• Partie 1

    Avertissement : 4 bonnes raisons de ne pas lire La Mort des Républiques

     

     

    Lecteur, zappeur, promeneur du web

     

    Si tu n’aimes pas les étrangers, passe ton chemin ; ce site est empli de références à des auteurs  non Français, à des  situations où les migrants, les  déplacés, les réfugiés entre pays ou continents, sont légion : travailleurs, immigrés, étudiants et chercheurs ou Français expatriés

    Si tu n’aimes pas la nouveauté en intelligence et l’originalité des idées, si tu préfères les clichés les stéréotypes,  n’entre pas dans cette maison ! Si tu  choisis les façons de penser en politique  à la « papa-maman » , telle cette république  soi-disant une et indivisible comme le corps de Dieu ou bien le catéchisme républicain   laïque ; alors  tourne la page

     

    Si tu préfères  la philosophie politique  à la sociologie ;  le « peuple » abstrait, pur concept, à la population réelle, mélangée et   imprévisible,  alors  contourne ce blog

     

    Passant, en revanche, si tu aimes l’ histoire de la Résistance en 1940 :  si tu choisis le combat clair  du droit des hommes bien  réels et vivants  aux Droits de l’Homme;  si tu ne vénères pas la Personne contre le collectif social, le faux combat Droite/Gauche, héritage du passé ; alors lis !  Tu  aimeras les livres de Goody ici honoré et notamment  l’Orient dans l’Occident : inversion  et mutation permanente de deux mondes voisins. Nos nations sont associées aux  plus infimes changements en Occident lié à l’Orient et elles sont très sensibles aux   bouleversements qui se  transmettent de part et d’autre de la Méditerranée, aux répercussions mutuelles.

     

    Passant, réfléchis au couple « à la vie à la mort » de cette Algérie/ France. Coïncidences ? Effets  secondaires ?  Interférences militaires, luttes  séculaires religieuses ?

    1830 : début  juillet  prise d’Alger et fin juillet : révolution à Paris des 3 glorieuses et changement de roi sinon de régime!

    1847-48 : reddition de la  guerre de l’émir  Abdelkader  contre nous, fin décembre 1847  et révolution de février 1848 à Paris pour faire chuter à jamais la royauté !

    1870 : Les grandes révoltes de El Mokrani, durement réprimées en Kabylie et la Commune  parisienne  abattue similairement par la même armée dans un bain de sang, 

    1945 : Fin de la guerre contre le nazisme et notre libération qui coïncide avec l’asservissement  renforcé  des indigènes en Algérie  après l’émeute de Sétif qui fit  45 000 morts de nos mains, fraîchement libérées de l’oppression  allemande

     1958 : Les colons excédés par  la prétendue  « timidité » des forces de répression  ( bien qu’accentuée par la diffusion à grande échelle de la torture) disent non à  Guy Mollet à Alger, et provoquent un changement décisif  de Président et de République : le retour de De Gaulle et la naissance de la cinquième République

    Toujours ce petit grain de sable  du désert que relèvent les historiens   au cours de relations éternellement compliquées entre notre histoire intérieure  et   ses   appétits de la colonisation,  et leur envie de liberté  face à l’Occident envahisseur.

    Et voila qu’ « ils » recommencent à revendiquer la modernité ! Maintenant des millions d’Arabes  musulmans ou non,   arrivent  cent après  que nous ayons investi  leurs pays ;  ils  se présentent à nos portes européennes demandant l’asile et le droit au travail. Alors si c’est inéluctable, c’est devenu souhaitable et  enrichissons-nous de nos différences !

     

     

     

     

    La mort des républiques  

    Ce livre, probablement impubliable, a été écrit à l’aide de  lectures et de discussions avec quelques grands  historiens dont deux ont   récemment disparu ( Dunn, Evans, Goody, Agulhon, Martin)   par un sociologue-ethnographe, associé à des jeunes   gens ([1] ) qui furent ses étudiants, tous partisans  de l’enquête directe, là  où l’on « vit » sur et dans son terrain.  Ces jeunes chercheurs  ont été les témoins et les acteurs  de la mondialisation politique et intellectuelle (enquêtes au Brésil, Liban, Maroc, Algérie, Turquie). Les sociologues doivent-ils se contenter de parler de ce qu’ils ont sous les yeux et les historiens ne regarder que le passé ? Nous pensons que non. Nous croyons que les livres d’histoire doivent être écrits pour tous, dans un langage clair et permettre à tout citoyen cultivé de réfléchir sur la marche de nos sociétés. Les sociologues peuvent et doivent pratiquer la réflexion historique. C’est ce que nous avons essayé de faire dans cet essai. L’érudition des grands chercheurs force l’admiration et oblige le sociologue comme l’homme de la rue, à reconsidérer ce qu’il croyait savoir et ainsi mieux comprendre la situation qu’il vit. Mais nous sommes également convaincus que l’historien peut s’inspirer de la démarche de l’ethnographe participant et sortir, chaque fois que cela est possible, des  archives, des débats académiques entre spécialistes  ou  encore des querelles de bibliophiles ou d’érudits.  

    Les historiens dépendent de l’histoire pour faire leur Histoire (sources  accessibles ou cachées, accès ou pas  aux témoins, temps libre, autorisations). En tout cas ils font de la sociologie sans le dire, en accordant à tel contexte  ou a tel conditionnement,le poids   de l’efficace. Ils  cherchent des auteurs pour leur crédibilité, ils dépendent de l’université de formation,  ils font du témoignage comme nous, sans le savoir, soumis à l’influence de leur société.  Nous les regardons avec curiosité  et particulièrement leurs formes d’engagement  civique ou de  comportement professionnel  (enseignement, collaborateur  d’ équipe.) 

     Sur le choix des auteurs convoqués  dans ce texte, la raison et la justification sont  dans ce conseil lapidaire: « Ne vous demandez pas pourquoi mais comment ». Recommandation qui s’applique parfaitement   aux disparitions républicaines échappant à  la causalité logique, faisant de chacune une singularité, une unicité susceptible de comparatisme pour qui veut  poursuivre  sa réflexion personnelle. Encore  faut-il s’intéresser au comment les auteurs cités ont travaillé et   élaboré  leurs idées. Les ayant lus, j’ai immédiatement tourné mon regard, non pas sur qu’ils disent, ni sur ce qu’ils proclament  de la raison de leurs  écrits, mais sur comment  vivent-ils  ou font-ils leur métier quotidien. Le livre est un moyen artificiel et limité pour comprendre un penseur. Plus juste  est de chercher à savoir : qui est-il, d’où vient-il, quels sont ses moyens matériels, comment se comporte-t-il dans la vie courante, que fait-il dans telle circonstance de la vie  (enseignement, famille, rapport au pouvoir, carrière, caractère, , attitude de  père, employeur, citoyen) ?  J’ai appris au sujet des auteurs  pris pour guide de mon commentaire, plus  par cette connaissance directe   que par  ce   qu’ils avaient  déclaré  et que je n’aurais jamais su  interpréter en me réfugiant  dans le papier imprimé. Mais ceci est une autre histoire que je raconterai peut-être. Je note pour l’instant, comme Bloch  le fit, que le non engagement des historiens (au nom de l’objectivité) est une  forme de caution  du retrait de la Cité,  un renoncement paresseux et prudent.

     

      Chapitre premier de la « Mort des républiques » par Jean Peneff (avec la collaboration de Christophe Brochier) 

     

    A mes amis  Maurice Agulhon  et Jack Goody  grands historiens républicains récemment disparus et  à  Michel Verret , mondialistes dans l’esprit.

     

     

     

    Exorde  « La plus grande part de l’humanité peut être divisée en deux classes ; celle des penseurs superficiels qui s’arrêtent en deçà de la vérité et celle des penseurs abstrus, qui vont au-delà.  La seconde classe est la plus rare et, puis-je ajouter, de loin la plus utile et la plus précieuse. Ils ont au moins le mérite d’ébaucher  des questions et de lever des difficultés,et même s’il arrive qu’ils  manquent d’habileté  pour les démêler , au moins peuvent-elles produire de subtiles découvertes  lorsqu’elle sont traitées par des hommes qui ont une façon de penser plus juste. Au pire, ce que disent ces penseurs  n’est pas commun, et la compréhension dût-elle en coûter  quelque peine, on a du moins  le plaisir d’entendre quelque chose de nouveau. Un auteur  qui ne vous dit rien que  l’on ne puisse apprendre de n’importe quelle  conversation de café doit être tenu en piètre estime »

              David Hume  Discours politiques (1758)

    Ce livre pourra déconcerter le lecteur habitué à voir une thèse unique développée du début à la fin par un auteur tout puissant s’appuyant sans vraiment l'avouer sur une foule de collègues. L'étonneront aussi les multiples thèmes abordés, l'intérêt porté aux historiens pour eux-mêmes et à chaque société pour ses particularités. Il sera gêné aussi à certains endroits par le ton virulent, voire engagé et le mélange des disciplines. D'autres excentricités encore pourront interpeller le lecteur. J'invoquerai pour me justifier, d'abord, de façon  immodeste peut-être, l'autorité de Hume qui nous exhorte à sortir des sentiers battus. Plus honnêtement, je dirai qu'il s'agit d'un livre de fin de carrière : après quarante ans de respect des formes et des normes de l'écriture académique, j'ai voulu prendre de la liberté. Enfin et surtout, j'ai estimé que des livres originaux et iconoclastes étaient nécessaires à un moment de l'histoire de nos sociétés où des changements majeurs sont  prévisibles.

    Quand on en appelle  à la 6ème Rép, quand les frontières s’effritent entre l’Asie et l’Europe (phénomène récurrent et dans les deux sens), quand on nous parle de crise depuis 40 ans  (depuis 1973 ), si on veut comprendre ce qui se passe  et savoir si tout cela est lié , alors abolissons les cloisons entre disciplines, entre les 3 principales censées nous les expliquer : L’Histoire, la Sociologie, et l’Anthropologie des démocraties occidentales. Je sais que la première de ces  disciplines, l’histoire, est défavorable aux incursions  d’outsiders,  que la sociologie est, sur ce sujet,  impuissante ou plutôt paralysée, et que l’anthropologie a trop déchu en France (contrairement à  l‘Angleterre à laquelle nous ferons appel) pour nous être d’une quelconque aide

    Peut-être, un phénomène aussi mystérieux que la mort des républiques successives  jusqu’ au décès singulier  de la IVè  et avant le probable de la Vè  offrira-t- il  des leçons à tirer ?

    Par conséquent en  comparant une série de cas  (en  sociologie, c’est le seul raisonnement valable),  je m’expose. Mais  j’ai des droits de citoyens, si ce n’est de sociologue ; et donc j’ouvre  une large gamme, je  rapproche et distingue à la fois  chaque disparition qui, bien que spécifique,  déploie une  combinaison de facteurs  et de circonstances analogues.   Que ce soient les premières républiques cités athéniennes,  les  capitales régionales italiennes vers 1500, ou  dans les Etats nations (France ; Allemagne), on verra le rôle de l’armée, celui   du Droit et des Cours  de justice; ou encore des médias et des intellectuels épaulés  par les fabricants de livres, les éditeurs.   On me dira : Danger d’anachronisme ! Je m’expose aussi à  des refus de maisons d’éditions, contraintes elles-mêmes par la mondialisation, à des financements  impératifs et aux pressions d’actionnaires ou de banques .Pourtant le moment est propice. Les factions   politiques qui se déchirent, font tomber les masques : on voit  alors plus clair sur le sens du mot démocratie. Profitons de cette opportunité due à un instant de doute  et  cherchons des issues

     

    Table des matières

    -Introduction

    -Premier chapitre : L’histoire de la démocratie : les  sceptiques Anglais   

    L’impossible consensus    sur la notion de  république selon John Dunn

             La démocratie n’implique pas  l’égalité

    La mort agitée des diverses républiques  antiques  

    Le triomphe de l’idéologie démocratique

    Les restrictions du raisonnement populaire et l’abstention électorale

     Droits de l’homme et  principes non exerçables

     Critique de  ce chapitre  par « l’ermite »

     

    Deuxième chapitre Rome , Oligarchie et République dans les cités italiennes  

     - Comprendre le modèle romain 27

      -Les cités italiennes au Moyen-âge  et le thème de la république 32

      -Florence et le clan des Médicis  36

       -La république des clans et des partis 38

     

    Troisième chapitre :   Le décès de la 1ère     Rep ( 1792- 1797).  42 

            Les nouveaux schèmes   révolutionnaires  applicables selon J-C Martin  43

             Une république mort-née 45

            Les processus courts  de changement  48

            Mettre fin aux cent mille factions 55

            Peut-on consacrer sa vie  à « 1789 » ?  58

            La lente acclimatation de la République en France  60

     

    Quatrième chapitre :   L’Allemagne,  Weimar et le nazisme    62

                

                  « Au début était Bismarck... » Le Commentaire  de  R. Evans  63

                 Rappel des faits et des oublis 64

                 Les piliers du nazisme : l’armée et le journalisme 67

                 Elections à faible abstention 69

                La révolution culturelle  allemande   70

                Les intellectuels et l’Université : Politisation des arts et lettres 76

                 Les collectifs   syndicats, familles)en crise morale  77

                 Utilisation par le sociologue   :le nazisme fut un laboratoire 80

                 La part de violence admise en démocratie 83

     

    Cinquième  chapitre : L’Algérie, l’armée et la fin de la Quatrième  84

             

                          Avant la Quatrième, la  mort  brutale  de la Troisième  85

                           M. Bloch et ses explications : le défaitisme et le complot militaire 88

         

                             

                            La guerre d’Algérie a commencé en 1945    89       

                           Le Pétainisme renforcé  à la Libération   92

                           Les événements de mai 58    88 

                           Bloch et Tocqueville et l’enseignement universitaire    91

                           Le contingent,  l’Algérie et les nouveaux historiens   92

                           Les   conditions spéciales de la disparition  de la 4ème    en 1958  95 

      

    Sixième chapitre : Les républiques  selon l’ Histoire « occidentale » 99

    1 L’opinion de l’anthropologie :Jack Goody  103

    2 L’évolution de la famille et de  la parenté en politique 108

    3 L’impérialisme  des théories républicaines 112

    4 la démocratie incomplète 114

    5 A la mémoire de toutes les républiques disparues  117

     

    CONCLUSION 120-128 

     « L’histoire donne des exemples de tout,

    elle ne donne donc des leçons sur rien » 

    P. Valery 

                      

      

     

     

     

                       

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

                                                        Introduction

    Les sociétés occidentales sont si acclimatées à la démocratie représentative et si désireuses de l’imposer dans le monde qu’elles ont parfois tendance à oublier qu’à l’échelle de l’histoire européenne, la République est une réalité fragile et éphémère. Avant le XXe siècle, le modèle républicain est très minoritaire, pendant le XXe, il sera menacé. Si l’on regarde ce type de régime sous cet angle, il faut s’intéresser à la fin des républiques au même titre qu’aux circonstances de leur naissance souvent dithyrambiques. Le bilan  des  disparitions républicaines peut être mené  au titre d’interrogations élémentaires : Mortes ? De quoi ? A quel  âge ?  Dans quelles circonstances et pour laisser la place à quoi ? Personne n’est d’accord parce que les définitions  divergent. La mort des républiques est donc un moment privilégié de l’analyse socio-historique. Presque toujours dramatique, elle laisse apparaître les tensions, les lignes de divisions, les accélérateurs de l’histoire. 4 rep. en France  avec des entractes, une en Allemagne et une en Espagne dramatiques pour leur destin et conséquences ;  il y eut aussi  les Pays-Bas, Genève mais surtout pour leur fonction emblématique, Athènes et Rome. Dans une série d’effondrements républicains, se manifestent des facteurs aussi déterminants les uns que les autres  quoique  des combinaisons permettent de les hiérarchiser : l’armée joue le rôle décisif avec les juristes, qui, toujours accompagnent  les changements de régime, ainsi que  les  universitaires  et les intellectuels en général qui élaborent les notions de sens commun ou les catégories explicatives fournies aux analyses savantes, du livre scolaire à l’essai philosophique. Finalement ce sont les Bonaparte,  Cavaignac et Mac-Mahon, Hindenburg et Ludendorff, Franco, les maréchaux de 1940 en France, dont Pétain et  finalement les généraux d’Alger contre lesquels un autre général, de Gaulle  s’opposa à deux reprises, qui rythmèrent les crises  des  républiques. On pourrait  dire  depuis  toujours. L’une des idées que nous développons est que le mélange de démocratie et de « dictature », douce ou appuyée, sur le sol à l’intérieur, ou dans l’Empire, est difficile à démêler, notamment en raison des arguments moraux qui occultent  notre vision apprise. La république n’est  jamais un tout,  une entité sauf de discours et de représentations (ce n’est pas rien). Elle n’est jamais pure ; il y a du régime autoritaire,  et même parfois un fascisme rampant en son sein,  des zones de non droits ou de faibles droits et aussi  bien de l’anarchie et de l’autocratie. Le suffrage universel est de tout temps étroitement contrôlé parce que  le l’abstention  symptôme du refus de voter fait douter de l’adhésion  à ce  genre de régime. Une mosaïque  de caractéristiques donc, un montage complexe de qualités et d’imperfections, par rapport aux valeurs, une conception instable ou certains avantages l’emportent au détriment d’autres, selon le moment,  et selon la position de l’observateur.  

     

    Une deuxième idée est que les mentalités, les phénomènes culturels (presse, médias,  universités, éditions) doivent entrer en compte dans l’analyse. En effet pas de République sans morale, sans « esprits républicains » car ce sont eux,  avec les constitutionnalistes, qui  jugent de ce qui est nécessaire en parts de « vertu » en chacun de nous, ainsi que le préconisait Robespierre qui ne voyait aucune démocratie sans celle-ci. Pas d’histoire républicaine sans représentation de la res publica, et donc sans une étude de la culture,  sans une histoire des idées sociales et sociologiques. La force de l’opinion et sa légitimation sont des enjeux considérables pour les intellectuels actifs sur ce front (journalistes, communicants, sondeurs). Or, on constatera à l’évidence que  coexistent des   zones ou  des poches   républicaines et anti-républicaines associées dans chaque institution, insérées  au sein chaque principe. Il ressort que le régime républicain est un idéal vers lequel certains acteurs et citoyens  inclinent et d’autres s’opposent. La république est une tension entre un rêve  jamais atteint et  des obstacles continuellement élevés à sa réalisation. Cela  est si évident, appartient au sentiment collectif aujourd’hui que nous n’en tirons plus aucune conséquence, et  nous n’y réfléchissons pas 

    Ce livre va  tenter d’apporter des éléments de réponses sur ce qu’apprend la mort des républiques à l’analyste de la société française actuelle ? Qu’est-ce que la sociologie  peut emprunter aux grands érudits qui ont fait l’histoire de ces changements de régime ? En France la République est un sujet présentement très discriminant,  plein d’ambiguïtés étant donné les sources de nos concepts. La question de la distance à prendre vis-à-vis du pouvoir de la part des intellectuels se pose. Ceux qui ont l’autorité institutionnelle se référant à un absolu, caractéristique du progrès selon eux, s’opposent à ceux qui en sont exclus et qui contestent ce système. Il s’en suit que, comme toute classification, il n’y pas de juste définition mais une combinaison de repères hybrides en tant que système de pouvoir. Ce n’est pas une coquille vide. Non ! c’est une simple représentation ! La république : une  erreur pour certains, un idéal une téléologie pour d’autres ! Un aboutissement de l’histoire  pour la plupart de nos contemporains!  Les analyses des sceptiques libéraux anglais,  la critique perplexe  des Français – les incroyants  et les dubitatifs (Cl. Nicolet ; B.Manin) diffèrent, révélant une  notion  dépendante de  l’époque et de l’équilibre de forces  entre groupes en concurrence,   un rapport interne au pouvoir républicain  qui se pose perpétuellement la question : trop ou pas assez de « peuple » en démocratie ? Trop ou pas assez d’abstention aux élections ?  Quelles  limites  mettre aux débordements  redoutés du  suffrage ?  Tensions  antagoniques  inévitables  au sein de tout pouvoir et dans les fractions qui dirigent selon des définitions qu’elles se donnent des buts à atteindre.

     La République ne peut devenir sous un concept propre, une nature indiscutée, une « essence » protégée  par des sciences politiques  qui surveillent ce champ universitaire pour imposer une des définitions possibles. Dans la réalité, elle offre des cas aux variantes presque infinies, mesurées par exemple à la durée de vie allant de quelques jours à un ou deux siècles (Athènes ou Rome). En France seuls 130 ans de république sur deux siècles et demi  agités, virent le jour. Aucune ne dépassa  vraiment la soixantaine en France (5 ans  la première, 1 ou 2 ans pour la 2ème. La quatrième décéda à l’adolescence, à 14 ans) sauf la troisième qui atteint un âge élevé : 62 ans. La cinquième  donne  des signes  de fatigue. Peut-on  décrire sa fin en comparant des cas semblables dans l’histoire : désadaptation  en fonction de crises spécifiques, économiques et sociales,  ou bien régime inapproprié à des situations de bouleversement ? Oui ! d’abord en considérant les pathologies purement politiques (essoufflement et perte d’idées du personnel dirigeant et stérilité du recrutement monocorde) ; puis en séparant les républiques à courte  vie (quelques années), de celles à   durée  de plusieurs dizaines d’années et   comparer cette chronologie  aux républiques voisines à la longévité exceptionnelle, telle la république américaine  due à l’émigration qui a joué le rôle d’amortisseur, où à l’intégration des composantes de « couleur » qui prit  plus de deux siècles)  sans compter les  monarchies parlementaires (comme la G-B, qui semble « éternelle » en formule de régime)

    Nous avons donc  choisi de raconter, au cas par cas, les raisons internes (ou externes) de situations où les plus célèbres des morts subites ou les plus attendues des agonies se produisirent en diverses situations : Grèce, Italie, Allemagne, France. Les causes internes tournent toujours autour d’une combinaison de facteurs  qui déterminent sa durée de vie : l’armée interventionniste, la bourgeoisie civile qui se déprend de ce régime, l’abandon de ses défenseurs populaires (abstention comme grève du vote) sans oublier la révolte des opprimés

    ou des indigènes colonisés. L’examen des faits détachés des principes anhistoriques au profit d’une téléologie donne à voir les principaux responsables : des hauts gradés militaires, des juges souvent, des financiers et des prêteurs toujours. Il faut, si l’on veut être raisonnablement complet, regarder à chaque fois la répartition  des « pertes et profits », des risques et avantages,  que procure  différemment la République aux diverses catégories de citoyens. Et on conclura par l’examen de la capacité d’auto-analyse des gouvernants ou aussi la réflexivité  des citoyens, quant à  l’invention rapide ou aveugle de solutions, là ou les « familles » politiques de l’élite, les clans intellectuels se réunissent et  se déterminent. La République est toujours un rapport de forces dont le résultat  au final n’est jamais acquis d’avance. Ce qui a fait dire à ses détracteurs mais aussi à ses admirateurs  lucides: Démocratie et Violence : banal ! Républiques et guerres de conquête : ordinaire ! Elections et  Exclusion : évident ! Il faudrait en conséquence juger au cas par cas, au jour le jour,  en testant plusieurs Républiques à l’aune des ces épreuves.  On verra si la liberté, l’égalité et  la fraternité  ou simple solidarité sont respectées. Ou bien  sous quels arguments et justifications, les concurrents, rivaux aux prétentions à diriger un pays, avancent-ils dans la lumière ou alors dans le brouillard complet ?  Sensible à  la puissance et au secret des forces  en jeu ( armée, justice, presse, universités) notre enquête  n’est pas exclusivement personnelle ; elle se déroule  à l’aide des meilleurs  historiens,  républicains  sincères  élaborant  des  objections  nuancées sur l’intensité de la mortalité républicaine. Une autre forme de l’enquête   a été plus personnelle : la participation par souvenir ou engagement de nos proches en 1940, ainsi que la perception directe  aux années 1950-1962. A quelle condition, un historien doit-il user de son expérience des événements ? Cette question sera posée à la fin du livre .Toutefois l’accumulation des connaissances livresques et des pratiques  politiques  autorise des comparaisons  dans le temps. « C’est un privilège, pour un écrivain, que d’avoir vécu la fin de trois Etats : la république de Weimar, l’Etat fasciste et la RDA. Je n’imagine pas vivre assez longtemps pour voir la fin de la République fédérale » (E. Hobsbawm). Le risque d’incompréhension  demeure tant que la survie  de l’idéologie élèvera la commémoration de notre Grande Révolution au rang de monument  sacré.  La « démocratie » a toujours un prolongement dans un autre, un concubinage ou une bâtardise dans l’éventail de destins historiques. La variété de cas s’accompagne de réflexions sur les  circonstances. Aucun de ces cas n’est représentatif ; ce qui ne conduit pas à nier l’essence d’un  républicanisme mais à considérablement le relativiser. Enfin du point de vue de notre discipline, ce livre visera à inciter les sociologues à se ressaisir de l’objet « démocratie », abandonné trop souvent aux essayistes, philosophes et politologues, mais en s’appuyant sur les historiens qui ont su faire revivre les faits et la réalité concrète. Seules les études  plus fouillées permettent de  distinguer les idéaux-types, des compromis, hybrides, (régimes partiellement républicains). C’est en dialoguant avec l’histoire que l’on perçoit   la proportion dans laquelle  un régime est toujours  plus ou moins autocratique, dictatorial,  libéral, ou  alors une réunion toujours plus complexe qu’on ne le croit,  d’indépassables contradictions ou  compromis. Ce qui expliquerait que l’on rencontre  de la  torture en démocratie ; des Droits de l’Homme  conjoints à l’esclavage ; des manipulations démocratiques  du corps électoral,  ou les textes constitutionnels  peu ou pas respectés. Mais c’est également en dialoguant avec les nations étrangères dont les historiens ont perçu des raisons différentes aux décès    républicains  que l’on éclairera le cas français  d’accumulation numérotée de régimes républicains, situation unique dans le monde. Si au XXIè siècle le comparatisme restait un vain mot dans les sciences sociales mondialisées, alors ce serait à  déplorer de  nos perspectives  futures et ambitions de connaissances !

     

    1.  Un approfondissement  de la démocratie :   vision  des historiens Anglais

      Parmi les nombreux auteurs sollicités  qui serviront de guide à l’intérieur de chaque chapitre, le premier sera John Dunn, auteur anglo-saxons qui  vient de publier  une synthèse récente sur l’histoire de la démocratie. Nous cherchons à comprendre la continuité peu évidente entre démocratie  antique et contemporaine, cette dernière ayant  établi sa vocation universelle au travers de nombreux soubresauts et guerres. Mais toujours la république  fut un compromis clientéliste entre factions, un arrangement provisoire, faute de mieux, pour éviter les guerres internes, fratricides de  partis bourgeois. Ensuite le cas français sera analysé grâce aux synthèses proposées par Jean-Clément Martin au sujet de l’échec de la première république (1792-99) qui   réussit à se positionner en innovateur malgré des  handicaps   face à des institutions académiques puissantes.  La Grande Révolution est un enjeu de joutes intellectuelles et un débat d’historiographiques nationales.  Elle  fut une pierre de touche, une référence dont le monde entier, y compris la Chine et les pays  de l’Est, mais également les Amériques latines, se saisirent. Tous  se disputant la  juste interprétation des combats intérieurs, y entraînant  des  générations d’historiens   de  Hobsbawm,  Dunn,  ou Goody  à Nolte et Furet  sans parler des Américains. Enjeu mondial  et disputes  qui dépassent notre pays  et qui posent aux Français  un dilemme : comment faire carrière  ou exister encore sur un tel sujet  rebattu ?  Divers   auteurs moins connus nous donneront à voir des interprétations plus complexes au sujet de  la disparition rapide de la deuxième (1848-1851) et enfin de la troisième en 1940, une  mort subite survenant en quelques semaines et qui mérite l’attention. D’autant que  l’héritage depuis le bicentenaire  1989 a  durci les positions ; mais auparavant  la guerre  coloniale avait  provoqué  l’agonie de la quatrième république produite par la révolte  algérienne et l’insurrection  prolongée  de menaces  séditieuses sur la cinquième vers 1961-62.

     Pour comprendre les balbutiements républicains européens du XXe siècle et les querelles des historiens politiques au sujet de son avènement, la république de Weimar qui fit le lit du nazisme,  constituera un cas d’école. La somme érudite de Richard Evans guide ne la matière, permettra de comprendre la mort « annoncée »  de la république allemande (1918-1933).   

     

     Pour conclure et mettre les historiens d’accord entre eux,  on commentera l’anthropologie politique de Jack Goody sur les thèmes fondamentaux de notre époque et les difficultés des historiens occidentaux, se positionnant par  principe au centre du monde,   en raison de la  force de leurs historiographies nationales,  qui, négligeant le chauvinisme trivial, construisent une histoire peu autonome des pouvoirs ou de l’école. Cependant, vu les défaillances de la sociologie politique,  rien de nos réflexions  ne peut s’effectuer en dehors des historiens qui restent pour nous un modèle   d’enquête et de rigueur méthodologique. L’importance des guerres européennes dans les destins des structures républicaines rappellera aux sociologues  leur devoir de lire et  d’user des livres d‘Histoire. Et symétriquement elle  encouragera les historiens à regarder la sociologie avec intérêt et pas seulement par curiosité. Interpeller l’histoire au nom de la sociologie et à l’inverse, questionner l’absence d’historicité  sociologique implique, pour un jeune public,  de ne pas se contenter des généralisations  hâtives et des cours  routiniers mais  plonger dans le détail, s’inspirer de la multiplicité des cas et  établir  leurs conclusions par eux-mêmes en prenant toujours le recul nécessaire. La république est un bon test d’examen des ethnocentrismes et des traditions  locales en chaque historiographie. Ceux qui manifestèrent de tels constats  sont isolés aujourd’hui. Pourtant ces conceptions étaient banales aux siècles derniers, évidentes pour les marxistes, ainsi que pour Jaurès ou Blum. Les meurtres de masse et les guerres mondiales ont pris racine dans les pays les plus avancés et cultivés du siècle dernier  et, à un  moment donné, les plus démocrates. Peut-être les deux aspects sont-ils liés. Les connaissances accumulées à ce sujet  ne servent pas, car,  acquises  elles sont aussitôt refoulées. Les sciences sociales n'ont pas  saisi l’occasion  d’élargir leur palette  de la compréhension de la société  politique  

     

     

    La critique   de  l’idée de démocratie

    Pour comprendre la mort des républiques, il faut réfléchir à la nature même du système démocratique en évitant de le réifier ou de le rigidifier. C’est un spécialiste anglais de l’histoire des idées, grand connaisseur de Locke que nous suivrons sur le chemin de ces remises en question. Dans « Libérer le peuple »([2]), John Dunn, montre que la démocratie est une forme politique imprécise sinon confuse, à la définition peu  homogène dans le temps et l’espace occidental, considérés sur plusieurs siècles. Il pose aussi un certain nombre de questions dérangeantes. Pourquoi la démocratie a-t-elle été haïe à gauche comme source d’anarchie et de chaos ? « Pourquoi la démocratie occupe-t-elle aujourd’hui la place qui est la sienne ? Pourquoi domine-t-elle ainsi le discours politique du monde moderne ? Lorsque l’Amérique et la Grande–Bretagne ont entrepris d’ensevelir Bagdad sous les décombres, pourquoi l‘ont-elles fait au nom de la démocratie... Et si cette prédominance inédite n’était qu’illusoire ? Et s’il ne s’agissait que d’une tromperie à grande échelle ? Et si c’était le signe de la confusion la plus totale ? Ou au contraire celui d’un grand progrès qui doit s’étendre désormais  au monde entier ? » (p.15) Ce livre débute, semble-t-il, par une provocation. Non celle d’un partisan de l’autoritarisme, ni d’un ingénu, mais celle d’un authentique démocrate libéral. Il s’agit d’un livre profond qui   n’a pas trouvé d’éditeur chez nous, et  non plus beaucoup de lecteurs malgré les efforts de son éditeur genevois qui l’a diffusé.  La greffe sur notre culture sociopolitique n’a donc apparemment pas pris. Ce livre est donc doublement interpellateur par son sujet et son rejet. Mais on peut  comprendre ce dernier si on  résume de façon lapidaire une de ses leçons : « Ecoutez le peuple ou consultez-le mais éloignez-le de l’exercice de tout pouvoir réel ». Façon peu conventionnelle de présenter les choses, mais pourtant  fondée dans les faits historiques. Dunn  affirme en effet que  l’histoire qu’il  raconte fut banale au 19e.  La position critique ou sceptique  fortement répandue  chez des philosophes anglo-saxons fut reprise sur le continent principalement par les politologues marxistes, en marge de Tocqueville, qui défendit une autre  thèse de la notion de démocratie. Ce fut un des grands débats de l’époque contemporaine. Dunn ne rejoint ni les uns ni les autres, ne se situe ni en parangon de doctrines traditionnelles, ni en redresseur des « démocraties » avortées ; il se place ailleurs, en analyste. Les circonstances de son intervention dans le débat  tentent de mettre à l’épreuve le concept  de « démocratie variable », de droits proclamés, inappliqués, sans se laisser prendre au piège des définitions préalables. Il parle par exemple de l’ « ordre de l’égoïsme » pour désigner le principe de  législations universalistes exubérantes conduisant nécessairement à des consommations inégales, sans moyens d’accès pour les plus démunis mais distribuées généreusement pour les puissants. C’est une idée d’actualité : l’avènement  rhétorique de l’égalitarisme comme idéologie pratique  engendre  un rapport opportuniste à l’Etat  venant de  citoyens en position   d’exploiter  la liberté individuelle et de mobiliser les moyens incommensurables  créés par le libéralisme. En échouant à  contester les libertés et l’égalité  virtuelle, le « peuple » se  retire des services publics, se réfugie dans l’abstention, une  forme parmi d’autres de la grève, celle des votes, dans  une désyndicalisation ou de multiples variétés d’impuissance. Tout ceci est l’un des fondements  de l’analyse marxiste mais paradoxalement aussi  de la critique libérale anglo-saxonne, transmise en France par des auteurs comme d’Argenson ou l’abbé Sieyès. Mais l’échec des penseurs  du 18ème ou 19ème, n’est pas  ce qui l’intéresse ; il tourne son regard plutôt vers l’impraticabilité d’un consensus parmi les philosophes critiques, les anarchistes libéraux, les doctrinaires et les militants engagés, les plus célèbres étant Buonarroti, Babeuf, Blanqui.

     L’examen des arguments d’opposants en divers pays, à des époques variées, déploie un  bilan complexe de modes de dénonciation, ou  au moins de diversité d’opinions se conjuguant dans le temps sans se rejoindre. Ce sont ces positions isolées qui se refusent à accepter la démocratie comme le « meilleur » procédé  parce qu’elle fonde une distribution dissymétrique dissimulée. Et cela, depuis les avantages  accordés aux citoyens en Grèce ou à Rome par rapport aux exclus (métèques, esclaves). L’absolutisme des droits de la démocratie  a été « inventé » au 18ème,  (ou au  XXe selon Jack Goody). Ces contradictions connurent des  pauses ou des compromis entre des  pics de disputes.  Depuis l’Athènes de Périclès et de Solon (et la phobie de Platon pour la démocratie par ailleurs connue), jusqu’au 18e avec la révolution américaine et enfin en France, on retrouve ces mêmes errances de définition. Le livre de Dunn nous montre que la trouvaille d’un continuum avec l’Antiquité est un artefact  qui légitime l’inégalité matérielle consentie. Dans ce cadre, la discrimination par l’accès à des degrés  variés de pouvoir est propre à tous les régimes. Toutefois l’élimination douce, en démocratie, du peuple-acteur n’a été vivement  ressentie qu’en raison d’un accident : l’élargissement  de l’accession à la citoyenneté et la proclamation de l’égalité formelle avant que les Niveleurs, les Egaux, les Buonarroti ou Babeuf fussent réduits au silence, les uns après les autres. 

     

    La tradition de Cambridge 

     

    Quel est donc cet auteur qui propose sur un ton réfléchi autant de remises en questions dérangeantes ? Il fait partie d’une aristocratie de la pensée anglaise, à la fois libérale et sceptique, dans la grande tradition de Locke et de Hume, opposé au conservatisme lettré. Pragmatiste, il n’est pas marxiste, ni post-moderne.  Il retient de Marx la lecture économiste mais perçoit aussi en lui l’utopiste, son faible réalisme d’action. Peut-être faut-il chercher dans sa biographie les clefs de sa position intellectuelle ? Il est né en Angleterre en 1940 d’une « famille impériale ».  Petit- fils d’un médecin militaire, blessé et décoré à la première guerre mondiale (propriétaire terrien, grand chasseur, tué par un sanglier !). Petit-fils également d’un diplomate, colonel de l’Armée des Indes, chasseur de fauves lui aussi, originalité accrue par l’exotisme de sa formation. John Dunn vécut lui-même, enfant, aux Indes et en Iran. Il fut interne dans un des meilleurs collèges londoniens (traditionalistes) et a fait ses études d’histoire à Cambridge (avec Moses Finley) ; il a été étudiant à Harvard ([3].) Sa carrière est brillante: lecturer à King’s Collège, maître assistant à Cambridge où il fut ensuite professeur (et au Japon). Ce mélange de formation classique de haute volée et d’expériences de vies internationales est déroutant pour un intellectuel français. Il saute aux yeux que l’ouverture internationale des élites anglaises est absente à ce niveau chez nos historiens contemporains. Actuellement professeur émérite de Cambridge. Spécialiste de l’histoire des idées politiques, il a écrit un livre sur Locke, puis un ouvrage important sur les ruses du raisonnement politique ainsi que sur les limites de l’expérience humaine des gouvernants et l’irrationnel comme principe de l’action ([4].) Il n’est pourtant que rarement cité dans l’Hexagone. Son accueil dans les grandes universités ou écoles françaises fut, -on ne s’en étonnera pas- controversé. Les politologues  français en général n’apprécient pas que l’on prenne de la distance au point d’ironiser sur les objectifs et caractères  de la démocratie ; encore moins qu’on en discute sa nature ou qu’on la décrive comme un régime quelconque, un composite d’avantages et d’inconvénients selon la position de chacun sur l’échiquier des catégories sociales. Le travail de Dunn doit être pensé en relation avec la diffusion actuelle des idées des sceptiques libéraux dans les publications anglo-saxonnes. On les trouve aussi bien chez les  politologues que chez les empiristes. Vu de France, on pourrait avec profit se demander  pourquoi ce courant vivace  se développe intensément en ce moment au sein du pragmatisme anglais et  pas chez nous.

     

    2.  L’impossible consensus républicain  au sujet de la démocratie

     

    La démocratie, dans ses principes et ses fondements, ne provoque plus guère de critiques et de débats de fond aujourd’hui en Occident. Dunn rouvre le dossier en rappelant des idées soulevées quand les débats étaient vifs. Il écrit en début d’ouvrage : « Ce que nous affirmons aujourd’hui lorsque nous nous rallions à la démocratie est souvent variable, confus et de mauvaise foi. Notre discours se fait presque systématiquement moins convaincant à mesure que nous montrons ce qui se cache derrière nos valeurs et à mesure que nous reconnaissons ouvertement les réalités qui sous-tendent nos institutions. Au fil du temps, nous avons appris à nier certaines choses avec un aplomb grandissant lorsque nous prenons parti pour la démocratie. Nous nions en particulier le fait que tout groupe d’êtres humains, du fait de ce que sont tout simplement ces derniers, mérite de se voir confier l’autorité politique » (Dunn, p.76). Et encore, pour reprendre la célèbre formule de chef des Niveleurs, comploteur contre le roi avant sa pendaison  lors de  la guerre civile anglaise du XVIIè siècle, « Aucun homme n’a jamais été marqué par Dieu à la naissance comme supérieur à un autre car personne  ne naît  avec une selle sur le dos, et que nul ne naît avec des bottes et des éperons afin  d’en faire sa monture » (p.33, note 3).

     

    Les contradictions entre principes énoncés et actes réels   ressenties particulièrement au 17ème et 18ème, ont engendré passions et débats infinis, principalement en France où l’originalité de l’idéologie issue de « 89 » deviendra une Bible apprise lors de la formation laïque des hommes politiques. La relativité des conceptions de l’interprétation moderne donnée à « Démocratie » éclate cependant aux yeux de l’érudit. L’étude sémantique comparée qui va des Athéniens et des Romains jusqu’aux révolutionnaires d’Amérique ou d’Europe suggère que « à  l’orée du XVIIIè siècle, la démocratie est encore un mot paria » comme elle le fut dans toute l’Antiquité jusqu’à sa consécration contemporaine. La fin du 18e siècle est saisissante quant à l’hétérogénéité de significations au moment où il faut articuler démocratie et tolérance au colonialisme brutal. Dès lors, pourquoi est-elle associée à la Terreur en 1793 ? Quelle conclusion tirer d’un régime renié par ceux que l’on honore aujourd’hui comme ses promoteurs ? La réponse subtile de Dunn est à trouver dans la nécessité de libérer les «échanges » commerciaux,  de faire participer de petits bénéficiaires triés en tant qu’associés. La redistribution matérielle plus ou moins bien réalisée au cours de l’accumulation des richesses représente la  clé des tensions sans laquelle les résistances croîtraient jusqu’à ce que des voiles se déchirent.

     C’est ainsi paradoxalement, que la démocratie a été condamnée par les hommes de  « progrès », comme créatrice d’inégalités et donc source de chaos. Dunn donne un florilège d’œuvres qui  suggèrent que l’idée n’a pas émergé du flou au XXèm,e avec  ses ambiguïtés qui seraient tout sauf modernes. Les formes d’adaptation occidentale ont été si diverses qu’on affirmera qu’aucune conception « juste », démocratique, n’a aujourd’hui vraiment gagné la partie, ni convaincu, alors qu’on peut considérer qu’elle fut longtemps tolérante envers le nazisme. Elle fut même combattue dans les pays qui l’ont promu sous le nom  des Droits de l’Homme et des Citoyens, aux Etats-Unis ou en  en France.

    Si aucun critère ne s’impose ni n’est exclusif (constitution, élections, royauté ou République, liberté de presse, droits égaux, religion ou laïcité) les faits historiquement constatés montrent que la démocratie exclut en général femmes, enfants, esclaves, indigènes, étrangers puis élimine pratiquement du vote ou de la carrière d’élu, la  grande majorité de la population. Elle permet cependant à une minorité (de plus en plus large, il est vrai : l’assemblée des électeurs, le public citoyen) de choisir des hommes habilités à exercer le pouvoir général. Sur deux siècles, cette tendance a été confirmée par l’élargissement de l’association entre mandataires et mandants acceptant leur autorité. Cependant, on débat depuis longtemps des inconvénients du mode de gouvernement démocratique. Dunn explique les conséquences négatives que les penseurs grecs ou les députés de 1789-93 avaient envisagées dans la notion du « pouvoir du peuple par le peuple ».  La démocratie athénienne était loin d’englober l’ensemble du demos. Les inventeurs avaient refusé l’égalité réelle aux 300 000 Athéniens (seuls 30 000 pouvaient siéger et prendre la parole) pour des fonctions d’autorité, l’assemblée tirant au sort le petit millier de citoyens « légitimes »)[5]. On a ensuite appelé démocratie une série de  constitutions ou d’actes législatifs dans le cadre de l’exécution de concurrents  (Robespierre, les Egaux,  répression de la part des Thermidoriens) pour  parvenir enfin à un régime stable où sont reconnus des droits à environ 12% de la population adulte : les citoyens actifs ; définition  qui résista jusque en 1848. Ensuite la démocratie fut assimilée au suffrage universel masculin, mais avec un ensemble de contrepouvoirs, d’écrans qui permettait d’encadrer la partie des électeurs jugée spontanéiste, dangereuse et donc d’attribuer de manière régulière le droit de diriger à une élite stable, à la compétence éprouvée et « adéquate ». En 1945, la population féminine française a été admise à participer à ce choix, 25 ans après l’Allemagne et l’Angleterre.

    Cette ascension hasardeuse ne justifie pas la durée de vie de la contradiction initiale entre « force confiée aux mains du peuple » et citoyenneté limitée. La  réponse est  que la puissance d’attraction de l’idée de démocratie implique la  résistance au chaos et à la volonté de « durer» d’un quelconque régime. Les hommes politiques détiennent le temps et sont accoutumés à pratiquer le principe : Intéressez, associez le maximum d’individus à la vie politique mais interdisez à la majorité de la population d’exercer le pouvoir,  sauf par délégation. Ce sont l'accaparement des institutions par la détention des arbitrages, des définitions et surtout les moyens d’application  qui empêchent la prolongation de risques de révolutions éphémères. Et la démocratie est donc,  du fait du  temps, une aventure  stabilisée associant des personnes (pas toutes) selon des critères particuliers de sexe, d’âge, de lieu de naissance, fortune, titres. C’est devenu la façon la plus étrange qui soit par laquelle un régime organise la conquête de son pouvoir entre des catégories sociales proches et rivales, préalablement sélectionnées quoique mal définies.

    On comprend que, jusqu’au milieu du XIXeme, peu d’hommes publics se revendiquaient démocrates. Le suffrage universel équivalait pour eux à une requête démagogique  accordant  au peuple irresponsable le droit d’intervenir, au risque permanent de l’anarchie (« dispute entre cent mille fractions » disait Robespierre). Contraste surprenant avec la signification actuelle du terme qui ne « voit » que l’aboutissement de ce long chemin de prévention du désordre éventuel, engendré par l’élargissement à un électorat imprévisible.

    Parallèlement, on soulignera que, tout en limitant leur usage, des principes d’égalité et d’équité avaient été décrétés. Et ce n’était pas sans enjeu : l’égalité de statut civique et juridique a vu le jour (mais excluant indigènes et esclaves). Le renoncement par le peuple au pouvoir par lui-même et au droit de commander a été compensé (c’est ce qui, à la longue, a emporté l’adhésion de la majorité) par l’apport de libertés appréciables : presse, opinion et parole, religion, conscience, procédures juridiques. Mais cette association ne va jamais de soi et peut être mise en cause, à tout moment. On comprend l’humour du titre : « Libérer le peuple ».

     

    L’histoire  retracée  ici  est tout sauf linéaire ; elle diverge avec la vision conventionnelle enseignée. Un point crucial concerne l’idée, plus ou moins tacitement admise selon les contextes, que le gouvernement effectif peut et doit être assuré au sein des groupes proclamés compétents. Si de Périclès aux délégués du Congrès américain rédigeant leur constitution, sans oublier les députés du Tiers-Etat, la République n’est pas assimilable à une forme unique, c’est aussi parce que certaines  des variantes ne s’affichent pas en tant que gouvernement du peuple. En démocratie pratique, le partage du pouvoir entre fractions « élues » est crucial et donc la conception de la délégation est complexe et sinueuse. On se perd facilement entre démocratie participative, directe, indirecte, représentative, déléguée, à une, deux voire trois chambres. Le partage de l’autorité entre élites est si délicat dans un conditionnement universalisant, qu’on n’en tire aucune règle d’immuabilité, aucun principe univoque. Ce sont des accords locaux (ou au niveau du pays) qui en décident. La République peut disparaître en gardant son nom. Elle peut se confier sans difficultés à un dictateur (Antiquité) ou un premier Consul (Bonaparte) ou à Napoléon III. Il suffit que la fraction au pouvoir soit choisie selon des règles formellement respectées. Elle se livre sans scrupules excessifs à des gens qui veulent la renverser : elle se met alors en hibernation (l’Allemagne en 1933) et elle sort du sommeil sans problèmes ; le fascisme italien tombe en un jour et dès l’été 1945, des instances démocratiques se mettent après épuration, à fonctionner en Allemagne comme si de rien n’était.

    Nombreux sont ceux qui perçoivent la démocratie moderne comme un régime politique impérieux, élitiste, incluant une quête permanente d’alliés, d’associés aux profits, un régime d’allure libertaire, libéral, souple économiquement. C’est également un mode d’organisation de la société, flexible, adaptable aux circonstances, aux mœurs, et à des économies ou des modes de production. C’est, comme on l’a souvent dit, la moins mauvaise des solutions de gestion des conflits au sein des classes dirigeantes et de leurs fractions subordonnées. Le  projet est d’analyser la concurrence permanente et  les effets de domination d’une fraction « légitime » au sein de la bourgeoisie (qu’elle soit aristocratie ou oligarchie, à tendance monarchique), impliquant des alliances variables avec  des classes montantes ou descendantes tout en restant « efficaces » en ce qui concerne la limitation de l’intrusion populaire : la petite bourgeoisie par exemple préfère la version parlementaire à la présidentielle, les classes moyennes admettent une royauté limitée (formule qui a encore la faveur de près du quart des pays européens ).

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    3. De l’histoire des idées: La démocratie  n’implique pas l’égalité 

     

    « Un Etat peut-il vraiment exprimer l’égalité ? Un Etat n’est-il pas au contraire la négation la plus définitive (au moins en théorie) de cette égalité ? (Dunn, p.76) On répondra avec l’auteur que la démocratie exalte la singularité et condamne l’uniformité. L’exaltation de la différence pousse à la discrimination par l’accès inégal en pratique.  La problématique de Dunn est on ne peut plus actuelle. La cinquième république  par exemple n’a jamais autant aggravé l’écart des revenus et des patrimoines -en valeur déclarées donc sous-évaluées- entre les strates sociales. Peut-on dire que c’est la victoire de la démocratie ? En partie oui, car la démocratie exalte la différenciation, la singularité et non l’égalité rebutante à tout principe de domination. Si on appliquait strictement l’égalité, le gouvernement qui y survivrait affaiblirait la portée de la  propriété privée, l’individualisation des capacités, les avidités d’accaparement. La démocratie  encourage et fait  prospérer les divers « soi », les marges et les diversifications personnelles, bref développe l’ordre de l’égoïsme. L’émergence de personnalités atypiques ou hors normes, l’esprit d’initiative privée et  de  compétition en seraient diminué. L’égalité devant les dépenses collectives de santé, devant l’école (et notamment la scolarisation longue), une  tendance au nivellement des conditions de vie, condamneraient les possibilités de personnalisation  dans la vie quotidienne, consommations, loisirs, distinctions intellectuelles ou sociales. Les déclarations formelles d’intention  égalitaires par un gouvernement sont aussitôt démenties dans les actes. On peut les revendiquer et ceux qui ont le pouvoir de parole ne s’en privent pas puisqu’ils définissent la liberté d’expression qui  sous-tend ces inégalités. Le droit de vivre selon des dispositions extensives, le droit d’user de capacités sociales élargies, de créer des modes de vie allant du dilettantisme à l’acharnement au travail, de multiplier des croisades en faveur de telles  minorités s’expriment sans restriction. Ces droits  consommant du temps et de l’espace sans contraintes ne peuvent qu’aller croissant. On vient d’assister au cours d’un siècle de particularisme culturel, d’individualisme singulier à des inventions de style de vie et de sectorisation communautaire pour lesquels la démocratisation  libertaire s’est appuyée sur un mode  d’expression politique : surtout pas d’intolérance, ni de limites ! ([6]).

    Dunn  estime que, de ces prérogatives dont en tant qu’intellectuels indépendants, nous profitons, nous pouvons espérer  simplement en tirer une démocratisation  molle, une absence de répression brutale car....« Ce combat, l’égalité  ne peut le remporter. Les limites précises que l’ordre de l’égoïsme impose à l’égalité ne forment pas une structure définie qui préexistent à l’expérience politique .Elles constituent un champ de bataille dont les contours évoluent sans cesse. En revanche une chose est claire : l’issue stratégique de cette longue guerre et l’identité du vainqueur... Le rôle de la démocratie en tant que valeur politique à l’intérieur de ce remarquable mode de vie (je veux parler de l’ordre mondial de l’égoïsme) est de tester sans répit les limites tolérables  de l’injustice dans un mélange d’exploration culturelle et de combat sociopolitique » (Dunn, p. 192). Ainsi va son raisonnement : la société démocratique offre matériellement et spirituellement d’immenses potentialités à l’individualisme raffiné. Cela ne serait illégitime que dans  une société habitée par la « vertu » mais si la vertu ne s’impose pas ; il ne reste qu’une option : s’incliner devant les résistances ou l’imposer par la force ainsi que l’a montré 1794.  Si l’inégalité affecte tous les domaines,  quelle est la limite tolérable ?  Qui est  marginalisé, voire exclu en démocratie ?  Et donc qui la défend ou est prêt à le faire ? Intéressante question dont la réponse  réside dans des alternatives où se nouent des transactions, négociations difficiles à terminer entre fractions bourgeoises. La politique pour chacune d’elles est manifestement la défense de ses propres intérêts de caste ou plus  précisément  de fractions qui se font passer avec le plus d’opportunisme ou de cynisme pour  l’intérêt général.

     Le livre de Dunn anticipe des questions importantes pour la sociologie  politique et pour l’étude de la France actuelle. Ce sont les luttes  internes ou de catégories sociales proches, qui intéressent spécialement l’historien-sociologue qui regarde la république et ses évolutions. Ainsi il a toujours existé  en démocratie, et ailleurs, a fortiori, des exclusions et des clivages à la suite de rivalités au sein des milieux dirigeants (assassinats, exils, condamnations). Les luttes de fractions de bourgeoisies divisent le monde du pouvoir selon des caractères sociaux ou religieux (catholique ou protestante pendant plusieurs siècles mais aussi athées ou puritains, militaristes ou pacifistes). L’une fut chez nous d’ossature gaulliste sociale, patriotique et valorisant le travail industriel, l’indépendance nationale. Cette fraction existe toujours mais se tait devant l’ascension des nouveaux acteurs, notamment ceux issus de la bourgeoisie des affaires et de la finance. En France également les classes moyennes aisées, parvenues au pouvoir opportunément durant les trente dernières années,  se divisent en blocs peu perméables. Une sorte de guerre civile, on le devine, au sein de laquelle on se déchire au sein des repas de familles, des réunions d’associations ou de discussions entre amis. Professionnels de la fonction publique s’opposent aux agents du privé. Malgré une origine familiale commune, des contradictions internes aigrissent les relations d’amis, de parents ou d’héritiers. La divergence sur la nature des fortunes et des patrimoines, que ce soit la banque ou la Bourse, que ce soit le travail de cadre ou de patron, altère la cohésion traditionnelle des classes moyennes riches et la solidarité a volé en éclats. Le peuple, quant à lui, ressent  sa mise à l’écart par les décisions de  justice, la seule institution qu’il ne « comprend » absolument pas, au sens de malaise d’entendement, de réponses inappropriées, d’ignorance des bons comportements. Pourtant la justice du « contrat  social » développée en démocratie façonne toutes les transactions économiques et les négociations salariales.  L’exclusion est douce ; elle prend  le visage du consentement par lassitude et du  dégoût pour la politique. L’exclusion peut être légale (droit de vote interdit, réservé ou limitatif)  ou bien elle peut être  rendue matériellement complexe en élevant par exemple des obstacles au vote des non sédentaires, des travailleurs mobiles  (au titre de preuve de domiciliation, ou rendu pratiquement difficile : horaires, lieux du vote, attente, vérifications). La projection  dans le temps que demandent l’exercice de la délégation et la confiance sans contrôle aux élus, rebute les gens modestes qui n’ont pas le temps d’attendre et qui ne font pas confiance spontanément à d’autres classes pour les représenter.

     

    4.  La  mort agitée des républiques antiques

     

    Qu’est ce qui fut fatal à la République ? On peut aligner  une série de causes jamais identiques, plutôt un ensemble de contingences qui vont de l’exclusion trop violemment ressentie par les victimes (Rome ou Athènes, les Algériens colonisés)  aux dettes accumulées que les débiteurs responsables ne veulent pas acquitter sur leurs biens (l’Ancien régime, la première République  de 1793 à 99). Ces déficits ont eu parfois des raisons  internationales ; tels  ceux unissant l’Amérique libérée du roi anglais et la  Révolution française (la dette française  due à la participation à la lutte de l‘ex-colonie contre le Royauté britannique provoquant les Etats Généraux). Tout le monde a sa chance dans la course à l’endettement reporté sur autrui. Ainsi Athènes vivait sur des extorsions imposées  aux cités voisines ; elle en  mourut  à la longue  après la guerre du Péloponnèse pour accroître l’enrichissement de la cité et rembourser ses dettes

     

    La fin de la démocratie à Athènes

     Les descriptions de situations qui ont vu la fin des régimes athéniens viennent plutôt d’adversaires de la démocratie, de Platon à Aristote. Ils furent  les plus  exigeants  du point de vue d’une définition logique.  Ils devinrent cependant un réservoir inépuisable de références quand on eut besoin d’une pensée pratique pour penser ou combattre les régimes féodaux ou monarchiques.

     « Ce n’est assurément pas parce que Platon abhorrait la démocratie que nous sommes tous devenus démocrates...A première vue, « La République »  de Platon n’est pas un livre sur la démocratie ; sans doute est-ce avant tout un livre sur la justice, sur la meilleure façon de  se comporter, sur la nature de la bonté.  Platon y débat  sans nul doute parce qu’il avait de nombreuses raisons de ne pas aimer la démocratie (venant d’un des plus grandes familles d’Athènes .il appartenait indiscutablement au camp des perdants  de la cité-Etat) » (Dunn, p. 46). La citoyenneté a été le fondement d’une discrimination, d’une limitation à l’élargissement  du pouvoir au peuple. Idée qui aura de multiples ramifications. Solon modifia les organismes de direction, favorisa l’accès de pauvres à la justice, libéra ceux qui étaient endettés mais refusa de redistribuer la terre. Cependant ce sursis connut sa limite : Athènes mit fin à cette expérience  au profit d’un impérialisme afin de satisfaire ses débiteurs et les  conquêtes commerciales et territoriales qui s’en suivirent, occasionnèrent sa perte, de la main armée du roi de Macédoine. Auparavant Athènes s’était asservie à des mercenaires en  vue de sa conquête du Péloponnèse et de l’expédition manquée en Sicile. Il y avait là le scénario de bien des morts postérieures.

    Athènes toutefois inaugura un principe démocratique: la sélection et l’idée que la domination  d’une des élites est inévitable. Dans la Cité-Etat, 10% de la population a le droit de participer. Les quarante mille métèques résidents, dont une minime fraction triée sur le volet, pouvait espérer devenir citoyens eux-mêmes ; elle comptait enfin  sans doute cent cinquante mille esclaves. Submergé  par les métèques et les  asservis, ce melting-pot était explosif et devait être surveillé constamment.  La jeune république  cherchait à  éviter les luttes entre familles ; elle encadra juridiquement les conflits entre dominants. Cette organisation fut singulièrement favorable à l’extension de richesses par  rationalisation du travail servile et  redistribution de butins de guerre. La démocratie est donc  un système qui contrôle particulièrement la force du pouvoir en place, qui coordonne des expéditions, harmonise les profits. La ville de Périclès au temps de sa splendeur, pendant deux cents ans d’existence, occupait un vaste espace urbain de plus en plus resplendissant et un arrière-pays rural encadré. La guerre et le contrôle des esclaves avaient donné l’idée d’organiser la répartition pacifique du pouvoir au sein d’une minorité de la population ; c'est ainsi que naquit l’idée de la « démocratie » (contrairement à Sparte où l’idée ne vint jamais). Histoire brouillée par vingt siècles d’exégèses et de commentaires a posteriori sans faits réellement nouveaux..

     

    « L’ombre interminable  de Thermidor » 

    On ne peut oublier que pendant des siècles, la démocratie a été vue comme un régime incohérent et instable, au service de la plèbe et qui menait à la défaite militaire : un véritable repoussoir. La fin de la première république en France  s’y rapporte et le sous-titre évoque un Robespierre poussé à la contradiction inhérente à la démocratie jusqu’à son point ultime. « En février 1794, la France avait plus besoin que jamais d’un gouvernement. Personne ne défendait ouvertement l’hypothèse anarchiste, mais à chaque rassemblement politique ...ces fameuses  cent mille fractions du peuple  finirent par porter un regard très différent sur le rôle qu’il leur appartenait de jouer. ...Deux ans après la mort de Robespierre, une poignée de ses anciens amis  entreprirent assez maladroitement de renverser ceux qui avaient pris le pouvoir ; et de déclencher ainsi une seconde révolution...parmi la poignée des comploteurs véritables se trouvait F. Michele Buonarroti, un aristocrate toscan au tempérament sanguin .Ce dernier vécut assez longtemps pour immortaliser le déroulement de ce complot trente ans plus tard de son exil bruxellois » (Dunn, p. 139)

     Le chef de la Conspiration des Egaux,  Gracchus  Babeuf,  donna plus tard son nom à cette dynamique  politique  adverse: le système de l’égoïsme. Le combat fondamental autour duquel avait tourné la Révolution  était celui de l’égalité contre l’égoïsme générateur d’inégalités puisque  l’unique ressort des sentiments et des actions était l’intérêt personnel. La formule que 1789 a ultérieurement appelé démocratie était le choix toléré de personnes habilitées à décider de l’arbitrage  entre fractions élitaires.  Ces tensions internes furent bien supportées grâce à  l’accroissement des biens. La guerre européenne de la Révolution et les dix années de conquêtes de Napoléon  suffirent, un temps, à satisfaire des revendications d’ « égalité » par un accès ouvert à la richesse confisquée aux pays voisins

     

    5  Le triomphe de l’idéologie démocratique

     

      « La démocratie représentative capitaliste » a aujourd’hui gagné ; ceci est incontestable. Elle gagna deux fois en 1945 et en 1989, dit Dunn (Libération et chute du mur de Berlin)  contre des formes jugées composites ou aberrantes telles que la démocratie socialiste ou populaire. Dès lors, l’idée de la démocratisation auto-proclamée assura le succès mondial de la libération capitaliste. La démocratie satisfait les revendications d’un nombre important de personnes, elle est donc toujours une solution possible. Aujourd’hui elle est parvenue à se hisser sur un « promontoire solitaire ». Le quasi monopole de la légitimité, le succès contemporain du mot dateraient de la  victoire sur Hitler quand, en 1942, il fallut mobiliser tous les alliés potentiels y compris l’URSS.  Mais après la victoire, la guerre froide a changé le sens de démocratie : elle est devenue uniquement un pur anticommunisme. La démocratie représentative capitaliste s’est imposée dans le monde avec la domination économique et culturelle de l’Europe d’abord et ensuite des Etats-Unis d’Amérique, héritière  de ses concepts.

    On peut aisément constater la courte durée de chaque ère de  « démocratisation », suivie en principe d’un autre  régime qui ne la revendique pas ou la rejette. Athènes et suivie d’une oligarchie autoritaire ; Rome et son sénat d’aristocrates,  d’empires et de  consuls-dictateurs ; la Révolution  de « 89 » connut une réaction violente (Terreur blanche, restauration) ; l’Allemagne  devint républicaine puis nazie en quinze ans. La longévité de la démocratie actuelle européenne se justifie sans doute par une période extrêmement favorable à l’intensification des consommations, un concours chanceux de circonstances : conquêtes de marchés mondiaux et émergence de la Révolution scientifique. Double condition qui a aiguisé l’âpreté individuelle et la lutte pour la définition des besoins toujours nouveaux. Les pulsions de consommations  accapareuses s’ajustent à un mode d’arbitrage entre « égalités », au nom de l’égalité de « chances »  d’accès au diplôme, du mérite au travail ou de la situation géographique qui elles, ne se planifient pas. Néanmoins leur définition restait dans les mains de ceux qui avaient au préalable le pouvoir. Ultime formule qui laisse le champ ouvert à toutes les éventualités contemporaines : survie, chaos, diffusion ou rétrécissement du champ « démocratique ».

    Dunn qui n’est pas  seulement un analyste mais aussi, à sa manière tout en douceur, l’avocat d’une certaine conception des rapports dans la cité, entrouvre malgré son pessimisme quelques portes au pronostic :  « La démocratie représentative moderne pour son honneur devrait subir une transformation radicale. Le combat sera sans doute ardu car ceux qui ont intérêt à y faire obstruction sont puissants et bien placés. » (p.208). Si on appliquait les préconisations démocratiques à la lettre, les gouvernements tueraient dans l’œuf l’initiative privée capitaliste, la spécialisation. La démocratie laisse donc prospérer l’individualisme, encourage les marges et les diversifications, l’esprit de  compétition  dans l’extension des Droits de l’Homme au profit de l’ordre de l’égoïsme. On peut l’occulter au moyen de déclarations formelles quoique demeurent le droit de vivre selon des dispositions à la consommation extensive, le droit d’user de nombreuses capacités du service public au profit de modes de vie individualisant. Les  minorités qui en usent s’expriment sans limites,  consomment de l’espace sans contraintes. On  l’a dit : un siècle de communautarisme culturel, d’individualisme distinctif, d’inventions singulières de modes de vie pour lesquels la démocratisation  des mœurs s’est appuyée sur la démocratie politique vient de s’écouler  

     

    6. Les restrictions selon le raisonnement des abstentionnistes

     

    « Que pouvons-nous espérer  puisque les dirigeants politiques appliquent le mot démocratie (avec le consentement actif de la plupart d’entre nous) à la forme de gouvernement qui assure leur sélection et leur permet de gouverner » ? (Dunn, p.179). Cette remarque simple ne peut manquer d’interpeller le sociologue-historien comme le citoyen. La démocratie est à la fois un refuge minimal et une injonction à se soumettre. Face au peuple qui peut s’estimer  heureux de ne pas vivre en dictature, les politiciens se livrent au jeu permanent de la politique politicienne, secondés par les journalistes, et des campagnes aux financements opaques. Quelques « remèdes » simples viseraient à restreindre l’argent consacré à la politique. Le financement démesuré concourant à la victoire électorale dans la compétition au pouvoir, est tyrannique : record par le financement des campagnes des élections de Bush Jr  ou d’Obama. C’est pourquoi le nombre d’Américains qui ne croient plus aux élections et qui s’abstiennent, augmente proportionnellement au coût du financement des campagnes des élections. Des lors  réduire les sommes  données par le pouvoir démocratique à la communication et à la publicité politique serait une amélioration.

    Enfin le peuple ne devrait plus être défini par son incapacité mais être convaincu de sa compétence (la capacité à gouverner d’une simple « femme de ménage », la célèbre parabole de Lénine). A cette fin, le monopole des informations est critiquable bien qu’il soit pluraliste. Multiplier les titres de presse n’est en rien utile s’ils sont tous conformes à un seul type, au lieu de transformer les sources et les points de vue sur celles-ci ainsi que leur traitement. Or, actuellement les sources et moyens (agences de presse, pools informatifs) sont uniformisés « démocratiquement » et verrouillés par l’argent qui y est consacré et qui élève le prix d’entrée de ceux qui en sont exclus. L’hégémonie de l’opinion dite publique, le vœu du peuple exprimé par « élections ou sondages » sont une invention habile, un argument fallacieux.

    On peut changer également l’ordre des questions politiques, c’est-à-dire démocratiser ou modifier les termes de l’offre des problèmes et des urgences : faire rédiger les demandes, les revendications par les électeurs et non par les élus, ce qui conduirait bien sûr à des referendums plus nombreux que les élections générales, trop lourdes tous les 4 ou 5 ans.

    On doit accepter  l’idée que l’opinion se construit contre quelque chose ou contre quelque qu’un ; sinon on conforte le vote massif d’adhésion implicite (en éliminant soigneusement  des comptages, les abstentions, la non inscription électorale, les votes blancs). On peut espérer trouver un autre  mode de gouvernement  que celui du sondage au nom d’une  légitimité proclamée par l’autorité. Aujourd’hui une force « démocratique » n’apparaît que sous certaines conditions : que  ceux qui légitiment l’opinion l’acceptent. Le sondage d’opinion élimine son contraire, c'est-à-dire l’opposition au sondage et devient ainsi un vainqueur facile. La théorie du vote universel élimine l’opposant secret, intime, convaincu que le non vote doit exister moralement. Donc le sondage aplanit au plus bas, réduit la démocratie à : « Je parle pour toi puisque je t’ai sondé ». Il n’y a pas pire malentendu totalitaire que le sondage souverain dans les démocraties dominées par « l’opinion », en réalité par ceux  fabricant une opinion au nom des Droits de l’Homme qui contredisent  souvent les droits des citoyens assemblés en collectifs volontaires. Citons quelques-unes des  solutions provisoires jamais appliquées.  Dunn ne les renie pas : des élections de contrôle et de surveillance des élus, le choix des questions soumises au vote par les citoyens eux-mêmes, etc.  Dilemmes tangibles tels que la confusion entre secret et transparence, la combinaison entre obscurité des coulisses (par ex. les banques, le fonctionnement des partis démocratiques) et une façade, ou bien d’autres contradictions entre le geste et les sentences. On pourrait suggérer aussi, au lieu des successions d’élections pour des représentants en place, plus  de référendums  aux choix clairs qui seraient déterminants. Pas de multiplications électorales mais des améliorations techniques pour le vote en acceptant les changement de domicile récents, des horaires plus souples, voire le déplacement des urnes jusqu’aux cités. Les quelques fraudes qui en résulteraient seraient moins menaçantes que l’abstention massive ; mais on a vu que cette abstention est implicitement tolérée

     

    7. sociologie des classes sociales en république : principes inegalement exerçables

     

    En plaçant au cœur de son analyse les malentendus, les confusions et les illusions au sujet du concept de démocratie, Dunn et ses collègues de Cambridge nous incitent, sociologues, historiens ou citoyens, à nous ressaisir du sujet, tels les Athéniens responsables collectivement de leur destin, et à questionner, réfléchir, proposer. Ainsi, la démocratie est autant porteuse de manques que d’acquis. Manquent au « peuple » par rapport aux titulaires des droits en démocratie, les capacités pratiques de les exercer en moyens matériels, temps et  ignorance du Droit.  Pour les services publics dont l’accès est « libre », il  manque aux classes populaires, le style de maintien, le mode du contact avec les classes moyennes du guichet  ou au bureau du cadre. En raison des argumentations moralisatrices au goût et à la  mode psychologique, l’entrée des services de l’Etat  de providence ou de simple protection leur est inabordable. La relation avec les classes moyennes aux conduites dites « rationnelles » n’a pas de solution  puisque des pans entiers de savoirs informels de présentation de soi (mis à part quelques ruses du discours de la victimisation, venant de pratiques   honteuses populaires ;ce que des minorités ou  les mafias qui les exploitent,  accaparent) .Leur manquent  pour accéder  au service public et passer à travers les mailles de ses gardiens, les « Gatekeepers » ainsi qu’on dit en sociologie.  Mais la nouveauté devant laquelle la démocratie moderne  ostentatoire bute est  que les plus malchanceux construisent l’impression que l’accroissement des droits des autres se fait au  profit de cumuls  d’impôts sur leur  travail pour alimenter les caisses  sociales des privilégiés.  Les sociologues en  sont si  convaincus  qu’ils n‘attaquent plus le problème mais  se contentent d’enquêter sur des détails. Les dépenses de santé en sont un cas d’école ([7].) La prise en charge  collective d’une partie d’entre eux aggrave les déficits au gré de l’exigence individuelle de besoins personnalisés subjectifs.  Inconnus collectivement il y a encore 70 ans,  les besoins ont été multipliés par  cent en un court temps (paroxysme de la démocratisation à partir de 1990). L’idée a quelque chose de terrifiant : « La collectivité me doit une santé illimitée, sans définition autre que celle de mes goûts, de mon genre de vie et ma personnalité ». 

    Ce chapitre permet de tourner l’obstacle sur lequel butent les  politicologues : le contraste des révélations sensibles et des ignorances voulues. Ainsi la schizophrénie dont nous souffrons découle d’un manque de démocratie politique et d’excès de démocratisation des consommations. Fictive transparence ici et obscurité là. Telle est la grille de notre temps.

    Refusant le raisonnement politique abstrait des libertés démocratiques, les gens du peuple perçoivent que leurs cotisations ou impôts servent la surconsommation (médicale ou scolaire) des catégories  sociales aisées. Certes, ils voient parfaitement que les nécessiteux ne sont pas tous abandonnés à la rue et même que certains, symboliques, sont considérés de façon bienveillante dans les reportages réalisés dans des médias par ailleurs opulents mais en y manifestant une sensibilité factice que tout contredit dans leur support  (papier, images, mise en page de luxe, cadeaux publicitaires). L’apparat  et la charité deviennent  provocateurs.  La société des besoins illimités  offre un panorama inouï d’attitudes de détenteurs de richesses, à la radio, télévision, presse quotidienne etc. Ce regard, de haut,  dans des  périodiques débordant d’appels au luxe, voyages, propriétés,  appareils,  leur parait déplacé, au pire  insultant. Puisque la force de chacun sur la scène sociale contemporaine détermine ses droits d’exercice  à l’encontre  de ceux qui ont des droits mais pas les capacités de les faire valoir,  la sécession morale des démunis devient une condition nécessaire, une résistance pour survivre. Cette sensation est nouvelle à ce degré et leur interdit  la participation à la vie collective (associations, partis et syndicats, élections et manifestations). Ce qui fait que, paradoxalement, c’est parmi les  abstentionnistes endurcis  qu’il existe   nombre de gens politisés, avertis des résultats de chaque élection  à laquelle ils n’ont pas œuvré  .  Le refus électoral qui annonce une limite inéluctable de la progression de l’idéal démocratique  est donc une  obligation de survie pour l’estime de soi, quelque chose qui s’appelle la résistance, la dignité des opprimés ;  l’abstention  représente le dernier quant à soi, une  action vivante. La grève du vote, une forme de grève  générale, ne fera que s’accroître ( vu en enquêtant  auprès d’eux en incluant les Non Inscrits ([8])

     La pratique des Droits infinis,  infiniment rabâchés, est sans limites. Or, puisque la liberté démocratique n’a pas de fins, c’est l’ordre de l’égoïsme qui triomphe  selon les occurrences et les circonstances des « besoins ». « A chacun selon ses besoins » !! Et ceux-là se déplacent très vite d’un secteur à l‘autre. La religion de la liberté et de l’égalité en démocratie, à ne pas confondre avec l’égalitarisme, idéologie plus moderne,  a encore de beaux jours devant elle. Si toutes les opinions peuvent se manifester, à égalité, dans les médias (vote incessant, courrier des lecteurs, manifestations d’opinion dans la presse ou Internet), leur poids ou « valeur » se différencient selon les thèmes et  les dénonciateurs. L’excès de démocratie ici occulte son absence totale, là. On peut tout dire en certains domaines (culture, loisirs, représentations familiales, vie domestique, éducation) mais rien dans d’autres (patrimoine, revenus, comptes secrets, pratiques  occultes de la sphère financière et économique sauf à s’exposer à des procès). Quelques secteurs  éclairés de la vie sociale nous submergent et font, à point nommé, oublier un manque criant dans d’autres cas. Qui décide de ce partage entre trop/ pas assez ? Les  puissants jouent tantôt de la démocratie contre l’opinion populaire qui n’a été ni consultée ni écoutée, tantôt l’opinion contre la démocratie. C’est pourquoi toute démocratie  contient son échec et toute République, sa fin.  En s’appuyant sur  le Hollandais Hansen et  le Britannique Finley ([9]), historiens attachés à montrer le détail des réalités pratiques de gouvernement,  on  sent que la démocratie est née sans vraiment en avoir conscience pour résoudre des problèmes concrets.  Les paysans pauvres endettés risquaient l’esclavage pour dettes et l’équilibre social de la cité était menacé. Ce sont des magistrats issus de l’aristocratie, Solon puis Clisthène, qui  mirent au point un ensemble de règles limitant les dangers de l’inégalité. Ce système aboutit à l’égalité de participation active pour un nombre réduit de citoyens soldats. Il fallait voter tous ensemble des décisions qui pouvaient décider de la vie ou de la mort de la cité. La démocratie a ensuite été oubliée comme mode de gouvernement pendant plusieurs siècles (mais pas comme cadre de référence à la réflexion politique). Ces formes d’organisation de la vie sociale ne sont pas le produit d’une volonté nette et définie, comparable à celle qui nous anime aujourd’hui.   

     

    Conclusion  du premier chapitre

    Le pire écueil de l’analyse socio-historique du régime républicain  serait de faire passer aux fourches caudines morales de notre époque, les « mauvais » régimes, soit au contraire accorder facilement notre confiance à ceux où les principes nous semblent, appliqués. Dans la plupart des cas, les mots sont vagues et les réalités qu’ils recouvrent très diverses. Les républiques sont des systèmes d’arrangement (pas toujours pacifiques) entre membres de l’élite qui remplissent diverses fonctions. Le meilleur moyen de s’en convaincre est de regarder comment ont existé en Italie, depuis l’antiquité des régimes « républicains ». Rien de plus étrange à nos yeux, en effet, que la façon dont Rome, puis Venise ou Florence à sa suite,  « furent » des républiques. Cela ne veut pas dire qu’il y aurait un mauvais terme (l’ancien) et un vrai terme (l’actuel). A travers les âges, la République a toujours été un mélange de principes durables et d’adaptations ad hoc. La République est toujours une combinaison. Regarder les « républiques » italiennes, auxquelles songeaient d’ailleurs les révolutionnaires américains et français du XVIIIe siècle nous semble donc un passage obligé de l’examen sur la longue durée de ce phénomène politique et sociologique. 

    Ce sera le thème du chapitre 2 à suivre : Oligarchie et République dans les cités italiennes. Il y aura ainsi 6 chapitres dont la livraison  aux lecteurs  sera mensuelle

     

     

    Critique du livre impubliable : la  Mort des Républiques par les deux personnages emblématiques du  site J Peneff : Mondialisation et Histoire 

     

    - L’Ermite :  A vouloir explorer les disparitions républicaines, alors que les temps de crise poussent à l’euphorie, à l’enivrement  de notoriétés littéraires qui s’attachent de préférence aux « naissances », à l’invention sublime, à  l’enfantement d’institutions inégalables ,votre projet comparatif est contreproductif, suicidaire même ! On vous reprochera vos sources  étrangères ; un coup de poignard pariotique, pour les lecteurs et éditeurs  à pignon dur rue ex-soixanthuitars repentis ! On vous reprochera   une tonalité militante. Vous  sapez le socle  des médias cimenté  depuis 30 ans. On vous reprochera de  solliciter systématiquement des idées neuves. Une  hérésie par les temps qui courent !

     

     

    -Candide : Néanmoins, les dix ans à venir vont être cruciaux.  La fin de la 5ème s’annonce. Alors par quels signes précurseurs, dans l’histoire républicaine occidentale, ceci s’est déjà  manifesté ? Il y eut, dans le passé, dans la mort de ces régimes, des périodes  d’anarchie  préparant le terrain, un appel au césarisme, au bonapartisme.  Mais chaque époque eut sa préférence pour tel ou tel enterrement. Il fallait donc tenter une comparaison systématique sur un échantillon d’une dizaine de cas, la moitié étant français  bien sûr puisque nous avons collectionné  ce  type de régimes  dans un  défilé au demeurant peu homogène.

      

     

    ERMITE  Louable intention mais personne ne vous y autorisera.  Les medias   tenus autrefois  par des personnes morales sont maintenant dans les mains des grandes banques ou des affairistes milliardaires.  Les éditeurs sont  devenus des commerçants dévoués et donc des conservateurs peu audacieux. Vous n’êtes pas le seul à faire ce constat: beaucoup de livres sont refusés  en ce moment à cet égard   

     

     

     Candide : Tout bascule : c’est pourquoi  il n’y a pas de moment plus propice. Mais quatre « tsunamis » sont survenus. C’est surtout le dernier, l’émigration   de masse qui fait tomber les masques ; or le temps de la lucidité est venu. On est  juste avant l’effondrement  civique,  la fin d’une communion nationale et cette année écoulée suggère  même une résistance à la conception unanimiste qui a duré 30 ans  1985-2015. Le passé français  est maintenant rediscuté par de nombreux auteurs qui reprennent notre histoire contemporaine sous un nouveau jour !Avec « La mort » je veux  me situer  dans ce mouvement - non  un simple changement d’humeur-  qui a vu de grands événements dans l’année écoulée se produire, tous totalement imprévus pour des commentateurs aux pronostics  aventureux : les attentats ; le FN premier parti à plus de 30%, et la crise morale avec les luttes de clans au sein des 2 grands partis du Centre (PR et PS) 

     

     Ermite : Expliquez –vous ! Si vous signifiez que  le XXè est mort en 2015  comme le XIXè était mort en 1914 ; quand s’annoncèrent les deux plus grandes guerres de l’humanité ait connues avec des atrocités jamais rencontrées (même si auparavant on assista à diverses traites, esclavages, guerres de conquête et  destructions), alors oui, d’accord !   

     

    Candide : Le moment est de faire des comparaisons et  non pas une histoire événementielle et singulière. L’année vient  2015 d’accoucher de plusieurs tremblements de terre .Vous avez des attentats de masse  en janvier et le 13 novembre ! .Dont personne n’a vu d’ailleurs qu’ils étaient très différents d’objectifs et de moyens. Le premier était politico-religieux et  visait des prétendus ennemis de l’Islam, le second  est une réaction  face la situation  morale de la société et visait des jeunes de la part d’autres jeunes, en crise de la société de consommation et de loisirs. Rien à voir avec une idéologie gauchisante ou anar,  mais un   moindre goût de vivre ! Vous avez lu :les tueries de masse  de jeunes en Norvège et  d’autres jeunes surarmés  aux USA   qui n’ont pourtant aucun lien avec Daesch ! 2015 fut l’année de la montée apparemment irrespirable et pourtant si  évidente de l’incompréhension, du  FN. Mais l’essentiel est que 2015  a vu une émigration de masse  inédite depuis la seconde guerre mondiale.

     

    CANDIDE : Mais la France dans tout ça ?

     

     ERMITE : Les républiques chez nous sont tombées sous les coups de l’armée mais il n’y a pas eu  de déroulement logique. On   ajoutera particulièrement   le vieillissement des « élites » intellectuelles,  l’absence de mobilité des  politiques  du fait  de quasi- cooptation, la  sclérose des institutions :tout cela engendrant  la paralysie des pouvoirs. L’abstention électorale massive est un indicateur, pas une cause. L’appel au peuple n’est guère convaincant, ni d’ailleurs fréquent en république bien qu’il ait eu lieu parfois et se termina mal pour ce dernier.

     Notre pays   a le sentiment de traverser une  période  catastrophique avec l’irruption  massive des migrants. Ce faisant on oublie sa tradition d’ouverture  (comme le fait d’accueillir 500 000 Espagnols en fuite devant Franco en 1939, ou encore le million réfugiés du nord et de l’est  de la France en juin 40 lors de l’exode de la défaite). Les Français  découvrent avec stupeur des mouvements de population qu’ils croyaient  périmés et qui sont de tos les temps ( les croisades ont transporté en 12   transportations sur deux siècles, un  demi-million d’Européens vers l’Orient pour la reconquête de Jerusalem. Ce sont leurs descendants, les Chrétiens de Syrie qui reviennent d’ailleurs maintenant. On a oublié le maelstrom de l’Europe chamboulée par les Nazis : 10 millions d’étrangers sur le sol  allemand en  1945 (ce qui fit de nombreuses naissances  - cachées-  par dizaines de milliers (et chez nous,au moins deux cent mille, issues de couples mixtes (soldats allemands et femmes françaises)  . Nous sommes aveuglés et sans mémoire de ce mélange d’allogènes.

    Les migrants récents font partie d’une immense tradition européenne et proche- orientale. Ils viennent maintenant du Moyen-Orient  et de plus loin, d’Asie, bombardés parfois par nos avions;  ils convergent dignes et respectueux, ne demandant qu’asile et travail. Meurtris certainement ils se saisissent de la porte ouverte   que nous avons produite chez eux puisque en détruisant  leurs systèmes, leurs patriarcats, leurs  traditions culturelles, avons excité leurs querelles byzantines ancestrales religieuses.  Irréductibles, ils seront  inarrêtables.

     Ce retour à une réalité globale est un choc imprévu comme l’exode de 1940 le fut ou d’autres  déplacements aussi importants dont on n’a pas soupçonné l’évidence.  Or  aujourd’hui « ils » sont là ! Et un élan magnifique  vient  de naître en faveur de leur soutien, et du  refus  d’une relégation comme celle subie par les républicains espagnols qu’on avait parqués sur la plage. Surprise divine! La résurrection française existe par la solidarité !

    Un peuple s’est mis en  mouvement venu des profondeurs du pays qui va  à leur rencontre,  qui abandonne maisons et champs,  bureaux  ou  usines,   consommations et routine pour leur tendre la main. Ce geste est plus  que de la générosité ; c’est  une forme de politisation, hors  de tout intérêt électoral, une volonté  venue  des tréfonds de la nation, une formule neuve de l’action collective, un désir de retrouver un sens de la justice.  De partout en Europe le même besoin de solidarité s’exprime par des initiatives  courageuses et originales et  la volonté de rejoindre Calais devient l’emblème de l’esprit de fraternité de l’humanité. Maintenant, chacun de nous doit choisir son camp : c’est là la clé des événements  politiques de demain, en dehors de tout parti, de toute religion laïque. La conscience de l’existence réelle  d’autres populations sur la planète, inaugure l’ère des déplacements à flux continus. Elle nous  met face  à un dilemme historique entrevu par nos pères  dans les années 40 et 50. A partir des rivages de la Manche, la France s’est divisée en  deux : hostiles, violemment opposés   contre les tolérants  et les   bienveillants et la coupure ira en s’aggravant. Une tension insoutenable pour une vieille république en manque d’oxygène, aux minuscules querelles domestiques  et aux programmes obsolètes. Le moment est historique  que ce retour de la France réparatrice et  responsable ! Une manière  de résistance sourde, confuse au début, sans réelle bureaucratie, sans aide  de l’Etat et même souvent contre lui, contre son inertie ou sa répression, se développe en silence, presque clandestinement, à travers des gestes spontanés. La véritable démocratie renaît,  de ses cendres. Calais  nous  fait souvenir de tout ce passé enfoui

    En effet depuis la Grande Résistance contre l’Hitlérisme qui a été l’objet et le moment  d’une irruption de mauvaise  conscience  et de besoin de justice  a produit l’action immédiate de sacrifice et de bénévolat. Elle  avait   effacé le clivage qui  nous aveuglait alors : Gauche/ Droite, chrétiens et incroyants,  possédants et ouvriers, aussi bien  que les différences d’origine  ethnique sur notre sol. La mort de la Vème république  recèle-t-elle la renaissance de cette France libre ? Audacieux et un peu tôt pour l’affirmer !  Mais des caractéristiques de la situation,   émergèrent des idées neuves et des personnalités hors pair induisant des actions exceptionnelles. Ce fut sous la houlette du plus célèbre des déchus de la nationalité française (Décret du 1er août 1940 signé Pétain, qui  évince De Gaulle du droit d’être français) que ce titre,  non de honte  mais de gloire,   redonnera  un sens à notre Constitution! 

     

    ERMITE Ce condensé  de l’histoire française, vous ne pourrez jamais la publier. Dire que toute république connaît sa fin et que tous les exemples sont   à la fois semblables et différents : aucun éditeur ne fera paraître de telles idées. Les actionnaires et le poids des décisions de  la Bourse dans l’édition, les universités, les medias,  tiennent  sous leur autorité ce qui est  dicible   au sujet de la globalisation démographique. Ils  profitent de cette position pour trier dans les journaux, les « bons » des mauvais auteurs. Ils marginalisent les  petits éditeurs  qui accepteraient un mélange d’érudition et de culture générale  en vue de l’abandon  du manichéisme républicain  des idolâtres. C’est pourquoi il faudra accepter une idée de république changeante  versatile, contingente,  incertaine, transitoire  au cours chaotique de déroulement depuis la Grèce et Rome.  Elle est,  en elle-même,   une formule étrange qui a  enfanté bien des  contenus, incluant du césarisme, de la tyrannie, des oligarchies

     

    ERMITE : C’est  cela la conclusion à votre livre ?

     

     CANDIDE : Vous verrez  bien: il n’y a pas de causalité unique, ni de déterminisme mais un enchaînement où les puissances alliées, l’Europe jouent le rôle de détonateur interne de notre histoire.  Les circonstances du décès  sont modifiées par  les aléas de la tournure internationale (notamment par les victoires ou défaites  de guerres). Il faut rester à l’affût des moindres signaux pour interpréter et diagnostiquer

     

    ERMITE  Comment ?

    CANDIDE : Par un surcroît de travail  intellectuel et des comparaisons, outre  une liberté de pensée  accrue

    ERMITE : ça n’en prend pas le chemin

    CANDIDE : Non mais on peut s’exprimer librement  sur de nouveaux supports comme internet  où la censure ne pèse pas.  Donc je choisis ce mode d’expression et je vous livrerai chaque mois un chapitre de mon livre  que j’espère vous discuterez pas à pas

    ERMITE : D’accord je lirai,  mais je doute qu’un éditeur accroché à ses certitudes et au culte religieux des Droits discriminants, discrètement  inégalitaires, accueille votre livre. D’autant, si je vous suis bien, que vous montrez que les phénomènes de dimension  européenne sont  d’une trame  banale. On a abattu de fortes  républiques  pour moins que ça dans le passé. Et ce sont les historiens Anglais (et les Américains, les Allemands et d’autres nationalités)  qui  décrivent le mieux  les faits nouveaux. Vous insistez  sur l’apport des étrangers et cela est un handicap supplémentaire pour votre livre  

     

     CANDIDE Oui ! Mais  ces innovateurs étrangers ne sont pas de purs historiens justement ;  leur éducation  combinant histoire, sociologie et anthropologie constitue un ensemble qui n’est plus enseigné en France alors que la connaissance mondiale, et le fait  d’être polyglotte devraient  être  obligatoire. En France il est rare qu’un historien chevronné parle couramment l’anglais, ce qui est le comble du provincialisme. L’académisme universitaire a figé les cloisonnements et le découpage chronologique en histoire a produit  des compétences étroites empêchant les jeunes historiens de sortir de leur isolement de spécialiste. Ce simplisme de formation datant de plus d’un siècle  dans un monde rapidement évolutif  est dangereux : il entrave  les vastes synthèses et l’audace  de création

    ERMITE Vous voulez sortir de l’atmosphère confinée qui règne dans les vieilles institutions ! Eh bien, avec tout ça, vous allez déplaire  aux vieux lecteurs assoupis, les anciens de 68,  les vieux profs  spécialistes de microscopiques problématiques

     

    CANDIDE Oui je sais : je cumule tous les handicaps mais je ne joue pas ma carrière, depuis longtemps terminée, et ma notoriété n’a jamais été établie .Donc aucun risque à rester soi-même et à affronter les refus de publication !! 

     

     Mais le temps travaille pour nous :« Lorsque la  fortune prépare le bouleversement d’un empire, elle place à sa tête  des hommes capables d’en hâter la chute » ainsi que le disait Machiavel

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



    [1] C Andréo,M. Brichet, C.Brochier, , M. el Miri,  P Masson

    [2]  Libérer le peuple  Un histoire de la démocratie, Genève, Ed. Marcus Haller, 2010.

    [3] On verra les détails dans l’entretien réalisé par Alan Macfarnale sur Wikipedia.

    [4] The Cunning of Unreason,  2001

    [5] De 1789 à 1793, le tirage au sort fut utilisé pour certains choix : il ne fut pas concurrent, ni exclusif de l’élection. Il fut utilisé plus tard pour  le service militaire ou dans des  assemblées  particulières (Claude Mossé : Histoire de la démocratie athénienne. Seuil 1971). Il fut même perçu en Grèce comme plus efficace et plus démocratique que l’élection pour des fonctions « sérieuses », judiciaires et religieuses; les dirigeants aux missions moins importantes ou plus formelles tels que les archontes pouvant être «élus » au terme d’une spectaculaire  compétition politique. Cf. Le pouvoir au peuple  Yves Sintomer, la Découverte, 2007

    [6] Cf  Jean Peneff et Mustapha El-Miri : « Maintenant le règne des banquiers va commencer ».La découverte 2005 Seul auto-renvoi que nous nous permettons, car  l’autocitation  est la maladie infantile de l’égotisme intellectuel. Nos enquêtes  publiées  sont accessibles à tout chercheur curieux

    [7] Cf :la France malade de ses médecins. De même que  l’abstention  refusée comme sujets à  Sc Po ainsi que  la non inscription électorale

    [8]  Que nous avons étudiés  directement au sein d’une population d’un quartier de Nantes en vivant et participant aux opérations électorales. Et en évitant tout questionnaire, tout  entretien qui sont des moyens stupides  en contre appropriés sur un thème aussi sensible et non mesurable statistiquement

    [9] Hansen : la démocratie au temps de Démosthène


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