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    Petite note de lecture

    David Lepoutre : « Ne demandez pas comment ; demandez pourquoi ? » Ed Odile Jacob 2020) 

      Classique résumé fidèle  en tirant Lepoutre vers le non-traditionalisme  du genre,  incluant une finesse d’interprétation des œuvres. Ça mérite une note peu  ordinaire,  du fait  de l’originalité de ses choix  de lectures ( socio-ethnologues,  journalistes, historiens   et surtout  naturalistes) ,  et de l’anticonformisme dans ses choix des auteurs, et  de leurs thèmes  à des fins de lecture ou d’enseignement. Il faut lire sa présentation (6 pages) pour comprendre l’atypie et l’attention de son projet quant à  une recherche  qui apporterait vraiment quelque chose  de neuf, de  lisible, de judicieux en sciences sociales.  C’est donc à titre tout à fait personnel qu’il révèle ses choix et ses goûts  pour naviguer dans l’espace  débordant de la production livresque  où beaucoup de  commentateurs précédents se sont noyés

     

     

    : Lepoutre, à la suite de St.Jay  Gould

    En sciences sociales  ou sociologie, on état habitué  à rejer ou  à singer  les sciences math et physiques.ici,. Avec ce livre,  il faut renoncer à la démonstration à base hypothético-déductive au profit de l’intuition et de l’induction .Meilleur livre    pour saisir de nouvelles idées ;  c

    Ce que propose ce sociologue pratique, Lepoutre est exemplaire ; il n’est  pas un nouveau  « théoricien » d’emblée, mais  un inventeur d’ancêtres , un chercheur de traces. Ayant clarifié son projet, dans une excellente  préface, il est alors  parfaitement systématique  et  ingénieux. Le résultat n’est ni  un énième manuel, ni  un traité  ou  histoire de la discipline, ni une enquête de terrain précis .Alors ce livre risque de ne pas être perçu comme  celui d’un professionnel. Or, c’est un instrument de réflexion  utile pour les jeunes génération qui voudront comprendre une espèce disparue ;  le sociologue d’Etat  critiquant sans cesse l’ Etat   ou la société qui le nourrissent !   se démarquant sans cesse des disciplines voisines ( Histoire, Philosophie politique).Mais c’est une réflexion pour le futur . La socio telle qu’on l’a connue sur 2 générations chanceuses   : ceux qui ont enseigné et écrit de 1950 à1980 et la suivante qui se tarit vers 2020,  puisqu’il n’y a plus de publics, plus de subventions, plus d’éditeurs. Mais certains  reconnaîtront là une chance de comprendre ce qui s’est passé 

    Lepoutre  aperçoit des formes extrêmement originales de connaissances; à partir de son expérience de chercheur et de  lecteur éclectique, il découvre des manières de faire de l’observation ethnographique, différentes de celles consacrées  par la tradition,  et on en trouve maints exemples dans l’histoire,  si on ne  l’assimile pas simplement à un regard  indiscret sur le monde. Ce projet est  intéressant, voire  vital en temps de crise , mais il a été peu réfléchi jusqu’ici, en sociologie, y compris, par leurs tenants  de  l’observation  ethnographique la plus prudente.  Il pressent que tous les individus en ascension rapide, ou  ceux aux grandes ambitions, ayant des qualités hors du commun d’appréciation de la réalité qui les entoure,  pratiquent une sorte de regard original  intense à exploiter . Que ce soit sur leur milieu d’origine ou d’arrivée, leur trajectoire biographique d’ascension, qu’ils en usent continuellement  ou non, une fois le plis pris, les lecteurs  deviendront, à leur insu, alors, des ethnographes spontanés au regard perçant

      Ainsi ceux qui subissent un choc dans leur vie qu’ils ne comprennent pas, qui connaissent un changement brutal, ont besoin de s’adapter vite pour  réussir dans leurs nouvelles conditions , que ce soit  afin de  survivre ou non. Ils pratiquent inopinément un regard particulier sur la vie nouvelle, sur les expériences inédites qu’ils traversent ; ceci les rapproche du sociologue-ethnographe professionnel. Ils font donc une forme d’exploration externe sociologique.   Les « auteurs » de Lepoutre  ont connu des inédites conditions de vie qui induisent une participation intense dans un projet.   Lepoutre rejoint là,  ceux qui pensent que la socio par observation s’apprend jeune -  dès l’école primaire je pense, pour ma part  - ils seront donc les socio-ethnographes  de demain . Si le destin les met dans un  lieu où la vie de groupe , les changements d’intérêts  brutaux, notamment  dans les loisirs ou  à travers  des projets fous,  exerceront une concurrence exacerbée ;   ils seront plus motivés  que d’autres   pour réaliser  un changement  de cadre de pensée. L’observation participante traditionnelle était fondée sur   cette idée :   ceux qui ont une grande ambition,  regardent le monde plus intensément,  inventant sans le savoir de nouveaux cadres de raisonnement en sociologie ou ethnographie .Toute « l’Ecole de Chicago » a été bâtie sur cet implicite. Lepoutre réunit  donc , dans son livre audacieux des cas  d’innovateurs -hors sociologie-  d’explorateurs, d’inventeurs  de tous formats, en arts, lettres, alpinisme, sciences « dures »  etc..  qui ont publié les moments de leur parcours ;   il examine ces cas, un par un, en profondeur,  sans les relier  nécessairement à la sociologie mais en pensant sans cesse à elle  ;  par curiosité,  par   association insolite . Et ça marche ! nous sommes conquis !!  Bien sûr il avait averti  qu’il suivait là, entre autre, une idée de Howard Becker

    Ainsi, de fait, il redore le blason de l’intuition et,  par conséquent de l’induction en sociologie. Contre les « academics » qui veulent s’inspirer des « sciences nobles », logiques en apparence, mathématico-déductives ou de démonstrations de laboratoires en chimie ou physique ; il  prend  le contrepied  des usages de méthodes enseignées,  au bénéfice de l’inspiration,  de l’attention qui   contrecarrent ce que nous croyons habituellement . Les inventions les plus pratiques ,les livres les plus aboutis , les plus convaincants en sociologie ou ailleurs  relèvent d’ innovations de ce genre. Ils  s’appuient ,non sur un étalage statistico -théorique,  ni sur une imitation d’une  méthode dite exemplaire, engendrée d’un glorieux ancêtre ou dans une discipline quelconque.   Pour lui, les exemples de « découverte » ne sociologie, viennent d’auteurs singuliers et ingénieux, et  reposent d’abord  des inspirations  que  ressentent ces auteurs  au sujet de leurs  innovations,  quant aux moyens d’explorer le monde  que ce soit des exploits sportifs  comme vaincre un sommet, innover en musique , renverser les hiérarchies de la tradition consacrée. Cet auteur-là négligera l’importance universitaire ou »scientifique »  du jugement   au sujet de ses originalités . Et finalement, elles auront une chance de survivre et d’être jugées géniales par les lecteurs ou par d’autres   intellectuels, parfois longtemps après coup ! Il faut lire attentivement ce livre étonnant d’audace dans le non conformisme explicatif, dans la recherche d’une sortie de la lourdeur bureaucratique des jugements en disciplines jeunes et balbutiantes, paralysées par leur passé et par leurs  « Maîtres »

     

    L’innovateur Lepoutre, sur un mode innocent,  n’est  pas simplement un passeur de  frontières, il est indirectement  un « haut parleur » en faveur d’une sociologie  pratique quotidienne, qui  eut ses heures de gloire dans des « traditions » à l’étranger. En examinant une trentaine de cas,  il semble passer  du coq à l’âne .Or, il suit  un sentier  bien tracé par les paléontologues ou géologues,  souvent à l’exemple de Stephen Jay Gould, le grand biologiste de Harvard, célèbre pour ses livres  sur les sciences naturelles , aux virages imprévus,  à-côtés suggestifs,   écarts éclairants (relisons Le sourire du flamand rose ») acceptant la modestie de leurs résultats  ainsi qu’ une grande économie de moyens   (voir son dernier livre  sous-titré : « Avant-dernières réflexions sur l’histoire naturelle », (Seuil, 2002). Une autre piste serait la « Petite Ecole de Chicago » avec ses observations participantes que nous avons réalisées, ici ou là -bas, à la suite d ‘ auteurs célèbres , tel H S.Becker  et bien d’autres oubliés.

    Avec  éclectisme des thèmes abordés,  Lepoutre narre des épisodes de  travail (des cadres aux ouvriers)  des épisodes de la  vie de marginaux ou SDF et  vagabonds,  ou bien les consommations illégales  , les drogues, les marges de la sexualité etc. Ce sont des sujets éternels, accessibles  souvent seulement à ceux qui lisent l’anglais.  Un autre définition de la sociologie est née là quant aux rapports sociaux  ou les conditions réelles de travail, connus seulement par des socio-ethnologues vivant sur leur terrain, avec leurs « sujets »

    Lepoutre, analyste comparatif et commentateur  avisé,  au style agréable,  se lance dans un  défi original , sans le dire, sans gesticulations. Il suggère  un débat critique sur le poids aveuglant des méthodes classiques réputées éprouvées,  dites rationnelles. Ainsi il ouvre la réflexion sur les conditions pour une autre sociologie, originale, d’étude de sujets peu conventionnels .  Ce sera là, une pépite pour les jeunes chercheurs qui trouveront un mode non conformiste de lectures, par exemple sur la « médecine »   d’urgence, où deux idées s’imposèrent à moi, après un séjour de participation au travail, d’un an.  L’offre fait la demande de maladies dites graves, y compris le mal-être, et donc fabrique des clients  relativement formatés, de plus en plus nombreux ( on le voit tous les jours avec ce virus). Mais parfois la machine s’enraye   en raison d’un événement imprévu : le gigantisme et la croissance des « besoins » médicaux  qui  en font un machine incontrôlable, à la concurrence interne exacerbée,  finalement sans examen du coût  pour le pays

     En bref, Lepoutre  anticipe la fin de la socio  conventionnelle comme institution ou comme rubrique scientifique,   ainsi que  tous les modes ou courants qu’il a fréquentés en 40 ans  de profession ;  où il a « vu » beaucoup  de spécimens sociologistes,   « pros »  et  amateurs du « métier »,voire quelques  faussaires !!Ce constat est celui d’un passeur de frontières  entre ethno, socio, histoire, géographie,  zoologie, sciences naturelles  comme paléontologie etc..   Ainsi Lepoutre se fait  l’annonceur d’un nouveau   genre   en vue  de changements. Il faut que notre discipline perde l’habitude des publics minuscules, trouvant là, sa raison d’être inutile ou  confidentielle. Quand la socio ne se vend plus, n’attire plus de public étudiant , on doit s’adapter , créer un carrefour original, lancer une nouvelle idée ou chercher un genre de public . L’observation participante de naguère a vécu ; indirectement Lepoutre ouvre la voie à des observations différentes, nombreuses, sans axe et simultanées ; une exploration participante   plutôt  du  style de Becker qui « regarde » à la fois les musiciens, leur consommation d’opiacés et  le genre de public dans les « boites »  de    striptease…Et qui n’a pas un « terrain » spécifique puisque « tout » est terrain. Cette exploration doit être en permanence ouverte, en éveil, car tout  et toute la vie sont une observation participante plus ou moins intense 

    Lepoutre anticipe  notre crise  interne, et  probablement la fin de la socio ethnographique traditionnelle de l’après guerre, à coups de théories exaltées, de cours sur des micro-méthodologies et à base ,à la fin,  de philosophies « populistes » . Ce genre a vécu ; ce fut un apparat que le nouveau capitalisme centralisé d’après 1945,  a entretenu à ses marges , comme un femme de luxe,  même vieillie, est conservée par ses mentors. A ce titre, notre discipline et ses acteurs les plus en vue, pouvaient se payer une virulente critique permanente des institutions d’enseignements et de recherches  et  pratiquer des combats de chef.  Notre discipline a donc profité de 50 ans de soutiens, éditoriaux ou des pouvoirs publics, pour son enseignement et ses créations écrites sans contrôle. Cela a vécu ! voila ce que suggère le livre de D. L. Cette  successions   de sociologies critiques, rémunérées par L’Etat,  à son détriment d’ailleur puisque critiqué systématiquement, vit sa fin ; c’est la fin de   quoi ? C’est la fin d’un capitalisme d’accumulation rapide, de très gros « riches »,  se payant des  critiques entretenus, comme des fonctionnaires  Mais c’est un luxe qui  touché le fond , qui a culminé en 2010 ( dont je fus avec des centaines d’autres, le bénéficiaire ) .  Cette liberté, auto-destructrice , s’éteint avec le capitalisme « d’Etat » modéré. Ce capitalisme en crise laisse tomber sa  « danseuse » .Il n’y aura plus de croissance d’étudiants, ni de postes, ni de débouchés et  à  la fin , la socio  restera une  activité personnelle non  rémunérée , une envie de savoir qui empruntera aux sciences de la nature, la modestie, la lenteur, les comparaisons et raisonnements intellectuels de tous bords comme le fait ici David L.  Avant 1945, elle n’avait pratiquement pas d’étudiants, de cursus, de postes ad hoc, et maintenant elle s’éteint avec le capitalisme de    l’opulence   Occidental. Il  restera bien sûr des esprits libres , philosophes  spontanés, penseurs atypiques ou originaux de tous bords.   L’ethnographie  de type colonial survivra  peut-être, mais  la socio  disparaitra…certes pour renaître un jour.

     Fin de david


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