•  Le mot d’ordre  par ailleurs des grands groupes qui font ou défont notre santé  nous oblige à une alimentation qu’ils ont choisie pour nous sans notre avis et contre toute indication médicale. On veut nous soigner d’une main et de l’autre on nous empoisonne : Belle société, magnifique civilisation

      Soignez-vous et surtout mangez sucré

    Voilà le mot d’ordre de notre société : du sucre toujours du sucre dans tous les aliments et condiments. Faîtes plaisir aux betteraviers et autres sucriers. Il faut satisfaire les lobbies et les géants de la production industrielle qui nous inocule les besoins de nos goûts et qui remplissent leurs caisses au détriment de notre équilibre alimentaire et de notre organisme. Sous cette inondation, je me rappelle avec nostalgie mon enfance, le manque de sucre (pendant la guerre, on avait droit à un kilo par mois) et maintenant c’est un kilo par jour. Je me rappelle des fruits et légumes qui étaient rustiques, un peu acres (même les cerises étaient vendues acides : les guignes) et c’était agréable au goût de retrouver des sensations et des odeurs qui ont disparues hélas, aujourd’hui. Mais les financiers des géants de la productions industrielle s’enrichissent de notre sang et il faut le tolérer.
    Bonnes gens en surpoids, même sans être obèses, vous avez avalés trop de couleuvres et trop de sucre. Et du coup, vous régalez le virus, Covid 19 qui adore le sucre et la graisse.
    Marchez deux heures / jour. Se sucrer, en argot de mon enfance, veut dire escroquer.
    bonnes gens en surpoids, mêle sans être obèses trop de recherche de calorie pour la dépense physique minime. On vous a caché la vérité  et vous avez marché «  Consommez ;  achetez,  remplissez-vous la panse sans efforts ;prenez la voiture pour faire un km  … Bonnes gens : vous avez avalé  trop de couleuvres ; et trop de sucre et vous régalez !  alors  le covid adore ça !!

     

     Explication possible : « l’enrichissement » soudain des classes populaires

     Le phénomène caché derrière ces faits occultés est la montée stupéfiante des petites classes populaires française de naissance,  qui sont passés brutalement à la petite bourgeoisie en sautant l’étape des classes moyennes, le tout en 2O ou 30 ans.  « Classes populaires :  ne passez pas de l’austérité ou de la pauvreté à l’envie de richesses et de consommations  grandioses du genre  la bagnole  les résidences secondaires, le luxe de bons vins et tous les gadgets qu’»on vous vante .  Par exemple vous payez des motos cross, ou tous terrains,  à vos gosses à 2000 ou 3000 euros et ils font un usage inouï :même les jours d’école .Ici, à la montagne de la Mure, en forêt, près des lacs ou sur les sentiers de randonnée, ils font un vacarme et une fumée qui nous exaspèrent ,nous les vieux  en montagne .Ainsi on vous entend du fond des villages ;on vous appelle les frelons . A 16 ou 17 ans vous commencez jeunes, à emmerder les gens !!  Je sais :  c’est un cadeau anniversaire de grands parents !!

    L’embourgeoisement populaire et le masque de la nouvelle bourgeoisie « de gauche » ou « libérale »

    Ce que j’ai vu dans la petite ville de montagne où je vis depuis 20 ans !!   Un changement fondamental réalisé en peu d’années (5 ou 10 !)J’ai vu les classes populaires de cette petite ville minière passer brutalement à la bourgeoisie, certes petite bourgeoisie, en sautant les étapes intermédiaires d’une génération de classe moyenne. La ville aux magasins rustiques aux commerces traditionnels présente maintenant des boutiques de demi-luxe, de commerces de produits spécialisés avec un semblant d’activité culturelle. J’ai vu d’une ville relativement pauvre, s’emparer des voitures de luxes des grosses cylindrées, des ventes de tout terrains. J’ai vu les enfants de ces nouveaux riches, ex-ouvriers, se faire payer à 16- 18 ans pour leur anniversaire des motos à 2000/ 3000 euros pièce. Ils peuvent sillonner les sentiers de randonnée en montagne, les petites routes autour du lac, en polluant l’atmosphère et en nous inondant d’un bruit effrayant. En les entendant d’en bas, nous on les appelle les frelons qui tournent là-haut.

     J’ai vu les nouveaux riches cacher leur jeu en se masquant de la charité « chrétienne »

    Tout ça, est une nouvelle petite bourgeoisie qui ne sait pas comment la richesse lui est tombée sur le dos et qui exhibe tous les signes de l’arrivisme  oude l’exposition de la réussite financière. C’était un avantage des 10 ou 15 dernières années où la France, le pays riche et opulent est passé à une nation d’exhibition obscène d’une richesse acquise grâce aux grands groupes et aux industries modernes informatiques. Comment ils sont passés d’une génération d’un niveau économique relativement bas à un niveau haut, voire luxueux ? Mon hypothèse est qu’ils ont pu vendre des terrains, vendre des maisons, les ayant retapées et ils ont profité de la montée du prix du foncier que les Grenoblois ont suscité en venant construire ou habiter dans une région devenue touristique alors qu’ils l’évitaient quand elle était minière, noire et communiste, 3 défauts rédhibitoires qui ont étés balayés par l’histoire.


    votre commentaire
  • La Chine et  le regard des Occidentaux ou La chine et nous


    « Un jour de Juillet 1966, à 74 ans, le Président Mao se jette à l’eau et descend à la nage le Yangzi sur 15 kilomètres. Evénement anodin pour un milliard de Chinois ou signe de crise politique grave ? Pour les Occidentaux, c’est un caprice burlesque de vieillard ou un mode étrange de résolution de conflits entre concubines ou avec les ministres. Imagine-t-on notre stupéfaction si on avait vu les Présidents Sarkozy ou Hollande se déshabiller sur un quai de la Seine et nager jusqu’à Poissy ? Et pourtant ils auraient eu les mêmes bonnes raisons : déboires conjugaux avec Cécilia ou avec Ségolène et Valérie, et divergences avec Fillon ou avec Ayrault ! Si nos cultures politiques ou domestiques sont si différentes, que reste-il à communiquer ? Ce livre, appuyé sur les études  concernant la Chine de J.Goody et K.Pomeranz, veut éclairer la part d’inconnu et la partie d’inconnaissable qui sont pour nos normes,  l’essence de la réalité chinoise. Cela justifiera que nous, (la génération « 68 ») ne soyons pas allés en Chine dans la mesure où l’on n’y saisit presque rien, aveuglés que nous sommes par nos préjugés,  notre sentiment de supériorité... et les obstacles  mis aux enquêtes ethnographiques !

    SOMMAIRE
    « C’est du chinois » ! Le bon sens populaire le proclame. Quand on ne comprend pas, quand c’est illisible au propre et au figuré, quand notre entendement est dépassé, quand nous n’avons aucune référence, on s’en tire par une pirouette, aveu d’impuissance. On n’a rien compris de la Chine et ceux qui devaient nous éclairer sont égarés eux-mêmes. La trivialité des touristes est confondante, de même que l’abondance jusqu’à saturation, de jugements expéditifs, d’humeurs de sinologues amateurs. Ceux qui en 1960 suspendirent leur opinion se sentent confortés aujourd’hui d’avoir attendu de meilleurs auspices à l’écart des jugements normatifs, distinguant l’inconnu de l’inconnaissable. Selon le philosophe américain W. James, l’inconnu est le proche ignoré mais accessible si l’on fait l’effort ; en revanche l’inconnaissable est produit par la cécité insurmontable de la Raison en fonction du changement d’échelle, du contenu de perception, et de la nature de concepts inadéquats, érigés en barrières insurmontables en dehors du  partage des expériences
    Deux grands auteurs, deux grands scientifiques, Jack Goody et Kenneth  Pomeranz révèlent la part d’inconnu dans l’histoire chinoise et se rebellent contre la manière dont notre histoire avait traité les autres continents (et la Chine particulièrement) dans la représentation du passé ancien et récent. La chronique de la naissance du capitalisme, de l’émergence des sciences et techniques, de la connaissance des philosophies anciennes a été déformée au long d’épisodes ou les idées métaphysiques de supériorité occidentale ont été constamment à l’œuvre à l’encontre des faits.  La vision de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Amérique alors centre du monde, nous l’aurons à travers les récits de Lord Macartney premier chef d’expédition officielle en Chine en 1793, puis ceux de A. Peyrefitte et d’H. Kissinger, ex-ministres français et américain. La curiosité que  la Chine suscitait, les interrogations qu’elle soulevait, les études  qui en ressortaient, non reliées  avec retard  à l’actualité vécue des années 60-70 justifient le nécessaire retour sur ce passé  de savoirs au sujet  du monde asiatique construits autour d’attentes variées, d’absence d’enquêtes  démonstratives. Nous  prenons conscience peu à peu  de nos œillères  et déchiffrons ce que notre génération de « 1968 », (née autour 1940 et qui a donc l’âge de la République de Chine populaire) a dû réinterpréter pour approcher une  réalité énigmatique. Le contexte des lectures compte autant que leur contenu et il faut mettre en scène les lecteurs des années 70 et 80
    Quand le Centre du Monde juge l’Empire du Milieu : c’est-à-dire qu’une société évalue l’autre à l’aune unique de ses propres critères, cela donne quoi : représentations égarées, erreurs réciproques, mélange d’aveuglements et malentendus intéressés mais l’intelligence n’est que d’un côté et c’est pas le notre  
    .   

    1    La défaite de l’eurocentrisme 

    Les critiques de Jack Goody et de  Kenneth Pomeranz:
    -« Le vol de l’histoire ; Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde »
    - « Une grande divergence : La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale »

    Deux grands auteurs Goody et Pomeranz révèlent la part d’inconnu de l’histoire chinoise et se rebellent contre la manière dont notre histoire avait traité les autres continents (et la Chine particulièrement) dans la représentation du passé ancien et récent. La chronique de la naissance du capitalisme, de l’émergence des sciences et techniques, des connaissances des philosophies  a été déformée au long d’épisodes ou les idées métaphysiques de supériorité occidentale ont été constamment à l’œuvre à l’encontre des faits d’évidence
    La curiosité que l’Asie suscitait, les interrogations insatisfaites qu’elle soulevait, les études segmentées qui en ressortaient, ne se reliaient pas  assez à l’actualité vécue des années 60 (et combien elle était rapide !). J. Goody et K.  Pomeranz justifient le nécessaire retour sur ce passé  de savoirs sur le monde asiatique construits autour d’attentes variées, d’absence de grandes enquêtes  empiriques. Le contexte des lectures compte autant que leur contenu, et il faut mettre en scène les lecteurs des années 1970 et 80. Aucun de ces lecteurs ne naquît dans le ciel abstrait d’idées désincarnées : actuellement elles interfèrent dans le cadre  de l’histoire mondialisée 
    Les deux historiens-anthropologues, issus de deux générations, comparent donc l’histoire de la Chine, de l’Occident et du reste du monde. Leur rapprochement s’impose puisque leurs livres sont contemporains (six ans d’écart), aux démarches parallèles, aboutissent à des conclusions indispensables pour comprendre nos jugements successifs contrastés. Le principe de la comparaison entre auteurs, deux à deux, est pour nous, soit le temps, soit l’espace, soit bien autre chose ; ici c’est le contexte économique . Ce principe  de lecture, établi en bonne méthodologie, présente l‘Asie et la Chine face à l’Occident et fournit aux grands auteurs l’occasion de mettre en perspective la vision ethnocentriste qui a débordé  dans les sciences sociales, de l’histoire jusqu’à l’économie politique. Confrontés au manque de relativisme savant et à la faiblesse de connaissances factuelles, les enquêtes du célèbre anthropologue de Cambridge et celles du jeune historien de l’économie de l’Université d’Irvine, récemment élu professeur à Chicago, ont bouleversé le paysage des connaissances en peu de temps. Leurs conceptions découlent d’une notion d’idée neuve, « mutante » peut-on dire, repoussant la référence modèle (ancien/nouveau ou progrès par bonds) jusqu’à leur contestation radicale.  Dans les livres qui ont ébranlé l’historiographie à l’aube du 21ème, parus entre 2000-2010, K .Pomeranz justifie son association avec Goody. Cette affiliation, -bien qu’il soit son cadet de 40 ans et qu’il n’eut aucune publication en français alors que son aîné bénéficiait,lui, d’une quinzaine- manifeste une réelle convergence à l’égard de l’histoire « globale ».  Cette entreprise de rectification en sciences historiques, en philosophie et en représentations politistes, a nécessité, de la part des deux hommes qui se lisent et s’estiment, un travail de longue haleine. Près de mille références bibliographiques appelées par chacun d’eux (dont un tiers au moins hors langue anglaise) placent la vulgarisation « mondaine » ou l’érudition de « salon », en position ridicule vis-à-vis des lectorats cultivés ! En France les chercheurs ont du retard en histoire de la mondialisation -(en voie de rattrapage ?)-, en raison de la pénurie de traductions et de la focalisation de l’attention sur notre pré carré : l’histoire moderne à la suite de notre « Grande Révolution » ou celle de la Résistance et l’Occupation,  et aussi de la décolonisation. Nous ne savons pas depuis Bloch, Braudel, Labrousse aussi bien mélanger les genres, sortir de la spécialisation étroite et combiner l’histoire à l’anthropologie, la géographie avec l’écologie et l’économie, ou encore la démographie avec la sociologie. Avec audace, Goody et Pomeranz ouvrent un champ à l’interdisciplinarité irrespectueuse des frontières. Le vent du changement a déjà soufflé dans les  années récentes  que nous qualifions sans hésiter de mémorables. Ce mouvement qui augure d’un futur surprenant a modifié les problématiques et, de là, les « approches » scientifiques.  La dimension et le cadre de travail ont été transformés par la mondialisation qui a donné un peu d’air frais à nos sciences sociales vieillissantes.

    Jack Goody
     « Le vol de l’histoire ; Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde » (2006)
    Il y a  longtemps que J.Goody anthropologue, historien, sociologue, secoue  le cocotier des idées admises. Il a « re-constitué » l’objet traditionnel de ces disciplines à l’aide de comparaisons internationales et d’emprunts à des connaissances lointaines, dénonçant ainsi l’eurocentrisme scientifique. La globalisation, l’irruption de pays émergents offrent des données originales modifiant l’historiographie par le découplage des approches.  Est en marche « la grande Révision de l’Histoire » dont il faut tenir compte intra-muros.  Toutes les ruptures déclarées ne seront pas confirmées. Le sentiment de vivre une « Révolution » n’entraîne pas automatiquement un changement. Ce qui frappe dans cette réunion d’auteurs est, non pas la démolition des idées établies, mais plutôt l’indifférence à leur égard, au profit de nouvelles catégories et de concepts originaux.  La lecture d’auteurs de langue anglaise révèle le désengagement des Français cultivés, instruits exclusivement dans des sciences « provinciales ». Pourtant un coup de tonnerre eut bien lieu, même s’il fut peu ressenti chez nous du fait de la lenteur des traductions aux répercussions mondiales. Et Goody fut le premier franc-tireur. La philosophie européenne de l’histoire proclamait depuis 1800 que nous étions « pionniers », avions eu les priorités en Histoire, la prééminence des découvertes. Goody s’est attelé à l’immense tache de rectification. Il le fit au sujet des sociétés à « écriture », de l’invention des « villes », puis de la famille, des systèmes de parenté, enfin des représentations de théories  politiques ou des religions, aussi bien que de la « Révolution scientifique ». De relativiste culturel au début, son anti-déterminisme a penché en faveur d’une science sociale polycentrique. Puis la jubilation de trouvailles l’a gagné ; il a écrit ainsi une douzaine de livres innovateurs, « dévastateurs » pour l’érudition traditionnelle. Il est le contraire d’un essayiste, d’un polémiste : il est les reconstructeur aux démonstrations inattaquables de l’histoire du monde. Et il dénonce l’appropriation des problématiques, des méthodes et des notions de la part des historiens occidentaux (pas tous). Son allégresse critique  a commencé, il y à 40 ans. Depuis il n’a cessé de combattre les préjugés contre lesquels il concentre un feu d’artifice de connaissances accumulées en 70 ans et il nous donne en bilan   son chef d’oeuvre. Il raconte comment l’Europe a fabriqué  un récit  en partie mythique, en partie légendaire, et l’a  exporté. On croyait que cette idée innovante serait bien reçue. Non ! Et il  proclame de manière tonitruante la  vigueur de sa bataille: « On reproche parfois à ceux qui critiquent le paradigme eurocentrique de se montrer virulents dans leurs commentaires. J’ai essayé d’éviter ce ton de voix pour privilégier l’analyse...Mais les voix qui résonnent dans l‘autre camp sont souvent si fortes, si péremptoires, que l’on me pardonnera peut-être d’avoir élevé la mienne » . La diffusion de ces conceptions équivaut pour J. Goody à un retour sur soi et à l’affirmation  d’une ligne directrice jusque là éparpillée en plusieurs ouvrages. En effet, comment fait-on, quand toute sa vie on a élaboré des synthèses sur tel ou tel thème pour lancer une entreprise qui reprenne l’ensemble des rectifications précédentes ? Comment estimer que c’était la conception même de l’histoire occidentale qui dut être soumise à la critique ?  Ce faisant, il a ébranlé le monde des idées, à l’aube du 21èm,e. Ce retournement nous interpelle moins en tant qu’historien des épistémologies -que nous ne sommes pas- qu’en sociologue méthodologue. Avant d’attaquer ce gros morceau qu’est le Vol de l’Histoire, on se doit de revenir sur les indices qu’il avait livrés dans  deux de ses derniers livres .Ces livres encyclopédiques, je les raconte à mes risques et périls : résumer Goody est une gageure car il faut le lire et relire

      Le parcours   survolé

    J. Goody  n’est pas un inconnu en France (14 livres traduits). Le « vol » est un livre né de l’accumulation de données sur soixante ans de recherches dont il    se « reproche » parfois... le manque d’audace !!
    a) il n’aurait pas assez systématisé, pas assez structuré les arguments antérieurs, et son scepticisme au sujet des raccourcis et des simplifications dus à un eurocentrisme était resté sous jacent
    b) il avait excessivement respecté les grands auteurs qu’il aime
    c) il n’avait pas manifesté assez de détermination ! 

    Une sorte  d’autocritique implicite qui donne à sa synthèse un ton allègre, et à la fin,   une sensation de satisfaction du travail accompli.  
    Revenons à son itinéraire. Goody n’est pas un relativiste radical, (encore moins un sceptique par principe) quoiqu’il prenne trop de points de vue simultanément pour être aveuglé par l’un d’eux, au point d’oublier les autres : linguiste, économiste, historien, politologue, anthropologue etc.  Son enquête sur les concepts et les schémas historiques qui ont balisé le devenir des diverses sociétés, les unes par rapport aux autres, le conduit à historiciser les notions fondatrices de l‘Histoire. Puis à interroger les démocraties qui se targuent du critère de progrès ; enfin à dénoncer les définitions d’égalité, liberté, et autres catégories élevées à un niveau transcendantal. L’humanité, il l’a constaté au cours de son existence de chercheur, vit se succéder une myriade de cas, un  magma de formes au point qu’on peut dire qu’il est illusoire  de les mesurer à une échelle de valeur unique.  Il faut respecter par conséquent ceux qui restituent sans jugement évaluatifs et normatifs les effets diffus, brutaux ou retardés des échanges entre nations, ainsi que les circulations entre  continents depuis  trois millénaires et particulièrement entre l’Europe (et sa filiale américaine) et l’Asie
    Mais le vol qu’est-ce à dire ? « J’entends par là la main mise de l’Occident sur l’histoire, une manière de conceptualiser et de présenter le passé où l’on part des événements qui se sont produits à l‘échelle provinciale de l’Europe –occidentale le plus souvent- pour les imposer au reste du monde »13. Cet exergue en coup de tonnerre, à qui le destine-il ? Une adresse à la jeunesse ; jeunesse qui circule sur toute la planète à la vitesse que permet la communication et la circulation moderne. Le maelstrom a commencé. Qui dit ça ? Un « jeune homme » quasi-centenaire ? Oui, par l’esprit .Bien entendu sa posture implique qu’en étudiant notre ethnocentrisme, il saisisse celui des autres sociétés, certes moins diffusé mais qui s’alourdit d’incompréhensions meurtries par le passé conquérant de l’Occident. C’est au titre de ce passé équivoque que nous avons ajouté un post-scriptum au sujet de la Chine et des configurations originales de cécité qu’elle produisit au cours des derniers cinquante ans. Ce mélange des genres est indispensable pour saisir l’histoire globale, ses instruments, ses préjugés mondialisés. A ce stade de la recherche, il n’y a plus de barrière disciplinaire. Pomeranz et Goody sont en dehors des frontières classiques qu’ils ont déverrouillées. K. Pomeranz (cité au début du « Vol »), est aussi un grand économiste-historien. Son livre Une grande divergence confirme le virage du XXIème que Goody avait souhaité.  Une conception historiographique notionnelle neuve dans l’analyse des rapports entre civilisations sur la longue durée constitués de successions d’emprunts, d’embranchements, de mutations imprévisibles...et de confrontations violentes. L’histoire écrite par l’Occident a tiré la couverture à elle. Par ses moyens matériels déployés, par le nombre de ses chercheurs, par ses traditions assurées, elle proclame ses raisons « à étudier » le monde entier. La légitimité ne se pose pas.  Et cependant selon Goody, il faut étudier les sources d’un ethnocentrisme persistant quant à cette prétention que nous manifestons par exemple dans la manière de traiter de la famille en Europe ou  dans l’oubli de la place de l’Orient dans notre  société. 
     

    1 « L’Evolution de la famille et du mariage en Europe » 

     Cet ouvrage de 350 pages argumente l’absence de processus unilinéaire mais déploie les directions foisonnantes prises qui  ne présentent pas  un  cours homogène. Le « Goody » de 1985 a évolué en 2006. Il n’y a pas un seul tronc aux constructions sociales -que ce soit celle des rapports de parenté, des styles de représentations, des  formes graphiques ou des rationalisations de la pensée- mais  de nombreuses souches plus ou moins autonomes, comparables dans le temps et à certaines conditions.
     L’EFE fut un  succès des sciences sociales puisque la réédition en France a donné lieu à 5 nouvelles entrées en matière : préfaces et présentations . Dès 1980, il avait rompu le consensus créé autour du binaire Est/Ouest en introduisant une critique subreptice des historiens habitués au manichéisme calqué sur le dualisme politique de la guerre froide . Il réduit la part de notre partition dans la globalité. Les médiévistes avaient été médusés par les idées de ce livre jugé iconoclaste. La captation des héritages par l’église leur parut une interprétation « matérialiste » de  l’histoire . A laquelle il répondit par des critiques formulées à l‘adresse  des chefs de file : Lévi-Srauss, Ariès, Shorter, avec le soutien posthume de Bloch au sujet du « féodalisme », et  de G.Duby,  de E. Hobsbawm, et de E.P. Thomson rapidement convaincus
    .
    En anthropologue, contrairement aux économistes, il ne constate pas un progrès, indéfinissable sauf à créer  des normes universelles et intemporelles. Il ne s’aligne pas sur « le mouvement » ou ce qu’on appelle  la croissance, la productivité, la « révolution » scientifique qui représenteraient la référence apte à classer une société entre deux bornes : statisme et dynamisme. Comme Pomeranz, il travaille sans accorder de qualités particulières à ce qu’on appelle par défaut le « changement ».  Si ce sont la croissance du PIB et le bouleversement industriel (apparent souvent) qui en sont les marqueurs, alors l’Allemagne et le Japon entre 1930 et 1944 les incarnèrent en tant que composantes de l’expansion économique ou celle  du niveau de vie. Goody évite  donc de voir dans la rapidité d’une transformation, une modification cruciale, une valeur en soi. Il est sensible aussi bien à ce que nous appelons recul, blocage et stagnation, selon un vocabulaire emprunté aux économistes, qu’à la rapidité d’acquisition de certaines techniques, leurs effets irréversibles mais aussi aux retours en arrière positifs. En tout cas, il conteste le fait d’une immobilité de longue durée dans une quelconque société. Tout change sous le trompeur engourdissement.  Augmentation de la population ou diminution notable, bouleversement imprévu des ressources naturelles par usage extensif des gisements, accroissement ou réduction des techniques et de l’énergie ?  Les échanges mondiaux apportèrent des perturbations dans chaque groupe qui les admit ou les rejeta, mais aucun n’en sortit indemne.  Le refus constitutif, ici exprimé, est celui du classement en termes normatifs de la supériorité de telle organisation sociale. Si l’indifférence aux morales est une obligation classique de l’historien, Goody est un authentique historien du monde puisqu’il n’a fourni aucun prétexte à une quelconque célébration événementielle (une « Révolution », un saut qualitatif, un progrès éthique) ou à  la glorification de telle ou telle culture. Les conceptions philosophiques et historiographiques, Goody a excellé à les regarder évoluer, les unes par rapport autres, sans jugement de valeur. Ce détachement n’est pas évident quand on y baigne, quand on est l’héritier électif d’une de ces cultures.
    Bien entendu,  il n’est pas le seul ou le premier à professer  de telles idées ; elles parcoururent périodiquement l’Occident et l’Orient : les Humanistes de la Renaissance, les philosophes des Lumières, des romanciers , les religieux d’Asie, les Bouddhistes laissèrent « tomber » les bons  sentiments de l’histoire occidentale. En revanche, Goody ajoute sa marque personnelle ; il détaille chaque domaine de convergences et de divergences entre parties du monde lors de circonstances différentes. Son axe de travail et sa méthode consistent à distinguer chaque facteur de différenciation, apparu dans le temps, selon un degré  d’emprunt masqué par l’histoire dans les comptes rendus  d’invention. Mais il les combine aux autres aussitôt. Il récuse, preuves historiques à l’appui, les catégories élaborées pour disqualifier des continents ou certaines sociétés par rapport aux étapes du démarrage ou du décollage récent de L’Europe. Avec méticulosité, Goody prend en compte toutes les variables que l’on « constate » et qu’on attribue à la réussite incontestée des sociétés occidentales. Il les évalue  à l’aune d’un jugement  plus objectif au regard des données neuves qu’il ne cesse de produire et d’analyser (800 notes de bas de page sont des normes courantes pour lui, ainsi que 700 références biblio pour le « Vol »).  Chacun des facteurs de différenciation est soit inventé...soit a été « volé ». Des singularités existent qui ne font pas de telle société un cas unique et pérenne. Derrière l’unité biologique de l’humanité, à nous de découvrir les phénomènes de complexification non discriminants 448 Vol

    Goody ne pontifie pas. Il ne s’aventure pas dans le donquichottisme, ni l’essayisme mondain,  habitude qui vient  en fin de carrière où il est de bon ton de lancer des idées généreuses et gratuites.  Il avance parce qu’il s’agit d’une œuvre  enracinée dans une  culture magistrale. Il s’agit d’une « Somme », soutenue par un travail de renouvellement des connaissances. Sa critique de l’ethnocentrisme est crédible grâce à sa maîtrise des langues des pays qu’il étudie ; et grâce à une synthèse ayant requis un labeur inouï. Les limites du travail intellectuel ont  reculé, c’est ainsi que les savoirs qu’on croyait définitifs s’écroulèrent et que les cartes furent redistribuées. Le décentrement socio-géographique de ses précédentes publications le sert. On croirait que cette relativité de la mémoire du monde est acquise. Non ! Et il proclame la vigueur de son combat en guise d’apostrophe claironnante à la jeunesse de notre vieux continent . Et aussi à la jeunesse des pays neufs, débordante de vitalité qui apprennent à se construire en se décalant. Il convie implicitement les futures générations à poursuivre le travail d’enquêtes. La « jeunesse » intellectuelle de l’auteur, l’accumulation de ses informations une vie durant lui donnèrent l’opportunité de réfléchir à des réfutations nécessaires au cours de la mondialisation que nous vivons . L’histoire française avait pris une autre orientation, en partie à cause du poids de publications  de pur prestige, en  partie  en raison du volume  exigé des études et de l’effacement besogneux nécessaire. Une évolution interne   à l’Histoire en France   verra probablement apparaître plus tard une nouvelle génération de praticiens mêlant deux sources trop souvent dissociées : archives et  terrain, études des écrits et  partage  des expériences. Tout ça fait un peu « ouvrier » mais il n’en rougirait pas, lui le fils d’un  prolétaire de la banlieue populaire de Londres. Goody, moderne est en réalité un Humaniste. Ses réactions et critiques, qu’elles apparaissent à certains anti-religieuses ou anti-spéculatives, sont étayées à la raison et à la lutte contre le chauvinisme des nations.  Pour construire une autre culture, celles de l’univers pluraliste, il fallait rendre leur histoire aux peuples dépossédés par les conquêtes européennes, ceux dont on a alors refoulé le passé. En ce sens il appelle les grands intellectuels européens  à le suivre  dans ce virage de nouvelles « Lumières ».


    Le rôle de la « famille » et de la parenté 
     
    Ceci est la deuxième entrée  du« Vol ». Ce fut le produit du  choc  du « matérialisme » goodyen  avec l’idéalisme des médiévistes. Après l’histoire de formes sociétales,  les ethnologues de la parenté sont maintenant à leur tour interpellés. L’édition française fut introduite par 3 préfaciers qui représentent des éclairages différents et doivent être lus attentivement. Martine Segalen , Didier Lett et Georges Duby (de la première édition) ajoutent leur témoignage. Ces présentateurs rappellent le contexte des années 1980 lors de l’édition.  Ils notent que la première conclusion, fracassante, visait la famille nucléaire moderne ou endogame : maintenant les raisons  s’en éclairent.  L’Eglise  a combattu la famille dès l’Empire romain ! L’impact de la thèse se mesure au nombre des comptes rendus. Ce fut probablement à la surprise  de l’auteur, un des livres les plus lus dans le monde, révisant le rôle de l’Eglise dans les héritages : « la part de l’âme », la vente des marques de salut, la captations des héritages comme accumulation primitive... bref la mobilisation par les Ecritures de toutes les sources d’enrichissement.  Apparaît ici le dénonciateur d’un capitalisme ecclésiastique ; ce qui explique que l’Eglise pourchassât  les sectes (Vaudois), les dissidences religieuses (les Cathares),toutes celles, ô sainte horreur, qui font voeu de pauvreté et dénoncent la richesse des clercs  au cours de la civilisation occidentale entièrement remuée vers l’enrichissement matériel.
    Duby avait salué la démonstration : « Ce livre ne manquera pas de faire grincer quelques dents. Il est sûr que la distance est grande entre les préceptes de l’autorité ecclésiastique en ces matières et les préceptes de l’Ecriture.. Il est sûr que la doctrine ecclésiastique du mariage avait pour avantage d’assujettir l’aristocratie laïque au pouvoir spirituel...Mais l’immense transfert de propriété que j’ai désigné comme le mouvement le plus puissant qui ait animé l’économie européenne au Xè et XIè fut déterminé non moins directement que d’autres effets de la christianisation » avait-il écrit en 1985 . Goody introduit une perspective comparatiste inédite au sujet  des dévolutions de biens domestiques. L’emprise de l’Eglise sur les règles de filiation et du mariage qui firent d’elle le plus grand propriétaire terrien du Moyen Age : est-ce dépassé ? Cela s’impose toujours à l’attention et en pleine actualité. La Grèce moderne  qu’on présente en quémandeurs monétaires insatiables d’aides de Bruxelles devrait faire réfléchir. En Europe une branche actuelle de la Chrétienté, l’ Eglise Grecque orthodoxe de rite byzantin, le plus important possesseur de terres du pays est exempt d’impôts. Chacun de ses gouvernements, se doit d’être béni par l’archidiacre pour être  légitimé et validé par les partis, y compris socialistes (appartenant à l’Internationale). Tous les pays  européens n’ont pas fait leur Révolution laïque!! La diversité entre familles germaniques et anglaises ou françaises et le rôle de l’Eglise dans les affaires et l’accumulation capitalistique est un imposant récit de  cet ouvrage hors normes. Goody a compté ; à cette occasion, ses amis et ses ennemis qui restèrent durablement sur leurs positions (on en lira des échos dans les avant propos et préfaces de la dernière édition). A l’université à Cambridge, il a  reçu une éducation similaire à beaucoup de grands chercheurs anglais de cette génération: Goody reconnaît ses racines  avec P Laslett, G. Moses Finley  ainsi que Meyer Forbes et Evans Pritchard et également des affinités  dans le groupe étudiant de Cambridge (dont Hobsbawm) Tous se définissent en « anthropologues historiens ». 
    Les médiévistes allemands, parmi les plus conservateurs, demeurent très critiques. Goody est revenu sur ces questions de l’évolution de la famille en Europe répondant aux débats et critiques au sujet de la famille anglaise et germanique mais a confirmé dans deux autres publications la politique de captation par l’Eglise des héritages, origine de l’implantation précoce et durable du capitalisme Anglo-saxon. Le reproche de Duby de ne pas s’appuyer assez sur Paul Veyne   a porté ses fruits puisqu’il en use dans son travail postérieur.

     Une intrication de liens : l’Orient en Occident


     Publié 13 ans après EDF, et après The One or The Many ? il interpelle d’entrée :  « sans cesse les historiens ont minimisé les échanges, et les différences ont toujours été vues à sens unique alors que l’unité profonde  de l’ensemble eurasiatique  s’est fondée à partir d’un socle commun situé à l’age de bronze » . En 1996, ces 450 pages constituent une somme inégalable. Un chef d’œuvre de réflexions renversantes servies d’une documentation exceptionnelle, enracinée sur une biblio de 450 ouvrages et plusieurs centaines d’auteurs.  Incontournable est la démolition du mythe  de la supériorité occidentale depuis l’Antiquité. « Pour ce qui concerne l’Europe, et plus précisément l’Angleterre, notre égocentrisme spontané nous a souvent conduits à surévaluer le rôle des déterminations socioculturelles profondes, alors même que les preuves restaient soit tenues soit inexistantes...Il est d’abord possible de voir l’histoire du monde à une plus vaste échelle, et non plus de 1600 à nos jours  et de réduire l’importance  que la plupart des théoriciens ont toujours accordée aux événements d’Europe occidentale »  .

    L’Orient en Occident, récit des relations durables crées par des événements sur plusieurs  siècles de rencontres et de contacts intra-méditerrannéens du Moyen Orient (mais aussi d’Asie), distingue des  prolongements, des intégrations, une élaboration de nombreuses continuités  dans un contexte  buissonnant  de vie mélangée et d’échanges multiples.  Un seul arbre, celui de l’histoire écrite par l’occident cachait la forêt. Ici aussi on pense à une sorte de révolution où les sociétés sont des espèces évoluant, se modifiant sans cesse par des échanges, des interactions et des adaptations à leur environnement dont on ne peut dire qu’elles aient un sens unique, une direction claire.
    Des singularités existent bien entre sociétés, mais aucune ne permet de situer sur le long terme une civilisation en tête du processus du développement. Elles ne font pas de l’Occident un cas unique, exceptionnel. La domination occidentale qui s’étale sur un temps court (4 siècles) ne constitue pas un exemple particulier de l’histoire des prééminences. La démonstration est si riche qu’elle implique de notre part un renoncement à  traiter en entier l’inventaire de la fusion des apports. Nous donnerons quelques exemples emblématiques et renverrons aux notions discutées pour permettre au lecteur de trouver les pages, selon ses inclinations. Disons que ce n’est pas un  Dictionnaire  des valeurs et que les arguments n’impliquent aucun  gradualisme dans le processus de « civilisation »
    Goody  emporte la conviction par une documentation serrée  d’où ressort une sorte de sagesse  du traitement des données recueillies dans un équilibre en évitant deux  positions extrêmes. L’une serait le relativisme complet et absolu : tout est différent ; tout est dissemblable et donc les conditions des jugements comparatifs seraient peu justifiés au vu de l’inégalité de situations et circonstances. Position classique de l’anthropologie convaincue du non sens de la comparabilité en raison de la particularité exclusive. Ou, à l’autre bord, un universalisme incluant l’unité des processus psychiques mais qui ferait de l’Occident un miracle consubstantiel à l’Europe quant à l’évolution ou le développement aboutissant à  une hiérarchie. Or la démarche de Goody évite ces deux écueils  en forme de lieux communs ;   il relève sans cesse des points communs et des divergences en même temps que  des situations singulières,  homologues  convergents vers des ensembles variés  rendant tout classement usurpateur  si on prend une échelle unique. Cette pétition de principe est clairement expliquée dans l’Introduction. Le premier critère qui aurait dû être discuté est celui de la « Rationalité ».On se référera au chapitre 1. Il conclut la passionnante discussion de la Grèce et des pays Asiatiques ainsi ; « En réalité, ni en Chine ni en Occident, l’analyse (ni l’action) rationnelle  n’a jamais disparu (comme au cours du long et obscur Moyen Age de l’Europe) mais elle a poursuivi son chemin en dehors de la philosophie formelle, bien que cela ne soit nullement évident si l’on se fie aux travaux de nombreux commentateurs » . Sa synthèse sur la rationalité, que ce soit dans les sciences, les procédés linguistiques, les formes économiques, nous éclaire sur les piétinements ou le progrès collectif des connaissances à l’intérieur de sujets  débattus du type :théorie /pratique, ou logique formelle /appliquée . La liaison entre le commerce, la manufacture, le calcul, (par le biais de la comptabilité) et les sciences ont subi chez les historiens un traitement ambigu et partial. « Il est tout aussi inadéquat de considérer le capitalisme occidental moderne comme la seule économie rationnelle possible. Les avancées précoces de la Chine dans ce domaine sont manifestes d’après le volume de se exportations, la complexité de ses entreprises industrielles, la densité et les évolutions de sa démographie. Sa production « rentable » (c’est-à-dire une production de masse rationalisée) atteint de  niveaux considérables pour répondre aussi bien à la demande des marchés intérieurs, que celle de l’Occident, du Proche-Orient et du Sud-Est asiatique »  . Il parle ici des premiers siècles productivistes à fortes mobilisations de capitaux, les XVIIè et XVIIIèmes : « Et ceci, même si on ne reconnaît pas l’autorité « canonisante » néoplatonicienne, alternant des séquences où l’épreuve de la raison avec celles d’habileté scolastique ou d’hyper rationalisation que l’on retrouve dans une partie de la théologie médiévale . Les excessives différenciations entre bourgeois et mandarins, pourtant catégories proches, sont critiquables dès lors en suivant la problématique  de l’origine du capitalisme selon la vulgate marxiste ou weberienne.
    Sur les autres composantes, il est  aussi radical : « La Chine a inventé le papier et l’imprimerie, et ses villes se sont développées régulièrement alors que l’Europe connaissait une période de régression dont elle n’est sortie qu’au XVIIè, la menant vers une domination temporaire qui contraste avec la croissance régulière de le Chine, aujourd’hui en tête dans la mondialisation »... « Les contacts de la Chine lui ont permis de s’ouvrir aux influences étrangères .Si la « logique » indienne s’est trouvée prise dans les rets de ses débats religieux internes, elle n’en a pas moins imprimé sa marque sur la Chine, la Corée, le Japon et toutes les autres régions du sud-est asiatique dans lesquelles ont été diffusés les textes bouddhistes » . Les moines  Chinois voyageaient beaucoup en Inde dans les premières décennies de notre ère, à la recherche de textes originaux de leur religion
    Les idées de désordre, de chaos interne, d’instabilité, en tout cas de ruptures, pour faire avancer la civilisation (« guerre pour le Progrès et progrès par la guerre ») ne se retrouvent pas dans d’autres civilisations asiatiques au même niveau d’intensité. Cette divergence symbolise la compréhension ratée des deux branches du capitalisme. Celui de l’ouest et celui de l’est,  dont les historiens  respectifs  n’ont pas  tous conçu  une origine  commune, un fait de l’histoire économique pour en faire, en revanche, une question obsédante de la priorité occidentale

     Le système éducatif et la rationalité
    Au titre de l’argument de la rationalité, un différentiel prétendu absent dans telle ou telle civilisation, Goody intervient là encore avec netteté. La rationalité ? Quelle rationalité ? Il conteste les définitions homogénéisantes. Rationalité taxinomique ? juridique ? économique ? La rationalité est de tout lieu et de tous temps. Seules quelques formes spécifiques divergent de même que le  caractère  plus ou moins formel ou implicite mais il n‘y a là  rien de très déterminant
    La « Science sans concepts » qu’on impute à l’Asie est-elle un artifice de raisonnement ? Ici les introductions (développées dans le « Vol ») séparent les conceptions variées de la science et celles de l’argumentation logique.
    La connaissance savante, reconstruite a posteriori par des littéraires, autorise à nier bien des évidences historiques selon l’auteur. Le point de vue formaliste surestime la rationalité des sciences occidentales  dans une connaissance dont le type-idéal serait les mathématiques.  « Les mathématiques grecques étaient sans nul doute d’un niveau plus élevé, ne serait-ce que par le caractère plus abstrait et plus systématique dont témoigne Euclide » selon Needham, que Goody rectifie aussitôt. « Les mathématiques chinoises valaient dans de nombreux contextes pratiques mais n’aidaient pas à atteindre le degré d’abstraction nécessaire à des développements plus théoriques (probablement aidés par le développement de l’abaque). Mais s’il en fut ainsi, nous nous trouvons devant une différence de degré sur l’échelle de l’abstraction rationnelle, une différence influencée en partie simplement, par la langue et par l’écriture. Les mathématiques babyloniennes, qui disposaient elles aussi d’une écriture idéographique étaient très avancées » . Souvent l’enseignement des sciences  a survalorisé les mathématiques, imputant l’ouverture de cette voie aux travaux d’Euclide, comme elle des procédures de preuve  à Aristote. Le « rationalisme » de Descartes  insiste sur une pensée qui combattrait l’irrationnel vague des arts appliqués. Les choses ne se sont pas passées de façon aussi tranchée. Dans toute logique, il y a des approximations qui amènent à des paris irrationnels ou à des transitions provisoires. Les  démonstrations où Goody défend ce point de vue sont celles où il compare un économiste immaculé sortant de la Harvard Business School aux hommes d’affaires asiatiques   «  Les Grecs usaient peu de l’expérimentation et les Chinois l’utilisaient d’abord à des fins pratiques. Ces diverses sciences s’affrontèrent au Moyen Age ; l’église fut un frein par rapport aux médersas arabes et aux écoles confucéennes en avance sur les raisonnements scientifiques. Mais du fait de son retard, l’Europe scolarisée dut se battre contre la scolastique ; et en mathématiques elle dut s’émanciper de l’enseignement religieux. Cela prit du temps et  le retard de l’Europe par rapport aux  sciences arabes et asiatiques ne se combla que vers 1700. Après, sous l’aiguillon des philosophies laïques et d’une bourgeoisie intellectualisée,  l’expérimentation, les mathématiques abstraites orientées vers le développement économique  dépassèrent les autres savoirs » . L’enseignement en France des ingénieurs modernes se réalise au détriment des élèves qui ont un esprit logique plutôt practico-théorique, ceux doués de sens de l’application et du génie de la réalisation. Ce qui passerait aujourd’hui pour  une  proposition disqualifiante serait de ne plus concevoir les maths comme une entrée sélective  à toutes les études d’ingénieurs mais de garder un niveau élevé de celles-ci  adaptées ou enseignées différemment  à chaque discipline : physique, chimie, biologie.  L‘application et le transfert de savoirs d’un domaine à l’autre ne sont pas des capacités mineures ; l’empirie et le sens utilitaire  ont valeur planétaire et sont des  vertus  scientifiques à part entière. Les physiciens ne partent pas d’un concept appris ou donné. Dans la réalisation  des engins (aérien, routier, marin), Ader a étudié le vol des oiseaux au préalable, invente une théorie du mouvement comme il invente plus tard  une capacité de l’électricité  dans le transport de la voix pour son premier téléphone. A aucun moment il n’est seulement ingénieux : il est aussi théoricien ; certes pas exclusivement hypothetico-déductif  mais aussi inductif (observateur des phénomènes naturels). Les historiens et philosophes de sciences ont classé des formes de « pensée rationnelle » générées depuis leurs propres abstractions et ils les ont  plaquées sur une image du savoir  clos, formulé  prioritairement dans sa version abstraite. Ce qui complique l’initiation aux sciences à l’école.
    Ces   rectifications nous ont permis d’étudier   la physique non comme une science autonome à un degré de supériorité. La physique n’est pas indépendante de la société ; elle est la société, un élément de l’économie ; elle sert l’industrie et le commerce. Les techniques, composantes d’une construction de l’économie, servent aussi bien la guerre, qu’elles se servent de la guerre pour avancer en découvertes. Les grandes trouvailles de la physique des quanta sont issues de la guerre. Toute guerre a été une formidable occasion d’expérimentation de la physique (bombe A).  On ne peut dissocier son histoire de nos économies. La science induit-elle les forces de production ou l’inverse ? Les deux à la fois quoique  l’isolement des idéaux-types scientifiques, passion de l’Occident ait infériorisé les chercheurs appartenant à d’autres traditions ou  à d’autres sociétés.  C’est pourquoi les historiens des sciences délaissent l’empirie et relèguent les praticiens que seraient « les Chinois », au sens large,  aux arts mécaniques. Ces derniers, comme tous les prédécesseurs    partirent de l’observation de la nature. Comment le monde naturel fonctionne ? Inventer devient une imitation, certes lointaine, où l'attachement aux techniques supplée le désir d’hypothèses sophistiquées. Ensuite vient le moment de la vérification par les mathématiques. La modélisation intuitive supplée à une démonstration préalable par les faits. Les ingénieurs appliqués disaient : « On avance, on fabrique et si ça marche : on comprend après ». La mathématisation des hypothèses est venue après l’épreuve d’une expérimentation continue.   Les théoriciens purs étaient  hors de toute position prééminente.  Un siècle après, l’ordre de présentations des savoirs a été historiquement inversé.  La science moderne est un élément du dossier.  « Elvin met en doute l’existence même d’une dichotomie conceptuelle entre la science moderne et la science des époques antérieures. Il écrit « Vers l’année 1600 ..la Chine maîtrisait , à des degrés variables, tous les styles de pensée qui ...allaient bientôt permettre d’établir les éléments constitutifs de la science...à l’exception, semble-t-il du probabilisme qui n’était pas encore né à l’époque même en Europe » . ?.L’Europe du Moyen Age était très en retard dans l’accumulation des connaissances, comme le montre le tableau de Colin Ronan  . La distinction artificielle entre science et technologie est inhérente au concept de science moderne. Et donc l’écart entre l’Europe et la Chine est moins profond qu’on ne le  croit : « La science européenne n’est pas née au milieu d’un désert » ... Goody préconise de ne pas aussi utiliser une grille unique et de pas recourir à des distinctions de catégories qui tendent à assimiler chaque tradition à un pole unique ». Les catégories binaires sont des hérésies dans un monde aussi complexe ; la démarche catégorisante attribue  trop de stabilité et de permanence
    Dans l’abrégé de  notions  qu’offre Goody, l’eurocentrisme est selon lui une ramification, une composante des divers ethnocentrismes ayant existé « naturellement ». Mais l’eurocentrisme est plus qu’une variété de l’ethnocentrisme ; il a bénéficié d’un montage de savoirs et d’une idéologisation. Cette substitution  est un moment de l’histoire d’Occident , Goody refoule cette   histoire orientée par  les préjugés  et considère  que nos conceptions sur  la succession technique depuis l’âge du bronze présentent une erreur :« Plus j’ai examiné d’autres facettes de la culture eurasiatique, plus je me suis familiarisé avec certaines parties de l’Inde, de la Chine et du Japon, et plus m’est apparue la nécessité de comprendre l’histoire et la sociologie des grands Etats ou « grandes civilisations eurasiatiques » comme autant de variations mutuelles » . « L’oubli des autres est la négligence de ceux qui s’installent : organiser l’expérience en fonction de la place centrale  que l’on s’adjuge ,  qu’il soit individu , groupe ou communauté »cela   manifeste  un ethnocentrisme qu’on  impute sans surprise aux Grecs et des Romains » au  début de L’Orient en Occident : « Toutes les sociétés humaines affichent un certain degré d’ethnocentrisme  qui conditionne en partie l’identité personnelle et sociale  de leurs membres ...Mais si, comme j’entends le montrer,  l’Europe n’a pas inventé l’amour, la démocratie ni la liberté  ou le capitalisme de marché, elle n’a pas non plus inventé l’ethnocentrisme... Deux raisons évidentes : l’autorité que conférait la diffusion de l’alphabet grec et secondairement, l’eurocentrisme fut aggravé  par les événements ultérieurs  que connut le continent européen, l’hégémonie mondiale exercée dans diverses sphères et qu’on a souvent tendance à considérer  comme ayant existé de tout temps »
    Au sujet de la démocratie occidentale -car il y en eut d’autres formes, éloignées, ainsi qu’il y eut d’autres bourgeoisies pour « inventer » un régime politique approprié à leurs intérêts.  « Je préfère dire quant à moi de la bourgeoisie qu’elle fut un phénomène international » ; Ces démocraties ont connu leur disparition. La notre concourt à sa fin depuis « l’auto-empoisonnement » des guerres d’Irak  .Concomitance de l’émergence du pouvoir militaire en leur sein et cumul des moyens d’appropriation des « valeurs historiques » à notre profit. La question est alors : comment avons-nous réalisé la synthèse des apports épars et diffus des conquêtes géographiques avec la description d’amalgames technico-scientifiques. Goody pense avec d’autres que le perfectionnement des instruments de navigation sophistiqués au 18ème  a été une des configurations les plus démonstratives  de l’assimilation de bourgeoisie avec classes moyennes alliées  à des situations de prédation inédites. Vers 1700la Chine possède  des moyens aussi efficaces mais elle utilise sa flotte pour le cabotage en mer de Chine, alors que l’Europe a crée une  armada   de conquête de territoires inconnus pour assouvir sa faim  en pierres précieuses, or et l’argent. Ceci aboutit  à la création de colonies, et non simplement de ports. L’occidentalo-centrisme par conséque nt est une notion  moderne, un embranchement de l’eurocentrisme non accidentel dans des pays puissants en mer: Hollande puis GB, France, Allemagne, et enfin bien entendu Etats–Unis.  La Renaissance, grâce aux progrès de l’artillerie et de la marine ont permis d’explorer et de coloniser de nouveaux territoires et de développer ses marchés à un moment où l’invention de l’imprimerie assurait l’expansion du savoir . Tous  ces pays furent à la poursuite de la  représentation la plus convaincante du lieu de naissance de la « civilisation » que les autres doivent emprunter. « La civilisation est la somme de ce que l’Occident estime avoir accompli et des attitudes qui s’y rapportent. Cette attitude ethnocentrique est des plus extravagantes ; elle prétend à la supériorité actuelle de l’Occident « comme d’un phénomène potentiellement définitif interprété en fonction des seules transformations opérées dans la  société européenne au mieux depuis le XVIè siècle ... Norbert Elias illustre clairement cette attitude  dit l’auteur   . On pressent la Grande Révision  des années 2000 qu’annonce Goody  étant donné l’ampleur de la critique.
    . Retour sur  les dernières années : le J. Goody de l’an 2000
    On ne peut contredire que l’histoire  mythique et savante vont de soi, quoique le  récit de leur déroulement soit propre à toute société. Cependant pour accorder prix à ce principe, on doit contester les catégories binaire :Orient/Occident, écrit/oral,famille complexe ou nucléaire,capitalisme/féodalisme. La disposition de l’historiographie occidentale à ordonner le monde par le récit, il la résume dans deux exergues qu’il suffit de citer : « Trop souvent les généralisations en sciences sociales -et cela vaut tant pour l’Asie que pour l’Occident- se fondent sur la croyance que l’Occident occupe la position génératrice de la norme dans la construction d’un savoir général. Toutes nos catégories...ont été d’abord conceptualisées à partir de l’expérience historique de l’Occident ».  « La domination qu’exercent dans la vie académique mondiale, l’Europe et l’ Amérique du Nord doit être acceptée pour le moment comme la conséquence malencontreuse mais inéluctable du développement parallèle de la puissance matérielle et des ressources intellectuelles du monde occidental. Mais les dangers qui en résultent doivent être mesurés et les tentatives de les dépasser constantes »   
    S’appuyant sur une citation de Blue et Brook Southall, ses précurseurs, Goody   dénonce  la croyance en un système mondial  hiérarchisé grâce à  l’autorité à l’Occident en arts, lettres, sciences et philosophies. Les sciences humaines récentes (fin du XIXè) ont diffusé la croyance d’un « lignage » Grèce-Rome. « Cette fable  née du romantisme post-révolutionnaire  a été  le pain quotidien » des sociologues, philosophes historiens, politistes et économistes parce que les sciences humaines naissantes  ont détourné   l’attention ou l’intérêt pour des cultures aussi raffinées et  avancées que la nôtre et pour consacrer l’ethnologie à ceux qui étaient les  plus éloignés matériellement  des« primitifs ». Sauf notables exceptions, isolées, dans ce périple sélectif, on a évité l’étape asiatique (au profit de l’Afrique ou l’Amérique du sud qui ne posaient aucun problème de concurrence  et on a négligé  le matériau dont on disposait  sur le Japon  de la période Heian, par exemple ou de la Chine. Elias fut alors utile afin de confiner le processus civilisateur au seul contexte européen  ». 
    « Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde » est la conclusion de 60 ans de recherches menées de manière indépendante. Au travers de la porte ouverte par la globalisation il entama une révision et il fournit l’argument qui faisait cruellement défaut aux sciences sociales pour combattre leur propre inclination au chauvinisme, renonçant trop vite à la question essentielle : comment les autres civilisations et  peuples que nous étudions avec passion nous perçoivent ? Pour les héritiers que nous sommes de ces théorisations, il n’est pas  facile d’analyser les jeunes pays émergents à la lumière de l’impérialisme culturel. D’autres comme Pomeranz pensent que les deux avantages déterminants furent plutôt la conquête des Amériques et l’esclavage à cette échelle et les mines de charbon providentiellement situées dans la métropole (Angleterre).   .
    Les instruments   du décentrement 
    Goody énumère les conditions du vol du capitalisme (au sens de son « invention »).  Selon Braudel  le féodalisme serait une transition vers le capitalisme, profitant  à  Europe du fait de l’effondrement du « despotisme asiatique » en Turquie ou ailleurs.   Ces conditions auraient permis l’émergence d’un écart radical entre l’Europe et l’Asie.  Mais cet eurocentrisme  a encouragé l’idée de l’hégémonie mondiale. L’histoire du  capitalisme a connu, dit Goody, plusieurs versions téléologiques par l’intermédiaire de trois historiens qui eurent la  même lecture du processus civilisateur : Weber, Elias, Braudel. « La bourgeoisie n’était pas une création européenne. La Chine a toujours eu ses mandarinats, l’Inde ses castes, et la Turquie ses sipahis » .. L’économie, le droit, la « science moderne », les  institutions, les villes et les universités, l’humanisme sont chez nous des résultats tardifs par rapport à l’Islam  ou  la Chine et l’Inde mais  ils se condensèrent en un espace étroit (l’extrémité ouest de l’Europe). Goody prend  d’autres caractéristiques qui  sont des réappropriations. Même l’amour courtois, les rapports hommes/femmes ou les émotions n’étaient pas des avantages ou des privilèges européens. Pas davantage en économie où le pouvoir de la bourgeoisie ne doit pas être limité à l’Europe ; celle des Ming en Chine  fut centraliste, autoritaire quoique  peu despotique. Le cœur de la comparaison se trouve là, dans l’esquisse de plusieurs  branches de capitalismes émergeant au même moment en Europe, en Asie, en Turquie
    Conclusion
    Ampleur des comparaisons, dimension de la synthèse, échelle du monde et profondeur du temps, voila les ingrédients de l’anthropologie historique  de Goody ? Ce dernier  parle plusieurs langues, manifeste un  esprit critique étendu,   ouvert à l’échange international intensif ; il proclame que tout événement est unique, que toute histoire est singulière, que  toute comparaison serait chimérique et  serait un chaos de la raison ? Non ; pas du tout ! Cela signifie  simplement que nos catégories de pensée et nos manies de classement ne doivent pas être considérées comme  d’essence naturelle.  Sans re-travail, aucune raison que nos catégories  d’analyse s’ajustent au mondes étrangers. Il faut raffiner nos concepts,  modifier les définitions et les préalables,  fruits du contingent ou des circonstances qui ont présidé au  « penser » des autres civilisations

    Le spécialiste de l’évasion 
    Puisque  j’étudie les auteurs dans leur époque et  situe chacun d’eux dans la continuité de leurs œuvres sans faire abstraction  de quelques–unes d’entre elles, je me suis posé une question : Comment en est-il arrivé, là ? 
    Quand il dit : « Il est temps de trouver des explications plus sophistiquées, il est temps de revenir à une conception plus équilibrée que celle qui faisait de tout épiphénomène, un cas unique tendu vers un terme : le modèle occidental (industrie et pré-industrie ; Révolution et pré-révolution) », il mène une lutte ancienne pour lui contre les présupposés et les postulats , pas à pas, question par question ; partout l’auteur se met en situation de s’ interroger pour chacune   de ses certitudes antérieures  qui, facteur de différenciation supposé, a fait l’objet d’un livre de sa part 
    Je pense que son parcours  d’anthropologue, constitué  de deux spécialités principales,  sociologie et l’histoire du monde   lui ont permis d’explorer  un terrain vierge parce que des archives locales (« Tiers-monde ») s’ouvrirent après 1960 et qu’il se substitua alors aux  anthropologues  universitaires ainsi qu’aux économistes et aux politistes engoncés dans leur certitudes reçues au cours de leur formation. Appuyé sur son passé  d’africaniste « vagabond » (il avait parcouru l’Afrique notamment le Ghana dont l’Islam est le parent pauvre de la connaissance contemporaine)  lui, n’a pas appris les généralisations hâtives, la mode des  étiquetage. Il a  fuit la routine  mais l’académisme  l’a rattrapé puisqu’il est  devenu  un des plus prestigieux professeurs de Cambridge.
     Son audace dans l’innovation et « le penser contre » est-elle due à son ouverture internationale. Est-elle née  au cours de la deuxième guerre mondiale...Où il a pratiqué intensément l’évasion? Mais c’est purement une conjoncture insolite de ma part. Pour exprimer son refus viscéral de l’enfermement, il recommande trois choses :
    -Briser les frontières disciplinaires, faire du comparatisme la substance des sciences sociales 
    - Travailler et étudier plus souvent à l’étranger. Ce qui implique  le retour des chercheurs. Aujourd’hui  nombre de nos étudiants ayant acquis cette expertise et nos chercheurs expatriés sont refoulés. Leur expérience acquise nous fait défaut ; ouvrons-leur la porte du retour au lieu de la fermer aux immigrés
    - Refuser  le chauvinisme qui habite chaque corporation universitaire et  se montrer critique à l’égard des lacunes en histoire mondiale. Le rejet des clichés et des stéréotypes se gagne  dans une bataille quotidienne.
    Comment parvint-il au raisonnement systématique comparatif ? J’imagine  par émancipation ; c’est à dire : libération des cadres explicatifs et des schémas de pensée traditionnels.  Dénonçant régulièrement l’individualisation académique au nom d’une méritocratie- bien qu’il soit un « academic » anglais- il accepta de revoir toutes ses connaissances à la lumière de faits nouveaux qui apparurent,  lors de la période de la décolonisation. Un champ illimité de conceptualisations ouvrait des perspectives nouvelles aux jeunes générations. Il faut tenir compte aussi de son genre de vie, tout à fait opposé à celui  des « clercs » traditionnels.  Isolement  et travail intense, - si de plus, on est déterminé et apte  à travailler intensément au-delà de 80 ans-, on se trouve alors devant l’Histoire mondiale nouvelle, celle qui commençait vers 1990. Tout était à faire.  Par exemple multiplier les enquêtes sur place, trouver les variables qui ont été opérantes ici, mineures, là. Sa culture livresque  encyclopédique ne suffisait pas ; il  eut besoin de monographies, d’études de cas, d’observations in situ .Par exemple  à propos de la Chine où on ignorait tout des situations de conflits  en l’absence d’enquêtes directe (l’usine, les grèves ou  la vie quotidienne),  il découvrit des masses de descriptions rapides et  de données concrètes. Le travail  de lecture des textes « autochtones » et des vérifications sur place, cette combinaison  convenait  à Goody qui, à 90 ans, nous donne malicieusement l’exemple de la ténacité juvénile  et se lance dans la comparaison  mondiale systématique. En France, on s’interroge : d’où lui vient cette audace, tous les cinq ans, d’attaquer une région différente de savoirs académiques ? Et pour finir, il  s’en prend  à l’historiographie elle-même ! L’histoire qui a été écrite par des siècles, dit-il, est  un grossissement inadéquat, une erreur de jugement,  y compris  chez les plus grands qui  travaillèrent  dans la période euphorique de l’ascension occidentale.

    Les péripéties de son émancipation hors de son espace géographique natif l’ont conduit ainsi à une vision surplombante, que ce soit en linguistique, économie, préhistoire, anthropologie, sociologie. Une existence très  riche  conduisit ce grand voyageur à payer le tribut de sa génération, lors de la guerre où il a combattu le nazisme. En effet, Goody  est un évadé permanent... de la routine ! Evoquant  les péripéties de sa guerre dans son interview avec Dionigi Albera dans « Au delà des murs », son enfance de fils d’ouvrier de Fulham, il  décrit le bas des classes moyennes à laquelle il appartient. Bon élève, il obtient une bourse à Cambridge College. Engagé volontaire en 1941, lieutenant de l’armée anglaise et au retour de captivité,  poursuite de ses études à Cambridge.
    Un « roman»  qui démarre lors de son engagement idéologique en faveur de l’Espagne républicaine, puis  une adhésion (un an) au Parti communiste anglais. Comme son ami Hobsbawm (qui l’interviewe dans une vidéo mise sur le web), il parcourt la France et l’Europe et en août 39 se trouve à Paris d’où il rejoint son pays pour s’engager. Combattant à Chypre puis en Egypte, il est fait prisonnier en 1942 à Tobrouk par les troupes de Rommel. Après, se déroule une incroyable Odyssée. Transféré dans un camp dans les Abruzzes, il s’évade ; caché par des Italiens, il est repris par les Allemands qui quittent Rome. Il est alors conduit dans plusieurs camps en Bavière dont il s’échappe une seconde fois. Encore repris, il sera libéré en Avril 45 après trois ans de captivité dont il laisse une incroyable narration .
    Retourné à Cambridge afin de finir son diplôme  de littérature, il rencontre les anthropologues vers lesquels il se tourne. Sa connaissance du Moyen Orient et de la Méditerranée le porte d’abord à l’archéologie. En tant qu’ancien soldat il obtient une bourse pour l’Afrique de l’Ouest dont il deviendra le grand spécialiste . Chercheur atypique, rebelle aux normes académiques,  ce titulaire de la chaire prestigieuse d’anthropologie sociale,  travaille en petits collectifs et reste également  dans l’ombre, certes toute relative. Il aime  prendre des chemins de traverse, hors du circuit professionnel et des obligations  formelles. Le besoin d’isolement, pour son gros travail de lectures et de synthèse lui firent choisir en 1965 la France ; il vécut dans le Lot dans un petit village (y devançant la mode des Anglais francophiles) où il s’est parfaitement fondu dans la population comme tout bon anthropologue découvrant une peuplade, les Périgourdins. Sociable, participant à la vie communautaire, il a laissé des souvenirs enthousiastes à la population locale. Sa santé depuis 4 ou 5 ans ne lui permet plus d’habiter en permanence sa  maison, humble, perdue sur une colline, dans la forêt. Mais c’est là qu’il écrivit ses livres les plus importants. 

    Finalement,  c’est   à un spectaculaire retournement   qu’il nous a conviés. Ainsi s’est amorcée la défaite de l’occidentalo-centrisme. Le « Vol »  n’est pas  le fait d’un pamphlétaire, pas plus d’un essayiste polémique mais est une démonstration sans passion. Goody en bon « laïque » matérialiste, évite d’accorder une quelconque prééminence  à la rapidité de transformation de société ; le changement n’est pas une valeur en soi. Il est sensible au fait que le progrès est payé là de coûts violents (traite, colonialisme, guerres de conquête) ou bien  qu’il engendre freins, blocages, stagnation. La rapidité d’acquisition de certaines techniques, l’effet réversible, les retours en arrière peuvent être aussi positifs et importants. En tout cas il conteste la stagnation d’une société, ce qui serait en jugement éthique.  Tout change dans la trompeuse immobilité.  Augmentation de la population ou sa baisse, modifications des ressources naturelles ; les échanges mondiaux sont inévitables apportant des perturbations dans chaque groupe qui les admet ou les rejette mais aucun n’en sort indemne. 
    Le refus constitutif est celui du classement  hiérarchisé, de la priorité de telle organisation sociale sur telle autre. Si l’idée de l’indifférence  morale est une obligation de l’historien, alors Goody, au vu de son refus   téléologique, est un historien du monde puisqu’il n’a fourni aucun prétexte à la glorification de telle ou telle culture ou civilisation Goody est le premier à être allé aussi loin, au bout d’une logique de critique de l’eurocentrisme et de la réhabilitation du monde « autre », celui des sociétés mortes ou vivantes. A l’heure où  une certaine scolastique provincialiste en sciences sociales nous  détourne du  monde qui s’accélère,  l’évasion, l’émancipation à la manière de Goody sont des leçons salutaires. Il laisse à nos enfants une riche leçon et déjà un patrimoine sur la façon dont ils devront vivre dans le partage avec les autres, dans la considération réciproque. Il leur donne  là un authentique passeport de citoyens du monde

    II  Un autre regard sur l’Occidentalo-centrisme :Kenneth Pomeranz  « Une grande divergence : La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale »  

     


    L’ouvrage Une grande divergence a fait le tour de la planète en peu de temps et se définit comme l’aboutissement du projet d’un  auteur américain  au sujet de la confrontation Occident–Chine, un « Everest » que l’on peut attaquer après lecture du précurseur  Goody, dans le cadre  d’un dialogue avec une  Chine devenue incontournable. Tous les détails du titre comptent  dans la présentation,-spécialement le choix de l’article défini « le » - « La Grande Divergence » en anglais au lieu de l’indéfini «Une  » de l’édition française ce qui modifie le sens : l’article change le caractère démonstratif, trop exclusif de la qualification.  Pomeranz s’en explique dans la préface française, préférant le titre français (Une) au terme anglais (La) choisi par l’éditeur américain
    Un coup d’oeil à la table des matières donne l’idée des programmatiques présentées : « abolir les limites spatiales » ; examiner les « contraintes environnementales », saisir « les nouvelles mentalités, la structure des marchés, des entreprises et du commerce entre Europe et Asie sur deux siècles. En réalité l’Europe ici est surtout représentée par l’Angleterre qui a initié la conquête économique du monde. Et par « Chine », on sous-entend aussi bien  l’Asie du sud-est et notamment le Bas-Yangzi   que le Japon et l’ Inde.  Le Yangzi, fleuve qui traverse et coupe la Chine en deux est au centre de l’étude. Nankin est la passerelle entre le Nord et le Sud à 400 Kms de Shanghai. (Le Hunan, province voisine est le pays natal de Mao). Tels sont les endroits où nous allons voyager au long de 500 pages

    Depuis sa publication, il y a dix ans,  ce livre n’a  cessé d’alimenter, à l’échelle de la planète, les discussions. Qu’on ne s’y trompe pas : ce livre, négligé en France, est une œuvre colossale adressée à tout curieux un peu attentif et concentré. « Dès sa parution Une grande divergence a soulevé chez les historiens et économistes du monde entier, un débat qui est loin d’être clos  au sujet de la naissance d’une économie globalisée. En  effet rarement un ouvrage aura provoqué autant d’engouement et troublé la discipline historique par ses aspects. Que nous apporte Une grande divergence ? : une contribution scientifique, économique, culturelle  associant des intellectuels asiatiques aux occidentaux : Chinois, Japonais, Indiens ;  rencontre que facilitent les moyens de communications modernes. L’auteur le signale : le dialogue n’existerait pas si Chine n’avait pas donné pas l’accès à ses archives. Les échanges, une ouverture avec les universités asiatiques, ont commencé à Irvine grâce aux jeunes gens de l’Ecole dite californienne. Mais pour en profiter, encore fallait-il lire et parler le chinois. 

    Sa traduction permettra donc aux lecteurs français de mesurer l’importance d’un livre tant par sa perspective effectivement mondiale que par l’ampleur de son information ou par l’originalité de ses thèses » ; (cf. le résumé en 4èmede couverture). Une synthèse singulière qui fit l’effet d’une « bombe » parmi les chercheurs, écrite par un « jeune homme » de 42 ans (né en 1958) inconnu chez nous quoique notre attention eût été antérieurement suscitée par Ph. Minard qui introduisit un de ses recueils : La force de l’Empire ; révolution industrielle et écologie ou pourquoi l’Angleterre a fait mieux que la Chine. Opuscule que Ph. Minard a préfacé mais est passé inaperçu des commentateurs .  Il ne reste qu’à espérer une exploitation des thèses et un prolongement de la part de jeunes chercheurs français, à moins qu’en manque d’éditeurs, ils se taisent. 

    Tout est dans la mise en parallèle ou dans l’« opposition ». L’histoire est comparaison de contingences ; il n’y a pas d’autres logiques, ni de sens de l’histoire, absent ici bien sûr ;  pas davantage une linéarité  ou un  déterminisme international. Espérons que cette traduction lancera à présent le débat dans le monde francophone, resté jusqu’alors en marge à l’égard du décentrement par la mondialisation . 

    L’auteur

      Quelques informations sur cet « inconnu » chez nous, célèbre ailleurs. Regardées depuis l’arrière plan de sa personnalité et de la construction d’un esprit radical critique, les déclarations de Pomeranz, ici ou là, révèlent les événements scolaires qui l’ont amené à conduire cette recherche. Un accident au départ : dit-il. En tant que nouvel étudiant, il  eut à lire 17 livres en un été et à les commenter pour être admis à l’université de son choix. La plupart des lycéens n’en lisent pas autant pendant leur scolarité. Auparavant, le droit de construire son cursus avec une indépendance précoce, il l’a gagné de haute lutte.  « Dans le cursus universitaire américain, le choix d’une spécialité intervient assez tard ; j’avais quant à moi entamé le troisième cycle de mes études lorsque j’abandonnais l’histoire de l’Europe contemporaine au bénéfice de celle de la Chine. Ce choix finit néanmoins par se faire... ». Ultérieurement, quand il lui faudra analyser 500 livres en 3 langues, pour sa thèse, l’auteur sera  prêt.  Il évoque pudiquement sa trajectoire qui ne fut pas une ligne aussi droite qu’on le croit puisqu’elle aboutit à une comparaison audacieuse: Angleterre-Chine au 18è et au 19è, régions contre régions. Déjà, à la sortie du cursus universitaire, insatisfait, il voulut changer d’option et étudier avec un professeur renommé l’histoire de l’Asie. Celui-ci lui refusa l’inscription...sauf s’il lui prouvait un intérêt réel. Il réussit son examen « de passage ».  .D’autres péripéties de ce genre, formatrices d’un esprit critique, Pomeranz en  connut  comme condition pour être recruté dans les meilleures études de sinologie.
    Cette liberté du jeune chercheur américain aux antipodes   de la déférence écrasante ou de la docilité envers les « pères fondateurs», nous l’avons  ressentie également chez le jeune Goody.    Dialogue à distance   sur le thème : comment instruire les jeunes scientifiques. L’indépendance  que loue Minard n’est pas le fruit du hasard, ni un fait de caractère : « Audacieuse ,sans doute, et largement iconoclaste ,la thèse vaut d’abord pour sa méthode rigoureusement comparative , qui conduit à ne rien tenir pour évident et aboutit à opérer plusieurs décentrements heuristiques »

    I La thèse centrale

    Elle rompt non seulement avec une certaine historiographie traditionnelle de la révolution industrielle centrée sur l’innovation technique, mais aussi avec une vision eurocentrique qui étudiait l’essor de l’Ouest et « le déclin du reste ». Elle rompt aussi avec les explications culturalistes, néo-weberiennes, mettant en avant des traits de mentalité (une éthique supposée peu ouverte à la rationalité technique ou faible incitation des institutions politiques ; le despotisme oriental ; dans une version marxiste « le mode de production asiatique »... De sorte que l’idée communément admise ...d’une prédisposition de l’Angleterre à l’industrialisation se trouve battue en brèche » . La préface française autorise d’ailleurs Pomeranz à des clarifications en réaction aux premiers commentaires américains et des explications supplémentaires au regard de la comparaison Europe-Chine, rendue plus explicite.
    Pour clore sur l’épistémologie, notons les scrupules méthodologiques de l’auteur : « Il ne suffit pas d’ajouter à l’histoire européenne quelques feuillets chinois ou japonais pour faire une histoire mondiale ».  Et il ajoute,  dans l’introduction de UGD :« Je dois signaler enfin un paramètre moins défendable intellectuellement : ma propre formation m’a mieux armé pour raisonner sur la Chine, l’Europe ou le Japon ou d’autres lieux. Elle m’a donné un meilleur accès aux masses relativement importantes de travaux existants qui concernent ces pays. James Blaut a désigné par le terme d’« uniformisme », la thèse qu’il s’est trouvé un moment (autour de 1492 d’après lui) où beaucoup des parties interconnectées de l’Afro-Asie avaient, grossièrement parlant,un potentiel comparable en termes de dynamisme général et donc de modernité..Il n’est pas inutile de rappeler, en établissant cette corrélation, que quiconque aurait tenté d’écrire un ouvrage comme celui-ci, il y a une dizaine d’années, aurait eu beaucoup plus de mal que je n’en ai eu pour étoffer le dossier chinois ; il y a vingt cinq ans, cette entreprise aurait même été difficile pour le Japon » .
    « Mais -au vu des travaux disponibles aujourd’hui, compte tenu à la fois de mes propres limites et celles de nos connaissances- les choix géographiques de cet ouvrage semblent appropriés, ne serait-ce que pour ouvrir de nouveaux terrains à notre investigation. Les espaces que j’examine de    manière relativement détaillée ne sont pas le monde ; et ce n’est pas parce qu’il interagit avec eux que le reste du monde compte .Ni même parce qu’il fournit un contre-exemple révélateur... C’est là un agencement raisonnablement pertinent, à mon sens, pour repenser les sources de notre âge industriel »   
    La circonspection et la prudence dans cette note ne sont pas de circonstances. Elles se justifient parce que le domaine de l’histoire mondiale fut le champ réservé à une élite d’historiens qui virent débouler des hommes jeunes, renversant les quilles académiques. Il est nécessaire d’évaluer cet embarras à l’aune du contexte. Les premiers historiens de la mondialisation ont été attirés par des généralisations  hâtives,  une envie de systématicité. Etre un connaisseur du « monde » était devenue une spécialité comme une autre ... et un moyen d’approcher le pouvoir en tant que consultant ou expert de tel pays lointain.  Goody aussi a été un adversaire de la « globalisation-envol » vers le politique. Il raconte son « chemin de Damas » pour faire admettre une critique de la prééminence occidentale et  la relativisation temporelle de nos jugements. C’est pourquoi, sous leur double regard, le comparatisme de grande ampleur (englobant, comme  l’a suggéré  Ch. Tilly, un autre globalisateur, non pas éléments contre éléments) est devenu une arme contre la spécialisation outrée ou contre une connaissance partielle de  continents présentée comme « globale »,. Le bornage excessif est la maladie moderne. Et pourtant, « Chaque fois que l’on tente de décrire en quoi les idées propres à un certain domaine sont susceptibles d’exercer un impact dans un autre domaine, on court le risque de se couvrir de ridicule en ces temps de spécialisation effrénée » disait un physicien célèbre pour ses travaux très techniques 

     L’eurocentrisme critiqué

    Bien qu’ils soient séparés par l’âge, Pomeranz et Goody aux parcours dissemblables convergent dans leur diagnostic. Anthropologique pour l’un, l’autre économiste, ayant la même rigueur, ils croisent des sources originales et ont tiré la conséquence de la rapidité d’accès à des bibliographies inconnues jusqu’alors (due à la nouvelle liberté; pas de visas refusés, circulation des idées via Internet). Ils ont un accès immédiat aux informations et aux archives du monde depuis peu ouvertes. Il fallait des années au temps de la Renaissance pour faire circuler une idée, un livre, des semaines, il y a un siècle ; on lit dans la minute aujourd'hui grâce au catalogue de toutes les bibliothèques. La Chine, le Japon, la Corée écrivent l’histoire de l’Asie avec des faits inconnus de nous et d’eux-mêmes, il y a quelques mois ou années, (les étudiants de ces pays vont en post doc en Amérique). Ce sont des synthèses menées de concert avec les chercheurs de pays émergents : 20 universités se créent par semaine en Chine, les jeunes sont encouragés à la « reconquête » de leur passé. Des universitaires Américains travaillent maintenant en collaboration avec des Chinois et Japonais à une échelle inédite.  Ces nouveautés, dont la principale est la capacité de parler et d’écrire le chinois, de maîtriser des langues des pays asiatiques ou africains   ont accru les chances de dépasser les spécialistes d’hier ou de renouveler les études orientalistes. Le reflux à l’égard de l’ethnocentrisme a débuté avec la connaissance linguistique et le travail collectif.  Les frontières ont éclaté en fonction de la langue. L’anglais s’est imposé comme langage du savant et sa moindre maîtrise par les historiens d’hier (moins de voyages et de séjours professionnels dans le reste du monde) fut un handicap. Actuellement c’est le Chinois qui est la langue de l’Asie et de l’Amérique, là où les publications pullulent. Le retard français se manifeste malgré les « Annales » , au profit de livres expéditifs, d’essais doctes ou sentencieux, de reportages. Les livres de Goody et Pomeranz n’accordent qu’une place infime aux historiens français contemporains : 2%, en bibliographie, mis à part les trois  disparus ( Bloch, Braudel, Duby) ; ceci signifie la perte de notre influence universitaire, malgré l’avis général chez nous . 
    Pomeranz est un des premiers internationalistes : la moitié de ses références sont issues d’auteurs non Occidentaux (particulièrement Japonais, Chinois, Indiens plus quelques autres orientaux).. L’histoire de la « mondialisation » et l’appropriation de son déroulement par les penseurs occidentaux sont également une des références négatives au cœur de l’ouvrage, à l’instar de Goody.  Pomeranz la restitue, à sa façon en entrant dans le point de vue non seulement des créateurs du mythe, les historiens économistes et les politologues, mais en considérant le point de vue des victimes, les « perdants » de l’histoire occidentale, rendant ainsi  implicitement justice. Comprendre comment le passé influe sur la manière dont les autres peuples nous perçoivent aujourd’hui implique une prise de conscience aiguë. Les détrousseurs de butins, de porteurs de maux et de microbes sur des continents lointains  furent aussi les organisateurs de la légende justifiant ainsi le terme générique de « Barbares » que les Chinois nous accolaient. Sortir de l’ethnocentrisme, une forme du nombrilisme, signifie également analyser les ex-émergents, aussi bien que le « revenant » chinois ou les révolutions arabes qui  nécessitent les schémas ou les instruments nouveaux pour les méditer. L’histoire moderne n’a pas fait encore partout sa révolution interne ;  nous n’avons pas encore les médias adéquats ainsi qu’on le verra ans la 3ème partie intitulée : « Nous ne sommes pas allés en Chine ». Une autre mise en cause de l’ethnocentrisme purement politique, celle-là.

    II La force de l’Empire 
     Ce petit ouvrage  n’est pas le premier dans la bibliographie de l’auteur, on l’a dit, quoiqu’il ait précédé d’un an la traduction de UGD. il représente le commentaire  critique des historiens qui ont débattu de la première révolution industrielle :celle des usines textiles et de la machine à vapeur, confirme Minard : peu d’entre eux « se sont risqués à mettre en doute son lieu de naissance : l’Occident apparaît comme son berceau naturel, et l’Angleterre sa terre d’élection ;la révolution industrielle est anglaise , forcément anglaise. Nos vieux livres d’histoire ont ainsi célébré longtemps le miracle européen et « l’exceptionnalisme anglais ».. Notre compréhension de la révolution industrielle en sort sensiblement transformée » 
    Les différences avec l’historiographie traditionnelle
     Il fallut que la traduction attendue 10 ans après la sortie aux USA émerge du silence de nos médias et de nos universités pour pendre connaissance de cette thèse qui fait près de 600 pages En quoi une suprématie maritime et coloniale de l’Angleterre a pu dépasser aussi vite   le delta du Yangzi, alors au même niveau ? C’est le charbon une contingence géographique logée dans le sous-sol, proche centres industriels. Mais cet avantage n’est pas seul : produire signifie vendre ailleurs et avoir de la main d’œuvre sur place.Par conséquent l’ouverture de l’économie dépend surtout du volume des exportations, du rendement des capitaux à l’étranger.  L’activité maritime, les Britanniques les contrôlent parfaitement quoiqu’ils ne maîtrisent vers 1760 que 13% des terres outre-mer (toutes les  colonies possédées par le monde occidental étant peuplées par seulement 5 millions d’Européens) mais leur organisation fera naître les besoins. L’exploitation des populations non européennes représente une prédation supplémentaire à celle qui fut  intérieure, et suscite une demande  à travers des intérêts dans le commerce négrier et dans le système de la plantation esclavagiste américano-antillaise.
     Cette idée rodait déjà mais pas exploitée. Dans un livre « anniversaire » de 1492 paru en 1992, « L’année admirable » , la question est évoquée en première page.  « Les cinq cents ans de la découverte de l’Amérique par Christophe. Colomb mérite-t-elle d’être célébrée par les Espagnols et Portugais comme l’année mémorable et le mot « découverte » a fait polémique ; certains Européens préféraient le terme moins glorieux ou honteux de « rencontre ».  L’intitulé de commissions créées a fait débat à l’ONU où certains veulent parler « d’invasion », une situation impropre à être célébrée avec éclat.  Le conseil mondial de peuples indigènes évoquant le massacre et le deuil des populations indiennes a choisi le titre de l’année mondiale de la digité et des droits indigènes »  
    La « modification » introduite par Pomeranz consiste à  analyser des faits moralement chargés sous l’angle   de  l’indépendance scientifique  vis-à-vis de la politique.  Les sujets abordés sont vastes et cruciaux pour l’image qu’une société veut se donner à elle-même. Jusqu’ici les historiens marxistes avaient ouvert les yeux sur les moyens de production :  les techniques  qui autorisaient l’extraction profonde des mines, les énergies nouvelles (la machine à vapeur) qui bouleversaient le transport à distance et assuraient sa régularité. De même que sur la multiplication des forces productives grâce à  l’urbanisation des métropoles et la circulation des marchandises coloniales due à la rapidité  du transport maritime. Une des différences avec la Chine est justement là, dans la concomitance de deux événements formidables de « réussite ». L’Angleterre ouvrit la double opportunité : elle eut la chance de disposer de deux atouts qui ont manqué au bas-Yangzi Chinois ; « du charbon en abondance proche et facile d’accès ; et une immense périphérie dominée, le Nouveau monde, constituant un vaste réservoir de matières premières, agricoles notamment »
     Dès lors, la question: « pourquoi l’Angleterre fut-elle le berceau de la révolution industrielle et pas le reste de l’Europe ?» s’éclaire. Une conjonction de fortunes !  l’étendue, la diversité de l’Empire anglais associée à un centre concentration de vie industrielle  à quelques kilomètres d’une capitale  industrieuse. Les ressources chinoises (où ailleurs) étaient éloignées des grandes régions de production, handicap lourd quand le transport est lent et cher. En Europe du Nord, au moment où on ne parvenait plus à accroître les rendements agricoles, il n’y avait plus de matières premières et de populations pour les consommer. La croissance ne fut donc pas endogène  et  également  lente car « ce n’est pas avant le milieu du XIXe siècle que ce miracle s’accomplit dans l’Europe qui « devint cette monstruosité cousue d’or ».
     La divergence avec la Chine peuplée et industrielle fut en conséquence tardive. Cependant pour comprendre le succès du mode européen de croissance, il faut passer plutôt par les régions et non pas traiter d’Etats immenses tels que la Chine, sinon on doit aussi considérer la totalité du continent européen avec ses zones de l’est et du sud attardées, ce qui ferait baisser les moyennes et modifierait les normes. La démographie régionale est une variable inévitable mais elle est singulière avec de multiples caractéristiques (natalité, immigration, localisation).  Il ne s’agit pas de concevoir un bloc anglais face à un bloc chinois mais de paralléliser la progression industrielle de deux aires. La monographie comparée   de ces ensembles devient le pivot de la réflexion hors les généralités et les raccourcis.  « La « région » qui diffuse et celle qui reçoit sont le concept qui manque aux analyses de sinologues, coutumier de la logique historique nationale. Elle est particulièrement   justifiée dans les comparaisons où l’espace est une importante variable et devient une conceptualisation. L’histoire économique comporte donc plusieurs entrées et « l’Europe n’est plus l’étalon ou l’aune de la civilisation » affirme Pomeranz qui s’appuie sur  500 pages serrées et confronte marchés, consommations, systèmes de classe ou de caste, modalités et état des techniques, entre le Yorkshire et le Yangzi . Mais également avec d’autres régions-centres de l’Ancien Monde au XVIIIe siècle : en Chine, la plaine du Kantô au Japon, les Pays-Bas et le Gujarat en Inde, toutes présentaient des « ressemblances étonnantes » quant à l’analyse en termes démographiques par exemple.
     « Le coton et les Nègres » 
    Le colonialisme dans cette démonstration est le bénéfice décisif. La colonisation comme pivot du capitalisme et donc du développement de l’Europe, personne ne l’avait décrite ave cette force et hauteur de vue. Accident de l’histoire ? Peut-être et en même temps, événement  périphérique  essentiel aux ressources des marchés et du capitalisme.  Les plus bienveillants d’entre nos historiens avaient gommé cette tache sur le livre blanc de l’Occident. Toutefois les romanciers, quelques historiens amateurs avaient attiré l’attention sur ce phénomène, cœur de la conquête du monde par le Portugal, l’Espagne, les Pays-Bas, l’Angleterre, la France, tous grands pays navigateurs. L’historien de Trinidad Eric Williams « Capitalisme et esclavage » souligne quant à lui que le commerce triangulaire a permis une accumulation primitive qui a financé la révolution industrielle
     Pomeranz  décrit, sous ses diverses facettes, les effets d’aubaine que furent la colonisation et la mise à disposition de deux continents entiers : l’Afrique pour les hommes à transporter et l’Amérique vierge ou vidée pour l’exploitation de ses terres, ainsi que ses métaux ou autres richesses agricoles inconnues en Europe). La « colonisation », mal nommée au singulier, a été multiforme, souple  et adaptée à de nombreuses situations démographiques .Un de ces moteurs des économies métropolitaines fut la production des fibres.  Le coton et les terres neuves d’Amérique, non épuisées fournissent les espaces. La vision, à ce sujet, fut terriblement ambiguë et discordante, quant à l’esclavage. La question n’est pas close et ce livre est une importante contribution au débat Les termes historiques y furent crus et sans ambiguïté. Un historien français du 19è, E. Laboulaye déclarait : « L’indigo, le riz, le tabac, le coton ? Pour qui : Anglais, Espagnols, Français, Indiens ? Le monde est d’accord que cela se fera par la main d’œuvre Noire importée massivement depuis qu’on avait remarqué (expérimentation humaine) « Que l’air chaud et humide de la Caroline du Sud convenait au Nègre ; il y vivait et s’y multipliait rapidement, tandis que la fièvre emportait l’ouvrier blanc ; aussi l’ambition de l’émigrant, dès le premier jour,  fut-elle d’acheter des Noirs, sans lesquels un planteur ne peut rien faire. On essaya de l’Indien et du Nègre mais on reconnut bientôt que le premier était indomptable tandis le second se pliait à la servitude. Il y avait entre eux, disait-on, la même différence qu’entre les animaux sauvages et les animaux domestiques »  !
    Pour toutes ces raisons l’histoire coloniale de tous les pays européens  est peu sollicitée dans les manuels nationaux et aussi dans les récits de l’ascension de notre économie. L’Europe a gommé son passé. Ceci  explique peut-être que l’ouvrage dont la traduction était attendue après l’édition américaine parvint finalement aux Français longtemps après. 
    .
    Pomeranz signale que la consommation de produits de luxe, un caractère essentiel, était « au moins aussi répandue parmi les diverses classes de Chinois et de Japonais que parmi les Européens . La Chine importait toutes sortes de produits exotiques, perles d’Asie, lorgnons venus d’Occident et fourrures de Russie. En outre, l’Europe semblait moins efficace dans certains domaines considérés traditionnellement comme les facteurs du dynamisme économique, tels l’organisation des marchés et la division du travail. Ces différentes régions avaient donc atteint, à la fin du XVIIIe siècle, des limites comparables. Alors se pose la question  de l’existence de plusieurs lignages, embranchements  ayant débuté en Europe et en Asie. A cet effet l’auteur passe en revue tous les facteurs potentiels d’une croissance. Les facteurs du développement européen résident-ils dans la population, l’accumulation du capital, la technologie, l’agriculture. Il s’interroge : Où  vivaient-on vieux ? Vivaient-on mieux ? Quels es taux de natalité ; Quelle accumulation ? Quelle science ? et la technologie ?


     III Le premier grand « Désaccord »

    On aura une idée de la complexité des thèses et des variables  examinées une à une par cet extrait du Sommaire : « Populations, natalité, durée de vie, technologie consommation de base. Ensuite l’organisationnel : Etats, politiques, Institutions, marchés, rendement du travail. Le tableau est impressionnant : Les économies de marché en Europe et en Asie.  Marchés de la terre et entraves au libre usage du sol en Chine et en Europe occidentale. Enfin l’organisation du travail ; migrations, institutions ; industrie rurale et activités subsidiaires ».
    L’auteur souligne les évolutions au cours desquelles on peut voir chaque élément à la fois régresser et progresser au vu d’un élément mesurable et tangible. Et il ne sépare pas révolution industrielle de sa genèse, une des diverses proto-industries  qui vont de la simple activité industrieuse à la transformation des métaux lourds. Ce qui signifie que l’artisanat ou l’industrie de base (métaux, bois, engins) est un des puissants incitateurs. Les « révolutions » industrielle ou scientifique  seraient  alors mal nommées car il  n’apparaît pas de  discontinuité historique : on distingue plusieurs étapes avec des accélérations et des pauses ; plutôt la dynamique expansionniste  d’  « ingrédients » relativement  classiques,

     Un juste compte-rendu ou l’analyse impossible ?
    Brièvement dit, il agit non d’une « biographie » du capitalisme, en Angleterre et dans le monde mais de son expansion  diffuse et sans lieu de naissance. Quand on entre sérieusement dans l’inventaire des similitudes ou des  variations, la démonstration requiert l’attention et exige une bonne information préalable. C’est pourquoi il est nécessaire d’avertir le lecteur que, vu la structure du récit tout en finesse, mon analyse est grossière et lacunaire.  Je n’ai pas de prétention à l’exhaustivité, étant donné l’importance de la quantification. Un grand soin est consacré à l’établissement de statistiques construites à partir de monographies et d’études locales, mais aussi à la contestation de certaines autres, au profit alors d’estimations et de probabilités. La composition descriptive et l’analyse des variables articulent  trop de facteurs, choisis comme éléments d’ouverture et de passerelles pour constituer un système cohérent. Il est malaisé d’explorer en profondeur si l’érudition nous manque. Quand l’auteur a des doutes lui-même, sans imposer une interprétation univoque, il nous avertit et attribue les éventualités selon le niveau des connaissances du moment, amenées à changer et qui conforteront ou non le point de vue exprimé. Il descend à un niveau  économique plus qu’élémentaire. Par exemple, le transport terrestre (coût, rapidité) par tête en Allemagne et Chine du nord ... ou la quantité de fumier utilisé dans l’agriculture ainsi que la couverture forestière disponible  à des fins de combustible en France et en Chine du nord etc. Les facteurs économiques et démographiques sont donc basés sur des dizaines de données, incluant la   précaution : « non, ils (les chiffres) ne sont pas tout » ! 
     Où peut-on dire « capitalisme premier », Qui est en pointe ?  ?  La réponse est esquissée et foisonnante; certaines régions d’Europe (et pas toute l’Europe) ou de la Chine (la région  du bas Yangzi  en superficie équivaut à un grand pays européen,) sont bien l’unité géographique  de l’industrialisation, condition matérielle de l’accumulation et de circonstances favorables. L’Europe parait très contrastée : certaines parties sont en avance quant à la Révolution industrielle et d’autres  sont mal parties car mal « loties ».  Certaines régions au Japon ou   Chine sont au niveau des zones centrales de l’Angleterre. En Chine, le centre et l’ouest sont décalés par rapport à la côte sud. La présentation du Yangzi et de l’Angleterre centrale incluant le pays de Galles prend plusieurs dizaines de pages argumentant le symétrique  bond en avant, au milieu du 18ème. Et en Inde quelle serait l’alternative ? Cela est discuté au cours des deux premières parties  au cours desquelles les facteurs classiques de l’analyse de l’émergence sont supportés par des caractères plus opératoires comme la densité démographique, la technologie, ou le magma de savoirs « scientifiques ». On note que les aspects « culturels » sans être écartés son minorés. Les continuités sont-elles plus intéressantes que les ruptures ou les « coupures » ? Les commentateurs  le soulignent en tant que contre-pied à l’eurocentrisme qui a permis de revisiter les concepts fondamentaux. Pomeranz travaille en gardant un œil critique sur les travaux de ses prédécesseurs  les plus connus (Braudel, Les Annales, Sombart) et  ses contemporains de la « World History »élaborée aux Etats–Unis. Il surveille sa propre marche et se mesure aux analyses les plus classiques ou les plus modernes, Hodgson, Childe. De Goody aussi qui n’a eu de cesse  de rappeler la continuité du développement des cultures marchandes et urbaines à travers l’ensemble afro-eurasien  depuis l’âge du bronze. Les recensions  de « Une grande divergence »  consacrent  la construction de l’économie mondiale dans son unité au moins depuis le XVIIIe siècle ; pas forcement la plus décisive car il y eut d’autres divergences selon les critiques. Il existe une unité biologique à l’humanité ; alors pourquoi pas une ressemblance des économies asiatique et européenne à la veille de la Révolution industrielle ? En suivant Pomeranz les  processus  d’Asie et d’Europe avaient atteint, à la fin du XVIIIe siècle un niveau de développement général comparable, en raison de la convergence des phénomènes d’adaptation économique et technologiques aux divers environnements. Pomeranz conteste le « fossé injustifié entre nos façons de qualifier des phénomènes qui, aux deux extrémités de l’Eurasie, étaient de même nature ». Il part du postulat qu’aucune société ou civilisation n’a dépassé réellement une autre, sauf sur quelques dizaines d’années et sous certains aspects seulement. Il insiste sur le fait que l’exploitation du travail et des autres continents ne fut ni un accident, ni un effet de la situation mais une mobilisation structurelle de longue durée. Pas de Révolution en Occident sans la colonisation, sans  commerce prédateur, sans violence contre des pays moins bien placés dans la course aux profits.  De périphérique ou de subsidiaire, d’anecdotique ou accidentel, le phénomène de conquête du monde par la supériorité technologique, militairement armée, est généralement sous-estimé par les  exégètes de l’histoire du capitalisme
    Après, la conclusion  peut sembler  attendue. Elle ne l’est pas car le capitalisme  a reçu ici ou là des coups d’accélérateur provisoires .Tel un  des premiers sous-évaluée dans les études antérieures. Durant un temps court, les profits de la traite des Noirs et de l’esclavage ne sont pas considérés comme secondaires. L’Europe a « bénéficié » d’immenses enrichissements, dans un temps très court, dus à l’asservissement à grande échelle sans lesquels le capitalisme n’aurait pas pris une telle rapidité d’ascension. On nous répète à l’envi l’esclavage a toujours existé. A cette échelle non ! C’est une invention de l’Europe, typique   des nouveaux moyens de transport. Au besoin d’esclaves s’est ajouté un incroyable transfert d’un continent à l’autre, à cette  dimension jamais vue. En 1765 les bateaux de Liverpool en transportèrent 24 000. Dans les dix années suivant la guerre d’indépendance d’Amérique, en 1790,  Liverpool fit fortune en vendant 300 000 esclaves aux Etats-Unis .En échange de leurs cargaisons de jeunes hommes, de femmes et d’enfants, les marchands d’esclaves achetaient du sucre, du coton et du tabac américain. L’arrière pays de Liverpool se transforma en une gigantesque usine, le trafic augmentant en proportion. En 1800 les bateaux amenèrent 50000 Noirs dans leurs cales vers les plantations américaines. La vente d’un esclave rapportait environ 50 livres par tête. Liverpool qui comptait seulement 25 000 habitants vers 1750 devint une gigantesque métropole de  deux milliers d’habitants, ce fut là, la concentration de plus grand trafic d’êtres humains jamais envisagée, qu’on appela pudiquement le commerce triangulaire . On sait la richesse essentielle que la France tira elle aussi. Des villes comme Bordeaux ou Nantes en montrent aujourd’hui les retombées généreuses tout essayant de recréer, comme au XIXème une ambiance de  conquête de  nouvelle frontière. Pomeranz est le premier qui explicitement en tira les conclusions. Sans ce prélèvement humain, le capitalisme anglais ne serait pas ce qu’il devint et la face du monde aurait  momentanément changé. 
    La démarche de l’auteur  se concentre, étapes par étapes,  sur une juxtaposition d’éléments économiques cumulés. « J’ai une corrélation de facteurs confirmée, semble-t-il dire, mais je cherche un autre cas, un contre-exemple et à la fin, l’histoire plus inclusive triomphe ». La combinaison de variables n’est pas une nouveauté de l’analyse historique  où on prend généralement en compte  la dimension physique, la population, la surface, l’écologie, la situation climatique et maritime, la densité etc. Quoique là, chaque facteur (mentalités, accumulation du capital, technologie etc.) soit évalué  méthodiquement avec des coefficients de fiabilité ou de vraisemblance. Usant de monographies et d’études locales de la globalisation, son  approche l’oppose aux  structuralistes et aux études fondées sur les nomenclatures statistiques des  grandes classifications administratives. Pomeranz balaie le grand roman d’un Occident éclairé contre le reste du monde obscurantiste, mal adapté à la modernité. La « supériorité » des valeurs européennes, trop vite admise, en particulier une « opposition théorique entre souverains tempérés (d’Occident) et absolus (d’Orient) » est une appréciation simpliste. Egalement les concepts  indéterminés de « science », de « capital » favorisaient-ils un débat  mené par les Européens  au détriment du passé arabo-musulman ou sino-indhou La conception d’une grande variété d’accumulation de richesses  amène à considérer le processus économique dans  sa complexité de transformation. Dès lors les catégories analytiques traditionnelles s’affinent. 
    Discussions non de la nature du capitalisme mais  de ses divers  lignages

    L’histoire a changé d’axe.  De nationale et locale, elle passe à continentale puis mondiale. Maintenant que le vent de l’histoire mondialisée a frappé à la porte ; maintenant les économistes ont appris les langues orientales et fouillé les archives. Et tout se modifie. La part de l’inconnu sur l’Orient (réservée à une élite de sinologues) se réduit rapidement. Les répercussions du livre se situeront dans le fait que nous allons devoir changer de critères de systèmes explicatifs et de cadre de pensée du développement capitaliste. Cela nous obligera à travailler  en Europe également car ce n’est pas toute l’Angleterre ni toute la Chine qui sont  référentielles; des régions bataves ou allemandes sont appelées en contre-exemples de régions industrielle en zone rurale. Le Nord anglais n’est pas  l’Irlande, l’Angleterre industrielle  connaît  un retard des techniques agricoles par rapport au  sud et l’industrialisation si tardive de la France  sont revisités. L’analyse de UGD est  loin d’être épuisée par ce comparatisme resserré; la naissance de ce livre est liée à l’apparition des pays nouveaux, dans un cadre d’opposition  catégorique : majeurs /mineurs, pauvres/riches (quelque soit le nom : Tiers-Monde, sous-développés ou en voie, émergents/immergés), Occident/ Orient. La scène internationale rend plus  compréhensible « l’épopée » de la globalisation. En effet la critique de l’eurocentrisme, démarrée en Amérique et Europe, a permis une libération des esprits, impulsion planétaire de coopération universelle d’auteurs . Sentiment exaltant qu’avait ressenti Goody. L’histoire globalisée est le monde qui avance. Qu’on prenne au hasard les conceptions traditionnelles « industrialisation » ou « révolution scientifique » : elles nous paraissent flottantes ou obsolètes. Des variantes seront préférées : industrieux, proto-industriel, production familiale à domicile, travail temporaire servile  salarié (ex des Bengalis en Arabie saoudite, des Pakistanais au Quatar ou Arabie). A la place de colonisation, notion imprécise, on pensera à conquête, occupation, exploitation du travail, transfert de main d’œuvre, son élimination ou l’appropriation du sol et de produit rares. Le détournement du contenu de l’histoire et par conséquent son « vol » seront   clarifiés grâce à une remise en cause du contenu trop général des sciences humaines en Occident et l’analyse nationale s’améliorera. Vers quoi ? Là, n’est pas le problème. Nos connaissances bouleversées nous imposeront une autre vision de l’histoire du monde et des relations internationales ; plus intriquées et plus complexes que les schèmes hérités le laissaient accroire. D’abord une unification de destin, mais aussi une avidité indubitable de l’Europe à partir des années 1900 sont reconnues qui avaient occulté une forme de relation triangulaire dans les sciences sociales nouvelles  Orient / Occident  et  l’ Afrique entre les deux. Tout comme il y a trois siècles, quand  sortaient l’argent et l’or d’Amérique, nécessaires au commerce de l’Europe et de la Chine qui, elle, vendait son or, affamée d’argent comme monnaie, complexifiant, plus que ce qu’on croyait, la constance de liens. On voit déjà la Chine et ses exportations de produits- alors de luxe- réclamés par l‘Occident (« la demande européenne de « superflu », de soie, de thé) préfigurant ses exportations contemporaines de marchandises de masse. « Or, le fait essentiel dans notre schéma explicatif   reste ceci : il faut partir de la violence en terrain étranger pour arriver à une stimulation exceptionnelle de dynamiques « smithiennes »... Et vu la façon dont l’Europe s’appropria et géra les mines d’argent des Amériques, il doit aussi nous rappeler le poids terrifiant de la coercition dans la naissance de l’avancée économique européenne »  
    Ce livre est un résumé  d’histoire de l’économie en relation avec son environnement socio-écologique (sol, climat, voies de transports, densité humaine) et avec ses contrastes régionaux. Après UGD et le « vol de l’histoire »,  la distance apparaît démesurée avec l’historiographie du XXème. Dès lors l’abandon du terme générique  « capitalisme »,  catégorie purement occidentalo-centrée,  sera discuté. Pomeranz y contribue avec  fougue quand il distingue des changements, des avancées et des reculs, des déplacements, des processus continus ou non dans de nombreux endroits. Avantage de sortir du vieux débat marxiste des classes sociales comme catégories ultimes.  Et de la même manière, l’abstention des autres notions depuis longtemps héritées de féodalisme, despotisme asiatique, devenues informes et indécises s’imposera. Passionnant pour le lecteur fatigué d’idéologies


    IV  « Un second livre » dans la divergence ?

    La coupure de UGD en deux « parties » partiellement autonomes est certainement audacieuse. La fin de la deuxième  Partie  et la 3ème Partie  constituent, à notre avis, une seconde « Somme ».  Nous avons éprouvé, dans cette « deuxième » moitié, une perspective encore plus forte  concernant l’histoire de la Chine. Un axe de confrontation des techniques et des industrialisations entre d’une part les G-B et USA et d’autre part la Chine et le Japon. A partir de la page 320, Pomeranz consacre à ses  techniques de  recherche  et au dépouillement d’informations récemment surgies une plus large place. En le suivant au long de ses pages, on est saisi comme dans un roman policier par l’intrigue, l’énigme de l’histoire, celle de l’origine des capitaux massifs, celle  de l’explosion du commerce,  des limites dues aux circonstances écologiques ou de la force des Etats.  Jusqu’ici on ne disposait que d’indices divers, semés ici ou là, plus ou moins orientés. La « divergence chinoise », on ne savait pas la raisonner puisque nos qualifications et notions exprimaient la certitude d’universalisation des concepts et des critères historiques..
    Ainsi la notion consacrée de « révolution industrielle » n’est plus légitimée: « L’industrialisation ne découle d’aucun développement « naturel » de l’économie à l’époque moderne quelle que soit l’aire considérée ;fait établi » .  Les croissances et décroissances en Europe ou en Chine, les caractères incertains et erratiques de l’avancée du « capitalisme » dans le monde depuis 3 siècles n’étaient jusqu’alors pas mis en parallèle. Maintenant nous avons plusieurs cas de décollage : Europe de Nord, Chine du Sud, Inde, Japon : lequel va faire triompher son point de vue et ses conceptions du développement ?  Tantôt il faut regarder là où l’agriculture intensive peut nourrir une population en bonne condition, tantôt constater ici une industrialisation foudroyante, mais au détriment de la population urbaine ou d’outre-mer. Si la population n’est pas en bonne santé (mines ; manufactures, enfants dans les ateliers durant 12 heures par jour), qu’est ce que la technologie mobilise ?  Progrès technique ? mais sans enseignement de masse, sans savoir faire quant  à l’usage général de procédés de fabrique, aucune chance de participer aux évolutions et embranchements variés !
    Campagnes boisées ou terres arables ? Combustibles ou terres d’alimentation ? Dilemme. Exporter l’agriculture coûteuse en terres ? Il considère en même temps l’espace, le climat, la force de travail et les calories dont elle a besoin (par exemple le sucre, nécessité de l’effort et le coton, obligatoire contre la perte de chaleur): « La quantité inouïe de textile bon marché ne pouvait s’imaginer sans le coton d’Amérique. Dans la mesure où ces besoins étaient freinés par les caractéristiques coupe-faim du thé et du sucre, il se trouvait là une autre économie cachée, obtenue en partie par la violence exercée à l’étranger. La plus grande partie du sucre provenait en effet des plantations du Nouveau monde , et le thé fut tout d’abord payé avec l’argent de ce dernier, puis avec l’opium de l’Inde ? Ces facteurs réunis accrurent de manière significative les « hectares fantômes » dès le début du XIXème, et de façon colossale au mieux et à la fin de celui-ci. »   . Des Habits chauds pour travailleurs exigent filés de laine et coton ; et donc   fibres contre terres à mouton et alors coton d’Amérique ! Le charbon, selon qu’il est loin ou proche fait tout changer. En effet la destruction intensive des forêts en Europe (chauffage, industrie, constructions des navires au 18ème) peut faire capoter l’expansion. L’inquiétude due à la déforestation n’était pas chimérique . Si l’agriculture n’invente pas une chimie pour combattre l’usure des sols et le déficit en surfaces, où trouvera-t-elle des excédents ? Le bois absolument nécessaire en Europe est heureusement compensé par l’afflux de bois américain, le fumier sert obligatoirement à l’agriculture mais si on fait émigrer la viande sur pied, il faut la rapatrier en viande conservée et par conséquent le prix du transport doit s’abaisser.  Les défis sont illimités : un profit a son inconvénient. Peu à peu l’Europe du Nord cumule mais difficilement une série d’avantages. Pas évident d’exporter sans cesse pour compenser les importations de bois et de matières agricoles du Nouveau Monde ou de la Chine Les importations américaines qui permettaient à la grande Bretagne d’économiser ses terres, continuèrent à  s’accroître au rythme élevé de l’industrialisation.. Ainsi, entre 1815 et 1900, la production britannique de charbon est multipliée par 14, les importations de sucre par 11 et les importations de coton par 20. Au même moment la Grande-Bretagne se met à importer d’Amérique d’énormes quantités de céréales, de viande de bœuf , de bois de construction et d’autres produits de base  alors que le Nouveau monde devient l’un débouchés, essentiel pour toute la population surnuméraire des différentes parties de l’Europe  . Et en effet la Chine devient vers 1800 une très grande puissance commerciale

    La notion de « Machinisme » est également relative à l‘état général d’une économie. Quelle place et dans quelles industries pour les machines, avec quelle alimentation en énergie pour dire que l’ère est machiniste ? « On peut raisonnablement supposer, me semble –t-il, que seules les zones combinant un peuplement relativement dense, une agriculture productive, un commerce étendu et sophistiqué et un artisanat manufacturier diversifié étaient éligibles pour une éventuelle industrialisation, mais ces critères laissent encore la Chine, le Japon et peut-être l’Inde (particulièrement le nord de celle-ci) dans le même panier que l’Europe »  
    Au long   de la déconstruction des  caractères d’économie classique, Pomeranz examine  ce qui sort de Grande-Bretagne en aliments et matières premières ou en semi finis (comme les filés de coton) et ce qui y entre. Le résultat est étonnant car on globalise un ensemble de causes et de chances. Et c’est la  fin du grossissement d’un trait  qu’il soit l’industrialisation ou la Science à l’exclusion des autres ; ce sont des ensembles  de situations qui sont transférées  dans l’explication

    Autre prééminence   contestée : la Science  créatrice des machines

     Un débat, dans le débat, l’a concerné ainsi avec son collègue de l’université de Californie : la question intitulée « Science des machines et culture de l’ingénierie »  manifeste la sensibilité de ce domaine  avec les théories classiques marxistes ou non qui  érigèrent ce facteur comme un déterminant clé de l’industrialisation : « Par certains côtés, Goldstone semble donner trop d’importance à l’histoire de cette « science anglaise des machines »... « La machine n’induit pas une continuité historique.  Les machines en soi sont impropres à un fondement économique autonome de cette période.  On doit relativiser toujours et toujours ; Cette séparation rigide cache le rôle de facteurs autres que la technologie et qui furent pourtant décisifs dans l’essor d’une croissance pérenne.... . Toujours relativiser;  les choses auraient pu  tourner autrement. « La mécanisation de l’industrie, une fois commencée, n’avait rien d’un processus nécessaire ou inéluctable qu’aucune des autres phases de croissance qui avaient déjà eu lieu. L’explication tient en partie à l’innovation technologique dont il a été peu question ici. Je n’entends pas ici rejeter la pertinence  de la science des machines...encore moins substituer une sorte de déterminisme de la géographie des ressources et des prix des facteurs  à l’accent qu’il met à la science »

    Le machinisme sans l’offre et demande des capitaux, les savoir faire, les matières premières vivrières, les usages juridiques du sol ou des techniques agricoles pour nourrir les ouvriers de l’exode rural, le prêt, la banque, les financiers  qu’est-ce ? En Europe et en Asie. les conditions économiques incarnent un fait industriel global : le climat, les sols, les transferts, l’intensité du peuplement, la nourriture hors terres. Car l’Antiquité connut des machines sophistiquées : « Si l’on pouvait imaginer un martien assez avancé visitant l’Europe autour de 1600 il aurait probablement pu dire la même chose que Mokyr puisque depuis la réalisation des portes du temple actionnées par la vapeur dans l’Egypte préromaine (et s’ouvrant comme par magie) plus rien de plus élaboré ne semblait s’être passé dans les 1800 ans qui avaient suivi» ..
    La  « science occidentale » est une invention des historiens sans les conditions de l’application ! En effet, la science est  extraite d’un ensemble de techniques et de savoir faire institutionnalisés. La Grand Bretagne a échappé au destin du delta du Yangzi  grâce au changement technique – la machine à vapeur et le charbon qui ont soulagé la terre des contraintes qui pesaient sur elle jusqu’à l’arrivée des produits chimiques et de l’électricité à la fin du XIX et au début du XXe siècle. Pomeranz se défend de réduire la part de l’invention technique des pays avancés, d’autant plus qu’il a fortement montré le choc de l’énergie, à vapeur notamment. « J’admets volontiers qu’au milieu de nombreuses innovations technologiques de la Révolution industrielle, celles qui sont associées à la machine à vapeur et ont rendu possibles la transformation de l’énergie potentielle des combustibles fossiles  sont clairement celles qui ont conféré son caractère marquant à la période en question » .  Plutôt que sur la suprématie scientifique et technique, il insiste, on l’a dit plusieurs fois, sur ce qu’on peut appeler positivement le « choc charbonnier », une bonne fortune géographique. L’épopée du charbon est la grande incitation au 19è:« l’essor du charbon marque une discontinuité fondamentale. Tout près de Londres on pouvait voir affleurer de gigantesque filons de Charbon . Au contraire les principales réserves de la Chine étaient situées dans une enclave  du Shaanxi à plus de 1600 kms du delta du Yangsi (comme si l’Angleterre avait dû aller puiser la charbon dans les Carpates »  !!
    Pomeranz évite les controverses inutiles notamment conceptuelles, en multipliant les données factuelles chiffrées : le recensement des facteurs favorables et défavorables est quasi-illimité et il en fournit deux ou trois (avec une dizaine de documents) par page, élevant très haut le niveau d’information pour le conredire. On peut voir  en  lui une sorte de jongleur : il faut lire en détails les pages 400 et suivantes  de UGD au sujet du  volume de calories ou des ressources transportées au 19è qui croissent de façon  stupéfiante .Sous la baguette de l’auteur, « chef d’orchestre » se  déploient les interactions et les enchaînements,  sans direction pré-établie, sans intention humaine autre que le profit , sinon « la force des choses » ; une fois le moteur lancé, la Globalité  semble  insatiable.


     Une catégorie  mobile : la « Bourgeoisie »

    Pomeranz n’use pas de ces catégories marxistes ou de l’historiographie traditionnelle. Probablement ce groupe social est de contenu trop flou et mobile, incertain  Bourgeoisies ? L’auteur ne se demande pas : Lesquelles ? Quelles orientations ? Dans quel genre d’industrie ? Il prend acte de l’industrialisation des affaires de négoce, des marchands et n’applique pas des classements préexistants.  La bourgeoisie chinoise existait, expansionniste aussi mais dispersée, trop loin des centres de pouvoir impérial ou des zones manufacturières ; « comprador » selon M-C Bergère (bourgeoisie qui aurait vécu son « age d’or » entre 1900 et 1930) . Les théoriciens communistes chinois ont particulièrement souligné la vigueur de la  fraction terrienne, la plus nombreuse, (les gros propriétaires, les seigneurs de guerre entretenant des armées de paysans en tant que possesseurs de fiefs féodaux ).  Mao parlait, à son sujet,  tantôt de Bourgeoisie révolutionnaire, tantôt réactionnaire et y cherchait des alliés potentiels.  Des catégories de bourgeoisies en Chine étaient présentes ainsi bien qu’au Japon, mais elles n’eurent peut-être ni le temps  ni les moyens de devenir d‘entrepreneurs (il faut au mois deux ou trois générations). Le capitalisme  terrien fut aussi vivement bouleversé du temps de l’Empire ; il a été  peu économe de ses ressources et peu soucieux de la main d’œuvre jugée indéfiniment renouvelable. Constituant un grand empire agraire unifié, muni de structures supposées stables dans la durée, Pomeranz pense que cette représentation par l’Occident ne correspondait pas à la réalité  la Chine  était morcelée, aux circulations difficiles (sauf voies d’eau ). Cette construction historique d’un  type  de despotisme asiatique permettait  de contraster avec une Europe dynamique,  aggravant par là la dichotomie entre la « croissance économique moderne » et l’immobilisme supposé.

    Le rappel du schéma colonial est suggestif pour confirmer l’opinion de Pomeranz. Les européens  colonisateurs ne  sont pas devenus des industrialistes. Les Français ayant  produit  un modèle réduit semblable (bourgeoisie foncière extensive)  n’ont pas   investi dans un autre mode croissance de la colonie ; du Second Empire  à la troisième République, la conquête de l’Algérie était tournée  vers la terre et la mer ! Tirer un maximum d’atouts d’une situation  bénéficiaire, créer une  richesse proche,  dans un pays pauvre  incluant des zones potentiellement riches expropriées de son peuplement initial (induisant d’énormes travaux de drainage ou d’irrigation où la main d’œuvre indigène fut là indispensable),  constituait une petite Amérique !  Il restait à extraire des richesses du sol (minerais) et du climat (telle la vigne, inutile pour l’alimentation des musulmans, exposés aux famines par manque de terres à blé).  L’Algérie fut notre périphérie, notre « Far-South ». Cent mille touristes annuels (et déjà du tourisme sexuel) venus de métropole, après la guerre de 14-18, procédaient à la célébration rituelle de la puissance retrouvée et empochaient les énormes dividendes retirés de « espaces vierges », c'est-à-dire vidés. J’ai été convaincu de l’analyse de Pomeranz, quand étudiant l’Algérie  je vis qu’elle avait été un  symbole par ses trois types de colonisations. Pour ne parler que de la dernière, celle après 1944, l’intensification agricole, une petite industrialisation locale ainsi que le pétrole  donnèrent une double énergie aux sens écologique et mental au colonisateur. En occultant ceci, on ne comprendrait pas les soumissions tardives exigées, la brutalité de la guerre d’indépendance et l’obstination des colons, refusant tout compromis, singulièrement celui de la dernière chance de l’adoucissement du statut, en 1936, rendant l’échec de la réforme Blum –Violette inévitable, et  ensuite les massacres des musulmans de Sétif-Guelma. L’anticipation, dans la négociation de De Gaulle accordant l’indépendance à condition de sauvegarder le Sahara et ses deux atouts majeurs (sous-sol pétrolier et terre d’essais atomiques ou de vols spatiaux futurs), fut en ce sens significative. De 1944 à 1962, se produisit en 18 ans une aggravation cruciale de la colonisation et du sort des indigènes, une mortalité et un taux de prélèvement ou de profits si prodigieux pour les colons et les sociétés commerciales agricoles et de transformations de matières premières  que l’affrontement avec  un prolétariat algérien rural ou urbain et sa brutalité étaient inévitable. Tout ceci était un notre participation à la mondialisation de peuplement  dont l’Angleterre, notre vieille rivale, avait montré la route en Amérique


    Quelques espèces de capitalismes qui n’épuisent pas l’histoire

    Le « capitalisme » est usuellement pris dans la terminologie de Pomeranz et de ses collègues, comme une entité signifiant « survie de l’organisation économique » de toute société. Le capitalisme avancé, en phase d’expansion, signifie accumulation rapide de ressources et de richesses pour quelques groupes,  hiérarchiquement positionnés, quels qu’ils soient : des « classes », des professions, des entrepreneurs, des marins-négociants, des soldats, une bureaucratie. L’abandon des classifications de la pensée des périodisations implique l’absence de frontières ou d’une hiérarchisation des sociétés. Pomeranz et Goody peignent des productions et des consommations, de fabrications qui n’exigent pas une dénomination précise. Histoire des étapes, des allers retours, des embranchements pris et abandonnés, des effets papillon ou ceux du seuil infinitésimal. Ces questions taxinomiques ou analytiques  sont les vieux fantasmes des catégories marxistes. En faisant passer le concept avant les faits variés, on renverse   la problématique au profit du dogme. Quel  capitalisme premier ? Où est l’ancêtre, à quand la naissance ? Telles sont les obsessions de l’Histoire individualisante des sociétés. Faux problème  de successions!
     Prenons acte qu’il n’y a pas une forme « capitalisme » unique, un seul  système de production, mais plusieurs branches. Personne n’eut le dernier mot dans cette course-recherche aux moindres coûts et à l’accroissement des bénéfices ; de nombreuses parts de l’Asie y participèrent d’une manière ou une autre. Conquête industrielle, réussite commerciale (la Chine est au XVIIIè une puissance commerciale), degré élevé d’enrichissement par des foyers de bourgeoisie (la planification des investissements lourds exigeait stabilité et prévision d’avenir) . 
     Pomeranz ne se sent pas concerné par les débats théoriques infinis qui occupèrent l’Occident universitaire quant à la terminologie ou la synchronisation des étapes d’expansion de l’histoire. Il décrit, sans cesse et sans cesse à partir de formations historiques déployées à la dimension  planétaire. Il propose un aperçu de l’aventure où plusieurs strates apparaissent les unes ici, là  d’autres,  comme dans un gisement géologique, il faut affiner la donnée. Et la découverte de fossiles est toujours renouvelée.  Tout jugement normatif banni, on parle économie, sociologie, démographie en termes d‘organisation, de moyens, de techniques de mouvements. Il n’y a même pas de « modernisation », notion singulière ; on cite plutôt des complexifications, des déploiements, de structuration plutôt que d’avancée, de marche en avant. Une Histoire de l’économie tout simplement si on prend ce terme au sens large de la survie et de la continuité d’une groupe humain par amélioration de ses chances matérielles. Quant aux Etats, une présence de la Chine et de l’Inde est, face à l’Occident, maintenant avérée dans la course à de nouvelles explications et à des orientations qui ne décident  rien a priori.
    Cette histoire  économique est complexe car il apparaît plus de variables que prévues ; on peut appeler cette histoire : domination par un groupe social (bourgeoisie) dont on fait l’apologie ou dont on prévoit la fin. L’histoire de la globalisation n’a pas encore acquis une définition confirmée, elle n’a pas un grand « vécu » d’expériences puisqu’elle n’a pas de ressources documentaires explorées et reconnues; ce qui explique parfois le recours à la sur-interprétation de certaines variables (telle la science). Dans le schéma classique, les catégorisations étaient fixes, transhistoriques ; l’inattendu, « le hasard  » n’y avaient évidemment pas de place. Les systèmes étaient clos en raison des catégories de pensée exclusives. La limitation de nos terminologies et la définition de nos concepts conçus comme génériques ne sont plus garanties. Il apparaît actuellement une confusion de schèmes abstraits, dont l’abondance des distinctions à la marge se lit dans l’inventaire construit Ph. Beaujard  dans le prologue qui résume les points cruciaux des distinguos théoriciens de 40 dernières années, spécialement depuis Développement du sous-développement de A. Gunder Franck ainsi que I. Wallerstein, ou encore les économistes des années 70.  Cette  présentation d’un état des lieux de la mondialisation des idées est finalement l’unique contribution contemporaine  à la recension des questions en cours.
    Pomeranz  décrit, finalement à l’aide de « monographies » plus concrètes, moins théoriciennes,  les multiples rebonds économiques  sous l’influence souvent de la démographie et de la densité régionale. Cela nous interpelle car nous venons de vivre une Révolution démographique. On est passé de deux à 6 milliards d’êtres humains en un siècle ; jamais un tel saut dans l’inconnu n’avait été réalisé à cette échelle.
     En conclusion ces rebonds, si on suit l’auteur   consistèrent à : 
    1) « inventer l’Amérique ». Ce qui est bien plus que de la « découvrir »
    2) accroître les profits de l’esclavage en « raffinant » l’exploitation humaine. C’est à dire maintenir en vie non seulement une génération de Noirs mais l’entretenir, la former et surtout la pousser à se reproduire. Chose pas facilement acquise : les Indiens et d’autres aborigènes ont refusé la procréation en situation servile
    3) faire absorber ailleurs, par exportations, les biens agricoles extensifs : plantes à fibres, coton, tabac, canne à sucre, lin, jutes. Bref fabriquer des marchés et des demandes notamment en métropole qui ne put toutefois tout absorber
    4) Intensifier le commerce : accélérer la rotation des navires et donc découvrir des énergies ne dépendant plus du vent. La machine à vapeur tombe à point ! Ainsi que les volumes de navires qui s’agrandissent.
    5)  un autre « cadeau en prime » consiste en métaux précieux dont quelques pays sont demandeurs. La monnaie papier ne s’est pas imposée ; cela n’aide pas les échanges. Il faut un stock d’or et d’argent.  L’Amérique du sud en est justement pourvue. On voit que les solutions provisoires apportées par les sociétés européennes (particulièrement de l’Angleterre) furent tâtonnantes, aléatoires,  circonstancielles. Et il conclut : « Cette « avalanche de bienfaits », ce miracle .... ce fut « l’Amérique » du fait du  soulagement écologique dont l’Europe, à l’étroit,  bénéficia par rapport à l’Asie et usa afin de substituer à  la moindre fertilité de la terre du vieux continent épuisée  par vingt siècles, les « hectares fantômes américains ». Et l’auteur de reprendre son idée de ressources productives déplacées hors de l’Europe. L’arc atlantique esclavagiste (du Brésil au sud des Etats-Unis  est devenu la première périphérie « moderne » dans laquelle les principales dépenses étaient consacrées à l’importation des biens de production (ici les esclaves) et à des biens de consommation de masse comme par exemple du textile bon marché pour habiller les esclaves.  Donc chaque fois qu’une impasse apparaît, des issues en Europe peuvent  apparaître légèrement différenciées dans le temps (Danois et Bataves intensifient certaines de ces cultures, essayant la « voie Chinoise ») parce que le « réservoir » colonial est là. Ces confrontations entre capitalismes asiatiques, musulmans, d’Europe centrale ou de l’est (et de la périphérie américaine) n’ont pas cessé. Toutes enseignent quelque chose. Elles se poursuivent aujourd’hui, rivalisant quant à l’efficacité. Chaque culture ou société a sa manière « personnelle » d’organiser la transformation de la nature, de modifier de son environnement dans un processus d’accroissement de la productivité. La gestion des sources d’énergie ou des métaux rares, celle des transports ou des découvertes technologiques est une manière de faire prospérer son propre « capitalisme ». Quoique le terme « capitalisme », mis au singulier, pour survie et organisation économique d’une société, soit généralement évité par Pomeranz car  connoté par l’historiographie et la politique

    Un comparatisme  fécond

    Dans le panorama ainsi réalisé, on inventorie aisément les instruments de maîtrise de la nature et d’amélioration de conditions de vie de la part de toute société organisée et dense au moins de quelques dizaines de milliers d’individus. Et alors on voit croître plusieurs directions, de multiples lignages. De nombreux troncs ou souches, comme on voudra, coexistent  à un moment, sans  obligatoire uniformité. Assiste-t-on là à une « re-présentation » de la célèbre investigation : «  De l’Origine des espèces » en socio-économie ? J’ose une allusion à Darwin au titre de pure métaphore et non de comparaison. UGD est une histoire de ces phases capitalistes dans plusieurs pays : la combinaison des éléments est du ressort de l’historien comparatiste sous l’angle hyper-factuel, multivarié qui voit éclore de nombreux bourgeons, des conditions  singulières de recherche d’ajustement à l’environnement incluant  des stagnations ou  des avancées erratiques ,
    L’abandon des classifications en termes des « mode de production », ou autres  catégories rituelles signifie  l’abandon  des système : pas de logique, si singulière soit-elle qui exige une dénomination spécifique. On a là une Histoire de l’économie tout simplement si on  accorde le sens large de survie et de continuité d’un groupe humain adaptant ses fabrications de ressources (ou de leur dilapidation par usage intensif). Les  auteurs globalistes ne  se sentent pas concernés par les débats infinis sur la terminologie et la taxinomie. Leurs contemporains de la World History se passionnent par contre, pour la conceptualisation. Assistons-nous là à un retour aux sources du XVIIIè, aux fondamentaux   de l’économie classique ? Peut-être, dans le polycentrisme. La multipolarité est un progrès historiographique. Les savants des petites nations, sous le nom d’économie classique, avaient « volé » la polyvalence. Ils avaient occulté d’immenses bouleversements comme la colonisation ou la traite des Noirs, l’usage récurrent des armées en vue de progrès territoriaux et d’accumulation de richesses. Seule la science dite occidentale était traitée par les historiens du capitalisme avec respect , en majesté, insistant sur les  procédés notionnels qui paraissaient les plus désintéressés, notamment  mathématico-physiques, qui semblaient à l’abri des critiques du progrès coûteux
    .
    V La  mondialisation par la « Chine » » inaugure-t-elle une ère de travail collectif  des historiens?

    Cette question  n’est pas oiseuse. Si on y répond par l’affirmative : cela est inédit, en tout cas original pour une spécialité  éclatée dans le monde.  La globalisation est peut-être un temps d’ouverture pour les historiens. Pour preuve, la cohabitation et le travail  en commun  à Irvine-Université qui ont dû être stimulants. Ainsi   quand  la discussion est vive, elle nous apparaît feutrée en comparaison des  affrontements d’historiens européens. On pense par exemple « à la guerre des historiens allemands du nazisme avec l’interprétation spécifique aux conditions de l’Allemagne et celle qui  l’alignait sur les problématiques européennes des dictatures. On pense également aux déchirements récurrents des historiens français au sujet de l'exposé, des démarches et des méthodologies  à fournir à la Grande Révolution  de 89 . Luttes fratricides qui se renouvellent à chaque événement national ou célébration. Si la mondialisation incite à la tolérance, ce serait un progrès ; et les combats de sectes  cesseraient sur notre vieux continent. On se citerait à nouveau, on se saluerait et on échangerait dans des colloques ouverts, respectant la compétition académique
     La discussion  à Irvine a peut-être forcé les deux chefs de file, Goldstone et Pomeranz, à être plus précis et à entretenir un dialogue permanent. Prenons le cas du concept « d’efflorescence » à travers lequel  se sont matérialisées  deux approches,  plus précisément le débat  général sur l’importance à accorder à la Révolution industrielle, fille  de la Science. « Le texte de Jack Goldstone, écrit Pomeranz ...constitue une contribution particulièrement lucide et utile à la réévaluation en cours des origines de la modernité européenne et globale. Il n’est pas surprenant que je sois largement en accord avec son contenu. Nous avons été en effet associés tous deux à ce qu’il est convenu d’appeler « l’école californienne » en Histoire globale et nous partageons une même conception générale selon laquelle différentes parties de l’Eurasie, entre le XVIè et XVIIIème siècles,  avaient plus en commun aux plans économique , social et politique qu’il n’est généralement assumé par la littérature historique traditionnelle » ; et ils partageaient aussi le désir d’éviter  les termes ou éléments qui imposaient a priori  la place prise par la Grande-Bretagne dans le monde.
    Pomeranz  répond aux arguments de ses collègues après avoir donné les raisons des uns et des autres et la rigueur de leur choix. Il constate que la dispute au sujet de cette « Histoire environnementale impériale » régénère la compréhension de la Révolution industrielle et dépasse la vision binaire : Orient/Occident, tout en se positionnant dans le même berceau. « Le périmètre de cette « Ecole californienne (ou Ecole d’Irvine ») varie selon les spécialistes ce qui n’étonnera personne : son identité institutionnelle n’a jamais été fortement établie, pas plus que les questions soulevées ne font l’objet d’un accord absolu. R.Bin Wong, James Lee et son équipe, et moi-même, sommes toujours comptés parmi le membres...beaucoup de commentateurs donnent une place de choix à mes thèses, sans doute parce qu’elles ont un plus grand caractère de généralité. En partie parce que ces des débats se réfèrent souvent à des faces différentes de cette « école » protéiforme...mais il est juste de dire qu’elle a  stimulé en Chine même l’intérêt pour le comparatisme historique d’une espèce nouvelle.. »
    Il est probable que les historiens du monde soient davantage associées en communautés « pacifiques ».  C’est l’impression qu’on a en lisant leurs échanges, en écoutant leurs discussions courtoises. Même les glorieux ancêtres sont à la fois respectés et critiqués rudement : Braudel, Sombart, Weber. Seul Marx est absent! En toutes circonstances  leurs relations semblent moins crispées ou  tendues
    Cette coexistence pacifique se constate également dans le  recueil de Beaujard (et al) où sont présentés les problématiques et les courants majeurs de l’Histoire globale. Il semble que tous les contributeurs assument les contradicteurs et manifestent  une façon équilibrée  de polémiquer . On remarque d’ailleurs l’absence de personnalisation excessive et une moindre  médiatisation, source habituelle d’impulsives arguties théoriques qui favorisent la courtoisie.  Par ailleurs Pomeranz -ainsi  que Goody- dans leurs remerciements initiaux ou dans leurs constatations finales, insistent, chacun à sa façon, sur les dettes qu’ils ont contractées auprès d’auteurs desquels ils  se séparent ou qu’ils critiquent. Ceci laisse augurer du côté « aventure intellectuelle collective » dans la formation des conceptions que ce soit dans les discussions à Cambridge avec les grands anthropologues autour de Goody ou à l’université d’Irvine.
     Ce recensement d’auteurs et  analyses offert par Beaujard  et ses collaborateurs est déterminant pour la compréhension de la part des Européens (avec la réhabilitation notamment de la Chine et de l’Inde pour la période précédent le XIXè )  des événements scientifiques qui viennent de surgir et la rapidité des changements d’état d’esprit en si  peu temps. Une évolution étrange, quand on pense que tout cela fut réalisé en 30 ans. Les historiens de la globalisation courent vite après le monde,  bien que ce dernier aille encore plus vite. Plusieurs strates d’idées, évoquées dans la recension apparaissant dépassées, les unes par rapports aux  autres. On distinguera néanmoins les contributions suivantes :
    1 Les « vieux » auteurs du système–monde  sont représentés par Wallerstein bien connu ; il y aurait certainement eu celle de Gunder Franck si son récent décès n’était intervenu 
    2 Les jeunes gens d’Irvine déjà nommés
    3 Les grands classiques européens de l’histoire du capitalisme avec Braudel en tête

    Pomeranz y a évoqué dans sa contribution  l’Ecole Californienne d’études chinoises  ainsi que les diverses adhésions et réfutations à ses thèses, à travers le monde  des chercheurs. Il évoque le retard ou le retrait de l’Europe de ce débat  alors que le Japon l’a fait pleinement sien. On retiendra qu’il s’est formé un axe Pékin, Taiwan, Californie et que la France  ne propose que des miettes. Il réfute le concept trop appuyé d’efflorescence pour marquer une prétendue rupture de l’explosion des machines et des outils de 1760 à 1830

    Il a toujours été préconisé à l’historien, l’objectivité, la neutralité. Maintenant on s’en donne les moyens. L’Orient et l’Occident marchaient du même pas à la rencontre l’un de l’autre mais nous l’avions ignoré ou l’avions dissimulé sous une supériorité militaire et matérielle. Les ressources bibliographiques étaient immenses  à la condition de voyager. Il fallait sortir des bibliothèques européennes. La « mondialisation »  implique le contact direct et donc des chances accrues de compréhension. Il  a d’ailleurs  synthétisé cette avancée dans les dernières lignes de la Force de l’empire : « S’il y a bien une voie de développement asiatique, il convient de  rappeler que c’est elle qui contribua, pour la plus grande part, à la croissance économique mondiale entre 1500 et 1800, tout comme cela a été à nouveau le cas depuis 1945 (en intégrant diverses composantes empruntées à l’Occident).  Le fait que cette croissance fut moins dépensière en ressources naturelles et peut-être en hommes Noirs contribua aussi à en faire un contre-modèle. Plutôt que de la réduire à l’image caricaturale de « miracle de l’Asie du sud-est », tandis que l’on décrirait une voie occidentale –qui ne recouvre même pas tout l’Occident-, par des termes plus universalistes comme « développement »ou « modernisation », sans nuance régionale ; peut-être serait-il, temps d’écrire une histoire de nos économies qui mettaient ces différences sur un pied d’égalité »  Paroles fortes !


     La défaite de l’eurocentrisme est-elle celle de Marx ?

     Le lecteur européen habitué aux « luttes de classe » et aux références marxistes orthodoxes sera dérouté de l’absence des luttes entre bourgeoisies et prolétariats en tant que tels. Qu’en est -il du « Capital » et de l’exploitation selon Marx ?  Dépassés ?  La question ne se pose pas dans les termes du XIXè, téléologique ou messianique. Un groupe, une classe à la fin, dominait tous les autres et disparaîtrait à son tour. Cette classe et cet accaparement monopolistique (ou un  simple  partage  inégal) n’auraient pas finalement changé  le sens de l’histoire ni le sort des dominés : esclaves, serfs, prolétaires, exclus, illégaux, clandestins  -des centaines de millions, nos  contemporains. Même si cette vision a vécu, Marx n’aurait pas été choqué ; plutôt ravi de voir sa conception de luttes et des conflits confortée quoiqu’elle ajoutât à la  condition européenne de nombreuses autres occasions d’oppression qu’il n’aurait  pas déniées.
    Le problème soulevé par Pomeranz et les divers  « globalisateurs » est la  manière  la plus adéquate de contourner  le point de vue téléologique quant à l’influence de l’Occident sur le destin du monde. Les historiens, ceux qui sont engagés dans la recherche empirique sont attirés par de nombreux indices matériels : l’accumulation, la diversification des activités, l’augmentation de la production, l’accroissement des biens. Ils constituent une sorte de coopérative mondiale  d’utilisation de statistiques mondiales-quoique  primaires ou sommairement recueillies-, omettant ainsi d’inclure des éléments non répertoriés : transferts violents, extractions prédatrices, conquête des mers ou de l’espace.  Classes et modes de production furent une tentative mais sont aujourd’hui remplacés par une histoire des étapes productivistes, des embranchements des routes techniques, des volumes produits. On peut abandonner, sans regret, ces questions formalistes. Similairement, Goody évita de se positionner  tout en  reconnaissant à Marx une élégance de critique et une recherche d’idées très en avance sur son temps. Goody a lu Hobsbawm, son ami, mais ne se place pas sur le même terrain.  Lui –même est un internationaliste, culturellement nomade.  De son côté Pomeranz ne cherche pas le groupe -pilote : une bourgeoisie conquérante, une féodalité dynamique, un despotisme de capitaines d’industrie, pas plus qu’il n’isole le commerce de son arrière plan. Et à l’égard de ceux qui s’étaient réfugiés dans un dogmatisme tranquille, la remise en cause est salutaire. Marx n’avait pas les ressources de lectures et connaissances contemporaines.  Il n’a jamais bénéficié de l’ équivalent  des sources et d’informations. Les « globalisateurs » font-ils du Marx sans Marx ?  Oui, pour la critique démystifiante mais non pour la théorie de l’histoire. Le lecteur dubitatif se rappellera que, pour  Marx qui se disait non marxiste, le fait d’être débordé par ces démarches, le ravirait. Le vieux « monstre », le savant, le chercheur insatiable, celui qui ne put jamais finir « Le Capital »,- et ce au grand dam d’Engels, plus homme d’action- ne serait pas surpris même si le militant y perdait. Face à la récente masse d’informations, la débâcle de nos anciennes conceptions était prévisible. L’histoire du monde polycentrique rend inéluctable la prise de conscience initiée et Marx ne l’aurait pas reniée. Le plus curieux est que cette radicalité vienne d’un anthropologue et d’un économiste aux  fortes différences d’age, de carrière, d’expérience de la guerre ou  de l’anticolonialisme, formés dans le cadre d’universités aussi éloignées qu’Irvine et Cambridge, l’une ouverte sur le Pacifique , l’autre sur l’Atlantique.  Les divers acteurs  sont éparpillés dans le monde au lieu d’être  confinés à Londres, et c’est tant mieux.

    A quoi servent ces livres difficiles en sociologie ?

    Au minimum à redéfinir l’idée de la causalité « logique » e det détermination. Pas de modèle, pas de systèmes mais des espèces socio-économiques ; des cas et des histoires comparables. Impossible de ressusciter nos « lois », nos systématisations. Aucune direction, ni issue  prédéterminée. Ce ne sont pas les stéréotypes de sociohistoire ordinaires mais des interactions spécifiques entre pays ou sociétés dont on use ici. Braudel nous avait ouvert les yeux, mais vivant, du fait de sa stature intellectuelle, il nous a bouché la vue.
    Néanmoins ces livres servent une autre mission, bien plus fondamentale. En effet, derrière les événements économiques mondiaux, derrière les faits et la phénoménologie des formes capitalistes, derrière les avatars et les progressions, les évolutions matérielles, les mouvements des savoirs et des techniques, les modulations variées aux environnements et les adaptations aux contraintes écologiques, derrière  tout cela  mis en évidence magistralement par Pomeranz , il se cache  autre chose. Les « habitants » du monde, les sociétés vivantes, les personnes en chair et en os, les groupes, les familles, les microcosmes en  associations ou en conflits. Il y a surtout des Hommes et des Femmes (et des enfants, acteurs salariés ou travailleurs domestiques) que nous devons retrouver derrière la froideur des chiffres et des analyses.
     Bref il reste à définir clairement la nouvelle mission de la sociologie. Et Goody nous a ouvert la voie : la culture, les idées, les perceptions des  catégories sociales pensant, réfléchissant définissant inlassablement des justifications et des explications.  Nous avons été absents de ce terrain de constructions et d de créations. Il faut ouvrir la sociologie aux événements planétaires.  Elle est aussi vitale que la compréhension économique que Pomeranz nous a dévoilée et de quelle manière ! La sociologie doit s’internationaliser, s’émanciper des cadres nationaux, s’élancer dans le monde et délocaliser ses problématiques étriquées. Comparer nos questionnements  sans cesse  à l’échelle des continents et cesser de faire de la sociologie, un équivalent du nombrilisme économique que Pomeranz a dénoncé.  Il faut restituer aux divers continents  leur histoire sociale « volée » et s’inspirer de Goody qui  rend au monde ce que l’anthropologie lui a dérobé. Le  bilan de ce « Vol » quant aux autres sociologies qu’entreprendront les futurs sociologues,  nous donnera une dimension autre qu’occidentale. C’est pourquoi ces ouvrages majeurs  sont indispensables car ils nous remettent en cause. Notre savoir s’est  hélas constitué à partir d’idées eurocentrées. Depuis A. Comte, de Durkheim et des philosophes allemands, on n’échappe pas  aux Règles de la Méthode, aux principes de causalité  universalisables, au monisme. Cette sociologie dont nous devrions nous émanciper s’est bâtie contre l’histoire. Nos maîtres nous disaient que nous avions les clés pour démasquer les présupposés et les implicites de la méthode historique. Et à la fin, c’est l’histoire qui a gagné. Telle est la leçon contemporaine que peut tirer un sociologue  travaillé à vie à  l’échelle locale (d’un pays)

    En conséquence, la seule justification que l’on fera de la mise au service des lecteurs ces œuvres magistrales réside dans la construction de cumuls cognitifs expérimentaux. Découvrir le secret de ces tonnes d’enquêtes, des ces modes neufs de la confrontation d’auteurs, tel est l’enjeu. Donc Marx est à la fois marginal et central car la question de l’étendue de l’économique et de ses répercussions, du poids  des idéologies et du retard des consciences,  il se l’était profondément posé. Le bilan de l’eurocentrisme quand il sera  établi en sciences sociales confirmera  le nécessaire abandon  du simplisme ethnocentriste. Et l’on se demandera pourquoi nous n’avions pas vu dans la sociologie traditionnelle une représentation comme une autre, ainsi que nous le proposait Becker . Un façon de parler de la société que d’autres traditions ont nommé philosophie sociale, corpus des conduites ou divers modes de penser le vivre ensemble. Là tout est à faire ;  les futures générations de chercheurs  s ‘en empareront.

    Les jeunes gens qui ont observé ce éventuelle émergence, en tâtonnant, dans les années 1960 à 1980 étaient à l’affût  d’explications  au mystère chinois et à son impact sur le devenir du monde. Toute Histoire est énigme et  c’est pourquoi elle ouvre peu des portes ; il n’y pas eu une justification mais de multiples. Renverser innocemment les idoles de l’histoire était enivrant en 1968.  Mais que mettre à la place ?  Nous attendions de grandes œuvres synthétiques pour nous prononcer et nous n’avions que de morceaux épars. Maintenant nous pouvons les lire et mieux comprendre notre passé. Tel est la raison d’être de ce livre :
    Autrement dit qu’avions –nous vu ou vécu de la Chine à cette époque sinon que nous  cessions en pratique de la considérer  comme une économie seconde,  un cas bâtard d’ une « Europe ratée », ainsi que  le dit joliment Pomeranz. Il est plus raisonnable « de voir l’Europe occidentale comme une économie assez peu exceptionnelle. Elle ne devint cette monstruosité cousue d’or que lorsque les ruptures imprévues de la fin du XVIIIè et surtout du XIXè lui permirent de renverser les barrières fondamentales du besoin énergétique et de la disponibilité des ressources qui jusque là barraient l’horizon de tous » (P 317 UGD)



      Voir  la suite  de : La Chine et nous dans le regard de « Trois célèbres observateurs  occidentaux ébahis ». Cf   la rubrique Accueil page 8


    votre commentaire
  •  

     

     Ce texte de l’ermite est à situer dans le blog dans l’éloge de Jack Goody grand connaisseur des autres cultures orientales ( Cf la rubrique   Objectifs et Projets avec l’analyse de son dernier ouvrage ( Comment nous avons « volé » l’histoire des autres continents )Et à rapprocher des études fines de la Chine qui existèrent en Occident nonobstant les difficultés  et que nous avons rassemblées sous le titre de « La chine et nous » dans la rubrique Accueil

     Deux aspects intéressants  nous ont retenu :

    A )   comment contrôler le capital  privé  s’exportant à l’extérieur , les businessmen chinois qui achètent à tout va en Occident ( ports, aéroports , grosses boites etc .)

     B)  Comment assurer le renouvellement des cadres politiques, des très hauts fonctionnaires et des dirigeants .  Problème ardu devant  lequel les bolcheviks russes ont échoué ; recrutement  en masse d’opportunistes après la victoire en 1917 ; pour lequel tous les régimes capitalistes  traditionnels qui  se heurtent à l’inégalité sociale à cacher  n’ont pas réussi  à tourner :  le non renouvellement  social au sommet, la reproduction à l’identique des mêmes castes ( les héritiers , les « fils de », etc)

     Le contrôle du capitalisme est plus aisé si on détient en partie « le marché financier » et  si la lutte contre la corruption interne est « sérieuse » ( mort physique ou morale des fonctionnaires « achetés ») La solution chinoise qui marche pour le moment est ingénieuse. Laisser les Bourses locales et nationales – passion du jeu, il y a des boursicoteurs en Chine – mais en être le principal actionnaire, avoir le dernier mot des transactions   grâce au contrôle des changes par la Centrale et vérifier les comptes individuels.  Les spéculateurs sont alors vite repérés. Quand les banques en Occident ont excessivement spéculé (subprimes),   elles font faillite et l’Etat les renfloue sans contrôle postérieur 

    Ça ne peut pas se produire en  Chine où l’Etat et les  « régions », entités politiques sont les actionnaires majoritaires et  où les excès sont vite réprimés ;  donc pas de catastrophes payées par les peuples  comme en France en 2008 . Les politiciens chinois surveillent, octroient les crédits,  les taux de prêts   ou de profit  du privé . Solution inédite créée par la connaissance chinoise des erreurs de l’URSS (tout au service « public ») et  celles de l’anarchie au bénéfice du privé en  Occident. Mais alors qui sont ces « contrôleurs » chinois, comment recruter des fonctionnaires qui ne seront pas les mandarins d’hier, se servant en premier et  rapidement corrompus ? Tout est dans la sélection   minutieuse des cadres intermédiaires aptes à « monter » et  à la surveillance   politique par le sommet. Mais cela ne fait que reporter le problème sur une catégorie de la population. Et làn on sait peu de choses. Osons une interprétation :  une sélection par les capacités intellectuelles en sciences exactes et en mathématiques !!

     La formation des élites, aptes à devenir des agents politiques

     C’est le phénomène  plus curieux, le plus étrange pour nous ,obnubilés par la voie sacrée : écoles catholiques, lycées privés ,puis sciences Po (grande école privée)  enfin ENA ou inspection finances etc.. Je note que c’est la voie de formation intellectuelle exclusive de tous les présidents de  notre République depuis  Giscard. Tous sans exception ; or en Chine la voie royale c’est la science et la pratique de la gestion collective en économie nationalisée .Être un savant,  ingénieur au minimum,  et avoir dirigé des entreprises( plutôt régionales modestes) : tous ont suivi ce chemin de formation scientifique, puis ensuite  pratique de terrain  en devenant un dirigeant local d’entreprise publique, un gestionnaire  d’Etat  qui a réussi  (= sans grève , avec des innovations productives techniques etc..) D’abord il y faut de grosses compétences  industrielles,  un  esprit  nationaliste rationnel, une très solide éducation technique et un grand sens diplomatique avec les syndicats !!    Bref une rationalité  économique au  sens de raisonnement  scientifique poussé ; pour le moment  ça marche !  Les seules élites politiques montées   depuis 1988 ont eu  un passé  de  scientifiques  et de fins observateurs matérialistes. Cela   semble enraciné dans la culture chinoise de l’amour des Sciences. Les enfants ont des capacités supérieures en maths-physique (réussite aux test internationaux les plus exigeants) aimant l’astronomie, la géographie bref les sciences qui réclamant une logique de raisonnement à l’épreuve des réalités. On voit qu’on est loin des littéraires  vaseux que nous, on promeut avec l’amour du « discours »,  de la rhétorique de  culture  générale  de salon,  d’où l’ absence de   rationalité dans la réussite de  l’univers scolaire par de-là un manque de sciences matérielles confrontées  au goût de l’abstraction   et une plus faible concentration  intellectuelle

     

     La revanche Gymnastique de l’esprit et du corps

      Au sein de ce contre-pied de l’Histoire  ( que notre Antiquité avait   pourtant soutenu : les techniciens  et les philosophes, tous  savants    comme Aristote) on ne doit pas  sous-estimer  le fort désir de revanche . Avoir été le centre du monde civilisé au cours de mille ans puis ensuite avoir été humiliés et colonisés pendant un demi- siècle soutient l’effort des enfants chinois, intensément scolarisés dès l’âge de 4 ans  et plus tard  imbattables dans les sciences  exactes ou en maths  pures :  les meilleurs maintenant dans tous les concours internationaux ( avec Japon et Corée).  Pour les Chinois depuis des siècles, la naissance de sciences en chine, ça ne s’oublie pas ! Ils ont le double de jours de classe ( 290 jours/an)  avec des élèves très motivés par rapport à notre défaitisme de l’effort scolaire qui détourne des apprentissages intensifs ;. Nos  enfants , nos « élèves », en France, derniers de la classe dans les tests en Occident seront « mangés » . En Chine le désir de revanche et l’envie patriotique de revenir  à la première place jouent encore  (fierté nationale, ciment extraordinaire)  mais demain ?   Les Chinois comptent sur autre aspect culturel : les enseignements de trois religions, de la modération des envies et des convoitises et de la recherche non agressive de solutions

    Les trois grandes religions s’entendent  sur ces points :elles  ne se combattent pas comme en Europe sur 3 siècles. Le Confucianisme, le Taoïsme, le Bouddhisme, les trois enseignent la maitrise de soi, l’harmonie cosmique (le respect de la nature), la tolérance. La gymnastique de l’esprit , l’amour des sciences concrètes  s’accordent avec le contrôle de soi à l’égard des autres. La gymnastique individuelle,  sorte de « prière quotidienne » en public, est une manifestation d’équilibre  dans les gestes offerts aux regards des autres, coordonnés par la nature collective de cette passion, un rapport pacifié  de respect aux autres et de respect de son propre corps. Une géométrie des mouvements qui rend la fluidité aux relations humaines, une tempérance de l’envie égoïste. Il n’y a qu’à regarder la circulation « anarchique » dans les rues (par ex au Vietnam) et l’absence d’accidents ou de querelles dans ce qui nous apparait comme un sommet du désordre .  Pourtant il y a derrière, une recherche de l’ harmonie de mouvements,  pour nous inconcevable, du fait des relations   conflictuelles de nos rues issues de l’individualisme  dans la possession de la route. C’est ce que quelques-uns d’entre  nous appellent  faute de mieux, la sagesse orientale Ce contrôle de soi s’est manifesté dans un domaine,  surprenant pour nos propres conceptions :le contrôle volontaire des naissances. Sans lui, aucun progrès possibles, (témoin l’Afrique actuelle, les pays Arabes ou Brésil dont le développement ne suivent pas la démographie.) Si on ne stoppe pas la croissance  excessive,  après avoir résolu les famines   et l’intense mortalité infantile antérieure, l’accroissement ultra-rapide des naissances  détruira  le progrès social-scolaire  collectif ( sauf pour une minorité à l’abri des besoins).  Le développement économique  sera  retardé,  entravé  ou pour le moins freiné. Bien sûr les esprits  étroits diront ; « Ah oui facile !  une interdiction par l’Etat !une dictature morale, et donc une  intrusion privée, insensée etc.. » Ridicule argument ! si ce projet n’avait pas été consenti,  admis par la population unie dans cet objectif ( limité  dans le temps) ; ce serait irréalisable. Même  le pire régime policier ne peut mettre un flic sous le lit de chaque couple ! Ça fait partie des impensables  de nos esprits ( dits «  cartésiens !), une  des nombreuses barrières caricaturales de nos  connaissances, un de nos écrans de  pensée  irréductibles. Les conditions que d’autres continents surent sagement s’imposer ne purent être perçues par notre ethnocentrisme qui a rendu aveugle

     Cet esprit de géométrie, d’équilibre entre soi et les autres aidèrent les Chinois à minutieusement observer les anciens capitalismes à l’œuvre  qui ont échoué dans le développement rapide et  mieux réparti : ils en ont tiré la leçon, les incitant à un juste milieu. La théorie du balancier ! « Pas de contraintes au capitalisme au profit individuel, à la concurrence bancaire ou celle des marchés acharnée » a dit l’Occident ;   de l’autre côté,  ils se refusèrent aux   anciennes solutions soviétiques  ( toutes les banques étaient nationalisées).   Il y eut bien en France   un essai de privatisation bancaire partiel, de De Gaulle et de Mitterrand mais il avorta.  Or devant l’échec de ces deux formules, la Chine a choisi la formule moyenne. Comme dans d’autres domaines également.

    Ça marchera un siècle, peut-être deux… mais présentement c’est incontournable. La preuve ? c’est le seul pays qui a su retourner une situation défavorable, en 60 ans. De pays en partie misérable, sous-développé, à famines en 1945, il est devenu la deuxième puissance mondiale et en passe de devenir la première. Ceci au moindre coût, au moins extérieur : pas de guerres externes, pas de colonisation et pas d’esclavage. Par conséquent un dépassement ahurissant des progrès inégalitaires de l’Occident dans les domaines de  santé, alphabétisation, longueur de vie et du nombre de diplômés  en sciences exactes en pourcentage de population . Donc tout le retard technique et industriel et scientifique a été comblé en  deux générations soit 50 ans !! un phénomène incroyable qui mériterait  un peu  plus d’intérêt  sans parler même simplement d’un peu de curiosité de nos élites et  nos  politiques, s’ils n’étaient à ce point  obsédés égocentriquement

     

     

     

     

     

     

    Les critiques de Jack Goody et de  Kenneth Pomeranz:

    -« Le vol de l’histoire ; Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde »

    - « Une grande divergence : La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale »

     

    Deux grands auteurs Goody et Pomeranz, deux grands scientifiques révèlent la part d’inconnu de l’histoire chinoise et se rebellent contre la manière dont notre histoire avait traité les autres continents (et la Chine particulièrement) dans la représentation du passé ancien et récent. La chronique de la naissance du capitalisme, de l’émergence des sciences et techniques, des connaissances des philosophies  a été déformée au long d’épisodes ou les idées métaphysiques de supériorité occidentale ont été constamment à l’œuvre à l’encontre des faits d’évidence

    La curiosité que l’Asie suscitait, les interrogations insatisfaites qu’elle soulevait, les études segmentées qui en ressortaient, ne se reliaient pas  assez à l’actualité vécue des années 60 (et combien elle était rapide !). J. Goody et K.  Pomeranz justifient le nécessaire retour sur ce passé  de savoirs sur le monde asiatique construits autour d’attentes variées, d’absence de grandes enquêtes  empiriques. Le contexte des lectures compte autant que leur contenu, et il faut mettre en scène les lecteurs des années 1970 et 80. Aucun de ces lecteurs ne naquît dans le ciel abstrait d’idées désincarnées : actuellement elles interfèrent dans le cadre  de l’histoire mondialisée  

    Les deux historiens-anthropologues, issus de deux générations, comparent donc l’histoire de la Chine, de l’Occident et du reste du monde. Leur rapprochement s’impose puisque leurs livres sont contemporains (six ans d’écart), aux démarches parallèles, aboutissent à des conclusions indispensables pour comprendre nos jugements successifs contrastés. Le principe de la comparaison entre auteurs, deux à deux, est pour nous, soit le temps, soit l’espace, soit bien autre chose ; ici c’est le contexte économique[1]. Ce principe  de lecture, établi en bonne méthodologie, présente l‘Asie et la Chine face à l’Occident et fournit aux grands auteurs l’occasion de mettre en perspective la vision ethnocentriste qui a débordé  dans les sciences sociales, de l’histoire jusqu’à l’économie politique. Confrontés au manque de relativisme savant et à la faiblesse de connaissances factuelles, les enquêtes du célèbre anthropologue de Cambridge et celles du jeune historien de l’économie de l’Université d’Irvine, récemment élu professeur à Chicago, ont bouleversé le paysage des connaissances en peu de temps. Leurs conceptions découlent d’une notion d’idée neuve, « mutante » peut-on dire, repoussant la référence modèle (ancien/nouveau ou progrès par bonds) jusqu’à leur contestation radicale.  Dans les livres qui ont ébranlé l’historiographie à l’aube du 21ème, parus entre 2000-2010, K .Pomeranz justifie son association avec Goody. Cette affiliation, -bien qu’il soit son cadet de 40 ans et qu’il n’eut aucune publication en français alors que son aîné bénéficiait,lui, d’une quinzaine- manifeste une réelle convergence à l’égard de l’histoire « globale ».  Cette entreprise de rectification en sciences historiques, en philosophie et en représentations politistes, a nécessité, de la part des deux hommes qui se lisent et s’estiment, un travail de longue haleine. Près de mille références bibliographiques appelées par chacun d’eux (dont un tiers au moins hors langue anglaise) placent la vulgarisation « mondaine » ou l’érudition de « salon », en position ridicule vis-à-vis des lectorats cultivés ! En France les chercheurs ont du retard en histoire de la mondialisation -(en voie de rattrapage ?)-, en raison de la pénurie de traductions et de la focalisation de l’attention sur notre pré carré : l’histoire moderne à la suite de notre « Grande Révolution » ou celle de la Résistance et l’Occupation,  et aussi de la décolonisation. Nous ne savons pas depuis Bloch, Braudel, Labrousse aussi bien mélanger les genres, sortir de la spécialisation étroite et combiner l’histoire à l’anthropologie, la géographie avec l’écologie et l’économie, ou encore la démographie avec la sociologie. Avec audace, Goody et Pomeranz ouvrent un champ à l’interdisciplinarité irrespectueuse des frontières. Le vent du changement a déjà soufflé dans les  années récentes  que nous qualifions sans hésiter de mémorables. Ce mouvement qui augure d’un futur surprenant a modifié les problématiques et, de là, les « approches » scientifiques.  La dimension et le cadre de travail ont été transformés par la mondialisation qui a donné un peu d’air frais à nos sciences sociales vieillissantes.  



     


    votre commentaire
  • Lettre de la montagne

     

     

    J’ai reçu cette lettre de l’ermite et je vous la transmets telle quelle.

     

    Cher camarade

     

    Les événements vont vite et comme l’hiver prolongé vous tient éloigné d’une promenade à mon domicile, je vous envoie les réflexions suivantes :

    Nous aurons un gouvernement de gauche en France dans quelques jours. Evénement de portée mondiale. En effet il n’y en pas d’autres en Europe et nous serons donc les seuls.  Reçu comment ? Admis par qui ? Combattu par quelles forces ? Evénement international aussi, car si on ôte les 5 ou 6 gouvernements de gauche en Amérique latine, nous serons aujourd’hui le cinquième gouvernement de gauche sur la planète (Chine, Vietnam, Cuba et un autre minuscule)

    Ainsi, est-ce que dix gouvernements de gauche, plus un (le notre),  ça va permettre de rétablir l’équilibre au sein de l’humanité ? Bouleverser le rapport de forces mondiales ? Perturber le libéralisme le capitalisme et l’impérialisme économique ambiants ?  Je ne sais

     

    Mais je devine notre future situation en Europe, seuls contre tous, puisqu’on ne peut voter pour les autres peuples et que l’extrême-droite progresse régulièrement (sans triompher) dans tous les pays européens y compris la Suède travailliste (mais ils avaient tué Olaf Palme avant). Les réactionnaires participent de plus en plus aux gouvernements en les gérant ou en les soutenant. Alors que faire ?  Quitter l’Europe en changeant de continent ? Accepter la guerre qu’ils vont nous mener ? Ou réfléchir posément aux précédents historiques. Cela oui, c’est réaliste

    La montée de la droite extrémiste, dans tout l’Occident, est un fait nouveau à cette échelle et à cette intensité. Et comme l’Allemagne joue un rôle central demandons-nous ce qu’elle va entreprendre, décider ? Est-elle le père Fouettard qu’on nous présente, la diablesse de l’austérité ou un pays qui a su éliminer ses  natonalistes ? Notons qu’elle est (avec l’Angleterre) un des seuls pays à n’avoir aucune représentation parlementaire extrême, genre néo nazi ou parti à tendance violente.  

    La fascisation rampante en Allemagne démocratique date des années 1914-1918, pour s’élargir dès 1925 et s’ « épanouir » en 1933 .  L’étude des élections signale que ce n’est pas le peuple (urbain, ouvrier, socialiste ou communiste) le responsable mais la Bourgeoisie et les classes moyennes qui ont soutenu et participé à ce méfait qui a attiré le monde dans le gouffre. On doit affirmer donc que l’idée du « populisme »,fauteur de troubles, qui triomphe actuellement dans nos analyses médiatisées est une idiotie de l’explication historique. On impute injustement par « populisme », une péché au peuple, une  prétendue dérive des électeurs de  gauche vers le Front National. La gauche n’est pas exempte toutefois d’une absence de clarté et de vision. Mais ce sont les forces d’autres bords qui sont passées graduellement  du conservatisme à la peur des « Rouges », du collectivisme et des « partageux ;  ensuite à leur  massacre pour aboutir au triomphe du nazisme. Quelles sont ces forces ? On peut l’imaginer quand on examine les électorats traditionnels qui sont en train de virer à l’extrémisme européen.

    Je me propose de le faire avec vous. Nous disposons d’un grand nombre de livres récents, d’études fines, notamment Allemandes et de langue anglaise. Rien en France bien entendu. Nous avons même oublié que 25 millions de Russes, de « communistes » donc, ont donné leur vie pour nous libérer du fascisme. Celui-ci en 1942 tenait encore toute l’Europe continentale (sauf la Suisse et la GB) ; occupait une partie de l’Asie et de l’Afrique du Nord. Sans la lutte des Soviétiques (peu de temps après haïs par nos élites et « responsables »), nous serions encore...occupés et nazifiés. On oublie trop vite le sacrifice russe à la liberté,à la notre. Car les Américains n’auraient jamais débarqué avec succès si les trois-quarts des armées hitlériennes n’étaient fixés à L’Est. Bien sûr on peut penser qu’à la fin de 45, la bombe atomique sur l’Allemagne l’aurait faite céder....

     

    Pourquoi un fascisme, plus ou moins masqué, renaît en Europe ? Notre sort dépend de la façon dont nous allons comprendre les événements inouïs qui se préparent sur le terrain de la réaction et de la Contre Révolution.  A suivre la lecture du passé de l’Histoire

     

    L’ermite  

     

     

     


    votre commentaire
  • La Révolution de 1789 (à la lumière des événements actuels)

     

     

    Chaque siècle a eu sa lecture de l’épisode le plus marquant de notre histoire. Celle que nous vivons présentement a du mal à éclore tant l’ombre du XXème pèse sur nous. Il n’y avait jamais eu, lors des trente dernières années, autant d’historiens de salons et de plateaux télé (spécialistes, contrairement aux sociologues qui étaient invités pour un oui ou non) ; il n’y jamais eu autant de revues de vulgarisation (souvent de qualité), il n’y a jamais eu autant de faim d’Histoire ; c’est pourquoi peut-être, il y a si peu d’historiens novateurs. Il est demandé aujourd’hui une position morale irréprochable, politiquement correcte, une rédaction pas trop longue, pas trop de notes, pas trop difficile à lire. Ces conditions pèsent sur la recherche puisqu’on doit passer sous les fourches caudines de l’éditeur. La « belle carrière »   implique non le livre profond mais le livre à succès. Et peu importe la recherche solitaire et patiente.  L’histoire universitaire actuelle s’est enlisée dans les délices du médiatique, de l’académisme prudent et la norme est devenue « Esprit Sc Po », l’essai court, sentencieux, polémique mais poli, de gauche. Martin et quelques autres ont décidé d’aller à l’inverse du mouvement général,période  au cours de laquelle la France a perdu une prééminence internationale initialement reconnue. Aussi, après les « historiens-anthropologues » anglo-saxons renommés, quoique négligés en France, nous présentons Martin, dont la recherche sur un sujet  archi-battu, la Révolution, se trouve  aux antipodes de la mode  dans les sciences sociales. Aucune n’est indemne. L’histoire aussi en fut victime quoique ayant gardé un niveau supérieur d’exigences à celui de la sociologie. Quand on voit le peu de cas que font de nos « découvertes », de nos publications, les historiens étrangers, on est effaré du déclin de la discipline. Dans les livres que nous commentons (Dunn, Goody, Evans, Kershaw, ou chercheurs de Harvard, de Cambridge, de Californie, voire du Japon ou de Chine), la place donnée en note et la part bibliographique accordée aux historiens français contemporains est infime.

    Rien ou presque sur l’histoire du nazisme, terrain immense en plein renouvellement ; rien sur l’histoire des relations économiques ou politiques du monde. Terrains et réputations perdus sauf quand l’histoire française se consacre à ses « grands sujets »: Révolution, Guerres mondiales sur notre sol, guerre d’Algérie, Gaullisme, (bref le pré carré), ou bien alors elle vient sur le terrain de la sociologie des phénomènes contemporains, (mémoire nationale, vie politique, partis et syndicats). La France représente moins de 5% de la bibliographie dans des oeuvres au retentissement mondial (particulièrement en anglais ou en allemand). Les chefs d’œuvre contemporains demeurent inconnus ou négligées chez nous, étant donné notre suffisance. Nous traversons à l’heure actuelle un champ de ruines, après le temps des  Annales, des Bloch, des Braudel et leurs fils spirituels qui sont octogénaires ! C’est ainsi que ce blog « Histoire-Sciologie » à travers l’idée de la crise permanente est tourné presque exclusivement -et on le déplore- vers les historiens étrangers.

     

    Jean-Clément Martin , comme son nom l’indique, est bien français. Il est le grand spécialiste actuel de la Révolution ; il a apporté en peu de temps un regard nouveau. Notons en passant qu’il consacre, en général, plus du quart de sa bibliographie aux auteurs non français. On apprécie qu’il sorte un peu de l’hexagone. Nous résumons  l’article mis en ligne dans la rubrique « Lectures ». Une Révolution (et la notre est exemplaire) implique obligatoirement une Contre-révolution, des progrès et des régressions, terribles par les deux aspects liés, une forte dose de violence gratuite (qualificatif inapproprié : elle est indispensable et juste pour ceux qui en usent et injuste à ceux qui la subissent). La révolution, chez Martin, ne commence pas à une date symbolique, ni ne finit quand les acteurs le déclarent.  Cette « transgression » des contenus et de la  chronologie classique nous interpelle particulièrement au moment où le besoin de renouvellement se fait sentir, et où des espaces neufs de réflexion se créent. Heureusement le goût de l’histoire (agitée ou non, de périodes troublées ou non) se manifeste parmi les jeunes historiens[1]. Il n’y a qu’à voir  l’âge des collaborateurs de Martin  dans le Dictionnaire de la Contre –Révolution : la majorité a  moins de 45 ans Pour redonner l’envie de lire les grands auteurs étrangers aux jeunes Français, lisons Martin, revisitons la Grande Révolution

     

    D’abord pourquoi 1789 ?

     

    Une énième histoire de la Révolution, on nous dira, quelle importance aujourd’hui ? Capitale ! Parce que la situation est aussi instable, économiquement ou financièrement que dans les années 1780, le doute, un scepticisme  certain, gagnent les institutions provoquant la perte de légitimité des élus ; ni Ecole, ni Eglises, ni Etat, ni chefs ne surnagent. La crise est morale autant que politique ; de là cette inquiétude diffuse. Même l’espoir mis en l’Europe en est affecté, on parle comme en 89, de « banqueroute » : (banque et route) !

    On peut revenir alors à nos années classiques 1780, non parce que l’Histoire se reproduit mais parce qu’on cherchera des comparaisons et là, on trouvera des prolongements étonnants. Il  est des questions éternelles que la Révolution de 89 a tenté de résoudre : la souveraineté du peuple, la place des travailleurs pauvres,  la forme d’une scolarisation gratuite , la démocratie représentative, la fonction des « minorités » (femmes, ex-colonisés, immigrés ou émergents,). De même l’interrogation : la violence est-elle inéluctable en politique ou est-ce un accident de l’histoire est toujours d’actualité ainsi que le printemps arabe nous l’a opportunément rappelé. 

    Justement, Martin traite avec grande liberté et sang froid ces questionnements. De ce fait, il participe au renouveau qu’il y a 20 ans Jacques Le Goff appelait de ses voeux. Il aspirait à un grand nettoyage de la problématique. Son appel contenait l’intuition d’une nouvelle manière d’histoire anthropologique qui se réalise enfin (ou du moins ses prémisses). « Dans cet essai, qui a vingt ans, je disais que Marc Bloch et Lucien Febvre avaient eu raison de vouloir la mort de la vieille histoire événementielle, politicienne, militaire et diplomatique, mais qu’il fallait restaurer en France une nouvelle histoire politique, qui soit une histoire du politique et non de la politique, une histoire du pouvoir, attentive aux structures, à la longue durée, au symbolique et, j’ajouterai, à l’imaginaire. Et je proposais d’appeler cette histoire politique renouvelée, approfondie, « anthropologie politique historique » .... L’expression n’a connu qu’une faveur limitée, mais le type d’histoire politique que je désignais ainsi à commencé à naître et se développe, même si le cadavre de la vieille histoire politique bouge et cherche à ressusciter »[2].

     

    Reportons-nous alors à la rubrique : « Accueil» : Jean-Clément Martin


     

    [1] Pour un  renouvellement de générations, voir les deux livres de  Raphaëlle Branche au sujet de la guerre d’Algérie et de son indépendance

    [2] Jacques Le Goff : Un autre Moyen Âge, Gallimard, 1999, p.445


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique