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  • RETOUR CHEZ L’ERMITE  

     

     

    Je décidai de le revoir, ayant révisé mes classiques et notamment le Dialogue « Rousseau juge de Jean-Jacques », justification rhétorique par dédoublement. J’avais résolu  l’énigme  émise à ma première rencontre. Son pastiche était tiré  de la 5ième Promenade des « Rêveries du promeneur solitaire ». Que voulait dire Rousseau  par cette démarche paresseuse ? : « Quand le lac agité ne me permettait pas la navigation, je passais l’après midi à parcourir l’île en herborisant à droite et à gauche,m’asseyant tantôt dans les endroits les plus riants et les plus solitaires pour y rêver à mon aise,tantôt sur les terrasses et les tertres pour parcourir des yeux le superbe et ravissant coup d’œil du lac » ? Je ne comprenais pas  ses références littéraires constantes. Etait-ce pour souligner la valeur de la culture scolaire en politique ? Et pourquoi ces plagiats, ces citations déformées ? Un pied de nez au symbolisme trop érudit ou un salut, en passant, aux grands ancêtres, qui pensèrent en marchant. Il est exact qu’il y a eu de nombreuses manières de marcher : en politique (les protestations, les défilés), les marches philosophiques (les dialogues des Péripatéticiens, de Kierkegaard, Flaubert), ou religieuses (les pèlerinages, St Jacques de Compostelle) sportives enfin, les courses de marcheurs (les déhanchés). Moi-même j’appartenais à la génération des coureurs (trails, marathons, joggings) qui avaient été le témoin de l’explosion de ce mode de locomotion. La cadence imprimée aux muscles, le rythme de la respiration participent-ils de la réflexion par une sorte d’oxygénation de l’esprit ?  Pourtant la découverte d’un itinéraire en terrain rude ou engagé, la recherche du passage dans une ascension ne favorisent guère le raisonnement dilatoire ; elles déconcertent l’attention, s’attachent à des sensations périphériques : la maîtrise physique de l’environnement, le contrôle nerveux de soi. D’où mes doutes qui me poussèrent à l’aller revoir 

     

    Le sens de la marche

     

    Je le trouvais de bonne humeur se chauffant au soleil sur le pas de sa porte. Je le provoquais aussitôt sur la distinction mystérieuse penser et marcher.

    - Pourquoi Rousseau ? Il fut un grand marcheur-penseur, me dit-il, Il pensait en marchant ; peu souvent l’inverse. Au moment où il fait l’apologie de l’engourdissement par le calme des sens, il nous avertit que penser à rien, c’est penser encore à quelque chose. Tout au moins, c'est  ce qu’il va écrire au sujet   de l’eau, du flux et reflux, du doux bruit du canotage et donc le flottement de la raison. Une fois, il était si absorbé à démêler les fils de sa pensée qu’il fut renversé par le carrosse d’un noble ! Il fut parmi les philosophes le seul à courir ce danger.  C’était un « intellectuel-ouvrier »  qui a beaucoup erré à pied entre Chambéry, Lyon et Turin. Pour lui : point de chaise (à porteurs) d’équipage, de monture. N’oubliez pas que c’est au cours d’une marche, de Pais à Vincennes ( où il allait visiter son ami Diderot enfermé au château) qu’il eut la révélation de ce qui serait son « système politique » (la réponse à l’académie de Dijon qui donna « Le discours sur les Sciences et les Arts »). Illumination associée à une insolation, ce jour torride de l’été 1849, comme il le raconte avec lyrisme. Si vous voulez suivre le sens de sa marche, devenez d’abord sensible à cette musique  de la  Promenade: « Quand le soir approchait, je descendais des cimes de l’île et j’allais volontiers m’asseoir au bord du lac sur la grève..Là le bruit des vagues et l’agitation de l’eau fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre agitation la plongeaient dans une rêverie délicieuse où la nuit me surprenait...Le flux et le reflux de cette eau, son bruit continu mais renflé par intervalles frappant sans relâche mon oreille et mes yeux suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence sans prendre la peine de penser. De temps à autre naissait quelque faible et courte réflexion sur l’instabilité des choses de ce monde ».  Ecoutez la mélodie, que ce soit dans Les Promenades, ou Les Confessions. Ça coule comme une source. Excusez-moi je n’ai pu résister à l’envie de vous faire goûter cette eau-là

     

    - D’accord, d’accord; mais il n’est pas unique. Pourquoi lui ?

     

    - Parce qu’il est notre témoin quasi-contemporain, un plébéien qui alluma une Révolte. Il n’y a pas d’idées neuves en politique sans la recherche d’un mode d’expression nouveau. Vous vivez une époque passionnante, annonciatrice de changements inattendus mais si vous ne trouvez pas la formule pertinente, vos idées ne passeront pas. Aujourd’hui vous pouvez lire une multitude d’auteurs et de polémistes mais aucun n’a inventé un style. Découvrez votre style et vous laisserez une trace.

     

    -Vous soutenez que les idées vigoureuses de Rousseau devaient nécessairement être associées à un bouleversement de l’écriture en politique pour avoir un impact ?

     

    - Exactement ! Bien sûr tout le monde a retenu son énoncé tranchant : la première phrase du Contrat social (« L’homme est né libre, et partout il est dans les fers ») .C'est une des formules qui ont été ciselées lors de marches ardentes. En politique, l’art oratoire est essentiel. En 1789, cette éloquence était manifestée par de nombreux apostropheurs publics et des pamphlétaires. Sans écrivains à forte personnalité, pas d’événements remarquables. Je crois, me dit-il, que votre inspiration de Rousseau s’est appauvrie. C’est un homme à paradoxes.  Quand il fait l’éloge de la pensée erratique, il travaille en réalité son écriture et sa phrase ample cadence son pas.

     

    - Certes, mais il n’a pas été le seul philosophe des Lumières à accorder la place de la nature dans notre mouvement intérieur.  Quant à les décrire, c’est vrai, il est un des plus grands. Cependant dans les Rêveries, il y a d’abord l’idée d’isolement, de mise à distance de la superficialité du monde. D’autres néanmoins reprirent largement le flambeau, cent ans après lui. Thoreau par exemple

    - David Thoreau va plus loin; « Marcher c’est Désobéir » (à nos habitudes de facilité, à nos normes, à nos conventions). Prendre sa voiture, consommer de l’espace et du pétrole sont la négation de la liberté. L’autoroute conduit à la ville où on accourt en masse, où on s’agglomère, où on vit en troupeau. Thoreau marche toujours contre quelqu’un ou contre quelque idée fausse. Il marche pour penser librement : « La marche dont je veux parler n’a absolument rien à voir avec le fait de prendre de l’exercice comme on dit, à la façon dont un malade prend ses médicaments...En quittant mon seuil je puis aisément marcher pendant quinze ou vingt Kms ...sans rencontrer la moindre maison, sans croiser d’autre route que celle qu’empruntent le renard et le vison »..... « Il m’arrive parfois d’indiquer la direction à un voyageur. Si vous voulez rejoindre le monde de la politique, suivez la grand-route, suivez ce marchand, gardez dans vos yeux la poussière qu’il soulève, elle vous y conduira directement » [1] . La politique en tant que réunion se pratique en ville. Or, comme le troupeau qui suit sans réfléchir ceux qui sont en tête, la pensée en ville perd de son caractère nomade et donc libertaire, pour s’aligner sur le convenu. C’est pourquoi la marche solitaire est une dissidence : « On ne naît pas marcheur, on le devient ..je ne puis conserver ma tête et mes esprits si je ne passe au minimum 4 heures par jour ..à flâner par les bois, les collines et les champs,entièrement dégagé de toute préoccupation matérielle. Vous pouvez dire sans risque : des pensées à un sou ou bien à mille livres »

     

    - Tout ça est fort bon, Monsieur, mais on ne peut faire marche arrière ; le monde va trop vite. Trop de choses à apprendre, trop de biens à acquérir, trop de savoirs à expérimenter ; la multitude des messages reçus bouleverse le train-train du promeneur lent.  Thoreau est peut-être un anarchiste, un individualiste tenace. Une société peut en tolérer quelques uns, pas plus !

     

    - Venez. Allons marcher en discutant. Thoreau ne construit pas une épreuve initiatique, n’élabore pas un ascétisme naturaliste. Simplement il indique que la solitude et  la fréquentation  de la nature  sont  « incomparables pour l’homme de lettres, le manuel. Plonger dans les lacs, dormir dehors, grimper aux arbres sont ce que nos milliers d’ancêtres ont fait pour nous conduire où nous sommes ». Cette sagesse favorise l’indépendance de jugement. Trouver sa voie, inventer un chemin effacent l’anecdotique de notre existence qui encombre notre vision..

     

    - Et la montagne ?

    Autre chose est la haute montagne.  La pensée s’y épure, aiguise l’oeil critique en se soumettant à l’épreuve du risque mesuré, imposant le tri de l’essentiel. En l’occurrence : le danger, la météo changeante, la trace à faire, le timing à respecter, cela redonne du sens à la réalité. La pensée s’équilibre par le pied. Des scientifiques l’ont compris[2]. On y devient plus agile dans ses déductions, leste dans ses associations d’idées. En montagne, les volumes, les couleurs, les lignes pures, l’ensemble exacerbé, éliminent les scories  superficielles.  Les piliers, les clochetons, les tours, ces termes d’église si évocateurs, sont aussi ceux de l’alpinisme ! Si vous cherchez une solution à une question obsédante, l’escalade sera le contre-pied à votre inquiétude.  S’approcher des hauts sommets, ressentir la présence des massifs préparent aux grandes conquêtes de soi. Regardez Messner quand il part pour l’Everest ou autres 8000, en solitaire, il ne s’encombre pas. Equipement léger, rapidité de l’ascension en solo ; là il est libre et vif (il est vrai que son frère y a laissé la vie). Il peut ensuite lancer des ascensions dans son Tyrol natal sous forme d’expédition politique, transcendant les frontières de trois pays. L’improvisation, l’absence de partenaires, l’abandon des sentiers battus ne sont pas des problèmes mais des solutions.

     

     

    Rousseauisme  ou Onfrayisme ?

      

    - Ainsi vous êtes un lecteur, un partisan de Michel Onfray, un adepte du nouvel hédonisme ?

     

    - Oui, il y a des dispositions authentiques parmi tout ce que brasse Michel Onfray. D’ailleurs je trouve qu’il travaille beaucoup pour un hédoniste : un livre par an ! Mais sa marche en forêt ( normande) est autre chose. Ce n’est pas la révolte, c’est le refus du conformisme. La forêt représente la vie pleine, l’exubérance de la plante, la vitalité de l’arbre, son cycle saisonnier et mortel. Elle est plaisir, fruits et matériaux, cadre de paix . En haute montagne, le rocher et l’homme se répondent dans un dialogue de combat.

     Dans le Manifeste Hédoniste,  il synthétise, entre autre, « le sentiment de la nature, mais également la pleine et entière ouverture au cosmos... Le spectacle de la vastitude de la mer, des montagnes, de l’océan, de l’orage .. déclenche le sentiment de soi comme conscience finie, étroite, limitée, dérisoire »[3]. En paroi, dans la course en haute montagne, « l’expérience du lien qui nous unit avec le cosmos et la nature dont nous sommes un fragment »  est immédiate. Pas besoin de trouver le sens de l’équilibre : il est simplement question de le garder et de l’améliorer. Hélas pour la majorité de nos concitoyens, ne pas marcher est devenu le principe de l’existence elle-même. Nos prédécesseurs, le chasseur, le cueilleur, le nomade, le marchand marchaient beaucoup et mangeaient peu. Maintenant nous mangeons beaucoup pour marcher très peu ! Que va-t-on devenir ? Une société d’obèses et de lourdauds ? Prendre du poids au sens figuré est devenu une valeur symbolique. Pour un livre de marche (« l’Art de marcher »), il paraît cent livres de cuisine ; la gloutonnerie engendre l’atrophie cérébrale. La fonction digestive alourdit la pensée. Vivent les légers et les aériens.  Autrefois on marchait pour survivre. Nos contemporains font l’inverse.  Le choc de civilisations que cela constitue en deux ou trois générations par rapport aux millions de marches forcées du passé nous mène à une Régression monumentale. Pour votre avenir, jeune homme, marchez ! Au moins, vous aurez une chance de rencontrer les autres. Sinon qu’avons-nous ajouté à la vie de nos pères ? D’une société d’aveugles et de sourds, hier, vous passeriez à une société de sédentaires aujourd’hui ! Des peuples proches appellent à l’aide et vous n’entendez pas ! Si vous avez traversé la vie dans les années 1950 à 1980, si vous avez grandi durant ce que nos maîtres ont appelé « les 30 glorieuses » (Glorieuses années : en effet !  des guerres coloniales, l’ Algérie avec 500 000 morts de nos mains, le taylorisme, les cadences industrielles, les  maladies de la mines, la santé détruite de travailleurs, la fabrication d’un prolétariat immigré!! Pour notre gloire passée, lisez « La question » d’Henri Alleg ), extasiez-vous !Ils ont manipulé les contenus et les récits et vous n’avez rien vu de la réécriture de l’Histoire. Vous êtes passé directement aux « 30 orgueilleuses » ! C’est-à-dire à un monde de bavards impénitents et sans scrupules, aveugles aux peuples que nous jugeons du haut du tas de nos dettes qu’ils nous ont concédées ; « Orgueilleuses » furent ces années par l’exhibitionnisme intime ou les manifestations d’indécence. Triomphèrent alors l’absence de sens critique, la sclérose des innovations, le rejet scientifique. Regardez qui se gobergent   dans les journaux et revues ou à la télévision, au sein du divertissement et de la variété mixés en émission politique, assemblés par quelques chaînes où règne le mimétisme ?

      

    - De quoi voulez-vous parler ?


    - Prenez le cas  de chaînes télévisées:

     

    Les idiots utiles de TF1 et les Ados attardés de Canal+

     

    - L’engourdissement opéré par ces accros au publicitaire, n’est ni imposé ni contraint ; il est consenti, nous souhaitons une dictature molle pour ne pas avoir à décider.  Un agglomérat s’est constitué autour de communicants et des politiques, des hauts fonctionnaires et de journalistes, d’acteurs et d’universitaires. Ils ont suscité par corruption morale (le succès, l’argent, la notoriété) une frange populaire qui s’est engouffrée dans la brèche de l’existence vouée à l’exhibition.  Ces catégories constituent les charnières qui ont ouvert la porte au libéralisme dans les consciences des plus pauvres, des mal scolarisés, des minorités déculturées. On leur a dit : « paraître c’est être, dépenser c’est penser, être vu sur l’écran, c’est se voir ». Et il y a foule aux portes des studios d’émissions, dans les gradins à claque, les publics des jeux télévisés. Devant les écrans des chaînes spécialisées dans l’imbécillité et le futile, ces spectateurs au rôle mineur sont devenus les Idiots Utiles du libéralisme : « applaudissez, manifestez votre joie et votre chance, vous êtes sur TF1 » ! Les Idiots utiles sont indispensables en démocratie (voyez J. Dunn des Lectures du blog).Ils arbitrent les luttes de clans des chefs en représentativité de la bourgeoisie ; ils votent, justifient, courtisent. C’est la partie de la plèbe qui vit des spectacles offerts par les consuls ou les mécènes : Jeux et gladiateurs, courses et combats de fauves. Ils permettent de trancher les luttes féroces de pouvoir en dehors des assassinats entre patriciens ambitieux. La démagogie, probablement inévitable, fonctionne bien grâce à eux. Et merci à TF1 de les avoir soudés !

     

    Un autre mode de sélection publique a réuni d’autres catégories d’intermédiaires démagogues : jeunes branchés, scolarisés, cultivés. Ce sont les enfants de la classe moyenne aisée, les fils de bobos, pros de l’esbroufe. Plutôt Parisiens, diplômés, masculins, ils méritent leur double A. « Les Ados Attardés » de 40 ans. Si on souhaite les voir assemblés certains soirs, là où ils sont chez eux à Canal +, on les entendra   rire aux éclats de leurs blagues infantiles au cours d’émissions de politique adaptée et de faux « débats ». Fats et repus ils jouent le modernisme, le snobisme technique. Entre les groupes en société, en relations tendues ou conflictuelles, s’introduit ainsi une écume de médiation chargée de mettre de l‘huile dans les rouages grinçants. Il y suffit d’un style léger, moqueur en apparence. En réalité terriblement conformiste, l’œil rivé sur le rival et l’audimat, ils tirent les ficelles en coulisses. Leur mission est de passer des messages politiques. « Hors du libéralisme point de salut ;hors du capitalisme centralisé, pas d’âme ; vous êtes égocentriques, ethnocentriques, narcissiques, souriez, vous vivez les années 1981 à 2011 qu’on appellera plus tard « les 30 orgueilleuses » et qui se terminent ces jours-ci.

     

    - Eh ; voila bien de la colère, Prophète inécouté, isolé !  Mais que faites-vous, vous, concrètement ?

     

    - Moi ! Rien : je marche ; je tourne en rond. Je vais répétant :

     « Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne

      Au coucher du soleil, tristement je m’assieds

      Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères

      Un seul hêtre vous manque et tout est déboisé »

      Et sur ce, il tourna les talons, me laissant avec ce poète - ministre en 1848:

     


     

    [1] Henry Thoreau Désobéir 10/18, 1994 ; p 82-87


    [2] Lizzy Hawker (36 ans) vient de remporter les100 kms de l’Annapurna cette année .Cette coureuse  fait reculer les capacités. Les ultramarathons de plusieurs jours mettent en avant  le goût de l’effort en montagne transférable  en créativité en inspiration scientifique. Cette biologiste  docteur ès sciences a travaillé pour le British Antartic Survey  : « Aujourd’hui je me suis écartée de la science académique et je travaille comme rédacteur free lance, j’enseigne aussi en Suisse. J’aime ce qui est synonyme de liberté. Ma passion pour les montagnes et la nature a construit ma vie. Pour moi l’important est d’être dehors et de bouger ; cela contribue à l’endurance mentale et physique»


    [3] M.Onfray, Manifeste Hédoniste,   éd. Autrement, 2011, p.15.


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  • Manifeste en faveur des ouvriers et employés             français et immigrés

     

    L’auteur et ses amis pensent que ce texte devrait servir à la discussion avec des candidats de gauche à la Présidentielle. Prenant acte de la « disparition » morale de la classe ouvrière dans la vie politique malgré qu’elle comptât encore 8 millions de manuels répartis dans les usines, les bureaux, productifs des transports, des services, retraités ou chômeurs,  subalternes, oubliés de la croissance, abstentionnistes non par goût mais par absence d’écoute et de compréhension de leurs revendications, les signataires de ce manifeste proposent une justice sociale authentique, non brouillée par 50 ans de pseudo- consensus

     

    Ouvriers ! Pas de salaire net de moins de 1600 euros. Il est indigne de vous le refuser ; il est indécent même d’en discuter.

     

    Considération de la véritable pénibilité sur la base d’un coefficient incluant le taux par profession d’accidents du travail, de handicaps, de fatigue de déplacements quotidiens. Il est impératif de prendre   en compte l’altération précoce de la santé en vue d’un abaissement substantiel de l’age légal de la retraire.

     

    Connaissance entre d’un côté la participation à la couverture sociale, par les cotisations et prélèvements et de l’autre, les indemnités, remboursements et rétributions reçus par chaque grand groupe social : populaires, petite et grande bourgeoisie , classes moyennes. Il est indispensable de poser la question du coût et du profit de l’assurance sociale pour chaque catégorie, selon la durée de cotisation,  la longueur de vie sachant que ces facteurs sont déterminants dans le coût médical et  social par origine sociale, des malades ou des pensionnés . Divers biais minimisent le différentiel des dépenses en fonction du revenu et du patrimoine. Par exemple le refus de l’euthanasie opposé aux classes populaires qui la demandent, accroît leurs dépenses involontaires et inutiles à leur santé, refus qui génère d’immenses profits médicaux et pharmaceutiques. Les exemples de ce genre qui engendrent un déficit sont nombreux, bonheur des corporatismes et de l’industrie médicale au détriment de la santé publique

     

    D’où parlons-nous pour interpeller les candidats ?  Nous sommes des ouvriers, des employés et des intellectuels, fils, frères ou pères d’ouvriers. Nous côtoyons les prolétaires quotidiennement et disons comme un révolutionnaire célèbre :

     

    « Nous avons vécu assez longtemps parmi eux, pour être informés de leurs conditions de vie ; nous avons consacré, à les connaître, la plus sérieuse attention ; nous avons étudié les différents documents, officiels et non officiels, que nous avons eu la possibilité de nous procurer ; nous ne nous en sommes pas contentés. Ce n’est pas seulement une connaissance abstraite de notre sujet qui nous importait, nous voulions les voir dans leurs demeures, les observer dans leur existence quotidienne, parler avec eux de leurs conditions de vie et de leurs souffrances, être témoin de leurs luttes contre le pouvoir social et politique de leurs oppresseurs. Voici comment nous avons procédé ; nous avons renoncé à la société et aux banquets, au porto et au champagne de la classe moyenne et nous avons consacré nos heures de loisirs presque exclusivement à la fréquentation des simples ouvriers ; nous sommes heureux et fiers d’avoir agi de la sorte »

     

    Adresse aux classes ouvrières de France

     

     A défaut d’écrire un grand livre de sociologie politique, comme le jeune homme de 25 ans dont nous citons l’exergue (qui date de 1845[1]), nous en transposons  à notre époque les idées essentielles.

     

    « Grâce aux vastes possibilités que j’avais d’observer simultanément la classe moyenne, votre adversaire, je suis parvenu très vite à la conclusion que vous avez raison, parfaitement raison, de n’attendre d’elle aucun secours. Ses intérêts et les vôtres sont diamétralement opposés, bien qu’elle tente sans cesse d’affirmer le contraire .Ses actes démentent ses paroles». Le jugement du jeune Engels doit être tempéré dans la mesure où la crise actuelle touche durement les enfants, non avertis et non préparés, des classes moyennes.

     

    Mais quels que soient vos futurs alliés, Ouvriers et Employés, vous avez raison de proclamer la spécificité de votre situation et le rattrapage nécessaire de 30 ans d’injustice et de cadeaux faits à d’autres par l’Etat. Vous aurez raison de demander ces enquêtes que l’on nous interdit au sujet des avantages et inconvénients de l’universalisme des avantages sociaux dans un monde aussi inégalitaire dans l’accès aux droits. Cette crise ne vous ouvrira aucune perspective, ni droits ni rattrapage ; et c’est même probablement le contraire qui s’annonce avec la prochaine élection, quelque en soit le résultat, tant votre voix autrefois puissante s’est éteinte. Dans ce cas : refusez de payer pour les autres. Ou alors exigez le contrôle des dépenses qui creusent les déficits dans votre dos et dont on vous demande ensuite de réparer les dégâts. Exigez un minimum salarial de 1500 euros. Faites-en le plancher de toute négociation raisonnable. Demandez ainsi simplement le droit de survivre avec votre famille avec 50 euros par jour.

     

    Réclamez un retournement de l’Etat : qu’il soit aussi généreux pour les plus modestes qu’envers les classes supérieures et moyennes. Il est temps que la Providence détournée de son effet originel (le système fut équitable jusque vers 1970) change de camp. Il est temps que la solidarité soit proportionnellement redistribuée.

    En effet, Ouvriers, qui profite de l’assurance maladie, le plus longtemps et le plus coûteusement ? Qui bénéficie des retraites les plus élevées et sur la longue durée : dix d’écart par rapport à vous ? Qui exploite au plus haut degré l’assurance chômage ? Une partie des cadres et des professions intermédiaires ! Vous le savez !

    Vous connaissez intuitivement ou par calcul, les différences de profits qu’il y a à tirer des Caisses que vous ne gérez pas (sauf par bureaucrates interposés, professionnels non contrôlés et aveugles). Vous vous méfiez des principes consensuels affichés en votre nom à cors et à cris ainsi que des bienfaits de la paix sociale, et vous avez raison. Le problème de la dette à payer ne vous concerne pas ; restez–en spectateurs. Les classes moyennes auront besoin de votre participation pour renflouer les caisses du déficit. Abstenez-vous de les aider sans contrepartie de leur part ! Persistez dans votre retrait du vote, de la « manif » ou de la mobilisation manipulée par des tiers.

     

    La lutte interne à la bourgeoisie

     

    Vous ne l’ignorez pas, Ouvriers, le jeu se déroule sans vous, le bal dont vous êtes exclus se danse à quatre.  Deux fractions de la grande bourgeoisie et deux fractions des classes moyennes riches s’affrontent maintenant que les comptes sont à apurer. Que de tensions entre ceux qui vivent avec 500 euros par jour et ceux qui en dépensent 1000 par jour. Mais cette rivalité intestine ne départage pas les revenus et le patrimoine seuls. D’autres facteurs culturels, idéologiques, fractionnent les deux grandes classes qui dominent le pays. Et ces fractions ne s’allient pas automatiquement avec leurs homologues de fortune ou de position ; des clivages religieux, politiques, historiques fabriquent des alliances, des combinaisons ou bien alors mènent à des luttes fratricides. On voit tous les jours ces combats au sein de l’UMP, et au sein du PS. Ouvriers, vous savez par les débats dits « d’actualité » et  au travers des « problèmes » déclarés d’intérêt national par les médias, radio-télés et presse, qui sont dans leurs mains, combien les tensions s’aiguisent entre ces fractions. Vous savez combien leur rivalité s’accroît à mesure que la grande crise qui a surgi, les touche pour la première fois depuis la guerre. Les débats de société qu’on vous impose (et qui excluent ceux de la condition ouvrière évoqués par Engels il y a 150 ans) sont là où leurs « intérêts » sont en jeu ; ils déchirent le voile de leurs accords de façade alors que tout allait bien.

     

    I La Bourgeoisie manifeste quotidiennement ses divergences internes. Depuis les années « Giscard », elle est divisée en deux camps ;

     

    A La vieille bourgeoisie nationale, sociale-catholique ou protestante, sincère, puritaine, économe, parfois mesurée dans l’exploitation de ses travailleurs. Cette fraction fut l’ossature du gaullisme social dont le sens patriotique et du progrès valorisait le travail industriel, l’indépendance nationale. Cette fraction existe toujours mais depuis la disparition de De Gaulle, elle s’efface et se tait.

     

    B La nouvelle bourgeoisie des affaires et de la finance est sa sœur cadette. Elle est spéculative, affairiste, cosmopolite. Elle se dit « moderne » et c’est vrai qu’elle emboîte le pas à ses homologues anglaise et américaine. Arrivée sans effort, sans tradition de l’Etat, elle s’exhibe jouisseuse, hédoniste, le plus souvent dilettante dans les emplois qu’elle s’octroie à la direction des grands groupes et du service d’Etat. Mais elle possède une armée de serviteurs titrés, aux aptitudes inépuisables, qu’elle recrute dans les classes moyennes passées par les « Grandes Ecoles »

     

     

    II Les classes moyennes riches sont les parvenues des trente dernières années ; elles se divisent en deux également.

     

    A Ses éléments les plus récents sont fascinés par la bourgeoisie sans scrupules qui les domine. La classe moyenne riche a hérité, a peu travaillé, vit en partie de ses rentes, a eu éphémèrement un emploi par piston (on pense à notre Président, merveilleuse illustration). L’euro est sa monnaie bénie puisqu’il l’a prodigieusement enrichie durant ces dix dernières années en raison de la stabilité des taux et des prix. Pas d’inflation pour éroder son capital.  La spéculation boursière put se déployer en son sein et ses diverses facettes, bobos, écolos, jeunes socialistes cessèrent de travailler dans l’univers de la production pour préférer celui des services publics, ou vivre de rentes et de l’ embauche à peu de coût de ses frères et soeurs qui la servent. D’où, Ouvriers, cette guerre civile au sein de classes moyennes que vous observez de loin, amusés.

     

     Une guerre civile, vous le devinez, au sein de laquelle on se déchire au sein des repas de familles, des réunions d’associations ou de discussions entre cadres. Professionnels de la fonction publique s’opposent aux agents du privé. Malgré une origine familiale commune, des contradictions internes aigrissent les relations d’amis, de parents ou d’héritiers. La divergence et la nature des fortunes et des patrimoines, que ce soit la banque ou la Bourse, que ce soit le travail de cadre, altèrent la cohésion traditionnelle des classes moyennes riches et la solidarité a volé en éclats. Des formes d’exploitation intraclasse y apparaissent ainsi qu’on le voit dans les relations propriétaires- locataires d’un patrimoine immobilier hérité.

     

    L’autre petite bourgeoisie établie par le travail et non par le capitalisme spéculatif est restée besogneuse, n’aime pas l’exhibitionnisme de sa sœur aînée. Mais au moment où elle veut profiter à son tour de l’enrichissement national, placer ses enfants, les ressources manquent et les portes de l’embourgeoisement se ferment. La crise affecte son avenir, mais pas encore son présent malgré un sens de la famille en crise. Sa sœur dont nous avons parlé pus haut se moque en revanche de sa descendance à qui elle assure néanmoins des rentes substantielles dès lors que celle-ci se tient tranquille comme une jeunesse entretenue doit savoir le faire.

     

    Les alliances et les compromis entre ces quatre fractions varient selon le sujet et la position de l’indice Boursier ou des chances du maintien de l’euro. Quand se rapproche le moment des règlements de comptes, la musique du bal grince, le quadrille se défait, les tensions agitent les danseurs et nous avons de révélations incroyables (Bettancourt, DSK) sur leur niveau de vie, le dessous de leurs affaires, de leur fuite devant l’impôt.  

     

    Ces quatre fractions se positionnent différemment selon les grands thèmes de la vie nationale. Leurs accords et leurs ententes qui rythmaient les élections, se pratiquent à 2 contre 2 ou à 3 contre un. Ces combinaisons sont constitutives de la politique nationale : les divergences se manifestent par exemple au sujet du problème scolaire, de la place de l’école publique, de sa fonction autoritaire ou indulgente. La bourgeoisie nationaliste et une frange de la classe moyenne souhaitent que l’école traditionnelle retrouve son rôle éducatif directif et sévère. Mais les autres fractions se fichent pas mal de cette question ; elles ont leurs enfants dans le privé ou à l’étranger et ne voient pas d’urgence à préserver l’enseignement public de   son laxisme.

     

    -Le soutien financier à l’art et à la culture, immense source d’emplois pour la petite bourgeoisie cultivée, est une autre question génératrice de clivages pour les classes moyennes riches ; sur ce thème-là, d’ailleurs, en harmonie avec la bourgeoisie spéculatrice hédoniste. Beaucoup de ses enfants aux diplômes universitaires vagues, sans réelle formation, n’auraient aucune chance de trouver un emploi gratifiant si le domaine illimité de l’art protégé et de la culture assistée ne les sauvait provisoirement du chômage.

     

    - Concernant les profits des grandes entreprises, on perçoit de plus en plus au sein du Médef, les déchirures entre services ou industries financières et celles des industries de l’économie réelle. Notamment au sujet des rémunérations patronales.

     

    -Sur la dette, une autre configuration apparaît parmi le groupe des quatre. Après l’avoir niée, puis l’avoir minimisée, la bourgeoisie dispendieuse tente de se rapprocher de sa rivale pour sauver l’essentiel : le libéralisme menacé. Les classes moyennes riches (bien représentées au PS) restent sur la position que toute révélation de déficit ou de menace de faillite est une pure fiction, dangereuse à manier, et qu’un seul mot doit être entendu : « La croissance » ; croassement magique chanté par maints oiseaux de bonne augure ayant leur couvert mis tous les jours dans leurs médias !  

     

    Dans ces luttes internes, Jeunes Ouvriers et Employés, on voudra vous enrôler pour aider telle ou telle faction ; si vous acceptez de prêter votre concours (votes, actions de force, mobilisations de longue durée), demandez le prix pour cette collaboration ; veillez aux engagements pris pour vos familles et pour vos enfants qui veulent retrouver une école responsable et rigoureuse, y compris sélective mais égalitaire.  Surveillez l’usage des fonds publics venant de l’impôt ou des cotisations sociales ; maintenez vos élus syndicaux ou de partis sous la pression de votre surveillance. Bref organisez-vous comme vos pères le firent. Défendez-vous ainsi qu’une longue tradition de vos ancêtres le pratiquèrent !

     

     

    A DISCUTER, 
     


     

    [1] Friedrich Engels : La situation de la classe ouvrière en Angleterre , Editions science marxiste, (2011), p 29


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  •  Les primaires socialistes

     

    On  l’a dit  (voir le lien : blog actualité) il y a de multiples raisons et non  des moindres  de voter à ces primaires: ce sera la première élection où aucun candidat n’aura  plus de 60 ans, occasion à saisir de rajeunir le processus électoral. Réactualiser non seulement l’âge des élus mais les formes de la participation. En effet ce sera la première élection sur tout le territoire, organisée par un parti, une  association privée politique à  but non lucratif ( loi de 1901) sans l’autorisation de l’Etat, non soumise au Conseil constitutionnel, hors de tout contrôle  du pouvoir. Première dissidence qui donnera des idées, si nous le voulons, nous démocrates, pour inventer un jour le referendum hors Etat, hors des médias et de l’administration.

    Saisissez cette innovation originale, faites de cette occasion historique, une fête ; le retour du peuple des abstentionnistes aux urnes  serait réjouissant ;  faites de cette élection un événement festif, brisez le  conformisme  : pourquoi pas des fleurs ou de la musique dans les bureaux de vote ? Décorez-les, mettez des couleurs vives, ne soyez pas  conservateurs. Votez en chantant, en débattant dans les bureaux au lieu de rester muet comme dans une Eglise, habillez-vous de blanc, ou de bleu. Pourquoi pas bleu blanc rouge ? Notez combien les élections officielles sont tristes, procession silencieuse, gens repliés sur eux-mêmes. Eh ben, quoi : ils enterrent leurs illusions !  Ça rappelle trop les rites ecclésiastiques, l’isoloir ou le confessionnal, le silence de cathédrale, la procession devant l’urne. Sur ce sujet démocratique, inventons des formules moins tristes et moins individualistes. Puisque tout est à faire, proposons aux socialistes de ne pas annuler les bulletins dans lesquels il y aurait des  commentaires si le nom choisi n’est pas rayé ou d’autres modifications au code électoral. S’emparer des primaires veut dire : se réapproprier la politique, donner la parole au citoyen lambda, encourager l’abstentionniste à revenir aux urnes. Libérons la politique de ses carcans que sont les RDV tous les 5 ans.  

     

    Une première opportunité est la chance de voir offert par le PS, toutes les options envisageables :celles de la droite conservatrice à l’extrémisme gauchisant.Tout l’échiquier français est concentré dans la primaire. On trouve  les idées de l’UMP avec les Strauss-Kahniens, on a les libéraux classiques, les réformistes tièdes, les sociaux-démocrates traditionnels, les anciens trotskystes, plus une option, un peu mystérieuse: la démondialisation. On peut choisir entre l’accroissement de la dette (par les amis du FMI), l’acceptation et l’endossement du remboursement ou son refus, entre ceux qui veulent mettre des banques en tutelle et ceux qui veulent les soutenir. Certes,  cette palette, cet extravagant amalgame laissent perplexes.  Cette hétérogénéité sans être nouvelle n’a pas d’antécédent au parti socialiste. On peut se saisir des luttes fratricides (qui seront sévères en interne) pour dire notre mot et peser sur l’orientation choisie. On doit voter sur des idées précises, des calendriers, des programmes minutieusement chiffrés et ensuite on choisira les hommes ou femmes qui les défendront. C’est une nouvelle façon de se politiser, meilleure que de donner un blanc seing à l’élu et revenir à nos occupations pour cinq ans (Cf ailleurs sur le blog).

    En tout cas : trop de cérémonieux électoral et de ritualisme tue la République ; trop de  sacré tue la pensée innovante. Dépoussiérer deux siècles de perte du pouvoir, une fois l’élection terminée, l’habitude du non contrôle des élus, ne sera pas facile. Si on s’y prend assez tôt nous départagerons ceux qui préfèrent parler dans le flou et qui nous enfument de promesses invraisemblables, qui noient le poisson de ceux qui l’avalent.

     

     

     

    Parmi les idées nouvelles, relevons celle d’Eva Joly. Supprimer le défilé miliaire le 14 juillet. Défilons en 2012 ? Pourquoi pas ? Dit comme ça, sans pédagogie et sans contextualisation, ça fait un peu « provoc ». Mais c’est une idée intéressante.  On laisse l’armée défiler et nous, on suivra sur le macadam, en dansant, en chantant, habillés en sans culottes ou avec la cocarde, la robe ou la coiffe « à la bastille », coquetterie de femmes 1790 à la fête de la Fédération. Et si vous avez envie, entrez dans les rangs militaires et offrez à chaque soldat, une fleur pour qu’il la mette à son fusil.

     

    L’important est de redonner un sens à l’action politique, de maintenir la mobilisation après l’élection au lieu d’une démission, une fois les étés venus qui suivent les présidentielles. En 2012, comment pourrons-nous garder le pouvoir ? En anticipant les obstacles que la bourgeoisie et les médias opposeront (fuite des capitaux, fermeture des usines reportées comme en mai 1981, provocations, que les socialistes n’avaient pas prévues), en discernant les conduites de nos adversaires. Obama ne le fit pas et se trouva fort démuni. Beaucoup de signes laissent présumer que la Chambre des députés restera à droite, malgré l’élection d’un Président de gauche et on  devine la faible marge de manœuvre en faveur d’une politique supportable pour la masse. Préparerons-nous à l’action, au lieu d’attendre la énième résurrection d’un Président sauveur.  

     

     

     

     

     

     LA DIRECTION DU PS ET L'ARGENT

     

     

    Sans la femme de ménage fatale du Sofitel, nous aurions eu le troisième Président de la république socialiste de notre histoire. Après Vincent Auriol, Fr. Mitterrand ; même Clemenceau radical de gauche n’avait pu le devenir. D. Strauss-Kahn aurait été élu avec les voix de droite et de gauche, largement, au second tour. Comment cela eût pu être possible pour un détenteur d’une très grosse fortune ? Après la gauche caviar, la gauche  de DSK , les soubrettes, les maîtresses, le luxe affiché sans vergogne. Et la reine Anne ? Après « Mère courage », on eut droit à l’héritière d’un patrimoine démesuré. Tous ces aristos, leur cour empressée et complaisante  sont sincèrement de gauche mais de gauche culturelle (le libéralisme en art) et pas économique, de même que leurs féaux J Lang et autres, leurs futurs ministres.  Comment cela a-t-il failli se produire ? Quel rapport à l’argent a changé pour que s’affichent de tels niveaux de vie parmi les dirigeants socialistes ? Quelles implications recèle cette irruption de la fortune à la tête du PS ?

    Nous sommes entrés dans une autre ère. Jusqu’ici les leaders socialistes furent moyennement riches, parfois simplement aisés comme Jaurès, Auriol, Blum issus d’une petite bourgeoisie rurale, tel Mitterrand. Pas de parc immobilier, pas de château, pas de résidence secondaire, une maison cossue et pour la plupart un appartement parisien (Bérégovoy a voulu agrandir le sien et il l’a payé de sa vie). Leurs biens sont le fruit de professions, le résultat de leur travail : professeur, avocats, journalistes. C’est là la préhistoire.  Aujourd’hui pour diriger le PS, il faut des comptes fournis, de gros patrimoines, des profits bancaires ! Mitterrand a mis en marche l’extraordinaire machine à enrichir la petite bourgeoisie et leurs descendants se sont trouvés à la tête d’empires extravagants. La nouveauté est là, dans l’origine des privilèges. Les dirigeants actuels ont profité de l’âge d’or (1975-2008) une situation de rente artificiellement créée et héritée sans effort particulier ; les fortunes ne sont plus le produit accumulé de professions « réelles », d’authentiques risques industriels, mais celui de l’argent facile du commerce de luxe, de la spéculation sur l’art, de l’affairisme, des commandes d’Etat, des portefeuille bancaires. Ce sont presque tous des fils d’antiquaires, de marchands d’art, de spéculateurs, de directeurs de cabinets ou de PDG publicitaires et magnats de la presse. Un monde où l’argent coule non pas comme conséquence d’un travail laborieux et patient mais des chances de position et des combines du business d’où disparaissent l’intelligence du chef d’entreprisse, la progression économe du commerçant ou le bénéfice équitable du savant ou de l’inventeur. On devient crédible en politique si on affiche les dépenses somptuaires gagnées sans grand mérite. Ces bouleversements ont eu des conséquences à la direction du parti socialiste. Décomplexée face à l’argent, la bourgeoisie de gauche n’a plus de scrupules et perd de sa conscience morale. Le sentiment de gêne   dans une perspective de représentation du peuple pauvre a disparu et cela  engendre la recherche et la surenchères des ressources.  Les discutants en débattent

     

    Legrincheux Des pâtes aux truffes à 700 dollars, en entrée pour DSK et sa femme dans le restau du coin, c’est une mise bouche délicate ! Pourquoi se cacher ?  Quand on  a été député-maire de Sarcelles, une entrée, équivalent d’un demi smic, c’est digne du roi soleil qui aime son peuple en manifestant son goût du luxe.

    Lhésitant Je comprends pourquoi ces gens-là étaient réticents face aux primaires socialistes. Si maintenant il faut aller affronter les manants dans de basses élections, où va-t-on ?

     Lindifférent :Ils sont coupés du peuple

    Legrincheux :  Bien sûr !  Arrêtez avec ça ! Comme si les chefs socialistes du siècle dernier n’étaient pas coupés du peuple (sans parler de la droite, mais là c’est congénital) .  Blum, Mollet, Deferre! Aussi bien  Mitterrand en  était séparé dès la naissance :  il ne l’a découvert qu’à l’armée, prisonnier en Allemagne, en simple soldat (il n’était pas officier ; on le lui assez reproché). Allons donc, nous sommes tous coupés du peuple ! Qui d’entre nous vit avec 50 euros par jour ?

    Lhésitant Alors d’où vient la différence ?

    Legrincheux De ce qu’ils sont bien moins intelligents socialement que leurs pères. Puisque l’origine de leur fortune ne vient d’aucun effort, ils ne sont ni habiles ni astucieux, ils perdent tout sens social pratique. C’est la partie de la bourgeoisie dilettante, désinvolte, un peu bobo, pas laborieuse par rapport à ses devancières ? Ils trouvent dans la politique un dérivatif à l’ennui, une sorte de jeu amusant, une occasion d’être flatté, courtisé. Bien sûr, ils sont arrivés non sans manœuvres et coups bas, mais ils ont pris l’habitude de la vie facile, de recevoir compliments et cadeaux : montres en or, voitures, filles. Tout cela sans fatigue.  Aucun, dans leur ancienne profession lucrative, ne produisit de biens matériels, n’eut affaire à l’économie réelle ; la politique devient dématérialisée, un jeu de symboles. Et de promesses.

    Ce rapport à l’argent facile corrompt l’intelligence sociale, et le sens de la stratégie. Ils ne travaillent plus sérieusement ; certes ils font travailler dur les autres, les collaborateurs, les auxiliaires. Complaisants pour soi, exigeants à l’égard des autres. Ils veulent vivre dans l’hédonisme; la réalisation de l’égoïsme devient un passe temps, l’ambition se déroule sur une scène de théâtre aimable où l’on se produit devant des admirateurs acquis. Rien de la « jungle » où Jaurès fut assassiné, de Blum emprisonné pour ses réformes sociales du Front Popu, de Salengro conduit au suicide.

    Quand la politique devient une obsession narcissique, le seul chemin pour la notoriété c’est le clientélisme.  Première tâche placer les enfants des amis

    Lindifférent : ça c’est tout à fait vrai. Regardez la mère de Tristane Banon, la jeune française « violée » par DSK, elle est PDG d’entreprise, elle en eut assez de bosser dans l’économie réelle (c’est dur, il y a une véritable concurrence), alors elle se déclare « écrivaine » et découvre la politique pour se distraire, se délasser. La politique est une façon de « s’occuper ». Elle appelle un ami socialiste pour être sur une liste d’élu. C’est ce que raconte d’elle-même. Un poste d’élu du peuple c’est une planque ; ça permet de placer les enfants et les enfants d’amis. Quand les filles ne réussissent pas, qu’elles « traînent » dans leurs études paresseuses, on les envoie « voir » un homme politique (ils sont harcelés, les pauvres) pour qu’il s’occupe de leur fille, la sortir de la bohème  de manière  gratifiante. Il y a toujours des copains politiques pour les « caser ». C’est le nouveau négoce de la haute politique

    Lhésitant De même : regardez Anne Sinclair. Profil identique à un niveau supérieur : héritière du commerce de luxe, de la spéculation des œuvres d’art de son grand-père. Et elle est sincèrement de gauche ; c’est pas elle qui est déplacée, c’est la gauche qui s’est déplacée vers la droite, la plus avide. Elle aussi a travaillé. Journaliste et présentatrice. Métier forcément intéressé, à l’aise dans la création du carnet d’adresse dans le milieu du pouvoir, puisqu’on est à la tête d’une immense fortune et qu’on peut offrir à la clientèle des manifestations somptuaires. Tous s’empiffrent, décomplexés, sans scrupules

    Legrincheux Ce qui est grave est que, entrés en politique, ils ne travaillent pas sérieusement. Ils ne travaillent que leur apparence, leur image, le paraître de la crédibilité. Les opinions volatiles, les sensations, la publicité sont leurs seules domaines de réalité : c’est pourquoi ils croient aux sondages. Pas de vrais obstacles matériels surmontés, pas d’épreuves douloureuses, donc ils sont anesthésiés dès q’une vraie difficulté survient. Regardez l’air désemparé de DSK devant les flics quand il ne peut plus déléguer ou se faire protéger   par ses avocats

      

    Lire la suite dans  l'autre site "Nous les abstentionnistes, nous irons voter aux primaires"

     

     

    DSK    : Un procès en sorcellerie 

     

     L’inculpation du directeur général du FMI : Agression de la justice américaine contre Dominique Strauss-Kahn, complot international ou réaction d’une jeune femme outragée ? Nos trois compères parlent : Legrincheux de gauche, lindifférent de droite, et le centriste hésitant

     

     

    Lhésitant :Tu as su ce qui est arrivé à notre célèbre FMIste ?

     

    Lindifférent : FMIste ? Tu veux dire féministe?

     

    Legrincheux : Non, non ! le sigle   -par inversion – signifie  qu’il était  le  Meilleur (ou le Monsieur) Intime des Femmes ; MIF. En tout cas, il en confessait beaucoup et les bénissait toutes ; de saintes femmes !

     

    Lhésitant : Il  est tombé dans un traquenard à New York : horrible histoire  suivie d’un lynchage

     

    Lindifférent :  Alors raconte ! 

     

    Lhésitant : Une soubrette entre dans la chambre de sa suite royale- il est vrai un peu étroite avec ses 150 m2- et il la heurte  au moment où il sort de sa « douche », comme dit la presse française ;douche qui est digne de sa fonction avec jacouzi, baignoire de 2  mètres de large et salon de relaxation.

     

    Lindifférent : Que s’est-il donc passé ?

     

     Legrincheux Il la trouve un peu décolletée dans sa tenue de servante et lui en fait la remarque, en authentique  homme de vertu, lui offrant son mouchoir : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir ; par de pareils objets, les âmes sont blessées ». Molière l’avait prévu !

    Lindifférent : Ah, le saint homme !

     

    Lhésitant  Au cours de la conversation mondaine qui suit, il lui tapote sa robe, caresse son  genou  et elle... , elle s’écrie :  « Que fait là votre main ? » Et lui, de répondre : « De vous faire aucun mal je n’eus aucun dessein ; je tâte votre habit.. En tant que responsable du FMI , j’en  veux savoir l’origine légale : cette étoffe vient-elle de l’U E ou de la Chine ? Je veux connaître la marque».  C’est en quelque sorte un Droit... de cuissage  

     

    Legrincheux : Elle se débat vigoureusement : il la serre de trop près comme son ancêtre le fit à Elmire ; et elle s’enfuit, l’accuse ensuite des maux les plus atroces

     

    Lhésitant : Le pauvre homme !

     

    Lindifférent ; Il est saisi dans son carrosse volant, traîné au poste, menotté, mêlé en geôle aux mécréants, nombreux en cette cité perdue

     

    Lhésitant : Le pauvre homme !

     

     

    Legrincheux : La justice américaine –c’est bien connu- harcèle le riche et le puissant et par contre se montre bienveillante et tolérante au pauvre hère et au miséreux. C’en est une honte .Les médias américains persécutent les Grands de ce monde et protègent les faibles surtout s’ils sont Noirs. Ces juges et les journalistes  n’ont aucun respect des fonctions!  Vous avez vu l’acharnement, les photos honteuses, les articles. Ils n’hésitent pas à entrer sans vergogne dans la vie privée des gens de bien, dans les alcôves des chambres d’hôtel. Ce sont des Tartuffe.

     

    Lhésitant : Le pauvre homme !

     

    Legrincheux : Voyez avec soulagement que les Français indignés ont décelé une attaque insidieuse contre notre pays, contre nos mœurs. Aucun respect de la présomption d’innocence masculine et des Droits de l’homme le plus puissant 

     

    Lhésitant   : Et le pauvre homme, a-t-il été au moins défendu par les siens : les socialistes ?

     

    Legrincheux : A peine.  Bien sûr, ils se sont élevés contre cette atteinte à la dignité humaine. Le maître du monde, le prince des finances traité comme un violeur de grand chemin .Ils ont freiné des quatre fers : « attendons, faut voir, présomption.. »

     

    Lhésitant Ils espéraient, comme nous, que le futur Président reviendrait d’Amérique  cousu d’or et  de billets ; qu’il nous éviterait  la rude  médecine allemande, la purge argentine. C’est un adepte de la médecine douce, un Père Noël généreux, qui nous délivrerait de nos dettes d’un coup de baguette magique.

     

    Lindifférent ; Le pauvre homme !

     

    Legrincheux : Et si le Père Noël était une ordure ?

     

    Lindifférent : Impossible ; Sarkozy l’avait choisi parmi les meilleurs, des dizaines, pour illustrer la valeur de la France

     

    Lhésitant : Il l’a bien représentée, mais hélas, sur un lit d’injustice ;  c’est un affront contre la Banque, une  absence d’honneur  à l’égard de notre pays ,une perfidie des Anglo-Saxons comme d’habitude. Ils l’ont relâché moyennant quelque menue monnaie, un engagement à demeurer dans leur ville démoniaque, le privant ainsi du couronnement annoncé des primaires

     

    Lindifférent : Le pauvre homme !

     

    Lhésitant Et la servante ? Qui est-elle ? Que devient elle ?

     

    Legrincheux : Oh rien du tout, une pauvre Noire qui travaille dans les grands hôtels, une veuve qui fait double journée pour payer un petit appartement dans le Bronx et élever sa fille.  Rien, rien qui frôle les sommets quoi ! Elle gagne bien quelques billets, généreusement attribués pour nettoyer les augustes chambres à milliers de dollars la nuit. Encore heureux qu’on lui laisse toucher les draps sacrés, purifier la salle de bains des hôtes

     

    Lhésitant : Ah la méchante femme, la sorcière tentatrice !

     

    Lindifférent : Elle approche le Directeur Général et elle n’en marque aucun plaisir.  Elle a la chance d’être honorée par lui et elle gémit : une misérable qui se complait dans de noires actions ! Ces gens n’ont aucune reconnaissance, ni sens des convenances à l’égard de notre martyr 

     

    Lhésitant : Est-ce qu’elle est « people », au moins, pour Paris-Match ? 

     

    Legrincheux : Pas du tout !

     

    Lindifférent : Alors, oublions-la et passons l’éponge dans la chambre de DSK   

     

     

      

     

    Dernier développement : DSK est innocenté

     

    Lindifférent ; Il est blanchi et c’est la fille qui est noircie. Il n’a fait qu’exiger une fellation ordinaire. « Pas de quoi fouetter un chat » dit aussitôt Jack Lang, ému, avec des trémolos dans la voix 

     

    Lhésitant : « Saint Dominique, Priez pour nous, Pardonnez-nous d’avoir douté » Tous au PS se flagellent, se repentent

     

    Legrincheux : Il a dû grassement la payer C’est d’autant plus généreux de sa part que pour les membres du FMI, c’est gratuit, ça entre dans la catégorie des  fellations prestigieuses (VIP frais généraux ). 

     

    Lindifférent : J’espère que DSK n’a pas été radin pour une heure de travail : il a dû lui donner au moins  50 euros. Ainsi la hiérarchie est respectée : une heure de travail de pute équivaut au millième de la valeur du travail de dirigeant de FMI,

     

    Legrincheux :Ouf, on respire, la justice sociale a été sauvegardée !

     

     

     

     

     

     

    La jeunesse, la politisation et le Maghreb

                  (« Indigènes et Hors la loi ») 

     

     

     

    Résumé : Après une éclipse de trente ou quarante ans, la jeunesse dans un désir de politisation s’est mise en mouvement ; la jeunesse de pays arabes se rebelle contre les dictatures ; ailleurs, elle demande le départ des gouvernements... ou son installation comme en Belgique !

    Voici le témoignage d’une génération ancienne, dont la fondation de la   politisation eut lieu au cours de la guerre d’Algérie. Une bouffée de conscience politique qui engendra un scepticisme sur la légitimité d’une vieille nation à donner des leçons de démocratie et de droits de l’homme. Et la méfiance s’installa alors envers toute indignation qui serait sélective, unilatérale ! La politisation est à la fois un mélange de   colère justifiée pour ce qu’on subit mais aussi  l’indignation  de  ce qu’on fit subir d’injustice aux autres

     

    Qu’est ce que la politisation ?

    Une génération se forme, en général, à la politique entre vingt et trente ans. Le contexte temporel de chacune, pour être compréhensible, doit en rappeler les conditions. Politisé ne veut pas dire avoir des idées politiques ou des notions sur le mode de direction ou la composition du gouvernement. En un sens tout le monde aujourd’hui est politisé mais de façon superficielle ou formelle. Nous voulons dire politisé au sens fort : avoir subi, senti, fait l’expérience de chocs, de luttes parfois impitoyables (Résistance par ex.) ou bien avoir utilisé d’autres ressources formatrices (telle l’immigration). Dans l’Histoire, on   rencontre au moins de trois formes génératrices

     a)  Des crises aiguës dues à l’inflation, des pénuries entraînant la faim, des disettes

     b) Le chômage de masse de gens diplômés ou non, les situations de faible emploi et de bas salaires, les très mauvaises conditions de travail.

    c) Un autre cas de politisation durable : la guerre de conquête, ses horreurs si elle est coloniale, ou une guerre civile. On va témoigner de celles-ci en Algérie. Bien que l’apprentissage de la politique ne soit jamais définitif, jamais identique d’une génération à l’autre, la réflexion peut profiter à d’autres,.

     

     La jeunesse très politisée entre 1940 et 1980

     

    Rappelons le contexte des guerres coloniales de la France (Indochine, Algérie) et concomitamment le mouvement international des années 1950 .Une circulation intense a concerné des millions de jeunes gens.  Le  XXè siècle fut celui de la jeunesse militante.  Cette notion de siècle de la jeunesse en marche (en réalité demi- siècle de 1940 à 1990) n’est pas problématisée par les historiens. Les engagements, dès l’apparition des fascismes et du nazisme (outre les départs pour la guerre d’Espagne), aboutirent à la Résistance en France dont une  majorité des acteurs  furent  juvéniles (« les bataillons communistes  de la jeunesse », les réseaux  ouvriers et étudiants, les maquis  d’hommes moins de 30 ans). Après 1950, la solidarité active contre le colonialisme, contre le sous-développement a engendré de déplacements notables. Les premiers à partir furent de les jeunes Américains sillonnant leur continent pour des taches d’assistance : les jeunes gens envoyés dans toute l’Amérique par le traité de Punta del Este de 1961, initié par John Kennedy dans le cadre de l’Alliance pour le progrès.). Les barricades de Berlin et de Budapest en 56 les avaient précédés sous la figure du jeune ouvrier luttant contre la dictature communiste. 1968 fut « l’année de la jeunesse » du monde.  En Janvier, les  révoltes des campus américains contre la guerre du Vietnam, l’émeute de Chicago, la lutte des droits civiques et à l’automne, la  révolution culturelle en Chine  qui concerna les lycéens et ouvriers débordant leurs instigateurs maoïstes contre un parti jugé conservateur ou sclérosé.  Bien sûr, entre temps, Mai en France eut des répercussions en Europe et accéléra la circulation militante.

     Pour saisir l’exception française, on racontera à la fois la guerre et la coopération qui marquèrent de nombreux jeunes gens. La guerre d’Algérie vit durement s’affronter deux jeunesses, Française et Algérienne. Elle a été un désastre physique, moral, un traumatisme, un crime contre le peuple algérien dont beaucoup ne se sont pas relevés. Contre son gré, notre génération a du sang sur les mains. Comment l’effacer ? En ces temps troublés, le rappel du combat fratricide, terrible en pertes humaines (surtout algériennes : un demi million de morts au moins), le souvenir des solidarités d’opposition à la guerre : aide au FLN, (voir le film « Hors la loi »), insoumission, désobéissance civile peuvent servir à mieux interpréter la récente politisation en Afrique du Nord ou au Moyen Orient. Une rébellion contagieuse, par une sorte d’internationalisme des ondes qui survient  avec ses armes pacifiques, la foule qui campe, les blogs, les sites de discussions,

     

    II La guerre en Algérie 

     

    Le conflit permit cependant de perdre l’idéalisme naïf propre à notre génération de l’après deuxième-guerre mondiale   et cette leçon ne fut pas perdue. La politisation se réalisa à travers plusieurs étapes 

    D’abord la prise de conscience du danger d’un « nazisme intérieur » en 1954-62. Un livre surprenant le souligne ( Jean-Louis Planche : « Sétif 1945, Chronique d’un massacre annoncé » dont on fera plus tard le compte -rendu dans ce blog ).  Il remémore les circonstances et conditions des émeutes de Sétif à partir du 8 mai 1945. Au moment où par d’immenses sacrifices, le monde se défaisait du  racisme extrême et de l’holocauste en Allemagne, dans un département français d’ Afrique du Nord (le Constantinois), ils renaissaient en réaction à une révolte  « indigène ». Couverte par l’autorité préfectorale, une forme de fascisation se déroula : massacres par les colons, par les « petits Blancs », tueries par la police au hasard, au faciès, pendant trois mois (mai –août 45). Les exécutions sommaires, la famine de populations firent plus de 40 000 morts. Elles rappellent terme à terme les méthodes discrétionnaires et la tyrannie que la Wehrmacht et les SS appliquèrent dans les pays de l’est européen à partir de l’été 1941. En Algérie ces pratiques allaient durer quelques mois et hélas reprendre dix ans plus tard, lors de la guerre de libération algérienne, entraînant les exactions militaires et les œuvres tortionnaires que l’on sait.

    Un souvenir sur le fascisme en métropole  vient à l’esprit: un soir, de fin avril 1961, au cours du putsch  des généraux à Alger, le Premier ministre, Michel Debré, tendu et angoissé,  vint parler à la télévision et  appeler  ses concitoyens à se porter au devant des paras et des légionnaires qui  allaient atterrir sur les aéroports du Sud de la France. Au siège de l’UNEF à Toulouse, nous étions stupéfaits de voir un chef du gouvernement implorer la résistance citoyenne afin d’empêcher l’invasion par obstruction des pistes d’atterrissage, invasion prévue de l’armée coloniale qui, après avoir pris le pouvoir à Alger et conquis la Corse, nous menaçait. Nous décidâmes à aller à la Bourse du travail voisine où les ouvriers de la CGT nous déclarèrent que des armes seraient probablement  distribuées et nous conseillèrent d’attendre. Ce plan fut inutile, le général de Gaulle ayant quelques jours après rétabli l’ordre.  Je note d’ailleurs que cet épisode très instructif a disparu des livres d’histoire et des biographies des dirigeants. Bien d’autres choses concernant la mémoire noire de l’époque ont d’ailleurs disparu   (comme dans le film Des dieux et des hommes où l’on occulte  les raisons de la présence de moines de Tiberine sur le sol algérien, suivis comme on sait de leur assassinat par des  islamistes en lutte contre le pouvoir. Pour quelques d’entre eux, anciens soldats de la sale guerre, c’était là l’occasion de réparation pour leurs actions répressives antérieures.  Mais la politique occidentale d’aujourd’hui est une sélection du passé, déconcertante de simplisme et de manichéisme (« les bons et les méchants » : imagerie qui est le prix à payer pour le succès commercial et le repos de l’esprit).

    Dès lors, il y a 50 ans, une génération  de soldats du contingent se sentit dupée. Cette « génération Algérie », qu’elle soit formée de fonctionnaires, médecins, ouvriers, prêtres, ingénieurs, paysans, se reconnaît encore et se remémore parce qu’elle participa  à l’horreur infligée aux Algériens. Quand notre génération fut appelée, il nous manquait une information historique solide ; nous ne connaissions rien à l’Algérie d’avant sa conquête. Il faut solidement s’informer pour analyser pertinemment une situation politique. Nous dûmes apprendre seuls, lire pour comprendre pourquoi et pour qui on faisait « le sale boulot ». Et comble de désillusion, c’étaient nos « pères », nos maîtres, nos instituteurs ou nos professeurs, ex-résistants que nous admirions, bref la gauche qui avait combattu pendant l’Occupation et dont les exploits avaient bercé notre enfance qui nous envoyait piller, voler les fellahs misérables, violer leurs femmes ou filles, brûler leurs mechta, napalmer leurs cultures. Avec bien entendu les encouragements des officiers et des autorités locales. Nous étions devenus contre notre gré des néo-nazis. En effet, est nazi celui qui détient et abuse d’un pouvoir absolu sur autrui, qui a la force et donc le droit de tuer en toute impunité. Le sentiment d’abandon qui saisissait les appelés, l’incompréhension  ressentie n’étaient pas forcément  clairs à l’esprit ni totalement partagés, mais peu à peu la prise de conscience  s’élargissait suite à nos   discussions et à la lectures  des lettres ou des témoignages de soldats  revenus  en métropole. Aussi quand le général de Gaulle demanda à la radio aux appelés de désobéir aux officiers félons, auteurs du coup d’Etat du 21 Avril 1961, voire de les arrêter, cet ordre eut un immense retentissement. Un sens de la désobéissance civique était né là, bien avant 1968. En  bref, il nous fallut se désolidariser de nos glorieux aînés, ceux qui étaient dans nos livres d’Histoire depuis 1789, ceux de la Résistance (ceux dont on célèbre le programme aujourd’hui , dont on fête les anniversaires) qui , à l ‘exception de quelques  uns dont Germaine Tillion, laissèrent faire .

     

    Nous fûmes impressionnés (ce fut une autre grande leçon) par la fragilité des institutions, par la frontière ténue entre dictature et démocratie et finalement par la faiblesse de la République en raison de l’inexpérience métropolitaine ou de la méconnaissance par l’opinion de ce qui se passait réellement en Algérie (notamment l’usage de la torture). Finalement le refus de savoir coûte cher. Il fallut que parvienne le terrorisme dans l’hexagone (OAS, bombes dans Paris), pour que des événements aux conséquences lointaines, déléguées à la jeunesse, et la proximité du danger  du fait des attentats contre le président de la République (qui échappa de peu aux balles) manifestent un urgent besoin de s’informer et de réagir. Les grands principes ne suffisent pas ; ils cachent souvent des actions barbares envers d’autres peuples. La relativité des idéaux nous crevait les yeux et nous ne l’avions pas vu. Se dépouiller de notre idéalisme juvénile, un peu naïf ou inconscient, au profit d’un réalisme froid constitua la seconde étape. C’est pourquoi nous réagissons avec prudence aux appels à un retour de la Résistance ...qui n’avait rien vu ou rien dit en 1945 ou 1954

     

     

    « Indignez –vous »....deux fois !

     

    Fuir le souvenir de ses propres fautes, ce n’est pas militer; rejeter sa part de responsabilité même minime dans les malheurs des autres   peuples, ce n’est pas cela  être politisé. Acquérir une politisation signifie rejeter le manichéisme, ne pas se percevoir en victime perpétuelle. Les médias d’information simpliste n’aident en rien les jugements. On vient de voir à la télé sur France 2, une émission louable dans son intention, sur la crise, la pauvreté et le chômage où 2 interlocuteurs sur 3 étaient des millionnaires célèbres, certes sympathiques, et probablement sincères. Même les millionnaires s’indignent aujourd’hui ...devant l’arrogance des milliardaires ! S’indigner c’est facile ; nous faisons ça à longueur de journée en nous comparant à ceux qui sont plus privilégiés.  Défendre ses propres intérêts, c’est la logique de la politique ; parfois il est bénéfique de prendre en compte des intérêts plus larges que ceux notre petit groupe,  celui d’ un ensemble de classes, d’un monde en interrelation ou même de la planète entière. La leçon à retenir est qu’il est préférable de parvenir à un jugement mesuré, équilibré par lequel il faut s’indigner du sort que nous faisons subir à d’autres, même involontairement, tout autant que de s‘indigner des maux que nous supportons,.Certes il est malaisé de lier tous les intérêts épars et contradictoires. On trouvera en chacun de nous une part d’égoïsme et d’irresponsabilité qui pousse à s’indigner. Au profit de qui ? Pour quelle cause ? Le problème est de bien choisir et ne pas s‘exonérer de fautes et carences, voire de crimes. Pour cela il est juste de ne pas oublier notre passé. La politique n’est pas de faire appel continûment à la passion ou aux sentiments mais plutôt à la Raison et à l’intelligence.

    C’est pourquoi je restitue ce témoignage d’une politisation douloureuse, celle de notre génération, en forme de clin d’œil à la jeunesse d’aujourd’hui. Je persévérerai  si cela intéresse les lecteurs du blog par l’épisode qui succéda suivant :  l’indépendance obtenue  par le peuple algérien,  la fraternisation, puis  la coopération de 1963 à 1973, la participation à la  « reconstruction » en Oranie et à Alger, sous Ben Bella puis sous Boumediene.  Des enquêtes sociologiques qui nous conduisirent dans les pas de Pierre Bourdieu et sous l’œil de la police.

      


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  • Voici le texte emprunté au blog d'un ami:http// christobalestderetour.wordpress.com 
     
     
     
     

    Billet d’humeur: trop d’Etat providence ou pas assez… Dans les deux cas, les gens modestes paieront!

    juillet 27, 2011 par christobalestderetour

    9000 euros par an et par médecin. C’est notamment ce qui ressort des négociations entre les représentants du monde médical et ceux de l’assurance maladie cet été 2011 pour décider des règles du jeu du système de santé français, dans les années à venir, et limiter, autant que faire se peut, les dérapages financiers. Tout le monde ou presque semble satisfait… pour une fois. Les frères ennemis des syndicats de médecins, comme les réprésentants des institutions publiques.Tous y vont de leurs déclarations rassurées.
     
    Ces négociations magnifiques, on nous l’a dit, reposent sur un slogan d’une simplicité et d’un bon sens déconcertants: moins de quantité pour plus de qualité! On a enfin trouvé la solution pour endiguer les dépenses de santé et régler la question des déficits chroniques de la branche maladie : dépenser mieux, favoriser la prévention et la qualité des soins. Après une multitude de plans d’action – environ 1 tous les 2 ans depuis 20 ans – les acteurs du système de santé sont parvenus, ensemble, à cette idée lumineuse. Bon sang mais c’est bien sûr! Il suffisait d’y penser fort… et, pour l’Etat, d’allonger la monnaie, encore et toujours.
     
    Les médecins qui respecteront ces objectifs seront récompensés. Et 9000 euros par an, les amis, ca n’est tout de même pas rien. Ca fait environ 750 euros par mois, soit plus d’un demi Smic. Il faut bien récompenser les professionnels de la santé qui acceptent de faire correctement leur métier. Les entreprises privées devraient, d’ailleurs, en prendre de la graine! Je m’étonne aussi que les syndicats non médicaux n’aient pas eu cette idée. Une prime pour récompenser chaque employé, dès lors que le travail est bien fait, enfin, comme il doit l’être. Car il ne s’agit pas de rendement, entendons-nous bien. Et ce, même si les acteurs médicaux parlent à propos de cet arrangement de prime de performance, un terme économique qui, surtout concernant les médecins, ne semble pas, cette fois-ci, susciter la moindre désapprobation morale au nom de la « santé n’est pas à vendre! »  Sur ce coup-là, il est vrai, ces derniers encaissent la monnaie alors…
     
    Rétribuer les médecins pour les remercier d’adopter une pratique médicale raisonnable et de ne pas contribuer davantage à la gabegie, c’est bien là, au fond, l’esprit de cette entente. Toute crise ne fait, finalement, pas que des malheureux… A l’heure où les solutions afin de ne pas aggraver la dette publique relèvent d’une gageure et où l’on demande des efforts collectifs, ceux qui devront travailler plus et/ou mieux en étant payés moins, et Dieu sait qu’ils seront nombreux, apprécieront…
     
    En France, le système de santé, symbole de notre Etat providence, profite à tous, mais surtout moins, tendanciellement, aux jeunes, travailleurs pauvres, ouvriers et employés du privé, habitants des campagnes populaires ou de certaines villes situées très au nord. Ces 30 dernières années, il est progressivement devenu une vache à lait, capricieuse en plus de cela. Il faut dire que certaines bouches sont plus avides que d’autres et généreusement rassasiées par ses mamelles… En définitive, notre merveilleuse assurance maladie fait surtout les choux gras de certaines catégories de médecins et de certaines catégories de malades… au détriment des autres naturellement.
     
    La CADES, créée en 1995, emprunte régulièrement à moyen terme sur les marchés pour renflouer le fameux trou de la sécu. Un tonneau des Danaïdes en vérité. Ceux qui viendront paieront… dans 10 ou 15 ans. Après les maladies orphelines, nous allons voir peut-être les orphelins de maladie. Ces derniers ne se déclareront plus malades et ne se feront plus soigner, à mesure que la couverture de santé se réduira comme peau de chagrin, faute de solvabilité à long terme du système. Et pour couronner le tout, paraîtrait même que la CADES emprunte parfois auprès d’organismes financiers implantés dans des paradis fiscaux douteux. Mince alors, si j’avais su que l’argent sale ca finançait un peu de mes soins médicaux, j’aurais milité pour que la lutte contre la criminalité internationale et financière arrête son char. Faut pas déconner quand même! On rigole pas avec ma santé…
     
    De ces aspects déplaisants, presqu’aucun journaliste ou politique ne semble vouloir parler. Il est vrai que bon nombre parmi les grands journalistes et les politiciens sont soit enfants de médecins ou soit liés, d’une manière ou d’une autre, au milieu médical qui sait, par ailleurs, les combler de cadeaux. En bref, pas facile pour eux d’être critiques ou sourcilleux concernant les dépenses de santé… Je ne sais pas vous, mais moi, cette situation, à la longue, ca me chatouille et ca me gratouille, comme dirait un certain docteur Knock.
     
    Aux Etats-Unis, le problème s’avère très différent - le système de santé ne protège vraiment que les heureux bénéficiaires d’une assurance privée convenable et souvent onéreuse - mais pour un résultat assez proche: des pauvres mal soignés il y en a beaucoup et ca va pas s’améliorer. Obama est quasiment sûr de devoir sacrifier son ambitieuse réforme de couverture médicale universelle sur l’autel de la dette publique, à la demande des Républicains. Les riches et leurs idiots utiles du Tea Party ne veulent pas payer pour les pauvres. Là-bas, les riches, z’ont pas l’habitude… de payer pour les autres. Mais dépenser pour eux-mêmes leur argent et celui des autres, çà oui. Le délabrement des finances publiques américaines doit, en effet, beaucoup aux baisses d’impôts massives et au financement de guerres impérialistes coûteuses, en plus des excès de Wall Street, dont la grande bourgeoisie américaine bénéficie pleinement.
     
    Qu’il s’agisse d’un Etat providence mal géré, dispendieux et désormais inéquitable, dont le système de santé est devenu l’archétype, comme en France, ou d’un Etat injustement réduit à la portion congrue, comme aux Etats-Unis, dans les deux cas, les gens modestes, ceux qui n’ont pas encore basculé dans la roublardise ou l’abus, se font avoir. Ils profitent moins, mais paieront plus afin que la collectivité supporte les conséquences du « pas assez  » ou du « trop de ». Une guerre entre les classes a d’ailleurs commencé pour savoir qui, de la dette publique aggravée par la crise financière de 2007, portera le fardeau. Encore discrète, mais bien réelle.


     



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