• Réflexions autour de 20 ans de réflexion dans le silence de la montagne et la concentration que permet la solitude.

    01/02/2022 

    Réflexions autour de 20 ans de réflexion dans le silence de la montagne et la concentration que permet la solitude.

     

    Dans les livres que je viens de lire il y en a un que je vous recommande : Le Grand Atlas Homo Sapiens de Telmo Pievani et Valéry Zeitoun, paru aux éditions Glénat en novembre 2021.

     

    Ce livre retrace les millions d'années durant lesquelles les différentes races humaines ont prospéré puis disparu. Il y a un extrait intéressant qui évoque le passage des premiers humains du langage modulé au langage articulé, de l'observation immédiate à l'observation orientée et recherchée. Jeunes gens, n'égarez pas votre concentration, et développez votre sens de l'observation en réfléchissant à cette capacité humaine qui permit, sans que vous le sachiez, d'interpréter, d'analyser, puis de mémoriser.

     

    Donc, avant le goût de l'observation, il y a le sens de l'observation, ou l'intention d'observation accumulée depuis des millénaires. Pour que le Goût de l'observation se développe dans les jeunes générations, il fallait auparavant que le sens de l'observation exista, c’est-à-dire le temps et les occasions de la vie quotidienne comme une seconde nature. Ce sont des milliers de petits faits que nous voyons, et interprétons, de manière spontanée ou réfléchie. Il y a donc une autre étape : l’introduction dans les enseignements et le développement scolaire de ce sens de l’observation qui, s’améliorant, devient l’une des grandes capacités de l’Homo Sapiens. La science est née du regard, du constat, et de la mesure des phénomènes naturels, humains ou non, qui se déroulent devant nous. Donc, son éducation est perpétuellement à entretenir. Il ne faut jamais dire à un enfant qui pose une question : « tu comprendras plus tard ». Car l'enfant observe sans cesse, avant de parler, de nommer, il reconnaît, connaît de nouveau, enregistre, et va ainsi devenir un petit Homo Sapiens.

     

    Malheureusement, cette capacité que nous avons développée sans le savoir grâce à l'école primaire, et aux événements vécus par notre famille, et notre village sous l'Occupation allemande, nous a servis de base pour un goût de l'observation libre et sans orientation particulière.

     

    C'est pourquoi, nous qui sommes de la deuxième génération des observateurs en sciences sociales (la première datant des années 30 jusqu'aux années 60 [Amérique, guerres, occupations etc.]). Nous avons profité de cet acquis et de ce savoir spontané, lesquels permettant une sociologie spontanée à louanger, mais également continué à entretenir, à partir des années 50 ou 60, en regardant intensément la guerre d'Algérie en 1950, et les menaces sur la République.

     

    La troisième génération des observateurs participants français date des années 2000. Tandis que nous avions pléthore d'exemples américains, d'échanges avec nos collègues de Chicago, nous avons essayé de transmettre cet esprit à nos étudiants. Ces-derniers en ont profité, parfois pour devenir de grands chercheurs, comme j’en cite dans mon blog.

     

    Viendra maintenant une quatrième ou cinquième génération qui est en cours, invente et construit sa propre méthode, trouvant ses propres terrains. Le blog, que je veux maintenant évoquer, fait référence à ces aspects. A ce propos, je voudrais vous parler des six grands tomes que Lucas m'a récemment tiré.

     

    Dans ce petit millier de pages de deux blogs récupérés et imprimés par Lucas, je peux voir progresser le défoulement dont j'avais besoin après 35 ans de vie professionnelle intense, mais pas toujours réussie. Car il y a été difficile, à la fois d'observer un lieu de travail, d'écrire, et d'enseigner. Les deux choses sont antinomiques : enseigner à la fac c'est monter sur l'estrade dans l'amphi et faire du théâtre. D'ailleurs, à Aix-en-Provence, les deux vieux, Lautman et moi, avions été placés par nos jeunes collègues à intervenir le lundi matin : il fallait réveiller les étudiants qui manquaient de sommeil, et les extirper d'un week-end chargé. En revanche, à l'opposé de la démonstration théâtrale en chaire, il faut faire une observation participante dans l’obscurité et le retrait : prendre des notes en cachette et réfléchir intensément. Ceci demande une concentration, et un retour sur soi, qui sont à l'opposé du combat permanent de la démonstration pédagogique théâtrale propre à susciter l’attention des jeunes. Dans ce texte qui me servit donc de défouloir, dans ce blog, vous verrez plusieurs interprétations. J’y mets d’abord en les trois anglais, anthropologues ou historiens, qui furent des exemples pour moi, que je connus et qui furent d’un grand altruisme à mon égard : Jack Goody, Richard Evans, John Dunn. Ils étaient modestes, coopératifs, et fraternels parce qu'ils avaient vécu de grandes épreuves, pour deux d'entre eux la libération de l'Europe, donc de la France.

     

    Après, je pourrai justifier que ce blog mélange, apparemment de façon arbitraire, ethnologie, sociologie et histoire. J'ai toujours dit aux étudiants que ces disciplines étaient inséparables, et qu'ils devaient y avancer simultanément, puis les connaître.

     

    Dans ces deux blogs vous trouverez également un risque, que j'ai essayé d'éviter : la tendance personnelle à l'anarchie. La désobéissance me semble la première qualité et le premier impératif demandé aux jeunes de 20 ans. Ce refus d'obéissance n'est pas un soutien à tel ou tel gouvernement, tel ou tel pouvoir, tel ou tel parti. C'est une réaction épidermique anti-élite, anti-succès, anti-recherche-des-médias, anti-inclination-à-la-gloire. C'est aussi un penchant pour une certaine modestie. Je pourrais vous raconter, si vous le souhaitez, pourquoi et comment je ne suis jamais allé à la télévision, bien que je fus invité ; pourquoi et comment je ne suis qu'aller à la radio une dizaine de fois, dans des modestes émissions reléguées à des horaires peu populaires, comme France Culture.

     

    Le sociologue, comme tous les autres chercheurs en sciences sociales, est exposé à la course à la gloire, ou à une certaine reconnaissance. J'ai voulu prendre le contre-pied de la tendance que mes collègues manifestaient avec enthousiasme : la gloire médiatique, une Cour de courtisans, ou même une École pour fédérer les étudiants qui auraient été enclins à suivre. J'ai dirigé 5 ou 6 thèses d'étudiants de valeur, non pas brillants à l'université, mais bons sur le terrain et en histoire. Ils ont été très vite mes jeunes camarades, hors de ma responsabilité on s'est tutoyé, et j'ai gardé des liens de proximité avec cette dizaine de personnes qui ont aujourd'hui 40 ou 50 ans.

     

    A ces jeunes camarades, comme aux quelques lecteurs inconnus qui ont voulu lire mes écrits, je dis et répète : la modestie est le premier virus qu'il faut introduire. Il faut être également, sans-cesse, un autobiographe critique et d'une modestie exemplaire. Cela a un coût et des risques. Ma critique de l'industrie pharmaceutique, de l'abus des dépenses de santé, de la soumission de la société à quelques grandes industries du médicament, est aujourd'hui d'actualité. Bien sûr, à mes camarades et moi, on a fermé la gueule, on nous a dit d'aller ailleurs, éconduits. Et vous verrez dans ce blog, qu'à mes premiers jours de retraite pleine, j'ai quitté, après avoir informé l'administration, le poste d'enseignant de prof de première classe dans la discrétion, le silence, et n'ai plus mis les pieds dans une Faculté ou un département de sociologie.

     

    Alors, vous verrez dans ce blog une insoumission intellectuelle s'épanouir dans le travail intense, persévérant, que j'ai entrepris dès le premier jour de la retraite. J'ai pu réfléchir, écrire 6 livres, autant que dans ma vie active (comme les 12 apôtres) qui sont le fruit d'une décision mûrie, réfléchie : on ne peut pas être prof et auteur, on ne peut pas être un intellectuel et acteur de la vie intellectuelle à la fois, il faut rester à l’abri des tentations d'orgueil et de vanité, et manifester une objectivité qui est une forme d'insoumission.

     

    Mon blog, qui est relativement lu, donne ce genre de conseils aux jeunes sociologues : prenez confiance, faites votre propre culture, obéissez en surface, gardez votre sens critique et fabriquez votre propre culture livresque.

     

    Le désordre et l'aspect de simple suggestion, ou de vague orientation de mon blog, peuvent être des éléments parmi d'autres qui témoignent d’un monde bouleversé, puisqu'il n'y a plus de vieux ni de jeunes, de droite ni de gauche, de votants ni de non-votants. Il faut des gens libres, qui ont inventé leur propre personnalité, et qui, sans être ethnocentristes, regardent les choses qui se passent ailleurs dans le monde (voyages, emplois précaires, rencontres avec des inconnus).

     

    Dans le racisme ambiant et inconscient qui nous inonde aujourd'hui (migrants, pauvres et grandes villes), il n'y a pas que le virus qui doit nous mobiliser, mais bien d'autres combats, plus justes, plus centraux et plus sérieux.

     

    J'espère que ce blog est une petite pierre, une petite brique, incluse dans le grand mur construit contre la bêtise intellectuelle ou la connerie nationale.

     

    Pour ce que moi je peux comprendre de mon passé, dès 1940, je vois trois générations qui ont pratiqué l'observation sociale de milieu de vie.

     

    De 1940, l’observation de Résistants et des Occupants il y a eu un instinct d’observation qui s'est réveillé.

     

    De 1970 à 2000 il y a eu des générations qui, de Bourdieu et Passeron, ont largement cultivé cette tendance, jusqu'à arriver à la troisième génération, celle de 2005, qui cultiva ce sens pour parvenir au goût de l'observation et le raffiner par une technique singulière : la participation voulue et recherchée à des situations singulières ou générales, en tout cas enrichie par la participation.

     

    Alors, jeunes gens, n'égarez pas votre concentration, trois générations montantes voient la quatrième tomber ou décliner. Cette menace n'est pas irrémédiable, les événements actuels sont un champ immense pour l'observation quotidienne. On peut passer des heures à regarder les gens obéir, s'aligner, contourner, se détourner des ordres ou des directives qu'ils reçoivent. Les événements actuels attendent des sociologues qui soient à l'affût des petits faits innombrables de la vie quotidienne, qui suggèrent qu'une révolution culturelle est en cours. Je ne dis pas que ce sera mieux qu'avant, mais s'il y a un peu plus de gens intelligents, qui font du sens de l'observation une capacité inédite ou originale, le pire n'est pas à craindre.

     


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