• Connaître quelqu'un par sa bibliothèque

    20/05/2023

     

    Dans ma formation spontanée et non construite ou recherchée, j'ai trouvé en premier un artiste peintre d'origine colombienne qui a pris des photos de la guerre d'Espagne et de l'exode des civils à la frontière française. Ce peintre qui m'a légué sa bibliothèque et ses tableaux était un homme silencieux, observateur et engagé dans l'art au service d'une cause. C'était mon oncle, Manuel Moros.

     

    Mais dans ma formation a aussi compté un autre courant international, qui vient de l'Est, des mondes slaves comme la Russie et la Bulgarie. Je pense notamment à Tolstoï et Dostoïevski. Et à la maison, j'ai vu nombre de techniciens venus de l'Est invités par mon père, et parler entre eux du Danube, de la Russie, de l'Ukraine, et des difficultés qu'ils ont eu à faire accepter au monde occidental, en France notamment, qu'il y avait là un puit de science et de civilisation et non simplement d'étranges migrateurs.

     

    Il y a aussi dans ma bibliothèque des inventeurs, grands scientifiques, qui ont commencé très tôt à faire des expériences du vol des oiseaux, des exercices dans le ciel qui sont une façon de vaincre l'attraction terrestre. C'est le côté de ma famille qui a donné Clément Ader, le premier homme à volé sur du plus lourd que l'air. Donc sur les jeunes inventeurs, savants ou non, fabricants ou non, j'ai vu que la science était non seulement l'objet d'une pensée, mais également d'une dextérité, d'une manipulation de la matière, et de la fabrication d'avions rudimentaires.

     

    Pour finir sur ma formation spontanée, sur l’éducation inconsciente que l'on reçoit, il y a bien sur le contact des enfants que nous étions avec la guerre : présence des Allemands au village, terreur des habitants, existence nocturne des maquisards venus des bois environnants. Cet étrange mélange fait de combinaisons bizarres a marqué nos enfances et nous a aidé à prendre des décisions à l’abri des adultes, en toute autonomie entre nous, et fabriquer notre propre conscience sociale et politique.

     

    Tout ce mélange aboutit à une petite ville de l'Ouest algérien : Sidi Bel Abbes. Elle clôturait mon service militaire, et une fois démobilisé, je me suis retrouvé à la faculté d'Alger pour remplacer les vieux coloniaux partis dans la débâcle et qui avaient laissé leur bureau, leurs vivres et leur courrier comme s'ils étaient là pour la vie. Ainsi dans cette anarchie d'influences, dans cette combinaison qui se termine après le service militaire à la faculté d'Alger, va véritablement commencer ma carrière, c'est-à-dire une carrière d'observateur presque de métier qui, quand il a pu en prendre conscience, m'a fait réaliser qu'il n'y a pas d'auteurs sans grands lecteurs et qu'il n'y a pas de lecteurs sans observations.

     

    Donc j'ai cinq bibliothèques différentes dans ma maison, autant de pièces consacrées à chacune, une enfance gâtée en livres, peintures, mais faiblement en musiques, qui m'a orienté vers la sociologie que je ne connaissais pas. Pour mieux la connaître, je suis parti à Chicago où l'un de nos profs nous avait dit que l'idée d'y étudier des hommes comme des choses était née. C'est là que bascula ma carrière : j'ai vu des sociologues anticonformistes, des Becker qui enseignaient dans les caves et non pas dans les salles de la fac ou à la bibliothèque, et qui avaient une façon originale et non traditionnelle, totalement informelle, d'enseigner la discipline qui doit se faire sur le terrain dans des pays étrangers en changeant son comportement et ses apprentissages d'enfant ou de jeune homme. Bref, j'ai vu des enfances différentes, des sociologues qui n'avaient aucun rapport entre eux, et un enseignement qui n'avait également aucune relation avec ce que l'on nous avait raconté dans les facultés.

     

    Et c'est pour cela que j'ai voulu persévérer dans cette originalité, dans l'invention, dans le mélange des genres, et dans l'indépendance absolue de la pensée non influençable.

     

     

     


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