu plus consciente. Bref, avec un petit bout d'intelligence. Le premier, il y a longtemps, avait déploré que lorsqu’un régime voulait mourir, il trouvait toujours les moyens et la persévérance pour arriver à ses fins. Ils ne pensaient pas encore aux régimes occidentaux démocratiques qui ont porté l'impérialisme à son plus haut niveau. Mais sa prédiction se révèle juste aujourd'hui car le chemin de l'auto-destruction est bien entamé (merci donc Machiavel).

    Nous avons été éduqués, nous, dans la lecture, l'estime, l'admiration d'intellectuels ou de gens du peuple qui se battaient contre tous les régimes dangereux et les menaces sur la civilisation intellectuelle. J'ai fait mes études avec ces exemples sous les yeux: Marc Bloch qui réalise et ose, sous l'occupation, d'écrire l’Étrange défaite où il analyse l'aveuglement, le sien et celui de ses pairs. Nous avons admiré Bloch et avons été troublés par ce genre d'engagement car il a meurt dans la résistance.

    Mais nous avons eu la chance de rencontrer directement d'autres personnes qui se sont battues, seules ou avec quelques-uns, les mains nues contre des régimes politiques soumis, infantiles, manipulables, et des hommes politiques d'un niveau intellectuel inimaginable il y a même quinze ans.

    Nous nous parlons de Germaine Tillion, ethnologue, et de ses camarades dans un camp nazi, qui prennent des notes et font sans le vouloir, et le savoir, de l'observation participante. Mais elle et ses camarades rescapés, nous avons rencontré, discuté, et écouté leurs informations dans une situation où nous étions nous-mêmes relativement en danger : pendant la guerre d'Algérie. En résistant à la cruauté de nos camarades soldats, et de leurs chefs criminels, nous avons contacté Germaine Tillion et ses sœurs pour leur demander comment faire : faut-il déserter, faut-il affronter un procès ? Et nous avons apprécié toutes les informations qu'ils nous ont donné.

    Nous avons donc échappé au pire, mais jamais oublié cela lorsque nous avons enseigné la sociologie. L'observation participante, comme j'ai pu l'écrire, avait des ancêtres glorieux (y compris en Amérique : dureté du Ghetto, défense des autochtones par Jack London, et protection des minorités ethniques par nos camarades de l'école de Chicago).

    Par conséquent, nous avons essayé de transmettre ça à la génération suivante à travers les cours, les livres, mais aussi l'exemple individuel. C'est pourquoi ma désertion de l'enseignement supérieur, qui prenait une orientation déplaisante, ce départ n'était pas une désertion, mais une volonté de combattre, un peu seul dans mon coin, l'exemple négatif que représentait mes camarades sociologues, mes collègues académiques, tous les défenseurs de l'ordre établi. En me retirant, et en réfléchissant, écrivant, seul à la montagne, j'ai voulu m'inspirer de l'exemple de mes glorieux aînés.

    Aujourd'hui le rôle de la sociologie serait de coller à la réalité quotidienne, d'enquêter tous les jours, de faire de n'importe quoi un terrain, sans perdre de temps, sans bibliothèque, sans vraiment de livre, et sans carrière conformiste espérée. La lucidité a un prix, mais elle a un avantage : c'est qu'on peut se regarder dans la glace.

    Alors jeunes gens, je vous plains. A vous de trouver votre chemin, de construire votre esprit de rébellion ou d'analyse, et je vous souhaite bonne chance.


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