• La Bulgarie, l'Ukraine et tous les autres.

    15/03/2022

     

    Dans cette poudrière de l'Europe que les Balkans et l'Ukraine, la Bulgarie n'existe pas. C'est le seul pays qui ne fait pas parler de lui, qu'aucun journaliste ou reporter n'évoque. Par conséquent, elle a disparu. Les intellos, les journalistes, ne vivent que des débats, que d'avis héréditaires qui changent tous les dix ans, et font, en ce moment, tout un cinéma sur l'Ukraine et la Russie avec, en réalité, très peu d'informations ponctuelles et prouvées.

    C'est pour ça que je disais à mes étudiants « ne faites jamais des catégories universelles, des jugements péremptoires, mais de simples études de cas ».

    Donc, dans la marée des mégas reportages, des journalistes sur le front équipés comme en 14, le côté théâtre me démoralise. Ça me rappelle la Guerre d'Algérie (dont deux émissions passent actuellement à la télé : documentaire « C'était la guerre d'Algérie » de Georges-Marc Benamou, Mickaël Gamrasni et Stéphane Benhamou) où la folie, le délire, l'hystérie anti-arabe nous prenait à la gorge comme maintenant quand on parle de Poutine et de l'Ukraine. Il serait difficile de se faire une opinion car vraiment rien d'empirique profond, rien comme description minutieuse, rien comme analyse socio-historique, ne vient étayer les déclamations et les gesticulations de nos envoyés spéciaux qui choisissent des informateurs vraiment spéciaux eux-mêmes.

    Je viens de tomber à la BU sur ce livre de Mobo Gao qui traite avec sérieux, minutie historique, comment elle a du s'imposer sur la scène internationale. Nous qui avons été les petits soldats de ces grandes guerres idéologiques, nous savons ce que valent les médias, d'où vient l'argent dont ils vivent, et comment ils recrutent leurs journalistes. Donc, après l'Afrique, puis la Chine, maintenant on s'est découvert un autre ennemi mortel, éternel et définitif : la Russie.

    Dans ce maelstrom où tout est dit et son contraire, il y a un seul petit pays qui a été effacé de l'histoire, un pays slave, alphabet cyrillique, religion orthodoxe et disparu des écrans. Apparement, la Bulgarie, dont je parlais en tant que pays de mes aïeux, ne fait plus partie de ce monde. Je pense que c'est réconfortant et heureux pour eux.

     

    Ceci me permet de rappeler combien j'aimais recommander aux étudiants l'utilité du recours à l'étude de cas. Elle permet de comprendre, décrire et analyser, au-delà des catégories générales, la société où l'on vit. Notre sociologie empirique, inspirée de Howard Becker, est une suite générale d'études de cas, pas forcément reliées entre elles, pas forcément définitives, et pas forcément riches en conclusion. Mais ça fait réfléchir et prendre du recul. Donc, je jugeais mes étudiants à la valeur de la description du cas d'enquête qu'ils avaient choisi et non pas de l'application de catégories morales générales, ou de théories à la mode.

    Comme Becker le disait, la sociologie n'est qu'une étude de cas. Et donc, il faut le faire consciencieusement, sans orgueil, sans prétention universelle, sans espoir de généralisation, avant de rencontrer quelqu'un qui vient de l'autre extrémité de la planète et qui travaille comme vous.

    Je souhaite bonne chance, et de la ténacité, aux jeunes gens que je fréquente un peu, qui auraient pu être mes étudiants il y a vingt ans, et qui commencent, eux-aussi, à mettre au point une philosophie personnelle, graduelle, patiente, tenace, de ce qu'est le contraire de la sociologie en prétention. Alors qu'ils se nomment ethnologues, observateurs participants, spectateurs curieux, qui soient en socio ou ailleurs, je les approuve, je les fréquente si je peux, je les applaudis, et je leur dis tenez bon, restez ensemble, groupez mais différents, travaillez de façon indépendante, et puis, inch'allah, bonne chance.


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