• 12/03/2021

     

    Un livre somptueux : richesse et originalité.

    BROCHIER, Christophe. Qu’est-ce qu’une république : sociologie historique du gouvernement républicain en Europe (500 av. J.-C. – 1940). Essai (Sciences politiques). Paris : St-Honoré éditions, 2021.

     

    Je veux parler d’un livre éblouissant dont j’ai fièrement accompagné l’auteur durant sa thèse sur le Brésil. Ce livre restera inégalable pour longtemps parce qu’il fait partie des ouvrages qui sont d’immenses synthèses, relevant d’érudition entretenue par la lecture d’une centaine de références, et s’attaquant à des sujets cruciaux et capitaux, notamment : pourquoi le monde européen a imposé dans l'univers le sentiment que la république était le meilleur système politique possible, et qu'elle devait être adoptée sur la planète entière ? Un objectif presque réussi, la république étant devenue la référence politique ordinaire.

     

     

    Dans ce livre absolument étonnant, il y a l’analyse concrète des circonstances politiques où un régime s’est appelé république sur deux-cents ou trois-cents cas. Cette originalité, et la survie d’un système de pensée antique, caractérisent la vie occidentale sur près de trente siècles. Alors, c’est l’honneur de la sociologie d’avoir eu un de ses « enfants » qui se soit affronté à l’une des plus grandes singularités perceptibles quant à l’imposition du mot de république comme modèle de gouvernement en Europe.

     

    Bien sûr, il nie l’évidence qui consiste à penser que la république n’a pas de rapport autre que la démocratie puisqu’elle suppose le pouvoir du peuple, sur le peuple, pour le peuple. Or, il s’agit d’un mythe, des minorités républicaines et anti-républicaines mélangées s’emparant toujours du pouvoir. La finesse de son travail réside dans le regard qu’il apporte sur une centaine de république. Ceci à propos du partage du pouvoir entre gens fortunés, chanceux au départ et qui appartiennent à l’élite des possédants, à une fraction de propriétaires et de riches, ainsi qu'à un groupe de personne sans héritage au départ mais qui deviennent membres de l’élite après de longues études approfondies.

     

    Une fois éliminés tous les slogans, du genre « liberté, égalité fraternité » (pas beaucoup applicables aux colonies et encore moins en métropole où le droit de vote n'a été octroyé qu'à certaines catégories sociales dont on serait certain qu'elles n’abuseraient pas de la revendication égalitaire).

     

    Si des fractions, un peu moins bourgeoises, possédantes et fortunées, ont pris le pouvoir dans certains pays européens, elles ont immédiatement conçu la création d’une élite fermée, repliée, cherchant à se maintenir au pouvoir par tous les moyens possibles sur le mode occidental. On pense bien entendu aux républiques populaires, aux démocraties populaires et à tous les régimes qui, au nom du communisme, ont isolé une partie de la population respectueuse, différente, obéissante, au profit de gens qui avaient fait ou profité d’événements historiques pour faire, disaient-ils, une révolution politique.

     

    Après la lecture de trois-cents pages très denses, on est amené à se questionner à propos du rôle que joue la sociologie étudiant le monde politique, les élites politiques et les grandes fortunes. C. Brochier nous le suggère, indiquant qu’elle ne sert à rien, si ce n’est presque rien, sinon à faire le job du sociologue qui applaudit et cautionne. En d’autres termes, il faudrait multiplier les études de cas, les monographies, les séquences historiques sans leçon, les descriptions gratuites sans morale ni conseil à donner. Là réside la vraie socio, celle qui consiste à décrire pour rien, regarder pour savoir, au mieux pour rire ou pour sourire de la divergence entre les actes et les mots. La vie en société est un théâtre permanent et le sociologue est au raz de la scène, dans le trou du souffleur en regardant, admiratif, de tels mirages se développer et de telles situations se diffuser.

     

    A la fin, C. Brochier rappelle que faire une centaine d'études de cas, de façon gratuite, sans théorie politique à soutenir, sans idéologie, sans souci de voter, sans militer : c'est là le rôle de la sociologie qui réside dans l'acte gratuit de l’homo sapiens : savoir pour savoir. Il fait référence à Howard Becker qui nous confirme que les descriptions des études de cas forment le seul objet raisonnable dont on comprendra le sens peut-être dans trois ou quatre siècles, comme on ne comprend rien aujourd'hui aux anciens collectionneurs de timbres ou de papillons qui ne faisaient que ça pour le plaisir de comparer : mettre cinq cents papillons épinglés les uns à côté des autres, et puis on ne sait pas, peut être que dans deux cents ou trois cents ans, il y aura un Darwin de la vie sociale et politique qui nous dira : « j'ai comparé les cinq cents cas dont j'ai trouvé les traces, les survivances, et c'est à vous maintenant de regarder si ça a un sens, une direction, une utilité ».

     

    A la fin de la lecture de ces trois cents cinquante pages de C. Brochier, on se dit que le jeu en vaut la chandelle et que le propre de l'Homme c'est de ne jamais demander « pourquoi » mais « comment », ou « dans quelles circonstances une série d'actions se produit » etc. Dans le cas étudié ici, le fait de savoir qu'une catégorie de possédants, de gens très fortunés, de milliardaires, se disent et se montrent comme les défenseurs de la république, les amis de la démocratie, et que dans chaque cas ces successions d'alliances, les combinaisons de forces entre fractions, forcément « démocratiques » font la politique, l'idéologie et le sens de l'existence de nos sociétés contemporaines. Tout ceci n'est pas rien.

     

     

    Donc c'est la simple curiosité du collectionneur de se dire : les républiques ont une idée forte, la falsification, la manipulation, l'exploitation, une manière organisée mais une bonne conscience et une morale intransigeante. En gros, la sociologie politique à la C. Brochier permet de sourire ou de rire de nos pauvres dirigeants, gouvernants, possédants qui s'agitent pour nous exploiter, pour détourner notre attention et pour obscurcir notre réflexion.

     

     

    Inutile de dire que ce livre a suscité la colère des historiens, la haine des éditeurs et comme tout écrit de lucidité : a été chassé de la Cité, en tout cas refoulé de notre conscience.

     

     

    Ce livre décapant montre l'idéologie latente républicaine sur tout le monde intellectuel français, et notamment sciences po', droit, lettres, sociologie et histoire. Bien que l’auteur ne le dise pas, on y devine la sociologie ironique de l’histoire de ce modèle républicain, et la revanche de tous les livres mis au ban de la société, condamnés sur le banc des accusés pour ne pas voir été naïvement républicain (beaucoup d'auteurs ont dû renoncer à leur manuscrit). Il y a un « effet France » à cette idéologie, la force de l'imposition de dictatures morales paraissant propre à ce pays, alors que d’autres visions, claires et objectives, se manifestent dans le reste de l’Europe. Je pense bien évidemment à John Dunn, Jack Goody, Kenneth Pomeranz, des auteurs résumés et discutés sur ce blog.

     

     

    Avant-dernière conclusion quant à la singularité de C. Brochier, sa capacité de mettre en pratique sa critique du système républicain, manifestant l’existence d’îlots d'intelligence et de lucidité en France. Mais le connaissant, lui ou ses camarades, je sais qu'ils se sont mis à l'écart des honneurs, des carrières et des ambitions, pour réaliser ce saut de géant, cette prise de recul que je n'ai vu obtenu dans ma génération que 4 ou 5 fois dans les sciences sociales américaines. Mais dans d'autres continents, comme le Brésil, le Canada, peut-être l'Orient, il y a de grands historiens-anthropologues-sociologues qui, comme une race en danger, maintiennent tout de même l'esprit de recherche et un sens de la besogne réunis pour élaborer des œuvres de l'esprit.

     

    Une question qui n'intéresse que les sociologues : comment organiser une série de cas dans une présentation claire et aérée? Ici, il y a plus de 200 cas de républiques étudiées. Ainsi, la sociologie montre que ces études de cas constituent la base du travail, les idées justes naissant de leur comparaison et opposition. Mais ces idées justes sont décevantes pour les esprits simplistes des éditeurs, des lecteurs, des professeurs parce qu’elles ne proposent rien à la vente, rien à en retirer comme gloire et comme honneur, le seul profit qu'on en tire étant de se fâcher avec de nombreux entourages. Cependant, la ténacité des études de cas débouche un jour sur une grande théorie de l'évolution, comme celle de l’anthropologue du vivant, Darwin, qui les a réuni une grande et unique perspective.

     

     

    En outre, ce livre illustre que l'idée et l'envie de république n'existent jamais que pour une petite minorité de la population, un groupe concerné par le désir de suprématie, de direction et de prise de pouvoir, un groupe à la grande culture et aux grands moyens matériels. Brochier nous explique qu’à un moment donné, la direction et l'invention d'une république est le fait de deux ou trois fractions de la bourgeoisie, deux ou trois fractions des grandes fortunes qui se sentent à l'étroit dans le cadre de la puissance dont ils ont hérité par fortune, par hasard, par membres de l'élite et par connaissance historique et scolaire.

     

    Par conséquent, la démocratie telle qu'elle est décrite ou racontée, n'existe évidemment pas. C'est le nom donné à l'envie de partage, de participation d'une association hasardeuse de gros et moyens puissants du monde, de gros et moyens possédants, de dirigeants bannis ou exilés, mais de riches et puissants qui veulent revenir dans le métier politique en se saisissant du fait que la démocratie républicaine peut ouvrir plus d'ambitions et d'intérêts que les régimes qui l'ont précédé.

    Enfin, ce livre et cette analyse de 200 ou 300 républiques aussi différentes les unes que les autres, est un pari fou, un défi à la raison, une contradiction avec tout ce que les sciences humaines enseignent, et avec évidemment la critique implicite des régimes en France républicaine précédents, et de l'actuel. N'oublions pas que notre république à nous a été le fait d'un général un peu fou, venant d'un excellent milieu intellectuel et social, qui réalisa deux coups d’Etat pour la purifier, c'est la moindre des choses en 1940 et 1954. Heureusement, cette contradiction n'est relevée par personne, absente des livres scolaires, à l’instar d’un désaveu pour toutes les sciences humaines enseignées et diffusées dans notre monde contemporain.

     

    Conclusions à tirer :

    Au sujet de l'idéologie latente, ou extériorisée, républicaine sur les sciences politiques, les sciences humaines, l'histoire ou le droit, il serait utile de savoir quelle place devrait tenir la sociologie et s'il y a intérêt à une réunion de disciplines entre l'ensemble des études d'histoire et des études de sociologie. L'intérêt en France serait l'apparition de chercheurs qui échapperaient à la dictature morale républicaine et qui seraient des penseurs libres. Nous n'avons aucun Jack Goody, aucun John Dunn, Richard Evans, qui sont des alliances critiques issues de l'histoire et de la sociologie apprises ensemble à l'université.

    Ce livre, il est facile de le comprendre, a suscité le refus des éditeurs, provoquera, s'il est lu, la colère des historiens et des sociologues. L'auteur ne sera pas chassé de la Cité, mais en tout cas refoulé de notre connaissance. J'ai connu cette situation puisque mon livre sur la Mort des républiques a été écarté par tous les éditeurs et je l'ai enterré. Ironie de l'histoire, ce genre de réflexions avait été l'aboutissement d'un long chemin, qui en 1848 a vu une république française s'effondrer, et qui à la suite à décider de ne pas faire carrière, de se mettre en retrait et de se consacrer à la critique des dictatures morales que représente la république. Il s'agit bien évidemment des écrits dits de « 1848 » de Karl Marx. Lui-même était un rat de bibliothèque, un lecteur insatiable, admirateur de la grande culture historique du XIXème siècle, fabriquant de notes innombrables, et son petit appartement, avec sa famille, croulait sous les papiers de lectures, les notes, les pages arrachées, dénotant le besoin d'une grande culture historique avant de porter tout jugement sur l'histoire présente.

     

    Merci à cet éditeur original que sont les Éditions Saint-Honoré.


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  • Vendredi 09 janvier 2021.

     

    Le Covid et le gigantisme des institutions.

     

    Ce qui me frappe dans cette pandémie actuelle, et dans sa réception, c’est le manque d’expérience des grandes crises du passé affrontes aux épidémies qui ont frappé le monde à des dates récentes : mes grands-parents ont connu la grippe espagnole, mes parents la grippe asiatique et nous-mêmes ce virus du même registre que ce que l’histoire nous a fait rencontrer.

    J’ai fréquenté la médecine et les hôpitaux par curiosité et non pas en tant que malade. Depuis l’âge de quatorze ans, je n’ai pas rencontré la médecine, je n’ai pas eu besoin d’elle. C’est sans haine, sans rancune et sans préjugés que j’ai regardé le développement tentaculaire de différentes médecines qui se sont séparées pour travailler chacune de leur côté ; les patients et les médecins qui ne se rencontrent jamais, seulement peut-être lors de grandes occasions comme aujourd’hui.

    En tant qu’ethnologue, j’ai été frappé dans les vingt dernières années, depuis que j’ai écrit La France malade de ses médecins aux éditions La Découverte, par le gigantisme qui a saisi ces activités en parallèle, puis maintenant en concurrence.

    Comme les espèces animales qui ont grandi trop vite et trop tôt pour devenir monstrueuses (exemples : dinosaures, brontosaures), le gigantisme brutal engendre un déséquilibre entre espèces et vivants et milieux de vie. On sait que les dinosaures, et les autres espèces concurrentes de même taille, se sont effondrés en luttant terriblement pour utiliser leur milieu.

    Or, aujourd’hui j’aperçois quatre espèces gigantesques de taille impressionnante, ayant grandi en dix ou vingt ans à une dimension inimaginable. Je pense à la médecine de ville contre la médecine hospitalière. Je pense à la médecine hospitalière publique contre la médecine privée. Je pense à toutes les spécialités, originales et nouvelles, qui viennent se créer dans un marché qui était à dimension humaine, désormais passé à un niveau cent fois supérieur.

    De même, la médecine de campagne libérale s’est affrontée à la médecine de spécialités, de plus en plus exigeante et sophistiquée. Ces guerres internes entre campagnes et villes, villes généralistes et villes de spécialistes, établissements de soins et établissements de prévention, multiplication des espaces et division du travail médical en dix ou douze grandes branches. La petite médecine de campagne générale a disparu. La relation libérale rurale a été débordée par les spécialités, conséquence de la vitesse de déplacement et du quadrillage du pays.

    Là-dessus s’est greffé un autre appareil, plus ou moins d’état puisque ces gigantesques dinosaures médicaux se sont multipliés, une organisation du médicament qui n’a rien à voir avec la petite pharmacie de campagne que j’ai connue. Ainsi, on est rentré dans un monde nouveau que je n’avais jamais soupçonné, et qui en dix ans a bouleversé soignants et soignés, quadrillage et nombre d’effectifs d’agents et d’acteurs, et prélèvement phénoménal sur le produit intérieur brut.

    En ce sens, le Covid dévoile tout ce que l’on ne voulait pas voir, où la demande est déterminée par l’offre, celle-ci ayant plusieurs visages et niveaux, comme une hydre vivante qui s’entretient régulièrement, grandissant et grossissant sans cesse et qui finira par détruire le milieu dans lequel elle vivait, à l’instar des dinosaures en rivalité avec deux ou trois grandes espèces atteintes de gigantisme qui se sont détruites entre elles, ou éventuellement ce sont auto-détruites parce que ces histoires de virus, de variant, d’origines et de nationalités différentes, ont créé des étiquetages fantaisistes des médias et des politiques, ce sont agrandis jusqu’à un seuil d’éclatement.

    Ayant vécu beaucoup de crises internes d’origine politique, je peux dire ce que sera l’issue de cette crise sanitaire, positive maintenant que le roi est nu, que la politique des labos et des médias s’est emparée des sujets, que la fantaisie et les inventions jamais épuisées de présentations qui s’entretiennent les unes des autres, détruisent à la fin l’espèce entière, ou en tout cas, les catégories de l’espèce qui avaient fait une confiance illimitée à ce monde médical qui depuis vingt ou trente ans est devenu une dictature peu visible, et finalement recherchée, sinon adorée.

    Dans l’histoire des institutions qui meurent, je ne vois comme leçon à retenir, des effondrements du genre de celui des économies des pays socialistes, et notamment de leur agriculture, où des espèces de séquences historiques durant lesquelles le patronat a dirigé l’économie entière en prenant une avance stupéfiante sur les autres niveaux de l’économie, annexant la politique et finalement racialisant les relations sociales autour d’un seul parti. Je veux parler de l’Allemagne nazie. Là où le patronat, ayant considérablement alimenté les partis politiques, a fabriqué son propre bourreau qui le conduira finalement à la mort en 1945. D’autres exemples, comme le communisme dans les campagnes où les économies socialistes ont tant concentré, voulu moderniser et créer un appareil de cadres et de commandements, ont finalement réduit le paysan ou le producteur à un simple petit agent manipulable, ce communisme des campagnes s’est effondré lui aussi en quelques mois ou années.

    Alors, l’Occident rencontre ce problème de la fin de trois ou quatre espèces antérieures et l’on verra que sa croissance, trop rapide et trop profonde, ne permet plus à ceux qui l’ont initié de la maîtriser, de la manipuler et de l’utiliser à leurs propres fins.

    C’est tout ce dont je voulais parler à partir de soixante ans de rapport à la médecine, au système hospitalier et à la santé, de la part de quelqu’un qui a regardé ces espèces en voie de disparition, sans haine et sans état d’âme, parce que la chance est son régime de vie alimentaire, ou son système de croyance, l’ont mis à l’abri de tout contact à la médecine en raison à la maladie, de demande de soins et de recherche de paix à l’âme, parce que tout ceux-ci sont des attributs personnels que l’on acquiert par son caractère, par un style de vie, un rapport à la nature, un goût pour la dépense physique et un scepticisme total envers les messages, les ordres d’une société qui, par son armée, son église, son système éducatif, et aujourd’hui par son média et sa presse, ont voulu nous imposer.

    En restant à l’écart de tous ces événements, l’auteur de ces lignes, vivant seul en haute montagne, se permet de porter depuis son ermitage là-haut, un jugement amusé, curieux et sans prétention, sauf celle de faire penser au retirement et à la sagesse d’un Montaigne.

    Puisque le hasard m’a fait sociologue de l’hôpital et de la médecine, je veux suggérer comment échapper aux mâchoires de la médecine qui s’emballent aujourd’hui.

    Ne devenez pas, comme la médecine folle le souhaite, ainsi que les religions rétrogrades, des Vincent Lambert qui avait vécu 20 ans en réanimation, sans la moindre conscience, ni manifestation de vie.

    Echappez à l’hôpital si vous êtes âgé comme moi, échappez à la diffusion systématique de pharmacies et de spécialistes, échappez à l’emprise de la maladie et de la mort que l’on veut vous inoculer par un montage médiatique, une oppression idéologique, un chantage aux bons sentiments qui sont en fait un égoïsme personnel débridé et affolant.

    Anecdotiquement, je dirais comment mes parents ont échappé à la médecine lourde, à la chirurgie intrusive, en fin de vie, à 86 ans pour ma mère et 91 ans pour mon père. Ils ne sont pas partis à l’hôpital. Ils décidèrent de mourir chez eux. Ils le réussirent au bout de quelques jours d’inconscience, nous avons débranché, ma sœur et moi, notre père dans le coma et notre mère restée seule plusieurs années, a refusé la médecine hospitalière et la maison de santé pour finir seule dans sa chambre, d’une crise cardiaque.

    Moi-même, une fois hospitalisé dans ma jeunesse, suite à un accident sévère de match de foot et après une journée de plâtrage, de fractures, de points de suture de plaies, j’ai pris mes cliques et mes claques et j’ai quitté l’hôpital en douce. Souffrir ou mourir libre et indépendant est un honneur que nous revendiquons et un droit que nous défendons becs et ongles.

    C’est avec ce recul, cette absence d’angoisse, que j’ai pu étudier avec beaucoup d’amusement et d’ironie les services d’urgences, les hôpitaux, l’emprise des dépenses de santé sur une société devenue folle d’égoïsme.

    Une seule journée de nos dépenses de santé collective, équivaudrait à assurer le transport, la réception, l’intégration de plusieurs milliers de migrants qui fuient la misère. A travers la santé, nous avons perdu la tête, devenus fous et le virus le plus inquiétant est celui de notre égoïsme.

    Mais je sais que ce combat de nombreux de mes jeunes camarades, le mènent, ont pris la relève et j’espère, entraineront beaucoup de jeunes étudiants, puisqu’il s’agit là d’un groupe de jeunes et de moins jeunes qui viennent me visiter dans mon ermitage, là-haut, comme vient de le décrire David Lepoutre dans son beau livre « Ne demandez pas comment mais pourquoi ? (Odile Jacob éditions).

    C’est pourquoi je veux évoquer les écrits et les actions d’une bande de jeunes (de 40 ans) que j’évoque souvent dans ce blog : Christophe Andreo, Christophe Brochier, Mustafa El-Miri, etc. qui, d’étudiants sont devenus des amis intimes, des collaborateurs, dont les écrits me donnent fierté et espérance que toute intelligence n’a pas disparu.

    A d’autres que je ne connais pas, je dirais avant de partir, faîtes des sciences, aimez les maths et la physique, soyez des scientifiques, et tout le reste viendra : l’intelligence du social, des évènements rocambolesques du virus, une saine critique permanente, viendront naturellement (comme je le raconte dans mon dernier livre Ader l’aérien, un ingénieur toulousain - Saint Honoré Editions – Paris 2020)

    Je veux rapprocher mon insoumission dans la façon d’écrire la sociologie et dans le refus d’accepter la bêtise collective, la terreur de la mort et l’obsession de la maladie perpétuelle. Notre génération, elle a dû lutter contre des virus plus graves : nous avons été des insoumis face à la stupidité de la République qui nous avait envoyé tuer et massacrer en Algérie. Notre vaccination à nous, c’est celle contre l’obéissance à nos chefs, à la critique des institutions, et à la bêtise de la population qui se laissait manipulée. Donc s’ils viennent me vacciner de force, je partirai dans la montagne et vous direz aux gendarmes que je serai sans armes et qu’ils pourront tirer, en référence à la belle chanson de Boris Vian « Le déserteur ».

     


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  • Vendredi 22 janvier 2021.

     

    La bonne blague : l'écran et la tablette qui remplaceraient Jules Ferry.

     

    Jules Ferry a institué une école obligatoire, longue sur la durée de l'année (au moins 4 jours sur 5 avec de courtes vacances) pour que l'instruction devienne le pilier de la formation des générations.

    C'est donc il y a un peu plus d'un siècle et demi que Jules Ferry est consort, et tout un mouvement intellectuel avec lui, et d'organisations politiques, ont pu mettre au point, imposer, diffuser un système d'éducation, d'acquis du savoir, à l'opposé de ce qui a régné intérieurement, d'une manière non concurrentielle, puis à partir du 18e et de la RF, d'une manière plus conflictuelle, à savoir l'instruction formaliste, l'apprentissage par cœur de texte, l'éducation sans fait et sans expérience, la récitation comme système de pensée. J'ai vu ce changement dans les années 40 et 50 où le partage des progrès et des savoirs ne peut se faire en dehors de groupes et de collectifs concrets, immédiats, qui joignent leurs compétences, associent leurs réactions, qui donnent la parole aux élèves, aux apprentis, aux jeunes savants. Dans ma classe, régnait un certain mutualisme puisque l'institutrice faisait l'école a 5 rangées différentes d'élèves, du cours préparatoire au cours de fin d'étude. Elle jonglait avec les programmes et les phrases, les grands élèves aidaient les petits, les échanges avec l'enseignant n'était pas fréquents, mais quand quelqu'un posait une question il intéressait les 5 rangées d'élèves d'âges différents. Les réactions collectives étaient une forme d'enseignement mutuel où l'apprenti jeune côtoie, travaille à côté de l'apprenti plus âgé. Les discussions pouvaient se poursuivre à la récréation ou sur le chemin du retour.

    C'était une grande découverte de l'enseignement qui a duré 1 siècle en France. Le climat, le contexte collectif du savoir, l'émulation permanente, les échanges élevés âgés ou très jeunes, font partie de l'auto éducation et c'est l'école, primaire et publique, qui a été à l'origine de cette révolution de l'instruction.

    J'avais vu les derniers restes de ce conflit dans l'Ouest catholique, et j'avais écrit un livre sur la concurrence de ces deux enseignements, à travers la concurrence de leur deux systèmes scolaires, l'un privé et l'autre public. J'avais donc décidé, dans mon enseignement, si un jour il se réalisait, d'être moi aussi un prof' spontané mais riche, aux multiples pédagogies ajustables, adaptées à chaque élève, et souhaitant qu'ils s'auto enseignent les uns les autres dans une perpétuelle compétition pacifique qui s'appelle la simulation, l'invention d'idée à plusieurs, engagée déjà bien avant le virus à rendre étanche les savoirs individuels, à en avoir qu'une vague ébauche de la vie du prof qu'on avait devant nous et de ne rien comprendre à l'histoire de l'enseignement dont nous étions alors le produit et les acteurs.

    Je souhaite bien du plaisir à ceux qui vont apprendre à travers les écrans, les tablettes, la télé : ils n'ont qu'à faire comme les petits enfants endoctrinés de l'enseignement privé que j'ai connu, apprendre par cœur, avoir des réactions programmées, être de véritables agents manipulables de n'importe quelle politique ou victime de n'importe quel virus.


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    Un livre polémique qui a eu ses détracteurs et ses admirateurs; qui a fait l'objet de pressions pour qu'il ne soit pas publié, de la part de grand labo pharmaceutiques qui font l'actualité aujourd'hui et qui ont offert à l'auteur une somme astronomique pour qu'il le retire de l'édition.

    10 ans après les faits et le virus donnent raison à l'auteur sur le poids démesuré que prendra la santé sur la politique et l'économie, qui entravera l'éducation et la scolarisation de millions de jeunes et qui paralysera l'économie.

    Tout les événements qui touchent les anciens empires occidentaux étaient donc prévisible du fait de la liberté que l'on donnait aux médecins et aux patients de puiser dans le fond inépuisable de la sécurité sociale au détriment de l'équilibre budgétaire et des autres besoins du pays. Donc ce virus et ses conséquences était une chose prévisible et annoncée. C'est comme ça que se termine quatre ou cinq siècles de domination et d'impérialisme. Donc relisez "la France malade de ses médecins" aux éditions des empêcheurs de penser en rond et vous serez édifié.

    Contrairement à ce que laissent présager le titre racoleur et la page de couverture, ce livre n'est pas un pamphlet contre la médecine ni un essai polémiste. C'est un ouvrage majeur de sociologie qui déplace l'axe traditionnel du questionnement disciplinaire sur la santé. Dense, inventif, contre intuitif au possible, il est susceptible de fournir une ligne de repères aussi stimulante que féconde pour toutes formes de réflexion sur l'institution médicale. En sciences sociales, on cherchera à valider ou à réfuter ses propos. On mènera des contre-enquêtes, on approfondira un point ici ou là. On se positionnera en affirmant que « Peneff l'avait vu » ou au contraire qu' « il l'avait démontré un peu vite ». Mais on ne pourra plus tout à fait procéder comme avant, car cet ouvrage porte en lui un double renouvellement, à la fois méthodologique et théorique qu'il sera désormais impossible d'ignorer.

     

    2De prime abord, on croirait pouvoir ranger ce travail du côté des théories d'Illich en compagnie de quelques autres critiques radicaux. On aurait bien tort. Le canevas empirique est autrement plus serré et l'objectif incomparablement plus subtil. Mais voilà, les conclusions de J. Peneff mettent mal à l'aise. Personne n'est véritablement prêt à assumer la déconstruction du mythe du médecin : vocation, dévouement, désintérêt, compétence, scientificité, sagesse, éloquence, confidentialité, etc. Chercheur ou non, nous partageons l'idéologie positiviste. Chercheur ou non, il nous faut bien autoriser l'accès du soignant à notre corps pour être soigné et corrélativement lui accorder notre confiance ou souffrir. Qu'à cela ne tienne, J. Peneff n'entend pas s'attaquer aux praticiens, ni même à la médecine. Il met à nu, patiemment, méticuleusement, les rouages de l'institution qui s'intercale entre les hommes et leur « art ». Ce simple démontage, pourtant, suffit à activer nos résistances et le prix du travail à effectuer pour le suivre dans son raisonnement manifeste l'emprise de la croyance et le pouvoir d'imposition de la médecine en matière de représentations.

     

    3Il est modérément pertinent de détailler ici l'inventaire des thématiques abordées par l'auteur tant nos propres préjugés nous interdisent face à de tels énoncés d'accorder foi à l'objectivité de l'auteur : l'auto administration de la profession médicale, la stimulation de la demande médicale par l'offre, les profits induits par le secret médical, la politisation de la profession et la défense des revenus, la gestion de l'euthanasie à l'hôpital, la production des applications de la science, etc. Le grand mérite de J. Peneff réside dans sa capacité à trouver une cohérence à l'ensemble de ces interrogations et, conséquemment, à nous en fournir une intelligibilité.

     

    4Dans son introduction, l'auteur nous laisse croire qu'il ne s'agit pas véritablement d'un livre de sociologie, qu'il se sent surtout animé par des intentions militantes. Il doute également que sa discipline soit apte à répondre aux sollicitations des médecins pour améliorer leurs pratiques. Dès lors, on s'attend à un ouvrage sans réelle méthodologie. Or, c'est tout le contraire qu'on constate. J. Peneff commence par un examen critique des notions de « maladies » et de « santé » au cours duquel il met à jour la polysémie de la notion. Il poursuit par une réflexion sur les conditions d'enregistrement des données par les institutions chargées des statistiques médicales (INSEE, INSERM). Il insiste sur le flou des taxinomies courantes, les biais possibles dans les mesures des inégalités de santé et propose en sociologue, le remplacement de l'évaluation de la « santé » par l'évaluation de « l'activité médicale ».

     

    5Dans le chapitre suivant, l'investigation s'organise sur la base d'un corpus de 12 livres dont l'enquêteur rappelle les propriétés sociales des auteurs (essentiellement des hauts fonctionnaires qui ont assumé à un moment donné des responsabilités dans la gestion de l'assurance maladie) avant de recouper les principaux enseignements thématisés au moyen d'une mise en tableau. Cette opération permet à la fois de cumuler et d'évaluer le jeu entre les constats, intuitions et points de vue issus des différentes sources. De là, la gamme des terrains à fouiller, des hypothèses possibles et des questions à trancher. L'ensemble des critiques semble dessiner une dégradation généralisée du système sanitaire mais J. Peneff affirme sa ligne directrice : « Inutile de chercher le complot d'adversaires dissimulés ou le travail de sape de forces opposées qui serait à l'origine de cet état de fait. Il faut plutôt accuser un ensemble de processus lancés à une autre époque et qui ne correspondent plus à l'organisation sociale contemporaine ».

     

    6Pour étayer l'idée qu'en matière de médecine comme ailleurs, la demande est créée par l'offre, le chercheur s'appuie sur les travaux des économistes de la médecine. Il documente le propos, l'historicise. Pour dépasser la clôture du « colloque singulier », il dépouille les écrits biographiques des médecins généralistes et se centre sur le récit des pratiques. Pour saisir les règles non écrites de l'exercice médical quotidien, il convoque avec érudition les sociologues américains (Freidson, Becker, Hughes, Strauss, Ansprach, Timmermans) et l'école française de Baszanger à Herzlich sans oublier Pinell, Memmi et tous ceux qui ont travaillé sur la profession. Le recours aux historiens - O. Faure, Peter, Hatzfeld, Vergez - est récurrent. J. Peneff ne se prive d'aucun outil et surtout pas des siens : ceux de l'observation de terrain, utilisés avec une maîtrise aboutie. Tour à tour brancardier, faux malade, visiteur médical, il pénètre en ethnographe dans les lieux les plus fermés. Il entraîne avec lui ses étudiants : l'un s'infiltre comme cobaye pour des tests médicamenteux, l'autre s'immisce à la CNAM pour vérifier les feuilles de sécurité sociale et le troisième, C. Andréo, s'installe en réanimation. L'option retenue par J. Peneff, en adepte de l'école de Chicago, est de récolter des informations plutôt que de collecter des discours. Son attitude se caractérise par une méfiance absolue que certains dénonceront comme de la suspicion paranoïaque mais où l'on peut surtout lire une curiosité d'enquêteur pointilleux et l'esprit critique du scientifique obstiné. Par-dessus tout, elle exprime le rejet total et sans compromis des commandes institutionnelles et des sujétions qui les accompagnent.

     

    7L'Economie, l'Histoire, les Observations de terrain composent le triptyque de la méthode sociologique déployée dans ce livre, discipline à laquelle l'auteur croit pouvoir échapper alors même qu'il se plie à ses normes les plus rigoureuses. Car les expériences évoquées dans ces pages sont reproductibles - à chacun de se munir d'un petit carnet. Les arguments sont réfutables et s'appuient, comme il se doit, sur les apports cumulés de la connaissance savante. Mais il est vrai que l'auteur est agacé par les recettes et les procédés de ses condisciples. Il fustige l'évitement systématique des enjeux économiques par les sociologues centrés sur la relation malade/médecin. Il leur reproche aussi de se singulariser en ne tenant quasiment jamais compte des origines sociales des praticiens et des patients dès lors qu'il s'agit de confrontation thérapeutique. Et surtout de faire preuve d'une attitude excessivement timide face aux rhétoriques professionnelles validées sans le moindre effort de distanciation.

     

    8En retour, on pourrait critiquer chez J. Peneff, à certains moments de son ouvrage, l'effet involontaire d'accusation produit à l'encontre des médecins. Car si le corps professionnel dispose d'instruments efficaces pour défendre ses avantages, ses positions et occulter les buts qu'il poursuit, si le cynisme et la mauvaise foi existent bel et bien, les dispositions éthico-pratiques des médecins ne constituent pas une invention consciente et délibérée. Ceux-ci ont sans doute, réellement, intériorisé un système de valeurs et de principes qu'ils jugent légitimes, quand bien même celui-ci serait parfaitement conforme avec leurs propres intérêts. Ne conviendrait-il pas dès lors d'éviter de placer trop de calculs rationnels dans la tête de ces agents et d'accorder sa part heuristique à une théorie de l'incorporation ?

     

    9Un point particulièrement intéressant du livre tient dans la révélation de la difficulté, voire de l'impossibilité structurelle, qu'il y aurait à se procurer certains chiffres, ceux de la consommation médicale en fonction des variables sociologiques liées à l'appartenance de classe. L'auteur fournit un faisceau d'indices convergents prouvant presque que cette élision masquerait la nature actuelle de l'assurance maladie : une entreprise de redistribution à l'envers qui « ferait payer l'addition aux travailleurs pauvres » au profit des consommations médicales déraisonnables des classes moyennes et des classes supérieures. Le tout produit par la dynamique de la profession médicale, aveugle aux effets de son propre mouvement de maintien d'une autonomie et d'un monopole. Il aura donc fallu un concours de circonstances hasardeux dans la biographie de J. Peneff, sociologue engagé auprès des classes populaires laborieuses, fils de vétérinaires, en affinité avec les interactionnistes de Chicago et rompu aux méthodes d'observations participantes pour l'amener au seuil de sa retraite de chercheur à réussir cette critique improbable de l'organisation médicale. Un résultat inespéré obtenu précisément parce que l'investigation ne le visait pas. Enfin, pour déjuger l'auteur, il faudrait produire les fameuses données manquantes. Gageons que ça n'arrivera pas, que les intérêts contrariés par l'entreprise du sociologue concourront à son effacement, notamment en faisant passer ce volume pour un livre de plus, caricatural et sans originalité. C'est justement ce pourquoi il faut absolument le lire.

     

     

     


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    Petite note de lecture

    David Lepoutre : « Ne demandez pas comment ; demandez pourquoi ? » Ed Odile Jacob 2020) 

      Classique résumé fidèle  en tirant Lepoutre vers le non-traditionalisme  du genre,  incluant une finesse d’interprétation des œuvres. Ça mérite une note peu  ordinaire,  du fait  de l’originalité de ses choix  de lectures ( socio-ethnologues,  journalistes, historiens   et surtout  naturalistes) ,  et de l’anticonformisme dans ses choix des auteurs, et  de leurs thèmes  à des fins de lecture ou d’enseignement. Il faut lire sa présentation (6 pages) pour comprendre l’atypie et l’attention de son projet quant à  une recherche  qui apporterait vraiment quelque chose  de neuf, de  lisible, de judicieux en sciences sociales.  C’est donc à titre tout à fait personnel qu’il révèle ses choix et ses goûts  pour naviguer dans l’espace  débordant de la production livresque  où beaucoup de  commentateurs précédents se sont noyés

     

     

    : Lepoutre, à la suite de St.Jay  Gould

    En sciences sociales  ou sociologie, on état habitué  à rejer ou  à singer  les sciences math et physiques.ici,. Avec ce livre,  il faut renoncer à la démonstration à base hypothético-déductive au profit de l’intuition et de l’induction .Meilleur livre    pour saisir de nouvelles idées ;  c

    Ce que propose ce sociologue pratique, Lepoutre est exemplaire ; il n’est  pas un nouveau  « théoricien » d’emblée, mais  un inventeur d’ancêtres , un chercheur de traces. Ayant clarifié son projet, dans une excellente  préface, il est alors  parfaitement systématique  et  ingénieux. Le résultat n’est ni  un énième manuel, ni  un traité  ou  histoire de la discipline, ni une enquête de terrain précis .Alors ce livre risque de ne pas être perçu comme  celui d’un professionnel. Or, c’est un instrument de réflexion  utile pour les jeunes génération qui voudront comprendre une espèce disparue ;  le sociologue d’Etat  critiquant sans cesse l’ Etat   ou la société qui le nourrissent !   se démarquant sans cesse des disciplines voisines ( Histoire, Philosophie politique).Mais c’est une réflexion pour le futur . La socio telle qu’on l’a connue sur 2 générations chanceuses   : ceux qui ont enseigné et écrit de 1950 à1980 et la suivante qui se tarit vers 2020,  puisqu’il n’y a plus de publics, plus de subventions, plus d’éditeurs. Mais certains  reconnaîtront là une chance de comprendre ce qui s’est passé 

    Lepoutre  aperçoit des formes extrêmement originales de connaissances; à partir de son expérience de chercheur et de  lecteur éclectique, il découvre des manières de faire de l’observation ethnographique, différentes de celles consacrées  par la tradition,  et on en trouve maints exemples dans l’histoire,  si on ne  l’assimile pas simplement à un regard  indiscret sur le monde. Ce projet est  intéressant, voire  vital en temps de crise , mais il a été peu réfléchi jusqu’ici, en sociologie, y compris, par leurs tenants  de  l’observation  ethnographique la plus prudente.  Il pressent que tous les individus en ascension rapide, ou  ceux aux grandes ambitions, ayant des qualités hors du commun d’appréciation de la réalité qui les entoure,  pratiquent une sorte de regard original  intense à exploiter . Que ce soit sur leur milieu d’origine ou d’arrivée, leur trajectoire biographique d’ascension, qu’ils en usent continuellement  ou non, une fois le plis pris, les lecteurs  deviendront, à leur insu, alors, des ethnographes spontanés au regard perçant

      Ainsi ceux qui subissent un choc dans leur vie qu’ils ne comprennent pas, qui connaissent un changement brutal, ont besoin de s’adapter vite pour  réussir dans leurs nouvelles conditions , que ce soit  afin de  survivre ou non. Ils pratiquent inopinément un regard particulier sur la vie nouvelle, sur les expériences inédites qu’ils traversent ; ceci les rapproche du sociologue-ethnographe professionnel. Ils font donc une forme d’exploration externe sociologique.   Les « auteurs » de Lepoutre  ont connu des inédites conditions de vie qui induisent une participation intense dans un projet.   Lepoutre rejoint là,  ceux qui pensent que la socio par observation s’apprend jeune -  dès l’école primaire je pense, pour ma part  - ils seront donc les socio-ethnographes  de demain . Si le destin les met dans un  lieu où la vie de groupe , les changements d’intérêts  brutaux, notamment  dans les loisirs ou  à travers  des projets fous,  exerceront une concurrence exacerbée ;   ils seront plus motivés  que d’autres   pour réaliser  un changement  de cadre de pensée. L’observation participante traditionnelle était fondée sur   cette idée :   ceux qui ont une grande ambition,  regardent le monde plus intensément,  inventant sans le savoir de nouveaux cadres de raisonnement en sociologie ou ethnographie .Toute « l’Ecole de Chicago » a été bâtie sur cet implicite. Lepoutre réunit  donc , dans son livre audacieux des cas  d’innovateurs -hors sociologie-  d’explorateurs, d’inventeurs  de tous formats, en arts, lettres, alpinisme, sciences « dures »  etc..  qui ont publié les moments de leur parcours ;   il examine ces cas, un par un, en profondeur,  sans les relier  nécessairement à la sociologie mais en pensant sans cesse à elle  ;  par curiosité,  par   association insolite . Et ça marche ! nous sommes conquis !!  Bien sûr il avait averti  qu’il suivait là, entre autre, une idée de Howard Becker

    Ainsi, de fait, il redore le blason de l’intuition et,  par conséquent de l’induction en sociologie. Contre les « academics » qui veulent s’inspirer des « sciences nobles », logiques en apparence, mathématico-déductives ou de démonstrations de laboratoires en chimie ou physique ; il  prend  le contrepied  des usages de méthodes enseignées,  au bénéfice de l’inspiration,  de l’attention qui   contrecarrent ce que nous croyons habituellement . Les inventions les plus pratiques ,les livres les plus aboutis , les plus convaincants en sociologie ou ailleurs  relèvent d’ innovations de ce genre. Ils  s’appuient ,non sur un étalage statistico -théorique,  ni sur une imitation d’une  méthode dite exemplaire, engendrée d’un glorieux ancêtre ou dans une discipline quelconque.   Pour lui, les exemples de « découverte » ne sociologie, viennent d’auteurs singuliers et ingénieux, et  reposent d’abord  des inspirations  que  ressentent ces auteurs  au sujet de leurs  innovations,  quant aux moyens d’explorer le monde  que ce soit des exploits sportifs  comme vaincre un sommet, innover en musique , renverser les hiérarchies de la tradition consacrée. Cet auteur-là négligera l’importance universitaire ou »scientifique »  du jugement   au sujet de ses originalités . Et finalement, elles auront une chance de survivre et d’être jugées géniales par les lecteurs ou par d’autres   intellectuels, parfois longtemps après coup ! Il faut lire attentivement ce livre étonnant d’audace dans le non conformisme explicatif, dans la recherche d’une sortie de la lourdeur bureaucratique des jugements en disciplines jeunes et balbutiantes, paralysées par leur passé et par leurs  « Maîtres »

     

    L’innovateur Lepoutre, sur un mode innocent,  n’est  pas simplement un passeur de  frontières, il est indirectement  un « haut parleur » en faveur d’une sociologie  pratique quotidienne, qui  eut ses heures de gloire dans des « traditions » à l’étranger. En examinant une trentaine de cas,  il semble passer  du coq à l’âne .Or, il suit  un sentier  bien tracé par les paléontologues ou géologues,  souvent à l’exemple de Stephen Jay Gould, le grand biologiste de Harvard, célèbre pour ses livres  sur les sciences naturelles , aux virages imprévus,  à-côtés suggestifs,   écarts éclairants (relisons Le sourire du flamand rose ») acceptant la modestie de leurs résultats  ainsi qu’ une grande économie de moyens   (voir son dernier livre  sous-titré : « Avant-dernières réflexions sur l’histoire naturelle », (Seuil, 2002). Une autre piste serait la « Petite Ecole de Chicago » avec ses observations participantes que nous avons réalisées, ici ou là -bas, à la suite d ‘ auteurs célèbres , tel H S.Becker  et bien d’autres oubliés.

    Avec  éclectisme des thèmes abordés,  Lepoutre narre des épisodes de  travail (des cadres aux ouvriers)  des épisodes de la  vie de marginaux ou SDF et  vagabonds,  ou bien les consommations illégales  , les drogues, les marges de la sexualité etc. Ce sont des sujets éternels, accessibles  souvent seulement à ceux qui lisent l’anglais.  Un autre définition de la sociologie est née là quant aux rapports sociaux  ou les conditions réelles de travail, connus seulement par des socio-ethnologues vivant sur leur terrain, avec leurs « sujets »

    Lepoutre, analyste comparatif et commentateur  avisé,  au style agréable,  se lance dans un  défi original , sans le dire, sans gesticulations. Il suggère  un débat critique sur le poids aveuglant des méthodes classiques réputées éprouvées,  dites rationnelles. Ainsi il ouvre la réflexion sur les conditions pour une autre sociologie, originale, d’étude de sujets peu conventionnels .  Ce sera là, une pépite pour les jeunes chercheurs qui trouveront un mode non conformiste de lectures, par exemple sur la « médecine »   d’urgence, où deux idées s’imposèrent à moi, après un séjour de participation au travail, d’un an.  L’offre fait la demande de maladies dites graves, y compris le mal-être, et donc fabrique des clients  relativement formatés, de plus en plus nombreux ( on le voit tous les jours avec ce virus). Mais parfois la machine s’enraye   en raison d’un événement imprévu : le gigantisme et la croissance des « besoins » médicaux  qui  en font un machine incontrôlable, à la concurrence interne exacerbée,  finalement sans examen du coût  pour le pays

     En bref, Lepoutre  anticipe la fin de la socio  conventionnelle comme institution ou comme rubrique scientifique,   ainsi que  tous les modes ou courants qu’il a fréquentés en 40 ans  de profession ;  où il a « vu » beaucoup  de spécimens sociologistes,   « pros »  et  amateurs du « métier »,voire quelques  faussaires !!Ce constat est celui d’un passeur de frontières  entre ethno, socio, histoire, géographie,  zoologie, sciences naturelles  comme paléontologie etc..   Ainsi Lepoutre se fait  l’annonceur d’un nouveau   genre   en vue  de changements. Il faut que notre discipline perde l’habitude des publics minuscules, trouvant là, sa raison d’être inutile ou  confidentielle. Quand la socio ne se vend plus, n’attire plus de public étudiant , on doit s’adapter , créer un carrefour original, lancer une nouvelle idée ou chercher un genre de public . L’observation participante de naguère a vécu ; indirectement Lepoutre ouvre la voie à des observations différentes, nombreuses, sans axe et simultanées ; une exploration participante   plutôt  du  style de Becker qui « regarde » à la fois les musiciens, leur consommation d’opiacés et  le genre de public dans les « boites »  de    striptease…Et qui n’a pas un « terrain » spécifique puisque « tout » est terrain. Cette exploration doit être en permanence ouverte, en éveil, car tout  et toute la vie sont une observation participante plus ou moins intense 

    Lepoutre anticipe  notre crise  interne, et  probablement la fin de la socio ethnographique traditionnelle de l’après guerre, à coups de théories exaltées, de cours sur des micro-méthodologies et à base ,à la fin,  de philosophies « populistes » . Ce genre a vécu ; ce fut un apparat que le nouveau capitalisme centralisé d’après 1945,  a entretenu à ses marges , comme un femme de luxe,  même vieillie, est conservée par ses mentors. A ce titre, notre discipline et ses acteurs les plus en vue, pouvaient se payer une virulente critique permanente des institutions d’enseignements et de recherches  et  pratiquer des combats de chef.  Notre discipline a donc profité de 50 ans de soutiens, éditoriaux ou des pouvoirs publics, pour son enseignement et ses créations écrites sans contrôle. Cela a vécu ! voila ce que suggère le livre de D. L. Cette  successions   de sociologies critiques, rémunérées par L’Etat,  à son détriment d’ailleur puisque critiqué systématiquement, vit sa fin ; c’est la fin de   quoi ? C’est la fin d’un capitalisme d’accumulation rapide, de très gros « riches »,  se payant des  critiques entretenus, comme des fonctionnaires  Mais c’est un luxe qui  touché le fond , qui a culminé en 2010 ( dont je fus avec des centaines d’autres, le bénéficiaire ) .  Cette liberté, auto-destructrice , s’éteint avec le capitalisme « d’Etat » modéré. Ce capitalisme en crise laisse tomber sa  « danseuse » .Il n’y aura plus de croissance d’étudiants, ni de postes, ni de débouchés et  à  la fin , la socio  restera une  activité personnelle non  rémunérée , une envie de savoir qui empruntera aux sciences de la nature, la modestie, la lenteur, les comparaisons et raisonnements intellectuels de tous bords comme le fait ici David L.  Avant 1945, elle n’avait pratiquement pas d’étudiants, de cursus, de postes ad hoc, et maintenant elle s’éteint avec le capitalisme de    l’opulence   Occidental. Il  restera bien sûr des esprits libres , philosophes  spontanés, penseurs atypiques ou originaux de tous bords.   L’ethnographie  de type colonial survivra  peut-être, mais  la socio  disparaitra…certes pour renaître un jour.

     Fin de david


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