• Le choix vital

    29/03/2022

     

    Je destine ce texte à ma famille, quelques amis et quelques lointains inconnus qui ont bien voulu me suivre et me lire.

     

    Mon choix définitif, mais enraciné dans plus de 60 ans de ma vie, est celui de mourir libre, sans l'aide de la médecine ou de toute autre intervention que je n'aurais pas choisie.

     

    Par conséquent, je veux justifier en quelques mots le choix de partir un matin, ou un soir, de tirer la porte de ma maison et de me diriger vers la montagne où, sans bruit, équipement médical et obligation morale ou religieuse, je mettrai tranquillement et sereinement fin à mon existence.

     

    Tirer la porte sans bruit, mais non sans éclat, car je suis triste de voir qu'on nous interdit toute forme de disparition qui ne conviendrait pas à l’État ou la société quasi religieuse dans laquelle nous vivons.

     

    Cette liberté fondamentale que j'exerce depuis 80 ans signifiera que je ne me soumettrai à aucun diktat, aucune interdiction et à aucune discrimination.

     

    Alors, comme le chante Boris Vian dans sa chanson du Déserteur, moi aussi je déserterai et je partirai seul dans la nature, et dirai comme-lui : « si vos gendarmes viennent me l'interdire, dites leur que je serai sans arme et qu'ils pourront tirer ».

     

    Mourir libre et solitaire, sans l'aide aucune des médecins ou des pharmaciens, n'est plus possible aujourd'hui parce qu'interdit par l’État, la morale, la religion. Je n'appartiens pas à cette Église, je ne me soumettrai pas à leur machine de réanimation, de protection et de fabrique de vie artificielle, je serai seul avec ma décision et, puisque décemment je ne peux pas avertir ma famille, mes voisins et mes amis du moment et du lieu choisi, je veux les avertir que c'est un acte de citoyen libre et qui a longtemps réfléchi pour lutter contre un État et une Église totalitaires en refusant de prolonger une existence riche et accomplie, mais sans corruption et contamination par les idéologies en vogue.

     

    J'ai raconté ailleurs pourquoi j'ai arrêté ma carrière au premier jour de la retraite possible, par refus des honneurs, des récompenses et d'un pouvoir autoritaire et arbitraire sur les jeunes étudiant ou collègues. J'ai été gâté par la chance puisque j'ai été accompagné par une épouse admirable, que j'ai eu deux enfants adorables, et que ma carrière a été une suite étonnante de petites promotions et de petits succès de librairie.

     

    Donc, poursuivi par la chance, j'irai jusqu'au bout de mon sens de l'indépendance, et de la chance que j'ai eue en évitant le pire des crimes comme on aurait voulu me le voir pratiquer en Algérie pendant mon service militaire.

     

    Si au cours de ce long chemin j'ai blessé ou choqué quelqu'un, je m'en excuse. Et donc, je peux quitter tranquillement, dans la discrétion si possible, dans la solitude en tout cas, quitter ce monde que je ne reconnais plus et qui n'est plus le mien ! 

     

    Pourquoi notre société occidentale, et sa religion catholique principalement, ont interdit toute idée de suicide (le mot est connoté négativement, au lieu de dire « fin de vie voulue », « acceptation de mort recherchée », peut-être même « euthanasie » mais qui impliquerait un tiers).

     

    Pourquoi notre société a-t-elle refusé depuis l'Antiquité le respect du choix de chacun ? Il est inadmissible qu'un groupe dans la société, une de ses religions ou une organisation politique autoritaire interviennent dans ce qu'un individu a de plus intime, privée voire riche culturellement comme le fut le stoïcisme, le courage antique, pour aujourd'hui condamner, discriminer, faire honte aux descendants d'une personne qui aurait mis en pleine volonté, en pleine clarté d'esprit, qui aurait voulu donc mettre le point final à sa trajectoire. Moi, qui ai eu tellement de chance d'éviter le pire des crimes que mes camarades ont eu à pratiquer en Algérie ; moi qui ai eu tellement de chance de trouver une épouse admirable et d'avoir deux enfants très intéressants et différents, mais chacun de grande valeur dans leur ménage et éducation de leurs enfants ; moi qui ai eu tellement de chance de tomber sur un métier sur un métier agréable, curieux et intéressant – la sociologie – dont je ne savais pas avant 20 ans qu'elle existait puisque c'était une façon naturelle d'observer le milieu et que tout ça était très amusant jusqu'à 20 ans. Donc moi, avec toutes ces chances cumulées, je veux garder la dernière liberté qu'il reste quand on est très vieux et qu'on perd un peu la tête, la liberté de choisir le moment adéquat et la manière plus facile, la moins cruelle, de partir quand on veut.

     

    Je ne comprends rien à cette société, avec ses interdits, je ne vois pas l'intérêt des puissants et des riches pour inférer dans la vie intime de chacun, et décider quand, comment, avec quel groupe de médecins ou dans quel établissement on doit terminer son existence.

     

    Heureusement, 10 à 20 ou 30% de la population refuse d'obéir et trouve une solution à contourner l'interdit.

     

    J'ai eu sous les yeux la position de mes parents*, leur moyen de la réaliser, mais les difficultés à contourner les interdictions morales que l’État, celle nouvelle Église, que les différents partis, ces nouvelles casernes, et que les religions (plus ou moins d'ailleurs), se croient autorisés à intervenir dans la vie de chacun pour leur dire : « obéissez toujours à la médecine, faites confiance à la pharmacie, confiez votre vie à des « spécialistes », nous sommes les derniers curés et les derniers directeurs de conscience, et nous en droit de décider quand il sera bon pour vous de mourir, votre conscience, votre corps, vos convictions, nous appartiennent » dit l’État à travers sa police de la santé, et vous devez toujours vous soumettre, obéir et dire comment on me l'a appris à l'armée « oui chef, bien chef, j'exécute chef » même dans les pires circonstances. Donc ce choix m'est vital, ma décision irrémédiable, je suis un citoyen honnête, j'ai essayé d'être un bon voisin, un bon prof, un bon père, et maintenant je décide de fermer ma porte et de partir tout seul pour le dernier et grand voyage. Mais je laisse ce mot pour dire merci à ce qui me comprennent, me soutiennent et en ce sens, qui se battent pour la liberté.

     

    Donc je leur dis : merci d'avance.

     

    * Mes parents, sans une conviction affirmée, ont trouvé le moyen de finir seuls, en aidant plus ou moins la nature, dans leur maison sans qu'on puisse parler de suicide. Mais à 85 ou 90 ans, ils avaient tenu à rester dans leur maison, seuls et isolés, ne pouvant pas appeler la nuit en cas de crise. Et c'est comme ça, en refusant l'hôpital, la médecine intensive, qu'ils ont fini, l'un est l'autre, dans le silence d'une maison seule, dans l'impossibilité d'appeler le soir un quelconque secours, et qu'on les a retrouvé à 10 ans intervalle, l'un et l'autre, saisis par une crise la nuit, une chute ou autre chose. Et donc, sortir de la solitude d'une vie qui était riche pour eux. J'ai toujours apprécié leur silence sur la question, la générosité d'un tel comportement, et la discrétion des circonstances dans lesquelles le destin s'est effectué.

     

    Comme eux, je refuse d'être broyé par la mâchoire implacable de la médecine et la déchéance, le coût de la longue agonie à l'hôpital. Toutes ces dépenses ne servent à rien, sinon à ruiner les jeunes générations, vider les budgets de l’État au profit de quelques catégories sociales plus ou moins cachées.

     


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