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L’Algérie 1962 et la jeunesse de la sociologie
L’Algérie 1962 et la jeunesse de la sociologie
Les coopérants
La coopération des appelés du contingent ou celle des civils allant se mettre au service de l’état algérien fut une étape supplémentaire des échanges entre jeunesses. D’autant plus qu’ils croisaient de jeunes Algériens venant chercher du travail en France ou des bacheliers allant quérir un savoir dans l’université française. Le choix de l’Algérie n’était pas indifférent. L’idée de la coopération venait de gouvernement gaulliste mais son application, son adaptation pratique, ses cheminements furent le fait de jeunes gens entreprenants improvisant une collaboration inédite avec les employeurs algériens. Il en résulta des réseaux d’ex-coopérants, des sortes d’amicales qui les ont soudés et leur ont donné le sentiment d’avoir participé à quelque chose de rare dans l’histoire des rapports Europe-Afrique..
La coopération en Algérie releva donc le défi d’une réconciliation après 7 ans de guerre éprouvante. Ceux qui l’imaginèrent ne savaient pas où ils allaient. Sur quels exemples historiques s’appuyer pour d’anciens soldats ou des civils venant en tant que bénévoles dans le pays récemment combattu ? Qu’anticiper : la solidarité ou une hostilité du peuple algérien ? Quelle réelle utilité, des jeunes gens fraîchement diplômés en France pouvaient-ils manifester et comment allaient-ils être perçus par leurs collègues algériens dans les postes où ils se retrouveraient ? Le ministre français de la coopération avançait sur un chemin inexploré et l’ambassade de France à Alger tremblait devant la prise de risques de quelques aventuristes dont il fallait assurer la protection, quelle soit professionnelle, politique, sanitaire (des épouses venaient avec de jeunes enfants ou accouchaient dans des dispensaires du bled). Du côté des coopérants, cette génération conjuguait à la fois tourisme et politique, militantisme et découverte de l’Islam, inconnu de la plupart d’entre eux. Bien sûr les coopérants, en général, exhibèrent des relations ou un style de vie avec la population qui tranchaient avec les anciens rapports de l’ex-métropole mais qui étaient largement supérieurs au niveau moyen. Bien sûr, il y eut des dérapages, allant de l’indifférence ou du mépris jusqu’à des engagements politiques (PCA, trotskisme). Mais il y eut aussi des mariages mixtes et surtout des amitiés personnelles qui durent encore. C’est pourquoi la réconciliation fut une tache exaltante offerte à une génération ayant le sentiment de la construction d’un monde qui ferait fi de l’égoïsme des nations au profit de la solidarité internationale. La pureté de l’objectif ne résista pas toujours aux circonstances et à l’épreuve de la réalité. Quoiqu’il en soit , il existera dès lors une génération « Algérie », qui se manifesta dans une façon particulière de vivre la décolonisation : un tiers-mondisme sensible au monde arabe 1
Témoignage
Je me trouvai en 1964, à la rentrée, professeur de français au lycée El-Djala de Sidi bel Abbès. Comme il fallait caser les candidats et rendre adéquates l’offre et la demande de cadres ou d’enseignants, les postes ne correspondaient pas aux compétences prévues. La bizarrerie n’échappait à personne. Comme l’Algérie voulait alors garder une équivalence et que les programmes du bac s’alignaient sur la formule française, je me retrouvais enseigner à des jeunes Musulmans de classe de première la « « Phèdre » de Racine, amoureuse un peu hystérique qui devait être retraduite avec acrobatie dans un contexte musulman de rapports hommes/femmes ; de même que le « Don Juan » de Molière, un exemple d’athéisme, ne se prêtait pas facilement au cadre islamique. Mais les élèves étaient curieux de tout, déterminés et les discussions passionnées se déroulaient dans une ambiance électrique de savoirs conquis de part et d’autre car le formateur apprenait autant qu’il enseignait à des jeunes gens à peine moins vieux que lui. Les échanges étaient impressionnants au café ou à la cantine du lycée, avec des professeurs ou pions, du même âge, qui avaient lutté et qui auraient pu être, hier, des adversaires à affronter tragiquement. Les discussions étaient intenses. Je me souviens qu’à la veille du putsch de juin 1965 qui le destituerait, Ben Bella était venu nous voir avec simplicité et que nous étions allés avec lui assister au match de football contre le Brésil au stade d’Oran. Ce fut sa dernière apparition publique.
Notre genre de vie continuait la vie d’étudiant. L’Oranie était parsemée de petits groupes de coopérants dans ses bourgs et villes ; les réunions à Oran pour les jurys de bacs étaient une occasion de vacances sur les plages alors désertes de la côte et grâce au squat des villas et cabanons de colons aux intérieurs vidés, mais ouvertes à tout vent, nous avions le sentiment d’une aventure. La plupart des épouses étaient venues et avaient aisément trouvé un poste d’enseignantes. Il ne faudrait pas sous-estimer cette influence féminine qui ne serait pas sans incidence sur les jeunes filles musulmanes scolarisées dans le cadre de relations cordiales avec ces Européennes. Bref, l’initiation de chacun fut différente : l’un a vu seulement un peu d’exotisme, un autre a retenu l’apprentissage d’un métier et certains, des informations à rapporter au pays d’origine
La coopération recouvrait des statuts trop différenciés (experts âgés, jeunes sans diplôme complet, scientifiques débutants sans oublier les techniciens industriels) et les clivages n’ont pas permis un intérêt commun à l’égard de la société algérienne. Les différences de salaires, de modes de recrutement n’empêchèrent pas un mélange. Au lycée ou dans un centre administratif quelconque, une véritablepetite « Internationale » d’enseignants se manifestait. Dans mon lycée: Français, Roumains, Tchèques , Anglais, Belges, sans parler des Français nés en Algérie à double nationalité et les arabisants qui arrivaient du Moyen Orient se côtoyaient . On rencontrait aussi d’anciens déserteurs ou insoumis de l’armée française qui attendaient là une improbable amnistie. En ville, les médecins venaient plutôt de l’Est et les ingénieurs du Canada ou d’Europe de l’Est. La chaleur, la spontanéité de l’accueil dans la rue ou à la campagne nous montraient une population ouverte, plus instruite que nous le supposions.
Cependant les restes de la guerre étaient partout visibles lors nos promenades : mechtas napalmées, maisons détruites pour les rendre inhabitables, traces des combats, débris de matériel militaire abandonné. En 1964, l’armée française était encore présente, quoique discrète, à la caserne de la légion à Sidi bel Abbès ou à Mers el Kébir. Les destructions urbaines de l’OAS étaient omniprésentes dans les grandes villes aux édifices publics incendiés. Ces décombres ou ces manifestations de la guerre passée nous prenaient à la gorge. Je me souviens de l’appel des élèves lors de mon premier cours : je butais à la lettre S. sur une étrange série de noms à initiales : SNP Ali, SNP Hamed etc . Je demandai aux élèves si la liste était mal orthographiée ou incomplète. Non, me dirent-ils. Il s’agissait bien d’une identité : les Sans-Noms-Patronymiques. Je fis ma première rencontre avec les fils de la guerre, les enfants perdus, les orphelins errants, sans filiation trouvable. Abandonnés par la déportation et la disparition des parents ! Plus tard l’état civil algérien leur donnera un signe nominatif. Les invitations à des fêtes, à des mariages musulmans, l’ouverture des foyers algériens nous surprirent, surtout dans les campagnes qui avaient tant souffert. La pratique du football dans des équipes mixtes d’enseignants rapprocha les jeunes hommes, sujets à la même passion.
Ces années oranaises nous permirent de découvrir le visage de l’Algérie profonde ; nous traversâmes à chameaux l’erg avec des Chaouïa, découvrîmes les barrages électrifiés de la frontière, visitâmes les grandes fermes abandonnées des colons. Pour ceux qui avaient la fibre ethnographique ou une curiosité naturelle, l’Algérie était un magnifique laboratoire où on acquérait facilement et agréablement une expérience; certains apprirent l’arabe, d’autres parcoururent le pays avec de vieilles voitures et certains lancèrent des enquêtes qu’ils n’auraient jamais pu mener en France. En un sens il n’est pas paradoxal de dire que l’Algérie nous a donné notre indépendance professionnelle et intellectuelle. Elle nous a offert une expérience précoce, des responsabilités mais également une émancipation vis-à-vis de la génération qui nous a formés. Pour se fonder, chaque génération doit échapper au poids de celle qui l’a précédée.
« Invention » d’une sociologie en Algérie
La rencontre avec l’Algérie eut donc des effets libérateurs pour quelques uns d’entre nous. En octobre 1967, je me retrouvais assistant de sociologie à la faculté d’Alger et par un des hasards cocasses que le destin offre, je fus instantanément nommé chef du département sans aucune expérience, à la suite de défections de la part de professeurs francophones sollicités en Europe pour rebâtir une section de sociologie. A 25-30 ans, de telles chances insolites nous paraissaient alors naturelles.
Diriger un département est une expérience que peu de jeunes gens ont la chance de mener dans une carrière. Il était constitué de 6 ou 7 enseignants de plusieurs nationalités aux itinéraires baroques ; la première année, un seul Algérien était présent quoique leur recrutement s’accélèrera l’année suivante. Le conseiller culturel de l’ambassade nous ouvrit ses fonds pour inviter des professeurs français pour assurer le niveau de l’enseignement de licence. Bourdieu, invité, manifesta immédiatement son intention de lancer un modèle d’enquête. Nous étions disposés à le suivre puisque, bien que lotis du diplôme de docteur 3eme cycle, nous n’avions qu’une mauvaise formation scientifique et notre bonne volonté. Ex-étudiants de philosophie, de statistiques ou de droit, le département était une mosaïque à l’image des ces petites communautés de recherche comme l’AARDES ou d’autres services. La majorité était marxiste. Les grands noms de la philosophie étaient présents à la Faculté de Lettres : Balibar, Bidet, Labica, Mandouze. Les chrétiens de gauche étaient représentés en économie politique par Destanne de Bernis et ses assistants; les juristes étaient dirigés par A. Mahiou que j’avais croisé à Toulouse. Par l’intermédiaire de J-P Briand qui avait été « l’élève » de Bourdieu et Passeron, ces derniers vinrent assurer des conférences suivies bien au delà du public des sociologues. Les conseils, les encouragements des intellectuels algériens tels que A. Sayad, M. Mammeri, M. Lacheraf qui nous engagèrent à adapter la sociologie française à l’université algérienne quoique utiles furent mal compris.
Exposer les enquêtes de Bourdieu et enseigner à la fois la vulgate marxiste d’Althusser devant un public étudiant affamé de dogmes et de « théories parisiennes » était un tiraillement. Nous avons résolu finalement le problème par l’enseignement d’ une sociologie économique.
Le dilemme éternel de la sociologie, nous l’avons traversé sans résoudre la contradiction : faire de la sociologie pour briller dans les discussions intellectuelles ou bien étudier la société en profondeur pour la comprendre sans préjugé. Mais l’histoire décide à la place des acteurs. Qu’enseigner après février 1968 ? La Faculté connut une très dure grève des étudiants, fut occupée par eux ; ils furent sévèrement réprimés et quand nous retrouvèrent nos salles et nos bureaux, le sol taché de sang nous rappela aux dures réalités de la répression. Ces événements nous firent réfléchir à la pédagogie. Je décidai de me lancer dans une enquête sur le capitalisme naissant en Algérie officiellement « socialiste ». Avec quelques collègues, nous avions conscience de notre chance de travailler dans un pays voulant rapidement se développer, au moment du tournant historique des tensions entre le capitalisme et le socialisme. Nous subissions la transformation intérieure de jeunes gens découvrant la situation algérienne (fortes inégalités, exploitation des Khammès, dépendance à la guerre froide). Pendant la guerre, Bourdieu avait subi un choc identique. Venu philosophe, il était reparti définitivement ethnologue. Il était arrivé après son passage à l’ENS et l’agrégation avec dans ses bagages un projet de thèse sur Leibnitz mais la conscience des épreuves du peuple algérien le fit changer d’idée et il devint enquêteur avec le succès qu’on sait. Mon projet cadrait avec l'aspiration de Briand et d’autres pour créer une sociologie de terrain, ne serait-ce que pour alimenter en matériau le laboratoire de thésards (le CERDES)
Enquêter dans les pas de Bourdieu.
La recherche sociologique que nous pratiquâmes à cette occasion exigeait des déplacements sur le terrain. Nous parcourûmes le pays. Nous avons enquêté à l’oued Ghuir,à Tlemcen, observé des fellahs des palmeraies, les coopérateurs de « l ’autogestion »,les lycéens. J’attaquais le thème de l’industrie. On voyait quotidiennement son essor dans la presse ou dans les discours de la Révolution Socialiste. Alors qu’on ne jurait que par coopératives, autogestion, nationalisations, les prédictions de la disparition d’un secteur privé ne se réalisaient pas. Je suis parti visiter 200 entreprises du secteur privé de l’Algérois, pour certaines clandestines dans des logements HLM, dans des garages ou caves.
Ma démarche fut d’abord terriblement classique et erronée. Un échantillon fut construit d’après les déclarations au Service Algérien de la Propriété Industrielle mais elles ne cadraient pas avec les entreprises que je découvrais. Certaines n’existaient pas, d’autres n’avaient jamais été déclarées. Le questionnaire soigneusement préparé de convenait pas à ce monde caché. Les questions étaient trop transparentes ; la méfiance était fréquente vis-à-vis d’un membre de la Faculté (soupçonné d’être un agent du fisc). Les réponses que j’obtenais ne me semblaient pas coïncider avec la réalité. Dès lors je décidai de changer de patronage et me présentait au titre d’enquêteur de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Alger. Cela fonctionna beaucoup mieux et l’intérêt, voire la sincérité, des répondants me semblait moins affectés. Candeur universitaire. Je commençai à intriguer les autorités puisque la Chambre de Commerce était perçue comme un repaire d’opposants à la politique socialiste, un nid d’espions au service de la France. Je mis longtemps à comprendre que la meilleure enquête se fait sans autorisation officielle. Mon parcours pour entrer dans la clandestinité scientifique fut chaotique mais il était le seul concevable pour celui qu’abandonne la naïveté de la transparence du social. Il faut rappeler que c’était une époque de confusion politique. Et je dus me résoudre à masquer mes intentions
Enquêter sous l’œil de la police.
Je me retrouvai dans le maelström politique algérois qui me fit passer pour un « agent secret » ! Jouer la souris avec le chat de la police consista à éviter la surveillance du FLN. J’’imagine assez bien l’énigme que je leur posais involontairement. Etais-je un naïf ou un irresponsable habituel dans les circonstances de coups tordus et de luttes de pouvoir ? Etais-je un pied rouge masqué ? Un trotskyste à ciel ouvert ? Un militant du PCA, une taupe de Ben Bella, un agent américain ? Mon intérêt pour les chefs d’entreprise était suspect et ne cadrait pas avec la définition de la sociologie. Quelle idée que de rechercher des biographies d’entrepreneurs et de gros négociants, c'est-à-dire de nouveaux riches ! Non décidément, « sociologue » n’était pas une bonne couverture pour qui veut comprendre le monde agité.
Je passe rapidement sur les filatures, les pièges tendus par des policiers en civil se faisaient passer pour des opposants au régime et souhaitant me « recruter ». Ils renoncèrent vite, me trouvant probablement peu crédible en agent double ; il est vrai que je jouais au niais qui ne comprend rien à leurs allusions; ceci dit, j’avais gagné quelques « étudiants » supplémentaires à mon cours à la Fac : ils apparurent au milieu de l’année prenant scrupuleusement en note tout ce que je pouvais dire sur Weber, Marx et l’esprit du capitalisme. Bref les autorités étaient, à mon sujet, circonspectes et dans ce cas là, elles résolurent le problème en mettant fin à mon contrat. Mais j’étais tenace et décidai de revenir les deux étés suivants sous une autre identité. Bourdieu avait connu une situation proche et avait probablement abandonné tout scrupule méthodologique ; ce dont il ne dit jamais mot sous la colonisation.. Son ethnologie dépendait de la qualité de ses informateurs dont Sayad, car la Kabylie était bouleversée et les systèmes de parenté désarticulés. D’autre part, il ne parlait pas arabe. Le déracinement par contre est l’analyse d’un phénomène typique de guerre coloniale : les déplacements de populations civiles.
Pour ma part, je choisis de revenir à Alger, avec une troisième casquette pendant les étés 1972 et 73. Je me fis passer pour un agent commercial français muni de brochures et accréditifs fictifs pour des produits algériens à représenter en France. Ils me valurent un succès si on ne reste pas trop longtemps dans le même quartier pour ne pas éveiller des soupçons. Les entrepreneurs, réticents jusque là, m’ouvrirent grand les portes. L’attrait de commerce avec la France suscitait spontanément informations confidentielles, livres de comptes ouverts, visites d’ateliers. Tout ce qui m’avait été soigneusement masqué tombait dans mon escarcelle. Je découvris les entrepreneurs d’avant la libération, le gros capitalisme agricole ou le négoce du sud, les grandes familles qui s’étaient mises à l’ abri en Tunisie, les militaires devenus rentiers, l’appropriation des biens vacants mais aussi le retour des ouvriers de l’émigration ouvrant de petites entreprises. L’élite ouvrière se constituait en aristocratie technique. Je découvris dans des hangars de ferme ou dans des caves, les filatures du modèle du 19ème siècle qui rappelaient ce que décrivait Marx à Manchester, bref les commencements brutaux du capitalisme. Je vis des enfants ou des femmes enfermés à clé dans les ateliers pour les empêcher de fuir ; je devinais les dures conditions de travail (certains pleurant venaient se plaindre à moi à la sortie). J’appris les procédés communs de la corruption des fonctionnaires et les accointances du privé avec le secteur public. En pratiquant une technique de recherche sans le savoir -l’observation secrète- j’ai compris que les mécanismes de l’exploitation capitaliste ne se découvrent ni les discours ni dans les statistiques des Etats, mais grâce aux investigations détournées. La sociologie est l’art de passer inaperçu dans les lieux cruciaux et j’appliquerai ce principe dans les milieux que je traverserai (mouvements politiques, médecine, instituts d’enquête). Mais, en contrepartie de cette liberté, le sociologue indépendant ne demandera jamais le moindre contrat, la moindre subvention, la plus petite indemnité ni autorisation officielle. C’est ce que je fis tout au long de ma vie professionnelle.
Finalement cette entreprise collective fut d’une extrême stimulation et provoqua en nous un bouillonnement d’idées. Nous avons publié quelques livres et articles mais nous n’avons pas vraiment réfléchi cette expérience et nos résultats sont restés embryonnaires. Néanmoins cette campagne nous marqua profondément et détermina le reste de nos carrières. Privilégier l’observation, le « terrain », fut l’occasion de l’apprentissage du métier. Avec un défaut : aspirés par cette ivresse d’enquêteur nous n’avons pas vu les limites de notre position en porte à faux. Portés au sociologisme, nous ne nous sommes pas aperçus que notre rôle n’était pas forcément d’enseigner la grande culture occidentale de Saint –Simon à Durkheim. Nous n’avons pas relativisé et nous avons proposé un modèle académique qui, même peu conformiste, était faiblement utile aux étudiants de 1970. Sans nous lancer dans des gloses au sujet de Ibn Khaldoun , nous aurions pu placer la culture arabe et l’histoire du Maghreb dans l’universalité des idées sociales et dès lors, nous avons manqué le rapprochement des deux cultures. Bref nous avons oublié l’analyse des sources méditerranéennes et des échanges coloniaux. Nous ne nous sommes pas rendu compte que les étudiants qui nous inclinaient à l’intellectualisme théorique étaient des urbains, une première génération de bons élèves scolarisés par la France et donc des laïques progressistes, peu tentés par les classes populaires à leurs yeux archaïques. Et puis, la conjoncture politique se détériorait rapidement. Les étudiants se battaient contre leur régime, contre les excès de l’arabisation et tentaient d’aller en France. L’Algérie ouvrière ou rurale ne leur paraissait pas une priorité essentielle. C’est pourquoi nous n’eûmes pas de successeurs
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