• Ader l'aérien, Peneff le souterrain

    10/06/2023

     

           J'ai pris ma retraite officielle en 2001, le premier jour de mes 62 ans, pour ne pas rester dans un département de sociologie figé, un peu réactionnaire, mais porté et conduit par l'orgueil régional et particulier des aixois.

    Et je ne le regrette pas, cette retraite m’ayant permis d'écrire six livres importants pour moi : La France malade de ses médecins (2005), Le goût de l'observation (2009), Maintenant le Règne des banquiers va commencer (2010), Howard S. Becker. Sociologue et musicien dans l'école de Chicago (2014), Ader l'aérien : un ingénieur toulousain (2020), et Sur le terrain : un demi-siècle d’observation du monde social (2021).

           La concentration et l'intensité de la pensée ont dépendu de mon isolement, de ma solitude en montagne, et de ma possibilité d'aller lire dans deux bibliothèques universitaires situées à Aix-en-Provence et Grenoble.

           Donc ces douze ans d'auto-retraite forcée m'ont permis d'écrire douze livres de 62 à 83 ans. Ces douze livres – que j'appelle les douze apôtres – me rappellent à eux maintenant, et me conseillent de me retirer sur la pointe des pieds.

    Pendant cinq ou six ans, tenir un blog m'a permis de faire la transition. J'ai fait le bilan, et l'observation du monde devenu fou, depuis là-haut. Et je n'étais pas mécontent d'avoir été un mauvais prophète en prévoyant ceci. Mais maintenant l'âge m'a rattrapé : 83 ans est un virage. Et ces livres vont m'accompagner dans ma dernière, et dernière, retraite. Je remercie toutes les personnes qui ont lu le blog, l'ont fait lire, l'ont résumé, et ont quelques fois donné leur avis. Ceci a été un soutien essentiel pour moi : de voir que mes élucubrations, ou mes pensées tortueuses en montagne en marchant, ont permis d'intéresser quelques personnes. Je veux donc dire merci à tous ces inconnus qui, sans le savoir, m'ont tenu à bout de bras pour vivre dans un isolement complet entouré d'un millier de livres et de millions de notes et de souvenirs. Mais maintenant je tire la porte de la maison et je pars dans l'obscurité.

           Dans cette volonté de se retirer de scène, de se placer en semi-obscurité, je rejoins mon ami Becker qui, dans la banlieue de Chicago, s'est également taillé un refuge duquel il ne sort pas. Je voulais aussi dire un adieu à un livre qui a été mal lu : Ader l'aérien, un ingénieur toulousain. La lecture de la préface et des premiers chapitres nous permet de voir ce qu’a fait Ader entre 15 et 25 ans, et dit aux jeunes de son âge : « faites des maths, faites des sciences, travaillez de vos mains, fabriquez des maquettes, inventez des solutions techniques à des petits problèmes mécaniques ou industriels, et aimez les sciences ». C'est-à-dire tout ce qui est loin du journalisme, de la publicité, de l’esbroufe, et des fabricants d'opinion et de réputation. Cet ingénieur toulousain vous proposerait l'observation et l'imitation de la nature, au lieu de sa destruction, et vous inviterait à porter un regard critique sur le cadre socio-politique de votre scolarisation et éducation.

           L'époque est cruciale et unique. L’Occident de la raison et des sciences disparaît au profit de qui, de quoi, on ne sait. Mais homo sapiens est vraiment en danger. Alors jeunes gens, sauvez votre peau : lisez Ader ou Becker, et d'autres ingénieurs et auteurs subtils et bons observateurs, réunissez-vous, fabriquez des îlots de résistance contre la montée de la bêtise et le ras de marais d'idioties qu'on peut lire dans la presse ou écouter à la télé. Mettez-vous à trois ou quatre, réunissez votre capacité d'observation et de critique, et prenez un semi-ermitage comme-moi, ou en tout cas un point de vue extérieur au-dessus de la mêlée. Et riez bien des imbécillités et des discours idiots de nos élites en politique : professeurs, journalistes, intellectuels de tout poil, ceux qui se battent pour être vus et combler leur orgueil sans fond.

     

    Moi, comme Don Quichotte, je vais m'isoler, réfléchir, et regarder ça de loin.


           En tout cas, merci de m'avoir lu et soutenu indirectement, encouragé à me battre si ce mot n'est pas orgueilleux. C'est ainsi que je tire le rideau sur un blog qui a vu passer près de 42 000 personnes.


  • Commentaires

    1
    Dimanche 3 Décembre 2023 à 18:19

    Je n'avais pas connaissance de votre activité sur la toile. Je retrouve ici les fondamentaux de l'enseignement que vous m'avez dispensé à Nantes à la fin des années 80 (88-89). Vous êtes un grand monsieur de la sociologie française. Je reste à jamais votre disciple comme celui de Roger Cornu que je croise encore à Marseille. Je vous dois un grand MERCI !

      • Vendredi 15 Décembre 2023 à 11:15

        Merci de cet éloge, trop grand pour moi, et je suis à votre disposition si vous passez dans la région. Je suis descendu des montagnes et j'ai rejoint la civilisation à Aix-en-Provence. 

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