• La désindustrialisation brutalement découverte et l'invention de l'industrie du vieillard.

    15/01/2022

     

    Le « vieux » est devenu la valeur centrale et il faut le faire durer à tout prix parce que c'est rentable, ça donne de l'emploi, et c'est moins polluant, et fatiguant, que l'industrie et la fabrication matérielle. En tenant compte de ceci, il était évident qu'on trouverait n'importe quel virus, dans les pays riches et avancés, pour occuper dans des emplois de classes moyennes, tout ce que le monde de la production matérielle et de l'industrie de masse ne pouvait plus mobiliser.

    C'est pourquoi, dans le Règne des banquiers va commencer écrit avec mon jeune collègue M. El Miri il y a douze ans, on avait prévu ce transfert. Plus d'ouvriers ni de classes laborieuses en Europe ou aux États-Unis, mais l'exportation de l'industrie polluante et des problèmes encombrants que posent la création d'une classe ouvrière forte, bien organisée, et menaçante. Ce bouleversement a été accompli sur vingt ou trente ans, et maintenant que la part ouvrière et de fabrication matérielle a été déplacée à l'étranger, nous n'avons plus besoin de l'ancienne classe populaire et ouvrière, indépendante et agressive, pour offrir ces millions d'emplois à leurs enfants, des générations plus jeunes qui porteraient sur les services, l'économie non matérielle : enseignement, santé, art, presse, fourniture de documents et de voyages pour occuper tout d'un coup un temps de loisirs qui a été multiplié par deux ou trois.

    Ce bouleversement de ce type de société, bourgeoisie contre ouvrier, système de classes, violence des rapports, menace sur le régime, a été systématiquement effacé au profit d'une société où les classes sont moins évidentes, moins antagonistes, moins menaçantes.

    Là-dedans, il faut inclure une mine d'or qui a été découverte : l'allongement de la vie. Peu importe la santé mentale et physique dont les personnes qui se voient accorder dix ans de plus bénéficient.

    Avec mon jeune collègue M. El Miri, nous avons étudié les luttes de classes en France sous l'aspect de ce bouleversement, sous le nom Le règne des banquiers va commencer, pour mettre à la place Le règne des médecins, des services à la personne, d'enseignements et de créations culturelles qui ont complètement modifié le sens de l'histoire développé depuis deux ou trois siècles.

     Il ne fallait pas être grand prophète pour écrire ça il y a dix ans. La place déterminée de l'imposition d'un système de santé où les plus de 80 ans imposeraient, grâce à l'organisation de la médecine et à l'extraordinaire embauche de personnels de santé, enfants des classes moyennes et du haut des classes populaires, inemployables ailleurs, mais pour lesquels on a trouvé cet extraordinaire débouché qu'est l'extraordinaire retardement de la mortalité pour la population des 70 à 95 ans, qui ont fait une véritable razzia pour vider les caisses et assurer un bon salaire à des masses de jeunes qui n'auraient pas trouvé une spécialisation, une technicisation, parce que ils ont évité les exigences d'une instruction scientifique et mathématique pour lesquelles ils n'étaient pas préparés. Donc, on a inventé une industrie du vieux qui ne demande pas beaucoup de préparation par les études, ni n'exige une intense rivalité ou compétition entre jeunes mathématiciens, ingénieurs, techniciens supérieurs. Relisez dans Le Règne des banquiers, avec à l'esprit celui qui l'avait précédé, La France malade de ses médecins, pour comprendre ce qu'on vous a caché par de grandes études supérieures en physique, mathématique ou sciences de la nature, au profit d'un enseignement vague, moral, et plus ou moins technique qui sont simplement les intérêts pharmaceutiques, médicaux, hospitaliers, de telle manière que la banque de l'assurance maladie soient en mesure d'épuiser nos ressources et nos richesses au nom d'une vague exigence morale de solidarité.

    Donc, dans ce nouveau paysage, où l'on a plus d'ouvriers, mais bien d'avantage d'infirmiers, d'assistants médicaux et d'hospitaliers, on fait payer le transfert et une partie de la richesse nationale vers un puit sans fond : le besoin d'immortalité, l'évacuation de la peur de la maladie et l'assistance à une population de morts vivants, ni vraiment morts, ni vraiment vivants, qui dévore les richesses et les économies que des générations avaient réalisées.

    Mais de tout cela, nous en avons parlé. La production de masse des malades a été le passage en douceur d'un grand pays industriel à la mécanisation intense qui pollue, détruit le paysage et y fait mauvaise impression, fabrique une classe organisée, mobilisée et menaçante pour la bourgeoisie, la petite bourgeoisie, et les classes moyennes travaillant dans les « services ».

    Vous trouverez dans le blog les carnets de l'Institut Diderot sur le corps humain et sa propriété face au marché*. Et vous trouverez dans la France malade de ses médecins, les références nécessaires pour réfléchir à la révolution invisible et douce qui vient de se produire sur les vingt ans précédents.

    Pour cette découverte en retard, il y a un article récent du Vendredi 11 février 2022, paru dans l’Humanité, donnant la parole à Jean-Marie Harribey, « Le monde d'avant, la cause des désastres »**. Tout le monde se met, maintenant, à essayer de comprendre les mystères et raisons cachés de l'apparition de ce fameux virus qui a été précédé, et sera suivi, d'une masse d'autres virus puisque le monde vivant des humains est issu de ces combinaisons de cellules, de phénomènes organiques, et de créations d'êtres et de la vie depuis des millions d'année. Donc, pour nous auteurs et sociologues, le virus a été évident depuis dix ou quinze ans, il suffisait d'attendre pour que l'on s'en rende compte. Mais évidemment, auparavant, on a cherché à nous faire taire. Les journalistes, ou les revues spécialisées, m'ont agonisé d'injures, ont manifesté une agressivité envers mes deux livres que je n'attendais pas à ce niveau-là. Mais la colère et la haine que j'ai suscitées, et qui se sont manifestées dans les meilleurs journaux de gauche (Le canard enchaîné, Le Monde etc.) avaient été précédées, bien évidemment, d'une tentative de corruption puisque mes deux livres, avant publication, voulaient être achetés, ou appropriés, par de grandes banques américaines ou d'industries du médicaments qui m'ont directement offert des sommes astronomiques (plusieurs dizaines de milliers d'euros) pour acheter mon manuscrit et interdire sa publication.

    En même temps qu'on découvrait la désindustrialisation, constatant le recul du secteur secondaire, qu'on inventait la médecine obsessive et coûteuse, qu'on construisait dans le monde des services l'industrie du vieillard, on s'est rendu compte – et je m'en aperçois en lisant la presse générale – du recul des mathématiques, au moins jusqu'au baccalauréat, qui vient de s'imposer à la vue des observateurs. Et donc, l'industrie médicale à remplacer les sciences, les techniques avancées, parce qu'il n'y a plus d'étudiants, et peu d'élèves, dans les classes de mathématiques qui ont fait brutalement horreur aux parents et aux élèves. L'école primaire que j'ai connu nous a appris le calcul mental rapide, les représentations logiques, et l'agilité mathématique de l'esprit. Cette école primaire privilégiait le calcul, une logique scientifique élémentaire, et donnait aux enfants un niveau de mathématiques qui leur permettait de rentrer dans les facultés de sciences. Si mon observation est exacte, on comprendrait que la presse et les élites viennent de se préoccuper de la baisse de niveau, du manque de candidats, du recul de l'enseignement des mathématiques dans le secondaire, et toutes sortes d'autres organisations intellectuelles qui demandent logique, rigueur, calcul, induction et déduction.

    J'en ai une preuve élémentaire : mon livre sur Clément Ader****, et les mathématiques précoces, a été refoulé par ce caractère honteux, que j'attribuais à la société d'aujourd'hui, et qui donnait dans l'enseignement des mathématiques une faible place. Cette absence d'agilité et de logique, cette forme d'esprit rigoureux et toutes ces carrières d'ouvriers qualifiés, de techniciens, d'ingénieurs et de chercheurs en sciences dures, toute cette époque qui valorisait ces modes intellectuelles, a disparu en quelques années. Or, Ader l'aérien : un ingénieur toulousain valorise les mathématiques qu'il apprend dès l'âge de trois ou quatre ans à travers un esprit arithmétique, d'observations rigoureuses, et de calcul mental. Mon livre qui exaltait ses qualités a terrorisé les éditeurs, et les lecteurs, parce qu'il est plus facile de s’épancher dans les disciplines à baratin, plus ou moins littéraires, floues, et sans rigueur. J'en faisais la remarque quand j'évoquais Ader à l'école primaire, qui, âgé de six ou sept ans, pouvait atteindre un niveau de certificat d'étude et rentrer à dix ans au lycée dans des disciplines scientifiques. Les élèves de la communale que j'ai fréquenté pourraient rire des ados actuels, du point de vue du nombre d'observations, de la rigueur de la mémoire, et des façons inconscientes d'évaluer, de compter et de calculer.

     Donc, mon livre sur Ader, qui exaltait l'enseignement des mathématiques dès l'âge de cinq ou six ans – ce qui avantageait les enfants des classes populaires bien moins cultivés par ailleurs en disciplines littéraires, par la culture familiale, que leur camarade qui allaient devenir petits ouvriers et paysans. Mais avec une langue correcte, et une rigueur de raisonnement, qui ont été les bases d'une réussite sociale et professionnelle.

     Mais de tout ça il ne faut plus parler, c'est honteux d'exalter les calculs quand les machines les font, et que l'on peut se passer de cet enseignement qui est pénible, exigeant, et finalement peu utile au regard du baratin et des spéculations littéraires. Mon livre sur Ader ne pouvait que tomber dans l'obscurité puisque notre civilisation laisse à une petite caste, et aux machinistes, le soin de la rigueur de l'esprit et de l'agilité du calcul dans une zone de baisse, de déclin. Puisque l'industrialisation disparaît de nos pays, et que les secteurs secondaires de production directe et de fabrication déclinent fortement au bénéfice des professions tertiaires, du service ou des arts, de la littérature ou de l'invention spéculative. Et donc, une fin de civilisation grandiose quand l'art, les lettres, l'imagination valorisent les métiers et soutiennent les professions qui embauchent. Je le regrette pour nos descendants, mais c'est une fin classique de toutes civilisations, et la nôtre qui fut grandiose pour les sciences exactes, décline de façon irrémédiable. Quand tout s'écroule, il reste l'imaginaire et le gigantisme, la construction absurde et monumentale, comme tout empire inconnu, l’Égypte et les pyramides, les Romains et les palais, les Mayas et les temples, qui annonçaient la fin d'une époque.

     Nous, pour les remplacer, nous avons l'industrie du vieillard. L'exaltation médicale, la multiplication des lieux de soins et des moyens pharmaceutiques qui ont donné au personnel de santé une place inouïe, incroyable pour notre génération. Les effectifs y ont été multipliés par dix en quarante ans, et il était évident que n'importe quel petit virus (parmi les centaines qui nous entourent , comme microbes, bactéries etc.) provoquerait une révolution de toute l'économie, un arrêt de toute éducation, un effondrement de tout esprit de rigueur.

     Donc, dans le Règne des banquiers va commencer, nous n'avions pas de mérite à annoncer, dix ou douze ans avant, qu'un virus plus ou moins sévère, ou imaginaire, pourrait faire trembler notre civilisation sur ses bases.

    Comme ces empires victimes du gigantisme à la fin d'une civilisation, le gigantisme de notre société s’illustre par le développement de l'industrie du vieillard, puis à la vidange des caisses publiques, et la création d'une dette insondable. Cela nous a porté à accorder une attention particulière, une obsession, qui ne pouvait que dramatiser qu'un minable virus de la grippe comme il en exista auparavant, toutes les années au moment des grippes, rhumes, légères baisses de la protection naturelle des anticorps.

     Donc, il ne fallait pas être un grand clerc pour deviner à l'avance que l'industrie du vieux serait le signal, pas de la disparition de l'espèce, mais d'une certaine sous-espèce, disparition momentanée et inégalement répartie selon l’orgueil de chaque civilisation gouvernementale.

     

    * Agacinski Sylviane, Le corps humain et sa propriété face aux marchés, Paris, Institut Diderot, coll. « Les carnets de l’Institut Diderot », 2020, p. 57.

    ** Skalski Jérôme, « Entretien. Jean-Marie Harribey « le monde d’avant », la cause des désastres », Entretien. Jean-Marie Harribey « Le “monde d’avant”, la cause des désastres », L’Humanité, Vendredi 11 février 2022.

    *** Peneff Jean, El Miri Mustapha, Chapitre 11. Changer d’école ? Maintenant le règne des banquiers va commencer… les luttes de classes en France et ailleurs, Paris, La Découverte, coll. « Les empêcheurs de penser en rond », 2010, p. 220 : « Des gouvernants ont rêvé d'une économie sans classe ouvrière sur notre sol, du profit par la seule financiarisation : ils y parviennent, soulagés de ne plus avoir à faire avec la pression des organisations syndicales. Ils imaginent, dès lors, une société sans enseignants. Ils l'auront(2). Sous prétexte de péripéties sanitaires ou d' « insécurité », on fermera les classes (d'abord temporairement, pour un essai). Il suffira d'un virus – et, si ce n'est pas la grippe H1N1, attendons le prochain-, il y a aura toujours une menace gravissime, une mise en scène terrorisante pour servir de diversion. Nos dirigeants décréteront la fermeture provisoire et on étudiera chez soi grâce à la télévision, ce formidable moyen d' « éducation » ».

    **** Peneff Jean, Ader l'aérien : un ingénieur toulousain, Paris, Saint-Honoré, coll. « Etude biographique et scientifique », 2020, p. 193. Le mot de l'éditeur au verso du livre : « Jean Peneff, sociologue, descendent de Clément Ader, né dans la banlieue de Toulouse, a bénéficié de documents familiaux. Il est professeur émérite de l'université de Provence ; il a enseigné auparavant à Alger et à Nantes ; il fut « visiting professeur » à Chicago. Ses dernières publications : La France malade de ses médecins (2005, Seuil), Le Goût de l'observation (La Découverte, 2012) et H. Becker : sociologist and musicien in the « École de Chicago » (Routledge, New York, 2018). Et douze autres livres, portant sur l'ethnographie et l'observation participante. A pris sa retraite dans un tout petit village d'Isère, à la limite du Parc National des Écrins, pour être loin de l'agitation moderne et se consacrer à l'écriture. Il a dirigé plusieurs thèses, est l'ami proche de Howard Becker, et de bien d'autres sociologues américains de l'école dite de Chicago ».

     

     


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