• Fillon exit : purgatoire ou enfer ?

    Les candidats au premier tour manquaient d’humour (sauf un  certain Poutou)

    Celui à qui était promis en décembre  l’élection a perdu ses chances d’entrée  au second tour. Il lui manqua  5OO OOO voix pour dépasser la dame, celle des « gars de la Marine »  Pourquoi ? Manque  de réalisme, manque de   chance ? Je pense  surtout : pas beaucoup d’idées , ni de style ou de  l’ironie à manifester face aux champions du droit et de la Morale :le « Canard » et les juges du pôle ! j'ai  depuis ma montagne  proposé un peu d’autodérision  au lieu de prendre  au sérieux les accusations. Face à la culture classique de ses dénonciateurs, que n’a-t-il invoqué Homère ? Penelope y est si bien décrite par anticipation ; celle qui, pour refuser d’envisager le veuvage en  l’absence d’Ulysse et  se remarier, défait chaque nuit le travail de la journée et le rend infini et illisible (tisser le linceul ) puisqu’elle renoncera à sa vocation  quand elle aura fini sa « tache ».Donc le labeur de Pénélope -la si bien nommée- est chaque jour invisible :elle l’efface la nuit suivante. Elle prouvait ainsi sa fidélité à son mari  si éloigné d’Ithaque !   Oh Canard , que n’as –tu relu l’Odyssée pour comprendre cette femme fidèle ? Autre forme d’humour-que le Canard aurait dû apprécier  car il a le bec dur et sélectif -  c’est raconter les péripéties des 52 autres époux (ou épouses) députés qui emploient leur conjoint en assistant parlementaire.  Que de situations scabreuses  auraient entendu  les bureaux de Palais Bourbon : prête-nom pour une maitresse,  collaboration belliqueuse et  conflits de cuisine électorale  dans les murs de l’  Assemblée nationale   pleine  de  fureurs conjugales

    Plus sérieusement si le candidat Fillon avait feuilleté son manuel d’Histoire, il aurait adopté un geste historique qui lui aurait fait gagner des millions de voix .Non pas rembourser les  rémunérations, non indues de Pénélope ; après tout, c’est à  elle !. Mais  s’engager s’il était élu à ne pas recevoir  son salaire de Président, à le refuser, à renoncer au train de vie coûteux de l’Elysée, à commencer le tri des fonctionnaires attitrés de son bureau présidentiel. Le redressement des finances passait par là : la démonstration par l’exemple de la réduction de son personnel, par le sacrifice  du luxe de la fonction  y compris à l’égard d’une mission consacrée .L’engagement suprême  ne doit exiger   ni compensation ni indemnité   ou rétribution.  Le devoir national, l’exemple du dévouement sont à ce prix ! Que n’a-t-il  pressenti cela le candidat ?  Quelle classe cela aurait eu ! Et la gueule de ses collègues,postulants obligés  à ce geste généreux et  populaire. On souhaite cette attitude, au petit garçon «  employé de  banque » qui va lui succéder peut-être

    Le désintéressement  était la question principale des élections.  Un seul, en temps lointains, l’inaugura  bien que jamais aucun continuateur ne la reprit.  Le General De Gaulle en 1959  refusa tout émolument pour son poste de Président élu. Plus que cela, il payait de sa poche tous les frais de vie à l’Élysée qui ne relevait pas de la fonction  de la représentation ; donc  la vie privée et celle de sa famille dans le Palais, était hors des charges de la nation, par exemple son transport, le WE  à La Boisserie, son domicile : également, à ses frais. Quel exemple en ces temps d’avidité !  Personne ne se rappelle le dévouement, la sincérité, la volonté de changer les  mœurs, hier,   en tant qu’objectifs de la République ; et aucun candidat  ne l’évoque. Quel manque d’idées élevées ; que des esprits mesquins, petits bourgeois ! Aucun  sens de la mission, aucune grandeur à attendre de cette élection déjà ratée

    Voilà comment on expliquera plus tard  cette Présidentielle à nos enfants


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    Sur  La mort de quelques républiques

     

             La république est éternelle mais elle meurt souvent :

      

     

    Ce livre refusé par les éditeurs selon le principe que l’on ne parle pas de décès dans la maison  d’un grand malade est auto-édité. Il  permet d’assister à des condensés d’histoire,  formidables accélérations en 1792-97 ; 1848,  1940 ou 1958. Cette enquête commence dans la Grèce antique et à Rome pour finir avec  la série française des morts subites  en passant par la république de Weimar  qui  se suicida  devant les  menaces nazies. Et  on finira sur  le  présent: la Vème devant l’ impératif ordinaire ; car nous voila  sans croissance, sans dominations, sans prédations, sans colonies exploitables, avec une industrie manufacturière ou une agriculture à faibles profits...et soudain comme ce le fut dans l’histoire : « Marianne est nue » !

     

     

    Une  étude de décès en série n’a pas été tentée auparavant. Probablement parce que caractériser l’effondrement de différentes républiques n’est pas exaltant ; on préfère les enfantements remarquables et porteurs d’espoir et d’illusions  .

    D’ailleurs Les auteurs ne sont pas d’accord entre eux !  Morte de quoi ?  A la suite de quelles circonstances  ou  pathologies?  Ce brouillage est en soi  un mystère : aucune  exploration sérieuse, aucune explication  n’a été avancée pour saisir la répétition ces  morts cruciales. La sociologie s’en est désintéressée. Et l’histoire ?  Le refus  de ces spécialistes est admissible; les historiens sont par définition conformistes et prudents. En effet, ils dépendent de l’histoire pour faire leur Histoire (sources  accessibles ou non, accès ou pas  aux témoins, temps libre, autorisations) ; ils font de la sociologie sans le dire, en accordant à tel contexte  ou à tel conditionnement, le poids   de l’efficace. Ils créent du témoignage comme nous, et sont comme nous, soumis à l’influence de la société. Ils  citent des auteurs pour leur crédibilité ; ils dépendent de l’université et de leur audience. Les médias et les intellectuels professionnels se détournent de ce problème  des disparitions pour se consacrer aux naissances glorieuses, aux « inventions » prestigieuses, aux débuts rayonnants et de ce fait  attirent notre attention ailleurs Ils  trouvent des intérêts puissants  à voiler l’horizon au profit du passé. Les élites bourgeoises, que ce soit celles   de Sciences Po ou de Normale sup, ou d’autres entrées, parvenues au sommet, deviennent passéistes. Dans les familles, on se transmet un  héritage politique républicain mais cette passation ne va pas de soi en raison de l’âge et des rapports de générations. Qu’elles soient de Droite ou de Gauche,  ou bien des extrêmes  les obstacles qu’elles rencontrent à une transmission en douceur  du pouvoir rend le nouveau contrat social au centre du capitalisme démocratique inexpliqué

     En conséquence,  on renversera l’analyse. On partira du postulat  que toutes les républiques sont mortelles et que ce qu’on doit expliquer est leur durée anormale... au-delà de 70 ou 80 ans. J’en  trouvé un grand nombre de cas, illustres ou méconnus ;  je les  décris à ma manière. En me servant d’auteurs renommés.  Les ayant lus, et souvent connus, j’ai tourné mon regard, non pas seulement sur qu’ils disent, ni sur ce qu’ils proclament  de la raison d’être de leurs  écrits, mais sur la source de leurs idées et  sur  leur fiabilité !  C’est à dire comment  manifestent-ils leurs idées  au quotidien. Amateur de livres, je crois  que cet agrégat de papier est un moyen artificiel, un peu « court »pour comprendre un penseur. Plus judicieux pour le sociologue  est de chercher à savoir : qui est-il, d’où vient-il, quels sont ses moyens matériels, comment se comporte-t-il dans la vie courante, que fait-il dans telle circonstance de sa vie (enseignement, famille, rapport au pouvoir, attitude de  père, employeur, citoyen) ?  J’ai appris au sujet des auteurs  pris pour  témoins (une douzaine que je connais personnellement) autant  par cette connaissance directe,   que  dans  ce   qu’ils  proclament en l’intermédiaire du livre. Ce qui les réunit est  l’audace  de se libérer des  frontières chronologiques, des découpages  disciplinaires ou des contraintes  de carrière. In fine on  posera au sociologue, s’il est chercheur de terrain, la question s’il veut demeurer libre, de savoir s’il peut rester en même temps  un  universitaire ?  A-t-il la faculté  de critiquer son employeur, l’Etat, tout en restant un loyal républicain,  sauf à scier la branche sur laquelle il est assis confortablement ; cette question est  recevable pour la recherche, car dans l’enseignement , la protection du statut est impérative

     

      «Si la République est éternelle et qu’elle meure souvent »,  l’énigme de ses  disparitions  régulières nous échappe ; la  logique, faisant de chacune une singularité susceptible  de confrontations ne nous apparaît pas clairement. Encore faudrait-il  des tonnes d’idées neuves. Justement, des Grands Anciens aux auteurs  modernes,  il y a pléthore, malgré que « les idées neuves soient pourchassées de haine  pour rester dans le confort de routine » dit   un Ecossais :

     

     « La plus grande part de l’humanité peut être divisée en deux classes ; celle des penseurs superficiels qui s’arrêtent en deçà de la vérité et celle des penseurs abstrus, qui vont au-delà.  La seconde classe est la plus rare et, puis-je ajouter, de loin la plus utile et la plus précieuse. Ils ont au moins le mérite d’ébaucher  des questions et de lever des difficultés,et même s’il arrive qu’ils  manquent d’habileté  pour les démêler , au moins peuvent-elles produire de subtiles découvertes  lorsqu’elle sont traitées par des hommes qui ont une façon de penser plus juste. Au pire, ce que disent ces penseurs  n’est pas commun, et la compréhension dût-elle en coûter  quelque peine, on a du moins  le plaisir d’entendre quelque chose de nouveau. Un auteur  qui ne vous dit rien que  l’on ne puisse apprendre de n’importe quelle  conversation de café doit être tenu en piètre estime » (David Hume  Discours politiques 1758)

     

    Je me suis détourné également  des disputes d’assemblées, des diatribes de salon et des chroniques au grand quotidien du monde, Et j’ai trouvé des idées .De source diverses : études, enquêtes, lectures, rencontres; je fais part aussi de mon  expérience personnelle : contemporain de deux grands « décès » républicains qui ont marqué les esprits.

     

     L’aléa de  la durée  rend dubitatif : en France, mortalité infantile forte, deux fois à la naissance (1793 ,1848) ; une fois à l’adolescence à 13 ans (1958) et  pour une autre cas,  une vieillesse  catastrophique, à 70 ans,  qui la vit périr en trois semaines. Celle que nous vivons actuellement, à  près de 60 ans,   n’est plus, dit-on, très robuste. A Athènes et Rome, elles furent de brefs entractes entre  oligarchies, tyrannies ou  monarchies. Au début du siècle dernier,  deux d’entre elles  (Espagne et Allemagne), moururent au cours de leur jeunesse, foudroyées par leur armée ou par des milices privées. Parmi les facteurs déterminants  on vit en effet immédiatement  sortir les longs couteaux de la puissance militaire. Peu étudiée sociologiquement, cette institution, fondamentale en toute nation  (les historiens, hélas, en ont  fait un secteur  marginal et limité de leurs analyses),  sera perçue comme un accélérateur, ou bien un déclencheur.  C’est parfois simplement du fait de l’abstention (face aux armées privées , SA en Allemagne) ou  à la suite du défaitisme de son Etat Major en France de 1940 (voire pour une fraction, du refus de se battre).

    La fin de la 4ème française   survient en 1958  à la suite de la guerre d’Algérie : l’armée   donna le coup de grâce mais n’était-ce pas plutôt une euthanasie masquée ? Des agonies longues ou courtes, des évanouissements  temporaires ou des morts définitives, qu’elles soient « héroïques » ou non, l’histoire en proposa à foison : assassinats des mains de Franco, Pinochet ... Nous avons eu aussi  bien Bonaparte, Louis-Napoléon, Pétain .

     

    Ce qui   entrave   l’indispensable intelligence de ces situations  est l’absence d’idées explicatives chez de nombreux historiens et  sociologues, autant que la faiblesse d’entendement de la part  des sciences sociales sur les sujets tels que les crises ou les disparitions. Certes, je  prends au sérieux  Paul Valery : « L’histoire donne  des exemples de tout, elle ne donne donc des leçons sur rien ». Or, le jugement moral une fois éliminé, nous n’imaginons pas  d’autre alternative que l’exercice libre critique du comparatif. .Ô surprise,  offrant une série de cas d’un  phénomène aussi peu exceptionnel que la mort d’une république, je ne croyais pas scandaliser ! Néanmoins, j’ai  persisté et je sais que je m’expose. J’ai des droits de citoyens, si ce n’est de sociologue ; et donc j’ouvre  une large gamme de disparitions que je  rapproche et distingue  au centre  d’une  combinaison de facteurs  et de circonstances.   Que ce soient les premières cités athéniennes,   ou italiennes vers 1500, ou encore  les Etats nations du XXè (France ; Allemagne ; Espagne), la continuité de l’intervention des forces militaires, l’omniprésence les professeurs de Droit, des constitutionnalistes, l’activisme  des universitaires est frappante. Sans parler des médias et des essayistes, épaulés  par les fabricants de livres, sous l’égide des éditeurs ou journalistes. Des lecteurs me  diront : Attention danger d’anachronisme !  Ce fut la raison officielle des refus de publication :« vous n’êtes pas dans notre ligne éditoriale ».I l est vrai que le secteur de l’imprimerie livresque, en crise, est soumis à des contraintes, par la mondialisation, de financements  rapides, de pressions d’actionnaires, maintenant des milliardaires. Pourtant le moment est propice. Les factions   politiques qui se déchirent, font tomber les masques : on voit  alors plus clair sur le sens du mot démocratie. Profitons de cette opportunité due à un instant de doute  et  cherchons des issues au désert de raisonnements

     

    Le plus difficile à admettre,  pour les intellectuels  contemporains, concernant les idées émises ici, sera la critique de l’usage inconsidéré  ou dévoyé de « populisme ». Les idéologues de la république ont  su fabriquer une « histoire populaire » de la démocratie ; ont conçu une représentation du peuple unanimiste au fond « républicain » par nature  qui fit date à partir de 1945,  et  à laquelle  il est obligatoire de se  référer sans vérification de l’adhésion de ce « peuple » inconnu. Que peut apporter  le sociologue  de terrain? Justement l’enquête et la vérification  de la pertinence des catégories usuelles de jugement. Par exemple des enquêtes ethnographiques, empiriques directes, sur des refus motivés d’inscription électorale, sur des populations  qui manifestent l’abstention du vote, occasionnelle ou  persistante. En confrontant ces attitudes à d’autres modalités d‘action politique qui ne passent pas par le vote mais  par d’autres actions citoyennes, on verra que la politisation réelle ne se trouve pas  là où on le pense. L’idéalisation peut concerner l’envers du décor. Le sociologue, sur le terrai, rencontre fréquemment des paysans bourgeois et des ouvriers  conformistes et, même de plus en plus fréquemment, si on tient le critère de la propriété  d’un patrimoine non substantiel,  comme essentiel. D’ailleurs le vote  des petits paysans et des employés, un  brin propriétaires, a fait chuter  plusieurs républiques

     

     Les discours  des « intellectuels d’Etat », critiques ou non, ont solidifié une  application  formelle des droits de l’homme  et ont masqué les multiples contradictions  entre   Droit et   réalités, entre  principes et  politiques effectives. Toutes les  fractions au pouvoir, ou le convoitant, se servent du peuple et  s’emparent du droit  à le représenter,  jusqu’à un moment où la  rupture est inévitable et brutale, bien que personne n’en ait la même vision et sensation. La variation autour de cette notion morale qu’est la participation électorale  constitue  un morceau de musique  si discordant  qu’on ne sait plus  à qui on parle et de quoi on parle  C’est ce qui fait la force du peuple rêvé  ou de l’appel  à lui : toujours rester purement rhétorique . Pas la moindre enquête directe  par immersion. La définition de citoyens est, dès lors, aussi confuse que son histoire ; telle, la mise à l’écart selon le moment des jeunes, les femmes, les  propriétaires passifs, les « pas assez riches », les  résidents  non natifs etc.  Aucun cas ne  s’identifie à un autre dans la fluctuation historique. Par conséquent la république  a été  le meilleur régime espéré grâce à  sa géométrie variable  et à sa grande souplesse d’application. Exemple : le   droit  électoral change  sans qu’on touche  à la solennité requise de cérémonie quasi-religieuse  du vote  de nos représentants (isoloir-confessionnal,  attente-cortège, silence et recueillement)

    La République a  inspiré une terminologie abstraite  variée: la plèbe, la masse, la foule, la classe inférieure ou dangereuse, la populace, les prolos, ou pire, quant aux politologues peu exigeants :  les « gens » comme si c’était une entité. A cette obscurité, a correspondu un peuple idéalisé. Cette évocation du « peuple » est souvent une diversion dans le rapport de force entre fractions rivales du pouvoir.  D’ailleurs comment le connaîtraient-elles ? Aucun de leurs membres, et surtout pas dans la  politique, n’a un proche parent, un voisin, un ami intime, à l’état d’ouvrier, de petit employé, d’agent subalterne. Sur plus d’une vingtaine de milliers de députés français choisi dans notre histoire démocratique sur deux siècles, deux cents peuvent être considérés comme véritables ouvriers sur la durée, en ôtant apprentis ou occasionnels avant d’être « permanent ». Proudhon fut le premier  et a ouvert une voie peu suivie ; la sociologie, elle aussi, s’est bien embourgeoisée depuis 1968, mis à part la frange des « établis ».

    La  moindre étude empirique  n’a  été ethnographiquement  entreprise : on s’est retrouvé, mes étudiants et moi,  bien seuls en usine, dans les hôpitaux, sur les chantiers.   L’abstention du vote, le retrait de la cité ou de la nation  - pas forcement à l’échelle du  quartier, de l’habitat, de  l’entreprise- ne furent jamais étudiés en tant que discriminants. Qu’il y ait une auto-exclusion ou une discrimination, on ne s’étonne plus  qu’une moitié des citoyens est ou se met à l’écart. Au pic électoral de l’intérêt (présidentielle), chez nous, 25 millions de citoyens actent quand la population concernée est  de plus de 50 millions. Aux Etats-Unis, c’est... pire! 80 millions de citoyens   participent  à la grande élection nationale sur 180 millions en âge de le faire. Le meilleur   marqueur qui allie l’abstention électorale  à la non intégration, est, on le verra au cours de l’émergence des fins républicaines,  la propriété  de biens spéculatifs, de propriétés productives, y compris en faible volume, de plus de deux logements, de participation à des profits capitalistes   sous forme  de titres, de rentes, d’actions  ou de biens mobiliers issus de patrimoines hérités ou créés au delà  du foyer et des  biens domestiques du logement habité ou des petits comptes d’ épargne. C’est ce critère, non celui de la position dans le processus du travail, la richesse dû au type de revenus qui est la grande nouveauté de ce temps. Ce que les marxistes dépassés par le changement d’époque, n’ont pas vu venir  ce paradigme implacable. Les périodes où les républiques tombent adviennent quand les effets    d’une redistribution familiale ou clientéliste, l’offre du pain et des jeux (médias, foot, loisirs de masse)  ou des exutoires contre  le déclassement  ne fait plus  ressentir ses effets bénéfiques. On le vit   toujours depuis 1789.. C’est pourquoi  on s’inquiète, maintenant quand on réalise qu’il y ait si peu  à redistribuer!

     

    Les profits   républicains, généralement hérités  de père en fils,  incitent à  une concurrence des dominants, une lutte interne parfois brutale  afin de les maintenir ou  maximiser. La production et la plus value, la marchandise et le profit commercial ne sont plus les sources les plus notoires de richesses, puisque la fructification de l’argent, les jeux financiers, les rentes bancaires, les revenus fiduciaires sont l’origine  de la puissance d’influence républicaine actuelle. Et deviennent déterminantes la consommation, l’origine du patrimoine, le style d’usage de la valeur, plus  que les positions officielles sur une échelle de  déclaration d’égalité sociale des revenus. Voici où nous mena la lecture de quelques auteurs largement connus mais...souvent étrangers à la France. Notre enquête nous mena auprès de générations de chefs républicains sélectionnés pour représenter le corps entier des possédants ;une catégorie qui s’épuisa vite (corruption, usure)  quand ils tardent à laisser la place à leurs cadets. Parfois ils sont remplacés en douceur en fonction de « révolutions », parfois  la transition  génère des ratés et des conflits. Et il y eut obligatoirement des mécontents dans les branches écartées, dans les fratries malchanceuses qu’il fallut recaser dans l’histoire de nos républiques.  L’hypothèse  d’une barrière  de trois générations  résistantes sur des positions d’influence est ici  tenue comme probable vu le nombre des cas où cette idée « a marché » dans l’analyse.  Cela suggère l’extraordinaire complexité des transferts au sein d’empires familiaux  de passages de la fortune et d’adaptation des législations à la transmission de biens. En tenant compte des changements  de style de vie et de certaines formes de respect  dues à la vieillesse  en démocratie. De surcroît ces  bourgeoisies infériorisées en attente de pouvoir, doivent s'ajuster aux  types de capitalismes qui  se succèdent et se montrer aptes à renouveler les discours au « peuple », ajuster la meilleure  présentation de soi et le  « juste »  cliché du « populaire », le plus efficace.

     Certaines des morts étudiées seront en conséquence vues comme l’inadéquation  des personnels politiques quasi professionnalisés entre leurs  capacités de  résolution  de crises : dettes accumulées, modifications internationales; mutation de genres de capitalisme ( artisanal, technique, industriel, financier, boursier) qui se succèdent  de plus en plus  vite. Les fractions  familiales les plus aptes à accroître les profits à travers l’économie  de marché n’ont pas la même perception des situations aiguës de bouleversement. Elles sont alors renversées par des fractions parentes, moins éprouvées, plus averties des idées qui apparaîtront   neuves. 

     

    Sans considérer les « pathologies » proprement politiques de la mortalité (faiblesse de caractère, langueur bureaucratique des institutions, variation de la position à l’international, manque d’envergure d’une génération de politiciens) il apparaît toujours une rivalité démographique entre fractions bourgeoises.  Sur trois générations  de personnels,  héritiers  de mêmes clans et de mêmes positions  d’ Etat, on  constate inévitablement une  perte de  largeur de vue des dirigeants dans une crise  d’apparition de contestes neufs . C’est peut-être là  la stérilité obligée du recrutement monocorde, face à chaque situation originale. Curieusement on retrouvera ce mur approximatif  des « 70 ans », sur 3 ou 4 rapports générationnels, dans d’autres régimes: tels l’ex-URSS, la démocratie  américaine au recrutement aussi  fermé, mais brutalement renouvelé par des élites imprévues, surgies...de nulle part !

     

    Pour revenir   au sens du mot « peuple » (signifiant  ici une moitié de la population, celle qui ne participe pas électoralement  dans les circonstances qu’on lui impose),  il ne pourra  être défini que  par défaut. L’intéressant   se trouve dans les raisons historiques qui nous cachent l’évidence. Par conséquent, après le démontage de mes scénarios, j’ai extrait trois  composantes  déterminant  la chute des républiques : l’Armée, on l’ dit, la « Famille », le Droit (les règles  d’héritage  sont  substantielles à la parenté) ou les fabricants d’idéologies, quoique ce dernier facteur soit un poncif. Plus visibles pour les analystes, l’armée, la police, les milices, les  services  secrets, émargent  au même guichet républicain.  Mais s’il n’y a plus de profits, soit par perte de marchés, soit par  exploitation  particulière qui se tarit,  le régime républicain peut  se trouver incapable de  satisfaire  les « besoins » d’enrichissement pressants .Et les mécontents  croissent. L'expansionnisme  républicain s’épuise naturellement  dit Bernanos dans La démocratie impériale. Horreur  contemporaine, on découvre : Marianne est nue !

     

    il n’y a peut-être pas de « lois »,  mais, là, une tendance dans l’aire occidentale.  Ce fut la grande idée de Jack Goody.  Il  restait à étudier l’assemblage  en chaque république spécifique des  variables qui n’épuisent pas  l’ensemble des causes  exercées en  circonstances complexes distinctes. Par  impuissance et non  par désintérêt naturel,  les dirigeants  des « castes » inférieures de  bourgeoisies,  qui, depuis « toujours » misaient sur l’équité de la concurrence interne pour sélectionner les meilleurs d’entre,  se révèlent déçues. Le peuple est alors épisodiquement appelé  à arbitrer, souvent dans la rue,  quand le sentiment du déclin  irrémédiable ou une injustice ressentie de la part d’un clan par rapport à un qui serait mieux privilégié, poussent à cette extrémité mais son intervention est éphémère et rapidement neutralisée 

     

    Comment explorer  la  mortalité républicaine sans être historien soi-même ? En cherchant parmi les spécialistes connus ceux qui sont  de réels innovateurs. Nous les prîmes pour « guides » dans le fouillis des explications historiques. Ces auteurs parfois acteurs, eux-mêmes  des événements, engagés à leur manière ( Goody par exemple fut un soldat de la  guerre mondiale,Godechot révoqué par Vichy, Bloch le Résistant, fusillé ) furent nos « Grands Témoins » appelés à la barre. Ce sont eux qui  nous ouvrirent  au sentiment qu’il existait un matériau raisonnable, eu égard à la mort des Républiques, dans l’immense bibliographie disponible (sur  Weimar et le nazisme ; 120 000 livres parurent à  ce jour) ;  de Paul Veyne à Richard Dunn (Empire Gréco- romain),  de  Jacques Godechot à Jean –Clément Martin (Révolution française), de Ian Kerschaw à Richard Evans (pour l’Allemagne),  de  Maurice Agulhon à Jack Goody qui viennent de disparaître. Les Anglais sont de Cambridge,  immense capitale historienne,  la compétition des Français étant plutôt  autour de Province contre Sorbonne 

     Nous   avons  appliqué deux interprétations  simultanément: tout décès est accidentel et structurel à la fois, considérant que les électeurs réguliers   constituent une unité politique comme  agrégat de possédants aux moyens immenses ou faibles, de diverses formes et souches toutefois explicitement unifiés dans une idéologie qui  porte la propriété privée  comme fondement du contrat social. Les autre critères  de l’accord  fondamental sont secondaires. Par exemple :la formation supérieure au delà du bac, la lecture des mêmes journaux, la référence aux symboles immuables, la  croyance d’avoir eu des expériences populaires telles que le journalisme, le syndicalisme étudiant, l’aspiration aux grandes écoles  ou encore   la croyance  inébranlable dans les sondages qui révèle une conception du peuple si naïve qu’elle en est stupéfiante ;qui implique qu’on puisse  remplacer la connaissance directe des mondes des  subalternes  par des petits salariés de la fabrique de l’opinion

     

    La mort des Républiques  prône fièrement  l’engagement d’une pensée libre hors des conformismes, l’abolition de la spécialisation disciplinaire et  enfin un dialogue par des moyens divers, autres qu’internet dont la facilité et l’inefficacité sont déconcertantes. Ce dont  témoignent la crédulité des esprits ordinaires  qui s’y expriment ou le formalisme académique de débats,  les querelles  microscopiques  des m’as-tu-vu des réseaux sociaux. Finalement, à l’encontre de toutes les formules qui veulent   absolument une thèse et une étiquette quant à la source de l’auteur, ici il y en a plusieurs, et je ne suis assuré d’aucune d’entre elles ; alors certainement ce livre  déconcertera le lecteur habitué à voir une  idée unique développée du début à la fin par un « metteur en scène » tout puissant s’appuyant sans vraiment l'avouer sur une foule de collègues. L'étonneront aussi le simple propos sociologique  qui est, à côté  des multiples thèmes abordés, l'intérêt porté aux historiens pour eux-mêmes  sans se refuser, à certains endroits  le ton virulent, voire engagé  dans un mélange  moqueur du contenu des sciences sociales. En fin de compte une esquisse de sociologie des historiens  français 

    Depuis l’Antiquité, les républiques qui se succédèrent ne furent jamais envisagées en séries mortelles. D’après Jack Goody, on a gommé allégrement tous les cas qui n’appartiennent pas notre vision  et qui ne conviennent donc  pas à notre cadre ethnocentriste. In fine, notre jugement dépend des conceptions de professeurs de Droit, constitutionnalistes, historiens  et  politologues. Le nominalisme juridique qui impose sa propre définition  politique  déforme notre vision depuis  plus de cent cinquante ans. Si l’on s’en tient au vague consensus en cours, pourquoi  le descriptif de chacune des disparitions n’a jamais été conçu au point de vue comparatif ? Parmi les obstacles, citons le provincialisme hexagonal et la puissante sinon autoritaire tradition historiographique nationale. Pour les contrer, j’ai mis en oeuvre le comparatisme depuis la Grèce. Une série qui n’a pas  l’inclination   naturelle des historiens, plus  entraînés  à l’exhaustivité  monographique ; un épisode  étant toujours singularisé, circonscrit selon des bornes  frontalières.  Un  sociologue  comme Howard Becker a fait pourtant de l’étude de cas, la méthode la plus appropriée en sciences sociales ([1]). Il m’encouragea à traiter -de façon audacieuse peut-être-,  les morts  subites d’un regard global, multipliant les variables et cherchant différences ou similitudes. Et quand bien même, il n’y a pas de comparabilité possible, l’incomparable est encore une bonne occasion de comparaison puisqu’il permet de dégager quelle caractéristique  s’impose ou non  à la connaissance. Et puis, qui sait ?  Quelque lecteur rencontré au hasard sera heureux de voir que lorsque on appelle à la 6ème Rép, on en ignore les conditions  antérieures. Que lorsque les frontières qui s’effritent entre l’Asie et l’Europe ou qu’ on nous parle de crise depuis 50, que le « terrorisme » est lié  à tout ordre qui voit son autorité contestée  et que le pouvoir appartient à celui en position de définir le peuple.  C’est l’émetteur de la théorie  qui proclame qui et où est le « peuple » ou qui est le terroriste , son ennemi naturel. Ainsi vu de Paris ou de Weimar,  le peuple ou le terroriste ne sont  pas identiques. Il y avait le peuple à Londres pour De Gaulle , un suppôt de terroristes  selon Vichy qui avait son vrai peuple. Le peuple des paras insurgés d’Alger en 1958 ou  1961  agitant la menace de leurs propres terroristes perçues en  images totalement inversées en métropole

    Et puis qui sait ? On aura la chance d’ inciter quelque étudiant déçu de l’enseignement qu’il reçoit d’aller voir par lui-même  ceux qui ne votent pas, sont  peu intéressés par la délégation, la représentation à niveaux complexes et sont détournés par  ceux qui ont un perception différente,un sens autre de la dimension  espace- temps ;  ceux très sensibles aux promesses vitales  non tenues, à la lenteur des procédures, au jeu  décevant de l‘appareil impénétrable de  codes, règles  dont les constitutionnalistes et juristes se sont fait une spécialité incontournable sous tous  les régimes . Donc le peuple, c’est  les autres,  les inconnus  dangereux des cités et banlieues, les absents  qui on toujours tort.., alors abolissons les cloisons entre disciplines, entre les trois censées nous les expliquer : L’Histoire, la Sociologie, et l’Anthropologie. Je sais que la première de ces  disciplines défaillantes, l’histoire, est défavorable aux incursions  d’outsiders,  que la sociologie est, sur ce sujet,  impuissante ou plutôt paralysée, et que l’anthropologie a trop déchu pour nous être d’une quelconque aide en France

     

    [1] La Grande Focale la découverte  2016

     

     

    Chapitre 6 J Goody contre l’ethnocentrisme en histoire politique (110-125)

     

    Avant de disparaître récemment  (2015) Jack Goody nous a proposé sans l’avoir  expressément prévu,  la  conscience  du Vol de l’histoire politique du monde par l’Europe ([1]) Mais le vol qu’est-ce à dire ? « J’entends par là la main mise de l’Occident sur l’histoire, une manière de conceptualiser et de présenter le passé où l’on part des événements qui se sont produits à l‘échelle provinciale de l’Europe –occidentale le plus souvent- pour les imposer au reste du monde »(p13). Cet exergue en coup de tonnerre, à qui le destine-il ? A la jeunesse ; jeunesse qui  se déplace  sur la planète à la vitesse que permettent la communication et la circulation moderne. Le maelstrom a commencé. Qui dit ça ? Un « jeune homme » quasi-centenaire( 90 ans) ? Oui, par l’esprit ! Bien entendu sa posture implique qu’en étudiant notre ethnocentrisme, il saisisse celui des autres sociétés, certes moins diffusé mais qui s’alourdit d’incompréhensions meurtries par le passé conquérant de l’Occident. C’est au titre de ce passé équivoque que nous avons-nous même  écrit le texte présent

     

    La complexité, la pluralité de formes constitutionnelles, le caractère plus ou moins indéfinissable, avant enquête, de la nature d’un régime quelconque, interdisent une échelle linéaire des mérites de chacun d’eux. Telle est  la recommandation initiale. Si on  met avant le nominalisme et les classifications propres à tout jugement moral , on s’en  remet  à la dépendance à des pouvoirs, (ou à certaines des Religions qui définissent le Bien et le Mal publics )  aussi bien qu’au juridisme des intellectuels et de ceux qui  contrôlent  la  terminologie, sans vérification  autre que leurs sentiments et intérêts.. Par exemple, dans ce  que nous nommons   « élections » en démocratie (que nous  prenons au sérieux en tant que test d’adhésion républicaine), il existe une complexité de conceptions d’électorats, de rapports publics au vote, de délégations et de droits inhérents au civisme mal définis. Il y a eu une foule d’interprétations de « l’élection » dans le monde  qui rendent ces critères  peu pertinents, ininterprétables à l’anthropologue qui veut jeter un regard comparatif. L’inclination  de critères démocratiques  à  l’égard  de la causalité linéaire  interdit  une dimension critique,  oubliant les  fonctions contradictoires  de cet acte (élection papale, des juges sous la royauté, dans l’armée, ou maintenant dans les actionnaires d’entreprises). Résultats   de l’enquête à l’échelle  mondiale de ce que réalisa  Jack Goody, avec ses scrupules habituels.

     

    Et la mort des républiques, perçue par un regard extérieur à l’ Occident,  aboutira à la conviction  de voir là une simple étape,  un augure et pas la fin d’un monde. La fin  d’une histoire  occidentale centralisée  (par clercs et universitaires), relativement homogène dans ses thèmes, méthodes et démarches générales :Oui ! Un regard anti-euro-centrique  à la  Goody  au sujet  de   la « démocratie », du capitalisme, du libéralisme  dévoile des  concepts fabriqués sur plusieurs siècles  à travers empires ou républiques, dictatures ou royaumes appuyés  sur la révolution industrielle et  la conquête du monde. Est –ce  un relativisme absolu ? Non ! il y eut des avancées et des reculs pendant 5 siècles de travail, en histoire moderne : Weber, Braudel, Elias   nous firent connaître l’histoire  en sa dimension « monde » mais l’anthropologie culturelle et politique mondialisée  dans les considérations de l’auteur apporte des  sources nouvelles et inattendues

     

    Qu’en penserait P Veyne pour l’Antique ?([2] ) La même chose ! A preuve :.« C’est pourquoi, à mon avis,  il est exagéré  de saluer en la démocratie athénienne  l’aïeule de la notre » p 88  Toutefois, il a pris un chemin différent pour parvenir à la conclusion de fort relativisme ; tel Pomeranz, au sujet de la Chine, Souyry, le Japon « moderne » sans être occidental ([3]) et quelques autres centres arabo-musulmans  participant aux inventions politiques. Le mouvement de la Réforme en méthodologie  d’études politiques est en marche. Veyne dit de qu’il n’ y a pas de coupure  entre systèmes politiques aussi clairement, sans faits étayés, ce qui nous sert d’argument d’autorité. Aucun système n’est vierge du passé et aucun n’est pur dans  ses « organisations » intérieures. « Sous l’ Empire , le mot République ne cessera jamais d’être prononcé et ce n’est pas une fiction hypocrite,  ... un empereur au contraire était au service de la république » (Veyne p28) . « Le régime impérial  ne maintenait pas sa façade républicaine  par une fiction, mais au terme d’un compromis ; le prince ne pouvait ni ne voulait abolir la république, car il avait besoin d’elle : sans l’ordre  sénatorial, sans les consuls, les magistrats et les promagistrats, l’Empire ,dépouillé de sa colonne vertébrale se serait effondré » (p29.« D’où vient cette idée follement neuve, cette conception si particulière qui a dominé  les pensées et partiellement les pratiques ? Selon Vernant elle vient d’un idéal aristocratique  qui a été  étendu  à tout un corps civique  auto-proclamé , paysans et gens de ville » . Parfois une oligarchie  commande sous les apparences de la dictature  avec laquelle des compromis sont passés ; une autre fois, « on pourrait dire  que le césarisme n’est que l’instrument d’une  groupe de familles  dirigeantes  qui gouverne derrière  les chefs élus et  rois ou empereurs »... « D’où vient cette conception aristocratique et clientélique, curieusement associée  à la doctrine républicaine  selon laquelle c’est la communauté qui  choisit son calife ? »  (p 21)

     

    Le mélange des   de régimes   antinomiques

     

    Nos auteurs témoins   disent la même chose  d’autres périodes :sous la Révolution,  sous Bonaparte, sous les consuls, sous les princes, et sous les présidents élus  ou non ; mis à part  l’Allemagne nazie qui est une singularité historique,  toutes les combinaisons sont possibles  et donc toutes les terminologies : «Par exemple ce que  Max Weber  appelle l’alliance naturelle ...mise partout en œuvre  de l’autocrate  avec les couches plébéiennes contre les couches de statut supérieur »  l’atteste  (Veyne p 154)

     Il n’y  a aucune limite claire pour  déterminer  si Rome relève de la république, du principat,  de l’autocratie,  du mécénat ou de la « démocratie » La différence est dans l’organisation et l’agencement : « la démocratie moderne  réunit les individus en les réduisant  tous à une même norme abstraite et égalitaire ; leurs avantages  personnels ..s’effacent  dans l’abstraction du droit public... tandis que dans la cité antique , ce sont des différences concrètes  et complémentaires  qui réunissent les citoyens (par l’évergétisme,  les notables , les riches s’ils veulent tenir leur rang  ont le devoir  moral ..le pain , le Cirque,  et des monuments publics »). La démonstration de P. Veyne , si elle veut convaincre,  doit de s’appuyer sur une immense enquête :  800 pages de faits politiques dans l’Antiquité, et  plus de 500  chez Goody. Deux regards aigus sur les formes politiques dans le monde et dans l’histoire qui ne  déploie que diversité, variétés de systèmes, y compris le républicain en l’occurrence, et où ne  l’emporte aucune légitimité particulière. Malgré qu’un continent, le notre, se soit  attribué une supériorité morale ou juridique à ce sujet.   

     

     

    « Regardons les faits et les  systèmes concrets »

     

    Là où Veyne dit : oligarchie, clientélisme, autocratie, Goody insiste sur « familles », clans, liens de sang, noblesse et féodalité  rapprochés dans l’Histoire ; il mettrait  la République, où le partage du pouvoir entre diverses bourgeoisies de gauche, du centre, ou de droite se  déroule généralement  sans problème,  autre que procédural. Là, la « succession » émerge d’autres règles : sélections  dont l’élection  est une parmi d’autres, (choix  fermés des postulants ,formation idoine).   Par conséquent, Goody et Veyne ne font pas de l’histoire politique définie à priori par une étiquette de « système »,  mais font l’histoire du politique, du fait politique, et  du mélange de « pouvoirs » que recèle n’importe quel  pouvoir qui  s’auto-definit ensuite en raison d’intérêts économiques du moment .

    En démocratie on  constate également une mosaïque de formes,  des assemblées aux fonctions disparates, de métissages de formules quant aux libertés, des concepts interchangeables.  Les valeurs sont un attribut  passe-partout,  il  y a des valeurs  proclamées ailleurs ;même le nazisme prétendait  à des valeurs ; ce fut la nature raciale  des  habitants ; or,  des républiques raciales nous en connûmes : esclavages, les  sous-hommes , les indigènes, les  métèques . Il y a  très souvent à l’oeuvre des critères raciaux dans les états du sud des USA, un racisme  rampant et même, un quasi fascisme dans les commissariats  des villes noires. Ce sont toujours des situations concrètes et des  rapports de forces  qui fondent au final nos valeurs.

     

    Le Droit accordé à telle ou telle population est une façon de s’opposer aux droits d’autres populations. Des zones d liberté ont existé en dictature,  des  autonomies locales  s’expriment  dans des pays aux règles  autoritaires et centralisées.  Contrairement au politologue,  le sociologue ne constate jamais  de pureté « juridique » , de natures d’un Droit, d’une essence  qui constituerait une hiérarchie morale. L’anthropologue  voit  lui pluralisme  de systèmes et de formules  en transitions.  La coupure substantielle est une illusion  supplémentaire de l’ethnocentrisme

     

     

    L’enquête de Goody

     

    En résumé, l’allégresse  dévastatrice  de Goody entamée il y a plus de 50 ans,  l’a conduit à combattre systématiquement nos  préconceptions.  Cette idée  roborative n’a pas  été admise. C’est pourquoi il  proclame de manière tonitruante le sens de sa bataille: « On reproche parfois à ceux qui critiquent le paradigme euro-centrique de se montrer virulents dans leurs commentaires. J’ai essayé d’éviter ce ton de voix pour privilégier l’analyse...Mais les voix qui résonnent dans l‘autre camp sont souvent si fortes, si péremptoires, que l’on me pardonnera peut-être d’avoir élevé la mienne » (Le Vol   p 9)

     

    Ses derniers ouvrages auraient dû nous avertir. Ils avaient  déjà frappé l’opinion. « L’Evolution de la famille et du mariage en Europe »  fut un  succès singulier puisqu’il  y évoque la fonction de la parenté  en politique, sujet peu étudié et peu à la mode. L’Orient dans l’Occident fut  pareillement une surprise, à contre-courant. L’intrication  des liens, sur la longue  durée, d’événements migratoires y a été reconnue. Enfin son chef d’œuvre, Le vol de l’histoire a eu chez nous une   réception  plutôt  mitigée. Il faut  noter que le système éducatif, l’esprit  de rationalité et toutes autres « marques »  d’un occidentalisme orgueilleux et conquérant, confrontés aux autres  savoirs sur le  globe depuis un millénaire  supposaient de nombreuses  conditions de virtualités qu’il fallait attribuer d’abord à la supériorité de nos problématiques, de nos méthodes et des notions construites en des historiographies occidentales. En bref :

    1) Dans tout régime, quelque soit le territoire, l’époque, la complexité des liens sociaux, il y a toujours des » familles », des clans et des partis,  qui  commandent contre d’autres fractions. Depuis  un temps immémorial, il y a eu des familles régnantes, il y a eu des  groupes de familles qui ont dominé la politique

    2) Des religions  en concurrence organisent, cimentent  ces familles et « légifèrent »

    3) Des idéologues  légitiment, suivent et approuvent. Aujourd’hui  ce sont les  juristes qui disent le « Droit » des faits et des règles

     

    Avec des variantes temporelles ou celles de continents, une religion peut être un simple pouvoir : Etat religieux; une religion d’Etat ; une religion dans l’Etat,  une religion  au nom du groupe supérieur (royauté, féodalité, ville ou région).  Dans un Etat ou  ce qui représente un pouvoir d’état, il y a des pratiques très diverses : cultes, rites,  cérémonies, interdits ou prescriptions.  Tout ce qui structure dans la société  fortune, les rapports H/F, les enfants.  Dogmes, obligations,  règles de vie, relations aux autres : pauvres riches,   races, autres cultes, tolérance ou violence, tout relève  d’éléments politiques. Et   là  encore la religion  a été associée et a été une activité éminemment politique. Goody montre l’extrême variété de ces interférences de la religion dans la vie sociale sur 25 siècles  Mais ce n’est pas tout. La religion est aussi le plus souvent une organisation, un appareil  structuré, des personnels, des agents, des intermédiaires,  des lieux sacrés ou de personnes  sacrées ; en tout cas une puissance qu’il faut rémunérer et   à laquelle il faut se soumettre . Cette histoire du fait religieux montre aussi qu’il existe une  toute autre dimension au  religieux : la religiosité, intime ou non,  les pratiques  spirituelles privées

     

    L’Europe n’ a pas été le lieu de naissance de ces « modernités ». L’Asie en a fourni également. Goody  est allé très loin  dans cette voie rectificative. Le manifeste : « L’Evolution de la famille et du mariage en Europe »  ( dit EFE) décrit la fonction de la parenté  en politique. Politique et familles,  Eglises et  cliques, Politique et économies marchande et industrielle, démocratie et guerres, tels furent les thèmes aussi  de Braudel  avec des sources moins élargies et originales que Goody qui ajoute des données inconnues, il y a trente ans.  l’Orient dans l’Occident fut  aussi une surprise à contre-courant. L’intrication  des liens sur la longue  durée d’événements migratoires dans les deux sens a été enfin admise. Annoncée depuis quelque temps (par son ami Hobsbawm) , les anthropologues, historiens, sociologues du global,  inaugurent l’ère  de ruptures. En se confrontant à une situation   originale, la mondialisation des échanges scientifiques, l’Europe et l’Amérique  doivent accepter dans la douleur  de ne plus jouer  sur le terrain  traditionnel, mais  d’affronter  la dimension planétaire  globale.  Braudel en serait ravi ou interloqué. L’irruption de pays émergents offrit des données nouvelles modifiant la façon de faire de l’histoire politique par un mélange d’approches savantes les sciences sociales. La France en retard trouva peu des grands livres étrangers traduits avec dix ans  de retard hélas avec un faible écho,  malgré  des traductions de qualité ([4])  . Le vol de l’histoire a  posé à la communauté historienne,  traditionnellement forte, de nombreux risques d’éclatement quant à la supériorité de ses problématiques, méthodes et des notions  dans les historiographies occidentales. Ce qui  nous  interpelle dans le ce travail est que le capitalisme présent partout, dans le monde, et à toute «époque,  les liens qui le soutiennent,  s’épanouissent dans une politique toujours associée à  la famille et à la religion. Les deux sont liés par héritage et contrôle des mariages. Cela est visible  particulièrement dans son livre : « L’Evolution de la famille et du mariage ». Le rôle prépondérant de la parenté dans les affaires et dans la transmission des richesses initia par conséquent l’accumulation primitive. On vit  même  s’épanouir  un capitalisme ecclésiastique ! C’est justement  là qu’on voit  un modèle  bourgeois de la famille républicaine. On le pressentait aujourd’hui en constatant dans notre société  justement  l’épuisement d’une 3ème génération quant aux  valeurs  transmises à la  suite de changements économiques bouleversants. Les petits-enfants  qui ont hérité de leurs parents  vers 2000, chez nous,  n’ont guère à voir avec leur aïeux.   La génération issue de la Libération qui  a gouverné le pays  de 1945 à 1970 , a donné les clés d’élections et de gestion publique à leurs fils et cela a fonctionné  jusqu’en 2000 environ.  Ces derniers l’ont transmise à nos dirigeants actuels. Ceux-là,  sans passé, sans avenir, sans grande expérience, sont car sans idées, sans solution. Ils vinrent  plutôt du dehors de l’économie, eux n’ayant pas eu  à travailler  directement des affaires, des entreprises,  des sciences.  Nés en dehors  monde réel, ils furent formatés au moule  desséchant et terriblement stérile de Sc Po Paris,   Sorbonne, ENA. Par ailleurs, le trop plein de ces héritiers sans pratique a poussé les enfants de ces milieux  à migrer  sur l’échiquier des partis C’est  ainsi que la bourgeoisie traditionnellement encline soit à la gestion des âmes, soit à l’affairisme,  s’est introduite au PS, en se couvrant d’abord  de l’autorité et du prestige de Mitterrand ; ils  ont conquis  là, et annexé  ce parti,  dirigé depuis 2000,. En conséquence, bien sûr : aucun risque d’une réelle alternance puisque ce sont les mêmes familles et habitudes de pensée. Mais tout ceci est refoulé   au de là de toute expression   puisque la droite conquérante s’empara ainsi de la gauche, celle des partis, des syndicats, de la haute fonction publique, du monde de l’édition, des médias. Comme on le voit biens ces jours-ci. Ce phénomène  a  encouragé temporairement, comme je pus l’observer,  les sciences sociales sans contraintes de preuves, aussi faibles, moquées  et peu prestigieuse soient-elles 

     

    En considérant  la progression continue d’un système de   souches de pouvoir  et d’accumulation productiviste, Goody se  refuse à tout jugement   moral et il ne fournit aucun prétexte à une célébration  civilisatrice, un « décollage » économique  de nos sociétés. Les variables qu’on attribue à la réussite des peuples occidentaux, nous les  avons évaluées  à l’aune de données « intéressées » à confirmer nos analyses. Une complexification de la thèse de l’auteur est celle où il  révise le rôle de l’Eglise dans l’accumulation primitive: « La part de l’âme », la vente des marques de salut, la captations des donations bref la mobilisation par les Ecritures de toutes les sources d’enrichissement se trouva en contradiction avec  la vision téléologique de la naissance du capitalisme  en raison des représentations adéquates (Max Weber). Il y voit  plutôt l’importance des grandes institutions, en authentique matérialiste qu’il est, qui expliqua par exemple un capitalisme ecclésiastique qui  pourchassât  les sectes (Vaudois), les dissidences religieuses (les Cathares), celles, qui font voeu de pauvreté et dénoncent la richesse des clercs  au cours de la civilisation occidentale entièrement remuée vers l’enrichissement matériel. Duby avait salué cette démonstration : « Ce livre ne manquera pas de faire grincer quelques dents. Il est sûr que la distance est grande entre les préceptes de l’autorité ecclésiastique en ces matières et les préceptes de l’Ecriture.. Il est sûr que la doctrine ecclésiastique du mariage avait pour avantage d’assujettir l’aristocratie laïque au pouvoir spirituel...Mais l’immense transfert de propriété que j’ai désigné comme le mouvement le plus puissant qui ait animé l’économie européenne au Xè et XIè fut déterminé non moins directement que d’autres effets de la christianisation » avait-il écrit en 1985. Cette rectification au sujet  des dévolutions de biens domestiques (n’est pas ce qui nous intéresse le plus  ici ; ce sont  les systèmes politiques  quoique pas de familles sans eux. La famille  est la politique primaire  il existe une politique des mariages  même à bas niveau de dévolution. Les questions  de filiation  à contrôler strictement est l’objet du Droit privé Patrimoine, alliances  héritage  sont réglementés dans tout régime depuis des temps très anciens Le mariage  est un aspect d’actualité (par  adoption ou GPA ou mariage  de même sexe) une des questions électorales sensibles lors des primaires de cette présidentielle. L’emprise de l’Eglise sur les règles de filiation et du mariage qui firent d’elle le plus grand propriétaire terrien du Moyen Age,  est toujours en pleine actualité ! La Grèce moderne  qu’on présente en quémandeurs monétaires insatiables d’aides de Bruxelles devrait faire réfléchir. En Europe une branche actuelle de la Chrétienté, l’Eglise Grecque orthodoxe de rite byzantin, le plus important possesseur de terres du pays est exempt d’impôts. Chacun de ses gouvernements, se doit d’être béni par l’archidiacre pour être  légitimé et validé par les partis,  y compris socialistes (appartenant à l’Internationale) !

    Par un effet de choc et  pour un éclairage moderne, voici une définition républicaine  (en vigueur lors du début de la 4ème ).  Ce qui a un rapport à aujourd’hui avec la fin de la « participation citoyenne au pouvoir » par le  biais  des élections ; 10% d’abstention au commencement de cette période ici décrite,  et les 60% contemporains ([5] ). Un passage en 60 ans d’une république  mi –ouvriériste,  à une qui est manifestement anti-ouvrière). La preuve : « Il n’y a  pas de progrès véritable si ceux qui le font de leurs mains ne doivent pas y trouver leur compte. Le gouvernement de la libération entend qu’il en soit ainsi , non point  seulement par des augmentations  de salaires  mais surtout par des institutions qui modifient  profondément la condition ouvrière.....Encore, le plan que je me suis formé va-t-il  bien au-delà de ces réformes d’ordre matériel. Il vise à attribuer aux travailleurs, dans l’économie  nationale,  des responsabilités qui rehaussent de beaucoup le rôle  d’instruments où ils étaient, jusqu’alors confinés. Qu’ils soient  associés à a marche des entreprises , que leur travail y ait  les mêmes droits  que détient le capital, que leur rémunération  soit liée, comme le revenu des actionnaires aux résultats de l’exploitation... Ces transformations, si  tendues qu’elles puissent être, sont réalisées sans secousse .Certes les privilégiés les accueillent  mélancoliquement. Certains s’en feront même de secrets griefs plus tard » .De qui est-ce ?  ([6])

     

     

    Autrement dit: comment passe-t-on de 10% d’abstentions de 1945-1948  à  60%, 80 ans plus tard. Alors même république  populaire à anti-populaire  qui ne fait aucun effort afin de faciliter matériellement le vote par moins de formalisme et même creuse les obstacles et  aujourd’hui à des votes dits dangereux (handicaps  identiques et résolus en 1945-47 dus à des transferts de populations, de problèmes de prisonniers, de la mobilité des  citoyens sans logement). Mais là, à ce moment, tout  a été fait pour les intégrer à la  communauté et non les rejeter ou les éloigner par un excès  de rituels lourds ;

     Démocratie et capitalisme    

    Finalement, que nous apprend Jack Goody ?  Qu’il y a d’innombrables « rationalités »  démocratiques. Comme il y a de nombreuses variantes du capitalisme mondial, (le système  des  USA est différent de celui de l’Europe). Il y a  également – ce qui nous aveugle- plusieurs  branches  dans le capitalisme  chinois  qui n’ont guère de rapport avec le notre. En considérant cette question comme ouverte et centrale,  en prolongeant l’idée d’un capitalisme  multiforme aux variantes qui se  surveillent ( capitalismes américain et  chinois  s’observent et interfèrent) et les démocraties  comme régimes  variés , datées qui se combattirent en Europe  à la poursuite  de fins éternelles de l’ enrichissement, on est susceptible de traiter  toutes ce sociétés sur le même plan. Elles  produisent, échangent, s’approprient des savoirs et des biens par la force ou l’imitation. Que  tout régime soit un mélange de « dictature », de procédures dites démocratiques, de systèmes autoritaires d’exploitation de populations subalternes,  et donc un mode de construction de  légitimité de domination, est un truisme. Les uns se centrent sur « classes » les autres sur castes, sur  « familles » ou clans,  ou encore  nations ou religions. Une constellation inclassable donc  de cas ([7]). Aveuglés nous sommes, car nous ne savons   pas nous déprendre des catégories  des sciences Politiques ; si nous adoptons les concepts de Sciences Po, nous appliquons les schèmes de ceux qui les financent : Sondeurs, éditeurs,  partis, presse,  etc. Si nous voulons nous libérer,  alors comme l’auteur, faisons un enquête mondiale de ce  que l’histoire a  créé en formules de pouvoir,  de répartition de l’autorité et de sa transmission.  Sans savoir empirique large : pas de compréhension possible !

    Jusqu’au « Vol », Goody n‘avait qu’incidemment porté son attention sur les régimes politiques de grands Etats modernes  et sur les rapports intérieurs de leur redistribution de la richesse. Néanmoins il les avait abordés ainsi qu’on l’ dit, par  le biais de la parenté. la famille  inculque les liens d’allégeance Mais il  n‘avait pas omis de signaler les familles dominantes riches et  l’organisation de  cités antiques qui furent toujours un modèle, que ce soit pour la naissance du capitalisme ou pour  la structure des cités en groupes de familles. Et il nous a rappelé que l’Eglise  fut un intermédiaire puissant de la diffusion  capitaliste : pas seulement  la diffusion, mais l’invention d’un capitalisme de groupes associés et hiérarchisés (Templiers, Ordres temporels) .  

     Selon l’auteur, l’impérialisme  historiographique occidental se  développa au rythme   de l’apport colonial et des échanges marchands (l’Algérie entre autres fut  un élément  essentiel de l’accumulation en France).  Une tradition démocratique  qui puisse se déclarer authentique, sans  trop de scrupules contradictoires, se mit en place  qu’à la condition   de la stabilité d’une minorité : cet impérialisme a suscité l’intérêt des classes dominantes quand elle put maîtriser  le résultat incertain des votes : les démocraties inventèrent plusieurs  contrôles : l’octroi de plus de voix aux riches  et à des citoyens  choisis ;  limite du vote aux zones rurales réputées conservatrices etc.. . Des mesures préventives par la création d’une deuxième Chambre ou bien la limitation des pouvoirs des élus par renforcement de  l’exécutif  furent, ailleurs, considérées.  Bismarck institua un « universel » à trois niveaux  pour prévenir  l’autorité d’une des 3 assemblées. L’Angleterre institua une Chambre élue compensatrice par une assemblée héréditaire. Sage précaution, pensa-t-on, tout au long du 19è, pour  contrôler la masse électorale erratique et les votes populaires dangereux. En France : découpage  favorisant les  majorités rurales (Sénat), prévision  des collèges électoraux à plusieurs étages. On a même imaginé  donner des voix  aux seuls citoyens instruits (Belgique, Pologne,  Italie) ou des voix supplémentaires  octroyées aux représentants de l’Université  ( en Grande Bretagne). On a retardé  l’avènement  de l’isoloir afin de faire pression et  intimider des citoyens aux votes « extrémistes ».On a retardé jusqu’en 1913,  le vote secret  au Danemark ou en Prusse .On a compliqué les procédures d’inscription  pour certaines catégories  géographiquement mobiles en France.  L’imagination n’a jamais manqué pour  contrôler le vote. La plus subtile  des mesures   discriminantes fut la complexification matérielle du vote,  conçu comme réservé aux sédentaires, identifiés par un logement stable.  Pendant  le XIXè, le mouvement ouvrier perçut le refus du suffrage  universel comme une sorte de réflexe  de résistance contre une duperie construite  au long  de 50 ans. Il n’y rien de surprenant que, sous une forme peu théorisée,  l’abstention  ait été assimilée au freinage  industriel et condamnée moralement par ceux qui  gouvernent   grâce au vote. En général,  la population qui s’abstient, vise d’autres moyens d’action. En comptabilisant les abstentions, stricto sensu, les non- inscrits (15%), les  votes blancs, et en y ajoutant les non recensés ([8] ) des résidents en tous pays, le vote demeure toujours minoritaire dans nos démocraties Goody  attire l’attention sur  les « votes universels »  d’ autres types de démocraties

    L’eurocentrisme est plus qu’une variété de l’ethnocentrisme ; c’est une idéologisation de la puissance. « Plus j’ai examiné d’autres facettes de la culture eurasiatique, plus je me suis familiarisé avec certaines parties de l’Inde, de la Chine et du Japon, et plus m’est apparue la nécessité de comprendre l’histoire et la sociologie des grands Etats ou « grandes civilisations eurasiatiques comme autant de variations mutuelles » ([9] ). Il en tire les conséquences:« L’oubli des autres est la négligence obligée de ceux qui s’installent dans la position dominante : organiser l’expérience en fonction de la place centrale  que l’on s’adjuge ;  qu’ils soient individu , groupe ou communauté , tous   manifestent  un  préjugé qu’on  impute sans surprise aux Grecs et des Romains : « Toutes les sociétés humaines affichent un certain degré d’ethnocentrisme  qui conditionne en partie l’identité personnelle et sociale  de leurs membres ...Mais l’Europe n’a pas inventé l’amour, la démocratie ni la liberté  ou le capitalisme de marché, elle n’a pas non plus inventé l’ethnocentrisme... Deux raisons évidentes : l’autorité que conférait la diffusion de l’alphabet grec et secondairement, l’eurocentrisme fut aggravé  par les événements ultérieurs  que connut le continent européen, l’hégémonie mondiale exercée dans diverses sphères et qu’on a souvent tendance à considérer  comme ayant existé de tout temps »...« Je préfère dire quant à moi de la bourgeoisie qu’elle fut un phénomène international ». En concluant, il  dira : on « leur » a volé leur Histoire, maintenant il faut la rendre.  Le sens que nous avons donné, parmi d’autres significations possibles, à  « démocratie », s’apparente au fixisme obsédant: « C’est une chose nouvelle que cette préférence inconditionnelle pour une forme donnée de gouvernement au mépris de tout contexte.La Grèce  ou la Rome antiques connurent au fil du temps d’importants changements de régime -on passa de la démocratie à la tyrannie ». De la république à l’empire ; exactement comme en Afrique  depuis l’indépendance. Même en Europe ce ne fut pas  avant le XVIIIè siècle que commença à se répandre  l’idée que la démocratie  constituait la seule forme acceptable de gouvernement. L’Europe connut aussi plusieurs changements de régimes, certains violents, impliquant le recours à la force, et d’autres non....En somme, la possibilité de changement  de mode de gouvernement existait dans les régimes  antiques et la démocratie n’était qu’une des formes que ce changement pouvait prendre »([10] ). Ce principe de recherche   (notre schème)  entrouvrait le début de la prise de conscience contemporaine ; mais il restait à accomplir le gigantesque  travail d’identifier les bourgeoisies existantes dans chaque pays et leur mode de concurrence. Tache à laquelle la sociologie politique a «  naturellement »renoncé

     

    Si on a suivi  la totalité de ce raisonnement comparatif, il apparaît une continuité   entre Dunn, Goody, Evans,  tous  de Cambridge, tous élèves de Finley. Ils ont, tous, donné leurs œuvres-phares après 2000,  en fin de carrière, lorsque, parvenus  au sommet éditorial,  ils n’avaient plus qu’à gérer une fin de parcours  très honorable. Or, ils ont profité de la conjoncture  présente d’incertitude et d’effet critique,. Il n’est pas  sûr  que les changements déclarés ailleurs seront  confirmés, car le sentiment fréquent de vivre une « Révolution » n’entraîne pas automatiquement un changement.  C’est pourquoi  j’insiste  sur la fin de plusieurs républiques en critiquant le formalisme  de la sociologie politique occidentale.   

     

    Tout régime politique, quel que soit son autodénomination est composite ; il ne peut être catalogué  selon le  dessein des intellectuels, dirigeants, juristes, constitutionnalistes ou historiens et sociologues. Dans les passages précédents on a vu qu’au  début de la 4ème rep française et  la fin de la 5ème  n’y a  que peu de points communs sinon formels : la marche des institutions  et le respect des codes électoraux. En effet  les mêmes familles, grossièrement dit, issues de la bourgeoisie de gauche et de droite, ne gouvernent pas officiellement de la même manière sur 70 ans où 2 ou 3 générations se succèdent avec profils identiques, des formations en apparence  différenciées quoique avec des pratiques communes et des résultats   proches

     

    La révision de nos   certitudes , portée par J.Goody,  interroge  le  devenir des  civilisations et  peuples que nous étudions.Comment  perçoivent-ils  le fait que nous ayons toujours associé capitalisme et avènement de la démocratie (individualisme, organisation  libérale, « rationalité » de l’action )? Pour notre génération nous avons appris à l’école, que hors du capitalisme libéral il n’y a pas de démocratie.  Pour nous, aucune autre « démocratie »  (quelle soit « asiatique »,   antique, africaine) ne mérite ce terme si elle n’adopte pas en même temps le capitalisme libéral sous la forme que nous avons définie. En effet la « Démocratie » est devenue le meilleur lit d’un capitalisme  hors contrôle.  Nous avons balayé d’un revers de main, les « démocraties », où le  partage du pouvoir entre noblesse, élites, clans professionnels ou autres partis héréditaires se réalise de manière relativement pacifique et  contrôlée, hors de l’influence du « peuple ». Le  spécialiste reconnaîtra aisément des thèses ayant  été diffusées  en France dans les années 1970. Il s’agissait de décrire tout régime  comme élitiste, délégant à une partie  des catégories sociales dominantes  (Citoyens en Grèce, seigneurs et féodaux en  monarchie,  élites lettrées ailleurs, clergés, castes bourgeoisies de toute tendances laïques ou religieuses  pourvu qu’elles soient des catégories  possédantes) une fonction « de droit » de direction naturelle  à la condition de partager « équitablement » entre des postulants  déjà sélectionnés (université par exemple). Et ce sont ces candidatures qui, depuis l’Antiquité,  signalent la formule démocratique  choisie,  réglant à l’amiable les rivalités de prélèvement des profits par les diverses fractions.  « Comment avons-nous été capables  de devenir les hérauts de la société moderne » ?  se demande  le vieux professeur de Cambridge ( [11] ) 

     

     

     

     A la mémoire des Républiques  disparues  

    Les héritiers occidentaux  que nous sommes,  parviennent difficilement  à convaincre les jeunes pays  des avantages de  l’impérialisme  républicain!  Parce que,  hier  et depuis  2 siècles,  notre sens  de la démocratie  était basé sur la « puissance de feu », notre impérialisme   se fondait sur un savoir prétendu supérieur  au sujet  d’un modèle de gestion  de conflits économiques et de partages internes  propres à toute société! « S’il est vrai que l’Europe en elle-même est venue à constituer une exception au XIXè siècle , rien n’indique clairement  qu’elle se soit écartée  des autres grandes civilisations  avant cela, sinon par sa supériorité à l’époque des « grandes découvertes » -supériorité sans doute liée aux innovations technologiques en matière de « voiles et de canons » ainsi qu’au système de caractères mobiles, grâce auxquels  elle parvint  à adapter l’imprimerie( utilisée depuis longtemps en Chine) à son écriture alphabétique....([12])

     Nous avions réduit l’autre monde (en bref, tout ce qui n’était pas « Occidental ») au statut, au mieux de témoin admiratif de notre supériorité, plus souvent au statut de  victime à spolier. Nous avons continûment asservi une partie des indigènes exploités, sujets au travail forcé,  main d’œuvre  utilisée aux fins d’accaparement de matières premières. Pour cela nous  avons cherché des élites locales pour en faire des alliés possibles. La prééminence du mode de travail capitaliste développé nous  a donné une  supériorité  autoritaire temporaire. Cette supériorité est   à son tour  contestée  par d’anciens colonisés qui comme la Chine ; l’Inde, le Brésil ne se satisfont plus de déséquilibre, ne s’intéressent pas à sa pérennité et le manifestent dans des représentations politiques qui n’ont plus que de lointains rapports  avec la  mythologie    que nous avions créée au 20è siècle, une  construction savante de la supériorité économique et politique, essence de l’ occidentalisme,  issu de l’enracinement dans un type de pensée , le « génie » Grec et Romain :« En d’autres termes un avantage historique bien circonscrit est transformé en une supériorité  de très longue date, voire une réalité permanente, presque biologique » (l’évidence  du dérapage date de  l’invention du « racisme »  vis-à-vis de populations « blanches »dites  inférieures , attardées ).  L’idée de la singularité  unique  de l’Occident se réduit alors à  la « question  que les historiens occidentaux devraient s’adresser à eux-mêmes : «  comment avons-nous pu écrire cette histoire-là ? »

     

    Dans ce schéma où est  « le peuple » ?

     

    S’il y a toujours, en république française,  une variante  bourgeoise en position  d’échanger l’autorité avec les autres fractions,  une violence en vue de rester dominant est susceptible de s’installer. Au cours de laquelle le « peuple » est parfois appelé à jouer un rôle d’arbitre, temporaire et sans précision de condition promise. Cette obscurité, dont témoigne l’euphémisme constant  de dénomination :Demos, populo, plèbe,Tiers-Etat, prolos, masses, révèle l’embarras du catégorisable. Différents termes, différentes populations, différentes notions .Par ex. citoyens mais quel sexe, âge, nationalité, résidents, travailleurs, hommes « libres », votants ou simples inscrits électoraux....Aucune probabilité d’accord qui permet à tout acteur politique, journalistes, commentateur de bénéficier du non-concept, pour toutes les figures  rhétoriques ou  les sophismes de langage. A l’exercice, ce discriminant  sert à tous amalgames  dont la  « communication » s’est faite   le prototype  à travers l’invention du sondage  ... comme Rome avait la pythie !!

     

    Goody, Dunn, d’autres ont démystifié   le pouvoir au peuple, belle « formule » allégorique,  instrument artificiel puisqu’il  réduit à sa plus simple expression  le rite électoral édifiant. Pour maintenir la confiance,   la grande tradition libérale sceptique aspire à ce que les députés  vérifient par des referendums,  l’accord général. La démocratie devrait  exiger une procédure adaptée  visant à améliorer constamment  les  actes de représentation. « On pourrait dire que la seule  mesure à même de garantir la démocratie serait la capacité des citoyens  à révoquer  leurs représentants lorsque ceux-ci cessent de les représenter. Ainsi la volonté du peuple  pourrait renverser un gouvernement qui s’apprêterait à entrer dans une guerre en dépit de l’opposition de la majorité des citoyens. Si cette possibilité de « véritable démocratie »   avait existé, bon nombre de gouvernements européens se seraient écroulés au début de l’invasion de l’Irak »([13] ). On en est loin. L’Etat  partout prééminent impose  non une démocratie primitive   caractérisant de petites sociétés, mais une logique  totale (ou parfois totalitaire) où  il représente automatiquement la société, la justice, la liberté, l’autorité.  Les citoyens,  quant à eux, sans  contrôle possible, ressentent leurs relations  avec  cet Etat comme un des rapports de  forces possibles,   dont la majorité  se sent exclue. La légitimité à aspirer  être élu, acquise à la naissance, par l’Ecole  ou  par   titres élitistes, clientélistes, sont occultés par  la règle républicaine. Or,  ce fonctionnement étatique peut devenir anti-démocratique et son administration peut favoriser telle ou telle catégorie. Sans reforme  du scrutin, sans vérification régulière de sa légitimité, la république peut évoluer  vers des formes abâtardies, injustes, soumises aux nombreux poisons que véhicule  le capitalisme et qu’il diffuse sous des activités anodines de redistribution formellement équitable, y compris  la justice sociale qui peut se transformer  graduellement en son contraire, un élément de l’injustice sociale.

    Les Droits du citoyen, en raison des modalités  d’application  choisies concernant l’égalité devant la justice, la liberté d’opinion, de religion et d’expression sont susceptibles de se transformer en  prohibition de fait. L’accès  aux hautes fonctions publiques est garanti mais cela peut se révéler  un leurre, au vu des handicaps des uns et des privilèges des autres. Il faudrait vérifier au cas pas cas, l’origine des postulants aux postes électifs. Si ce que les fondateurs ont appelé la liberté d’opinion se constitue  en oligopoles privés  par la propriété des grands groupes capitalistes dans les médias  (possession de la presse qui devrait être interdite ), alors l’opinion libre risque d’apparaître comme un simulacre. La démocratie suscite toujours par la force des héritages et du droit civil, des  normes et des pratiques que l’histoire a retenues comme inéquitables (favoritisme, népotisme, corruption) .Par conséquent, si on ne  contrôle pas sans cesse les modes d’exercice des principes  intangibles,  ceux ci peuvent être retournés aisément par une oligarchie républicaine. Et, c’est ce qui s’avère  quand on accorde quelque crédit  aux faits et  aux perceptions quotidiennes. Les citoyens, mis à part une petite frange,  sentent l’impuissance à les rectifier.  Dans ce cadre, la liberté d’opinion   surveillée par des groupes de presse puissants ou des monopoles de fait  est menacée.

    Tout cela  est largement connu  sans  qu’aucun effet   critique institue des groupes spécifiques  de surveillance de l’application. Dès qu’on voit apparaître un  début de réserve  de la part d’associations privées ; une fraction de l’élite  s’empare du problème  et s’érige rapidement en juge de la  légitimité de  sa propre capacité  et pour quelques-uns d’entre eux, à juger  d’autres juges qui appartiennent au même milieu. C’est un cercle vicieux. Qu’il s’agisse,  des  constitutionnalistes  mandatés  ou des commissions, genre CSA,  la République  élabore une corporation au coeur du jeu, intouchable,   non élue, de  contrôleurs ou de surveillants ou des  commissions ad hoc qui calment l’affaire.

     De réels, les droits sont  devenus, du fait de  la main mise des juges et des avocats, des sortes de voeux pieux. Ces procédures et ces choix sont devenus  le cœur du système constitué,   où le poids de la fortune et l’origine  domine les sélections « démocratiques » aux hautes fonctions. C’est ce système qui arbitre les intérêts contemporains des fractions partisanes,  les clans régionaux ou  de professions fortes  qui pouvaient laisser la porte entrouverte à des intrus  éventuels  compensateurs, issus des sagas d’ascensions au « mérite » venus d’en bas.

    Or, la  crise financière passée par là,  les  dettes de l’Etat crées  par les dispositifs où les agents du privé distribuent une part notable de l’aide publique,  aggravent la  stagnation  des hiérarchies sociales. La colonisation et l’Empire ne sont plus les ressources  qui  permettraient, comme hier, des largesses  aux self made men, un avenir aux affairistes, des compensations aux frustrés de la fortune. En 1958, en France, du fait  de la guerre  coûteuse d’Algérie, la quatrième république est morte brutalement à la suite des infortunes d’endettement  et de la limitation de prébendes.  Déjà, dès 1793, le coût de  l’entretien  de l’armée,  la fin des pillages par des officiers, les retombées réduites aux fournisseurs en campagne provoquèrent  une dépréciation de la monnaie et la crise de confiance de la part de prêteurs (inflation, assignats, banqueroutes).

     

    Or, en ce moment, par impossibilité de mobilisation autour d’un projet vigoureux et excitant pour la jeunesse  des classes aisées, une intégration quelconque  des scolarisés, un espoir d’ascension par conquête ou guerre,   une  mobilité sans croissance,   tout ceci cumulé fait ressortir les limites de cet Etat et  de cette république constituant une  menace inédite et redoutable. 

     

    Et c’est pourquoi,  chose incroyable :    Marianne est nue !

     

    [1] Le vol  de l’histoire ; comment l’Europe  a imposé  le récit de son passé au reste du monde . Gallimard 2006. Goody  n’est pas un inconnu en France (14 livres traduits) Mon texte écrit en 2015 avant son décès, en  2015  a été   lu et encouragé par lui   dans son dernier mail 

    [2] Paul  Veyne l’Empire Gréco-Romain Seuil, 2005  P  21,28-29  et p 92

    [3]  Pierre Souyri Moderne sans être occidental ; Origine du Japon  Gallimard 2016

    [4] Malgré un rétrécissement des intérêts de l’édition, y compris de prestige car, là où ils ont été  publiés,  ces ouvrages  furent  peu soutenus  ; les éditeurs   se sont  satisfaits d’un  effet  vitrine   

    [5] Parmi ces 60% : Il y a  bien d’autres moyens de politisation  et d’actions  créatrices chez  ceux qui refusent du vote ; aussi respectables que les autres.  Nous n’avons pas à les décrire ici  (mais on sait  les trouver en faveur des migrants, l’action locale, associations de bénévoles,  la politique de quartier et de groupes de travail etc..)

     

    [6] Du Général De Gaulle bien sûr ! une fraction de bourgeoisie  nationaliste et patriote parmi de multiples  variantes Mémoires de guerre : le salut 1944-1946, Plon , 1956 p 119

     

     

     

    [7] Les deux états les plus riches de ce monde (PIB par habitant) sont deux Etats ultra-religieux et  alliées : Amérique et Israël. Les états européens les plus conquérants le furent  sous le signe de la  religion et à son nom  jusqu’au 18è, dans  l’ Europe puis les Etats-Unis.  La richesse des Nations et des Eglises  sont concomitantes.  Les deux plus grandes religions en adeptes, biens matériels ( formations richissimes parfois)   sans support territorial   sont de paradis fiscaux et possèdent  des banques. Leurs   milliardaires ou  nababs influencent le devenir économique du monde au quotidien et sur la durée. Le Vatican est un des plus grandes forces financières au monde, ainsi que les pays autour   de l’Arabie saoudite (et émirats)

    [8] Une part  échappe par défaut de volonté  aux enquêtes  et aux recensements de l’INSEE  qui a un taux de couverture  démographique correct lorsqu’on  calcule la sous estimation probable à 4% de notre population ; ce qui est faible par rapport à d’autres grands pays comme les USA, La Chine ou la Russie où probablement  c’est le double. Modes de  comptage où tout   Etat peut tester sa  légitimité

    [9]  LeVol p 103 

    [10] Le Vol p 363

    [11]  Selon J. Goody :« Braudel, lui-même, semble, attribuer à sa propre culture «  ou peut-être à sa mentalité » une place élective.  Il est vrai que, dans bien des sphères, le changement intervenu depuis la Révolution industrielle semble avoir été plus rapide en Europe, mais rapporter ce changement à une temporalité de la culture relève d’une démarche a-historique qui esquive les preuves ».  IL ironise sur « les éminents historiens » apologistes de la montée de l’Occident ; il évalue le coût du systématisme de Marx ou de Weber. Le capitalisme romain, le féodalisme  ne furent pas inconnus ailleurs.  Il note le recul des universités du Moyen Age, et celui de l’enseignement en Europe sous l’influence de l’Eglise catholique, militaire et régressive, une particularité de notre histoire contre laquelle l’humanisme se battit avec des succès mitigés à l’égard  du « modèle téléologique».

    [12]  Le Vol p 228

    [13] Le Vol  p364


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  • Partie 5

    A vouloir explorer les disparitions républicaines, alors que les temps de crise poussent à l’euphorie, à l’enivrement  de la part de notoriétés littéraires qui s’attachent de préférence aux « naissances », à l’invention sublime, à  l’enfantement « historique » d’institutions,  ce projet comparatif de fins républicaines est contreproductif, suicidaire même ! On me reprochera nos sources  étrangères ; un coup de poignard patriotique,! On  reprochera   une tonalité militante  à l’encontre des médias. Une  hérésie par les temps qui courent ! Néanmoins, les quatre à cinq ans à venir seront  cruciaux.  La fin de la 5ème s’annonce. Alors, par quels signes précurseurs, dans l’histoire républicaine occidentale, ceci s’est-il déjà  manifesté ? Nous n’avons eu que deux républiques longues : la 3è et la 5è qui atteint maintenant ses 60 ans  Il y eut, dans le passé, dans la mort de ces régimes, des périodes  d’anarchie douce, un laxisme institutionnel.  Mais chaque époque, avant tel ou tel enterrement,  a rencontré la barrière du non renouvellement des élites au-delà de 3 générations ( constituant une durée environ de 70 ans). Il fallait donc tenter une comparaison  du recrutement du haut personnel et son nivellement par le bas, sa  médiocrité par stérilisation des bonnes idées de départ, son essoufflement sur 2 ou 3 générations. Personne n’a osé regardé  un échantillon d’une dizaine de cas, (la moitié étant français  bien évidement puisque nous avons collectionné  ce  type de régimes  dans un  défilé au demeurant peu homogène).  Le silence sur la mort surprenante de la 3è, en quelques semaines, est un mystère de l’historiographie française. On se penchera sur ce cas d’école. .D’autant que de grands historiens  comme Bloch  ont écrit leur dernier  livre sur ce sujet .Et ensuite parce que des historiens modernes se mettent à la tache de comprendre « les derniers jours de la 3è rep » tels Claude Quétel qui parle lui de « L’impardonnable  défaite »( [1]). Il serait impardonnable  aujourd’hui de ne pas revenir sur la disparition instantanée d’une république forte et  sure d’elle,  car triomphante vingt ans auparavant.

    L’absence d’idées nouvelles et originales quant à la définition républicaine,  bien que  nécessaire à toute évolution, est flagrante. En effet  on verra que le gaullisme a  été une forme de républicanisme à entité propre, son engendrement  à exigences  morales pour les chefs,  un autoritarisme  modéré mais aussi le respect des électorats par obligation de démission si perte d’élections .Personne ne remarque que cette source d’idées neuves dans le giron républicain  a persisté  près de cent ans (depuis les  « conférences » de De Gaulle dans les camps allemands de prisonniers  en 1917)  et qu’elle a demeuré une inspiration  puissante sur un siècle ; illustrant  une révolte républicaine  légaliste  permanente,  une adaptation   progressive aux changements des sociétés,  un renouveau des hauts personnels par des procédures de sélection.  Pour finir, il est vrai, dans la dérision,   de nos jours, de la part des chefs qui s’en réclament. Mais de 1920 à 1969, cette variable républicaine    a été puissante. Sans oser la nommer et la décrire, les  politologues et les historiens socialistes ont  choisi le terme de « Bonapartisme » afin de la définir (M. Agulhon). Or il n’y a aucun lien, Bonaparte n’a pas fini en chef républicain et n’a pas eu de « descendance » politique, sinon un « petit » neveu. Le césarisme n’est pas non plus une variante républicaine.  La Royauté avait inventé après Rome, le droit d’aînesse donc héréditaire de sang.

    Nous  ressentons une lacune d’idées dans ce domaine. Ce courant en France perdure et  représente une alternative crédible  mais « sans nom », car les fils spirituels n’ont plus rien à voir avec leur célèbre ancêtre. Si la république française   alterne entre le modèle dit gaulliste réformiste et celui  du parlementarisme   hésitant, de la 3è à la 4è , c’est que le socialisme n’a pas su inventer son modèle  républicain, son type de renouvellement et de rajeunissement des hommes de pouvoir, son style, comme le gaullisme  tenta de le faire. Aucune idée sur le contrôle des élites politiques, pas de tirage au sort pour les édiles,  pas de cumul des mandatures,  (sauf exception), aucun quota de professionnels  parmi les élus etc...Le genre de République socialiste souhaité par Jaurès ou Blum  n’a pu voir le jour, ni  n’a créé un mode d’accès au pouvoir  ou un style de  direction tel que le républicanisme gaullien  le fit et donc ne proposa aucune éducation des députés, aucun  renouvellement   dans la gestion du pouvoir dans la durée. La gauche est absente du monde des idées politiques depuis cent ans.  Blum n’a pas eu le temps d’apprendre  et  Jaurès, le seul a avoir eu  une vision   de ce type ( par exemple l’armée de civils..  contre l’armée de métier!) , a été assassiné par l’extrême droite, je dirais, bien entendu !Le marxisme  a contourné ce problème par  défaut de démocratie constitutionnaliste mais n’a  inventé qu’un ersatz : «  Le Parti » ;c'est-à-dire une cooptation interne des élites  dans le secret. D’où, qu’également, le modèle marxiste  expira de mort naturelle au bout de 70 ans (1918-1989) : le » notoire » barrage des trois générations qui stérilisent une souche vivante.  Et la Chine va accéder, avec son « modèle «  à elle », à ce terme dans 3 ans !! Tout bascule en ce moment et c’est pourquoi cette réflexion générale s’impose : on doit interroger Bloch, le seul  qui, lucide en 1939,  réfléchit à la mort de sa  propre république, avant sa propre disparition héroïque. Le seul qui fut frappé par le fait  que,  dans l’Assemblée nationale  du « Front Populaire »,  seuls 85 députés refusèrent le suicide   collectif au profit d’une dictature   se livrant sans frein à la trahison et à  la remise de la nation à  des pouvoirs étrangers terrifiants. Donc pauvreté  des réflexions, chez nous,  et abandon de la Raison, par des intellectuels  dits engagés.  On est curieux de voir comment Bloch qui, devenu  clairvoyant en quelques mois (abasourdi de son propre aveuglement antérieur), explique le sort de la 3è ,  puis comment il  aurait vu   le destin de la 4è et ...  probablement celui  de la 5è

      (Extrait de mon blog)  ERMITE  Louable intention mais personne ne vous y autorisera.  Les medias   tenus autrefois  par des personnes morales sont maintenant dans les mains des grandes banques ou des affairistes milliardaires.  Les éditeurs sont  devenus des commerçants dévoués et donc des conservateurs peu audacieux. Vous n’êtes pas le seul à faire ce constat: beaucoup de livres sont refusés  en ce moment à cet égard   

    Candide : Mais quatre « tsunamis » sont survenus. C’est surtout le dernier, l’émigration   de masse qui fait tomber les masques ; or le temps de la lucidité est venu. On est  juste avant l’effondrement  civique,  la fin d’une communion nationale et cette année écoulée suggère  même une résistance à la conception unanimiste qui a duré 30 ans  1985-2015. Le passé français  est maintenant rediscuté par de nombreux auteurs qui reprennent notre histoire contemporaine sous un nouveau jour !Avec « La mort » je veux  me situer  dans ce mouvement - non  un simple changement d’humeur-  qui a vu de grands événements dans l’année écoulée se produire, tous totalement imprévus pour des commentateurs aux pronostics  aventureux : les attentats ; le FN premier parti à plus de 30%, et la crise morale avec les luttes de clans au sein des 2 grands partis du Centre (PR et PS) 

     Ermite : Si vous signifiez que  le XXè est mort en 2015  comme le XIXè était mort en 1914 ; quand s’annoncèrent les deux plus grandes guerres que l’humanité ait connues avec des atrocités jamais rencontrées (même si auparavant on assista à diverses traites, esclavages, guerres de conquête et  destructions), alors oui, d’accord !   

    Candide : Le moment est de faire des comparaisons et  non pas une histoire événementielle singulière. L’année vient  2015 d’accoucher de plusieurs tremblements de terre .Vous avez des attentats de masse  en janvier et le 13 novembre ! .Dont personne n’a vu d’ailleurs qu’ils étaient très différents d’objectifs et de moyens. Le premier était politico-religieux et  visait des prétendus ennemis de l’Islam, le second  est une réaction  face la situation  morale de la société et visait des jeunes de la part d’autres jeunes, en crise de la société de consommation et de loisirs. Rien à voir avec une idéologie gauchisante ou anar,  mais un   moindre goût de vivre ! Vous avez lu :les tueries de masse  de jeunes en Norvège et  d’autres jeunes surarmés  aux USA   qui n’ont pourtant aucun lien avec Daesch ! 2015 fut l’année de la montée apparemment irrespirable et pourtant si  évidente de l’incompréhension, du  FN. Mais l’essentiel est que 2015  a vu une émigration de masse  inédite depuis la seconde guerre mondiale.  

     ERMITE : Les républiques chez nous sont tombées  généralement sous les coups de l’armée mais il n’y a pas  de  logique. On   ajoutera particulièrement   le vieillissement des « élites » intellectuelles,  l’absence de mobilité des  politiques  du fait  de quasi- cooptation, la  sclérose des institutions : tout cela engendrant  la paralysie des pouvoirs. L’abstention électorale massive est un indicateur, pas une cause. L’appel au peuple n’est guère convaincant, ni d’ailleurs fréquent en république bien qu’il ait eu lieu parfois et se termina mal pour ce dernier.  Notre pays   a le sentiment de traverser une  période  catastrophique avec l’irruption  massive des migrants. Ce faisant on oublie sa tradition d’ouverture  (comme le fait d’accueillir 500 000 Espagnols en fuite devant Franco en 1939, ou encore le million réfugiés du nord et de l’est  de la France en juin 40 lors de l’exode de la défaite). Les Français  découvrent avec stupeur des mouvements de population qu’ils croyaient  périmés et qui sont de tos les temps ( les croisades ont transporté en 12   transportations sur deux siècles, un  demi-million d’Européens vers l’Orient pour la reconquête de Jérusalem. Ce sont leurs descendants, les Chrétiens de Syrie qui reviennent d’ailleurs maintenant. On a oublié le maelstrom de l’Europe chamboulée par les Nazis : 10 millions d’étrangers sur le sol  allemand en  1945 (ce qui fit de nombreuses naissances  - cachées-  par dizaines de milliers (et chez nous,au moins deux cent mille, issues de couples mixtes (soldats allemands et femmes françaises)  . Nous sommes aveuglés et sans mémoire de ce mélange d’allogènes. Les migrants récents font partie d’une immense tradition européenne et proche- orientale. Ils viennent maintenant du Moyen-Orient  et de plus loin, d’Asie, bombardés parfois par nos avions;  ils convergent dignes et respectueux, ne demandant qu’asile et travail. Meurtris certainement ils se saisissent de la porte ouverte   que nous avons produite chez eux puisque en détruisant  leurs systèmes, leurs patriarcats, leurs  traditions culturelles, avons excité leurs querelles byzantines ancestrales religieuses.  Irréductibles, ils seront  incontrôlables.

     Ai-je le droit de juger ? Avoir  assisté à deux fins de républiques donne-t-il  le sens du jugement équilibré ? J’ai vu la mort de l’une en 1940 (pas de souvenirs car trop jeune enfant, mais j’ai su  ma famille proche de Vincent Auriol, de Léon Blum , déchirée ). J’ai éprouvé  directement la disparition de la 4ème de 1956 à 58.  Ma famille toujours plus déchirée  devant l’équivoque socialiste « Paix en Algérie » slogan vainqueur de élections législatives en 1956  et l’envoi  illico du contingent pour faire le sale boulot  de jeunes néo- nazis comme dit Paul Veyne. Cette épreuve  donne le droit de témoigner

    Episode insensiblement oublié, le 13 mai 58, événement édulcoré dans les mémoires et les historiographies ? Simple incident ou révolution ? Coup d’Etat (style  2 décembre) , possible  Bonapartisme,  sédition à la Franco ou réelle Contre –Révolution,? l’émeute algéroise qui fit tomber le quatrième  est-elle une continuité républicaine puisque les processus légaux ont été ensuite respectés par De Gaulle ? Cette interprétation  paisible des historiens qui avaient 30 ou 40 ans à l’époque manifeste par là une circonstance banale .Y compris Agulhon qui minimise par le ton qu’il emploie dans son récit,  l’effroi qui a saisi les travailleurs([2]) .Je rappelle que le 13 mai a été une émeute de rue à Alger avec occupation des lieux de pouvoir (Forum, délégation générale, préfectures ) prise en main sinon organisée par des franges dures ; mais le pouvoir à Alger dont s’empare les généraux sous l’égide  de Salan, débarque avec des troupes en Corse  et menace les villes du sud-ouest par des occupations de casernes et des aéroports. Légionnaires, régiments de parachutistes se disposent à envahir la France si la république ne se dissout pas, ne  laisse pas la place à  un régime autoritaire, favorable à leurs thèses.   Ce matin-là, vieille d’un week-end, nous,  étudiants sommes abasourdis et angoissés. Nous nous réunissons à L’UNEF, organisons des A .G, sortons des tracts et demandons de l’aide aux organisations proches,à Saint Sernin; l’UNEF à Toulouse se trouve à quelques centaines de mètres de la Bourse du travail  des cégétistes que nous rencontrons, fébriles eux aussi, préparant des affiches, des barricades  et des manifs pour montrer que «  le fascisme  ne passera pas » dit-on une fois de plus. L’assemblée nationale est   comme paralysée et cela  nous remémore ce qu’on nous a raconté de l’absence de volonté de résistance en Mai 40. Le reste appartient à l’histoire nationale  qui se conclut par le  passage légal  de pouvoir et l’investiture à De Gaulle dans les formes officielles Pour nous qui avions 20 ans, le problème était autrement plus urgent et grave que les relations historiques le laissent transparaître.  L’atmosphère des rues est tendue,  grave ; la population s’attendait à une guerre civile et les plus militants ressortirent des armes cachées à la Libération. Par rapport aux adultes la situation  des jeunes était cruciale, le risque d’être  enrôlés immédiatement et envoyés en Algérie, encadrés par des éléments fascisants  représentaient un  avenir des plus sombres ; nous n’avions pas comme les civils  âgés le temps de la réflexion ;  nous ne vivions pas ce moment comme les historiens assurés par la suite et même parfois amusés le traitent maintenant dans leurs livres. Nous avons compris là  que les historiographies rétrospectives ne  s’identifiaient pas toujours à ce que vivent les acteurs .Nous avons saisi la différence entre vécu et raconté et l’appris que  l’histoire reconstitue, selon les sensibilités des auteurs, une compréhension, bien que non partisane, dépouillée des affects et  des  inclinations,  selon les tendances  de ceux qui connaissent la fin de l’histoire. De là, une méfiance  envers l’«objectivité » . En tout état de choses, nous avons  expérimenté « sur le tas » ce que la sociologie nous suggérerait plus tard comme options ou concepts afin d’analyser les ruptures et les affrontements : inertie des institutions, pouvoir vide,  lutte des mille factions qui pouvaient être militaires ; conflits internes aux bourgeoisies civiles telles que  guerres de laïques contre catholiques, factieux contre légalistes,  pro ou adversaires de l’« Empire français » en avaient montrés. Les fractures (Dreyfus, l’Allemagne, l’expansionnisme de colonisation) au sein des  diverses bourgeoisies nous semblèrent être des conflits fratricides où le « peuple » n’a rien à gagner. Nous pressentîmes  la menace d’un retour possible du fascisme. Il se manifestait d’ailleurs ouvertement dans nos amphis de la Faculté de Droit, où l’extrême-droite faisait la loi par l’entremise des mouvements tels que Ordre  nouveau ou Occident. Y lire Le Monde exposait à des sévices ; cet acte était perçu  comme provocateur. Jacques Amalric, le futur reporter directeur à Moscou  et Washington, du journal, alors étudiant à Toulouse, en fut une victime; les partisans  de l’indépendance de l’Algérie étaient  souvent tabassés devant les appariteurs ou professeurs « compréhensifs ».On peut s’interroger sur le genre de politisation en partie lucide, ou, à tout le moins, non angélique  qui correspondait à la conscience du vide républicain, des handicaps d’un régime apeuré par son armée, qui  renonçait à ses idéaux  de gouvernement respectueux des  promesses faites aux électeurs, qui reculait  le 6 février à Alger, comme ce fut le cas de Guy Mollet. Ce fut un moment de stupeur équivalent à  la perte de nos illusions sur la fermeté des démocraties. Puisque  quiconque peut devenir un jeune nazi si on lui donne armes,  pouvoir de vie et de mort sur autrui et  légitimité idéologique, sans compter  la liberté d’exactions, outre quelques pillages des mechtas, de vols de bijoux et de viols, toutes les transformations humaines sont psychologiquement possibles. Ceci ne fait pas de la dépendance civile  du 13 mai 58, un appendice malheureux ou un incident de parcours de la 4ème république mais  le constat de la faiblesse d’un Etat de droit  s’il est représenté par des chefs au faible courage physique, à la médiocrité d’imagination, au  manque de vision par absence de connaissances internationales. Et pire,  la volonté de tout socialiste qui se veut grandi, de  manifester qu’il n’y a pas plus patriote qu’un leader de la SFIO , et ce, depuis la mort de Jaurès et de l’Union sacrée,  union refaite à Suez, Algérie, Irak, et aujourd’hui partout en Afrique noire ou au Moyen-Oriennt est mortifère.   La politique est une forme d’errements, d’essais, de mobilité intellectuelle et on est frappé de l’inaptitude du personnel de la IVème   à changer de cadre de pensée. Que ce soit au cours de mai 40  quand l’armée s’écroule, que ce soit en mai 58  quant à l’impuissance à concevoir d’autres solutions que l’abdication, quand une catégorie d‘acteurs  civils est épuisée,  eh bien, se substitue alors, dans un contexte d’événements meurtriers, une séquence aux commandes desquelles une  fraction militaire  rajeunie apprend la désobéissance.   

     

     

     

    L’armée, la fin de la troisième République, l’Algérie et la mort de la quatrième

     L’agonie d’une République, nous l’avons connue ; l’épuisement des idéaux,  éprouvés dans la Résistance  chère à nos parents, nous l’avons vécu de 1954 à 1958 ;  les conditionnements et les pressions physiques sur la jeunesse militarisée au cours de la guerre coloniale nous les avons éprouvés. Pour nous éclairer,  nous  nous tournâmes ver Marc Bloch lui, qui avant  de mourir fusillé par les Allemands laissa en testament un témoignage  sur la fin d’une république emblématique  empli de lucidité  et de recherches des causes de l’aveuglement antérieur ([3].) La  disparition de la troisième  République nous a  contraints à remettre en question  l’histoire républicaine apprise  et enseignée par les postulants aux fonctions politiques, les fameux  professeurs  de la 3è république. Tout cela fut occulté et  le terme « République »  sous-tend actuellement une représentation essentialiste, enfantant de nombreux mythes fondateurs, rites et normes confondus. Toutefois aucune république  ne fonctionne à l’identique,  ni n’organise les mêmes modes de résolution de conflits entre fractions rivales au pouvoir. La République  n’est pas  un concept  tombé  du ciel des idées. Les systèmes républicains ne sont pas interchangeables ; chacun a eu son mode d’exhibition médiatique et de raisonnement. Des personnels politiques qui ont les mêmes références et « théories », règlent des situations similaires  par des  moyens et des options  très différentes. Il n’y pas de sens à l’histoire républicaine, faite de  processus, d’événements aux déroulements  sans finalité, hormis semble-t-il, téléologique. L’histoire ou la sociologie servent  à  analyser sans cesse et sans cesse  les cadres institutionnels et circonstanciels Si on en revient  aux deux théories   justifiant les nombreuses morts de ce régime  en France, les jeunes historiens  , contournent  la spécialisation chronologique et le découpage académique ; ils ne  traitent plus de la colonisation comme un monde en soi, ni en discipline de l’histoire institutionnelle qui y vit souvent un avatar   (un à-côté),  un qui affaiblirait  l’idéal.

    La première théorie explicitée au début de ce manuscrit (le temps long, les structures, les mentalités évoluant lentement, l’économique et le culturel) nous conduit à faire une place à Tocqueville –infra-. Si les colonisations et occupations  d’autres continents (esclavages)  sont un exutoire des difficultés en république, un moyen de régler les luttes mortelles de factions, alors l’auteur de la démocratie en Amérique  avait raison ! La guerre coloniale est   le creuset de l’idéologie républicaine. Et on verra son histoire comme  le résultat de l’action métropolitaine de patriciens et de proconsuls   associés ou dans les mains des colons autonomes  aux méthodes antidémocratiques  qui bafouent ouvertement le régime de leur patrie avec l’accord de politiciens locaux.  Le colonialisme est conçu  enfin comme le prolongement fonctionnel du capitalisme.  Ce point de vue  envisage   le colonialisme comme partie du fonctionnement démocratique et non en lui-même; comme si le Sud des USA avait été « accidentellement » esclavagiste. Et c’est exactement  ce que nous avons observé de 1945 à 1962

     

     

    En effet, quel que  soit le lyrisme aujourd’hui qui  accompagne la naissance de telle première ou  deuxième république,   malchanceuse ou pas, la troisième connut honte et opprobre du fait d’un incroyable  effondrement en 4 semaines, l’étrange défaite dont Marc Bloch tira sa remarquable analyse avant sa mort  dans la Résistance.  Il s’agit d’une mort piteuse  clôturant la guerre interne des États-majors, des amiraux et maréchaux quand la priorité  fut,  au lieu de la France, de sauver la face  de l’armée française   au cours de la défaite, vingt-deux ans  après le troisième trimestre de 1918 qui vit l’armée allemande reculer jusqu’au Rhin. Faits qu’il nous revient de reprendre ces jours-ci. Les pages  de la déposition d’un vaincu  qui serait à signer maintenant,  présentent  son excuse auprès de jeunes générations, à propos   des erreurs   d’une génération entière (dont –lui-même), née au début du siècle et le regret  de transmettre un tel héritage  à leurs fils et à tous les jeunes gens. Exemple  rare de lucidité et de courage intellectuel. « Nous venons de subir une incroyable défaite. A qui la faute ? Au régime parlementaire, à la troupe, aux Anglais, à la cinquième colonne, répondent nos généraux, à tout le monde, en somme, sauf à eux. » ([4])

    Le faible intérêt  pour trouver les relations entre  les pratiques républicaines du choix de ses élites  et sa disparition a trouvé une compensation dans la réflexion finale de Bloch et dans quelques livres récents. Bloch insiste particulièrement sur le vieillissement des  hauts gradés ( le rapport entre" vitesse de compréhension» et « âge » de l’état major : en gros, plus on est vieux ; moins on est sensible au mouvement et aux «  idées  de rapidité » quant aux manœuvres dur le champ de bataille) . Il voit un second défaut rédhibitoire : la bureaucratie militaire  qu’il a éprouvée pendant  la mobilisation 39-40 et les premiers affrontement  ou escarmouches. Il passe vite sur le problème des élites civiles  dont il évoque avec  regret  l’uniformité de l’origine sociale  et  le formatage de préparation par les grandes écoles dont Sciences Po. Il est prolixe sur les réformes de l’enseignement supérieur qui ont été manquées. Pas d’ouverture d’esprit, pas de sens critique enseignés.  Dans la théorie de « la fin »  soutenue par Bloch,  le dépérissement dû à l’âge nous interpelle. Le vieillissement des chefs politiques signifie  l’inadaptation aux faits modernes  de l’évolution, perçue par des catégories mentales   dépassées depuis  20 ans au  moins. Il suggère qu’avec de telles mentalités, on ne pouvait rien comprendre à la montée du nazisme et des transformations de stratégie d’armement ou  de manœuvres, puisqu’ils avaient bouté eux, l’ennemi vingt ans auparavant ....et qu’ils avaient construit la Ligne Maginot ! On sait  qu’un jeune capitaine qui avait vécu le feu et qui, prisonnier, réfléchit, en fit  l’argument de toute sa vie républicaine : renouvellement obligatoire du personnel éprouvé et reclus d’année par les jeunes  générations expérimentées  par l’épreuve :  « Quel tollé , quand, par l’établissement d’une Ecole d’administration,un ministère du front populaire prétendit  battre en brèche le monopole des « Sciences  Po ([5]) « Le régime  eut-il tort  ou raison de respecter  ces antiques corporations ? on peut en disserter.....,j’avoue incliner  vers routine, bureaucratie, morgue collective »( [6]) « l’école de la vraie liberté d’esprit » empêche   que la médiocrité du personnel politique  soit compensée  et non paralysée par une armée mystificatrice  Dilettantisme du personnel ministériel  paralysé par l’idolâtrie  à l’égard de ses chefs  encensés  et dominateurs dont les débats  sclérosés  valent démission et immobilisme

    Marc Bloch : réflexions sur  l’étrange disparition de la  IIIè république

     

    Bloch,  fut par conséquent  le premier sociologue-historien,  mêlant à la fin de sa vie, l’action  (clandestine) et la réflexion sur l’action,. Il   fait un usage raisonné de la double méthode : histoire et observation participante. Au long de son livre , « l’Étrange défaite » ,  on ne trouve pas de diatribe superfétatoire  mais  le récit de ce qu’il a vu et vécu au sein de l’armée, de Septembre 39 à Juillet 40  en tant que capitaine  comparé à ce qu’il vécut comme sergent au front en 1914-16.

    Reprenons, une à une, les causes de l’effondrement d’une puissance en quelques semaines. Quelles forces s’opposent à la prise de conscience et de décision des personnels politiques et militaires, quelles incapacités deviennent rédhibitoires et dangereuses pour le salut du pays ? L’âge, le décalage de générations, l’impossibilité d’imposer une direction ferme !voila les 3 caractéristiques qui créèrent une impardonnable défection. « Les Allemands ont fait une guerre de vitesse .Nous n’avons pas seulement tenté de notre part un guerre de la veille ou de l’avant-veille...nous n’avons pas su ou voulu  en comprendre  le rythme  accordé aux vibrations  accélérées d’une ère nouvelle.... Ce furent deux adversaires appartenant  chacun à un âge différent de l’humanité...Nous avons en somme renouvelé les combats, familiers de notre histoire coloniale, de la sagaie contre le fusil. Mais c’est nous, cette fois, qui jouions les primitifs »([7]) jusqu’à aboutir à une incompétence militaire due en premier, à l’âge élevé  des généraux  de l’état major , autorité  corrélée au  prestige acquis en 1914-18, bref un  haut personnel  quasiment inamovible qui annonce  sa paralysie  future quand les personnels,  qui avaient 40 ans  à l’époque, avaient été refoulés à des rangs inférieurs . Pour simplifier : le confort et le vieillissement d’élites  au profit  de clans,  de castes dans la marine et l’armée de terre. Par ses exemples vécus – ---en second  à la « rivalité burlesque dans un tel contexte »   d’une « pléthore d’organes d’informations aux idées bornées de conformisme, bref une candide ignorance de l’analyse sociale véritable »( [8])

    Aujourd’hui l’aveuglement   serait probablement  imputé  à l‘écart démographique de la prise de responsabilités . De 1880 et à  1940, trois générations de politiciens s’étaient succédées et la dernière se présentait  singulièrement épuisée après la guerre, sans idée, sans force. On se souvient de la colère de De Gaulle contre l’inertie  conceptuelle tactique et du matériel! En quelques mois,  Bloch, au front, repéra  une sclérose   semblable dont il rend responsable deux facteurs : l’arrogance intellectuelle issue de la prétention de la victoire au cours du seul trimestre de l’année 1918 ; un pouvoir imbu d’officiers supérieurs vaniteux; personnages chenus   à la  médiocre  qualification  stratégique  d’enseignants aux élèves à Saint-Cyr.. L’observateur d  Bloch juge   d’un autre point de vue,  les civils, frileux et craintifs, devant le pouvoir militaire et leur incapacité   à saisir la nouveauté des situations, sans idées et initiatives. On déclare la guerre mais on ne la fait pas  et quand l’armée allemande  est occupée en Pologne ; on attend, on ne  bouge en rien.  Seul Léon Blum au pouvoir deux ans  fut attentif à cette  menace ;  il redouta   l’autonomie des militaires. Lui, Blum, qui dans l’urgence de la lutte contre le défaitisme de  l’Etat Major,  en février 1940 s’écria :« Que la direction du pays soit exercée par n’importe qui, mais qu’elle soit exercée ! » ; lui, qui connaissait la philosophie allemande et  son  « Herrenvolskdemokratie » : le concept  de la démocratie pour « la race des seigneurs », (signifiant  à l’usage exclusif    des élites  scolarisées, et des aristocraties de pensée).

     

    Bloch adopte une perspective (ici « théorie ») que nous avons évoquée : les luttes  entre bourgeoisies rivales se manifestent  dans les conflits de partis proches en dépit des apparences et des proclamations fracassantes. Les rivalités des clans empêchent de percevoir  l’état timoré dans lequel on    s’est réfugié grâce au  confort protecteur de la ligne Maginot devenue un concept, celui du symbole de  cécité, de la paresse de pensée.  A certaines occasions, refusant de  se remettre en cause, l’une des  bourgeoisies qui gouverne est plus ou moins attentive à la dimension des conflits qui se préparent et donc elle élimine les autres versions de compréhension ou les marginalisent. Par cette notion    de concurrence bourgeoise,  plus ou moins exacerbée, nous entendons  la mise à l’écart des membres des  fractions  également aptes par l’ éducation,  diplômes,  patrimoine,  titres  ou  formation professionnelle sans appartenir au sérail des hauts fonctionnaires.. La rivalité des élites  et des influences  fait de toute république, un assemblage hétérogène  de petites composantes  fictivement en opposition et se paralysant les unes, les autres. Robespierre dénonça les cent mille factions qui couraient à la surenchère  produisant l’immobilisme. On  devine l’usage heuristique d’une telle idée aujourd’hui. Le décalage, le style de la bourgeoisie particulière qui s’est emparée du pouvoir, passéiste ou conservatrice au détriment d’autres bourgeoisies  plus dynamiques (administratives, industrielles, financières, terriennes ou intellectuelles)  crée pour se maintenir  un blocage artificiel,  se transformant en fossile  y compris pour ses aspirations propres. Cela n’est guère nouveau mais--et c’est là-dessus que l’analyse de Bloch est éclatante- une explication de la démocratie à contenu  variable vide ou chaque « famille politique », chaque clan bourgeois,  se veut, de toute force,  dominant. Voila pourquoi en approchant la démocratie par sa forme  originale de règlements de guerres intérieures, la situation  concrète de 1940 aide à concevoir une république en forme d’  Etat ordinaire combinant le laxisme d’action, les errements sans direction, l’incohérence des moyens  et l’absence   d’un  cadre de pensée. Plus loin on retrouvera  une autre république immobile conduisant à l’impuissance à traiter du problème algérien .Bref, ce  que De Gaulle nomma le « système des partis » auquel il opposa  une autre formule républicaine  propre à notre l’histoire : les pleins pouvoirs,  la rapidité  d’action dont il s’inspira pour rétablir l’autorité civile contre l’autorité militaire subversive. Bloch le pressentit : « Telle fut, certainement, la grande faiblesse de notre système, prétendument démocratique, le pire crime de nos prétendus démocrates... »([9].) Les classes supérieures pratiquèrent  les mensonges, les omissions,  l’esprit de parti outrancier... ajoutons y  l’absence de curiosité mondiale, le manque d’ouverture créative,  l’imperméabilité  au nouveau conteste».   A l’instar de l’avenir prévisible, la Vè République  manifeste un consensus  de tous les écrits et radios dans leurs styles différents,  prêche dans le sens de  l’obéissance et de la servilité,  la persuasion par la suggestion émotive.  « Ce n’est pas de gaîté de cœur  que les bourgeoisies européennes ont laissé les « basses classes » apprendre à lire », dit-il. Mais maintenant, elles ont, de plus, appris à décrypter les faux messages et les informations vides ... Tout ce dont nous souffrons  dans l’espace contemporain était en germe dans ces défectuosités que critiquait Bloch  avant de disparaître dans son combat glorieux. Un exemple pour tous les historiens qui l’ont  refoulé présentement. « L’histoire  est par essence science du changement ; elle sait et elle enseigne  que deux événements  ne se reproduisent jamais  tout à fait semblables, parce que jamais les conditions  ne coïncident  exactement. Sans doute, reconnaît-elle,  dans l’évolution  humaine,  des éléments  sinon permanents  du moins durables. C’est pour avouer, en même temps,  la variété, presque infinie, de leurs combinaisons. » ([10])

     

     Je laisse  volontairement de côté  l’autre piste, l’autre théorie explicative,  concernant le temps court, les interactions et l’événement tel le supposé complot militaire, faits immédiats et  réactions  engendrées ; par exemple: le rôle de la « synarchie »  de 1934 à 39,  un  complot poussant à l’empressement  défaitiste à la faveur de l’alliance avec l’Hitlérisme. La vie diplomatique ou parlementaire au quotidien n’explique pas comment  les fractions républicaines aspirant au pouvoir manifestent  une telle inertie   et un tel aveuglement ; incompréhension  que l’on  saisit mieux au vu de leur  origine et de leur parcours    professionnel. Peu tournées vers l’étranger, leur méconnaissance  du monde    implique les erreurs d’appréciation de ce qui est réalisable ou non, ainsi que l’anticipation des conséquences d’inventions  ou la diversion vis-à-vis de problèmes intérieurs apparemment  insolubles.   La république est devenue une étiquette à l’échelle, une désignation pour des systèmes de fédérations de l’ordre de plusieurs centaines de millions d’individus. Bloch qui raisonnait en sociologue de terrain   jugeait du reste les hommes  hauts placés de la même manière.  Les élites qu’il avait fréquentées  étaient  totalement anachroniques. Tout fut résumé par le général de Gaulle en quelques mots le 18 juin au sujet de l’enjeu -sur l’échiquier où nous étions un grain de sable- de la raison de ne pas accepter la défaite humiliante car la bataille ne faisait que commencer en juin 40. Encore faut-il s’ouvrir et ne  pas  prendre comme   norme, le passé reconstruit, idéalisé ou malmené.

     

    A la suite  des mêmes erreurs, la quatrième république à la vie brève   de 1945 à  1958 allait partiellement  reproduire l’histoire, de pair avec celle des guerres qu’elle mène..  Ainsi il nous faut tourner notre regard vers une autre guerre républicaine, circonstance  d’une mort aussi « retentissante » que celle de 1940. L’armée qu’elle soit défaite ou se prétende victorieuse  permet à une République de se survivre ou la condamne à disparaître

     

    La guerre d’Algérie  et la mort de la quatrième

     

     On se trompe en imaginant qu’après 1945 le système républicain est définitivement établi. Une autre guerre civile, coloniale celle-là, va aboutir à un compromis  entre militaires : ensuite un général à la retraite prendra les décisions qui s’imposent, il matera  d’autres militaires, rebelles ceux là, et remplacera le régime par une forme de présidentialisme parlementaire. Un « césarisme » ? Non ! Mais  il mit fin d’autorité à la décomposition par un referendum à un conflit qui commença à Sétif  en 1945, dans le prolongement de la deuxième guerre mondiale,  que nous avions manquée en partie.  C’est le sujet  qui suit .

     

     

    1. La guerre d’Algérie a commencé en 1945

     

    Nous allons associer cette fin de république à l’histoire de la décolonisation en Algérie  mais auparavant  on doit rappeler le contexte où l’armée, sans prendre le pouvoir imposa ses   choix et son agenda. Le pays  s’engagea à contre temps et à contre-emploi du pays libéré dans une entreprise hallucinante, un parcours rétrograde de pays le plus « terroriste » qui soit, faisant  un million de morts sur trois terrains  de  la planète de 1945 à 1962. En Indochine, Madagascar, Afrique du Nord. Des  massacres coloniaux d’un  autre âge puisque, en effet,  les autres décolonisations : Inde, Indonésie, Egypte, Congo etc... se  réalisèrent en douceur, si on ose dire, comparées à note action  à contre-courant  mondial . « Sétif » fut un symbole  de la  « renaissance » répressive mis en œuvre dès la Libération, occasion  de questionnements pour ceux qui  vécurent nos conflits coloniaux marquant l’histoire du monde. Les événements et répressions de Sétif et Guelma  à l’été 1945, seront ici suivis attentivement  avec comme guide  J-L Planche ([11]).. On croit savoir comment l’Algérie coloniale a pesé sur notre histoire républicaine. Néanmoins, si on examine les soubresauts parlementaires et les errements  des parlementaires à la lumière de la question des colonies et de l’esclavage (qui a autant clivé que la question religieuse sous la Révolution), on doit les associer à la question des territoires d’outre-mer qui a été obsédante en Europe durant deux guerres mondiales (pour Bismarck, ensuite pour Hitler). Il y a eu guerre au sein de l’armée : la fraction républicaine contre une fraction  autoritaire,  très antiparlementaire, pour  finir en guerre civile entre clans  et la guerre d’Algérie fut le lieu d’expression du mépris ou de la haine  réciproque  qu’elles se vouaient comme souvent cela se passe dans les cercles très fermés. Les luttes de fractions au sein de l’armée s’aggravèrent sous de Gaulle incluant plusieurs tentatives d’assassinat du Président (organisées par de jeunes  officiers). L’année précédente, en 1961 un renversement des fronts surprenant avait eu lieu : le général en appela au contingent (« Aidez-moi ») ; effectivement les soldats du rang le soutinrent contre les capitaines et les colonels engagés, eux-mêmes divisés entre  réactionnaires sans véritable idéologie mais solidaires des élites locales ou des groupes de pression, qu’ils soient colons, policiers, ou intellectuels. Des « colonels », notamment ceux qui dans l’armée étaient sur le terrain, plus sensibles à l’accueil des petits Blancs  ou au style de vie des grands propriétaires, devinrent les idéologues  de la « dernière défense de l’occident chrétien ». Par ailleurs, une fraction anti-gaulliste qui survivait dans l’armée depuis 1940 inclinait à prendre sa revanche sur le général détesté.  Donc « Sétif 1945 », par ses apports détournés, est un livre d’histoire nationale pour une  génération qui   se souviendrait de l’évènement avant de l’intégrer à la mondialisation des luttes  (le Tiers-mondisme).

     La métropole impuissante et la démocratie paralysée

     

    Les faits décrits ont été partiellement oubliés en métropole où l’ampleur de la  violence  a été tenue secrète. Divulguée  seulement dans les reportages de la presse anglo-américaine qui les transmit à l’opinion mondiale, cette répression est un inventaire de  situations qui allaient se reproduire dix ans plus tard en 1954. Le colonialisme au centre du débat divisa les élites républicaines par la définition d’un certain type de colonisation de peuplement ou de simple exploitation  minière et pétrolière. Rappelons aussi que le contexte  de la 4ème République (personnel politique  sans autorité en Algérie ([12]) et son  instabilité, son manque d’autorité sur l’armée) ne favorise pas les décisions courageuses. Une alliance droite/gauche de bourgeoisies s’était retrouvée  pour déclarer la guerre au Vietnamiens  contestant notre présence en Indochine,  amorça une atmosphère où l’anticommunisme prédominait (guerre froide et emprisonnement des militants) aggravé par  la peur des  grèves générales (1947). Ce fut le temps de répressions  en Afrique, en Algérie, en 1947 à Madagascar qui fit douter la jeunesse des principes « éternels » républicains ou des  droits de l’homme.

     

    Avertissement de Tocqueville

     

     Le  pressentiment  de l’insoumission inexorable de l’armée en Algérie et le renoncement des citoyens en France,  nous l’avons retrouvé, paradoxalement  exprimé cent ans auparavant chez Tocqueville, lui qui connut  la première  colonisation ([13]). Les occasions de l’enrichissement sans frein, le pillage par des officiers (de toute armée,  de Napoléon à Hitler, on l’a dit) sont un  conditionnement à la prévarication des  officiers en raison  de la  taille du territoire, de la durée et des missions  et des conditions de guérilla. Il apparaît donc   une  possibilité  d’être  pillard et  « vertueux » à la fois,. Tel est le constat  lucide de Tocqueville qui l’explique  sans être « anti-coloniste » ([14]). D’autant que les officiers devinrent propriétaires ; des légionnaires  sont installés dans les meilleures terres prises aux tribus ; habitude prise de  confusion des pouvoirs civil et militaire. Mais Tocqueville va plus loin .Il pressent le danger de l’autonomie excessive de l’armée républicaine ayant les pleins pouvoirs, acquérant un droit  de légiférer  sous le couvert de la « chasse aux terroristes ». D’autant que les généraux on un savoir faire dû au passé  vieux de vingt ans. Bugeaud a été formé  à la pratique de la terreur sur des autochtones dans l’armée napoléonienne en Espagne. Lamoricière, Pélissier et d’autres  furent formés sous Napoléon.  Ils usèrent des mêmes méthodes que celles appliquées dans la péninsule ibérique ([15]). La  métropole a délivré ainsi une rente de pouvoir à ses généraux  et colons. Et plus tard ceux-ci s’armeront en milices privées,  forces de police discrétionnaire, à l’écart de tout contrôle légal. Il régnait, selon Tocqueville si on suit son Rapport parlementaire en 1840, un risque de corruption anti- républicaine. La situation est si  intense que  l’auteur avait jugé bon d’avertir Paris des maux à venir et va proposer des remèdes. L’un, subtil, consiste à ne pas laisser durablement les mêmes  régiments  sur le sol algérien,  à prévoir une rotation pour éviter l’ivrognerie et l’absence de scrupules face aux indigènes.  Et il avait même redouté, qu’une fois rentrées en France, ces troupes ne contaminent l’armée  métropolitaine. Il  mit ainsi en garde : « on ne peut se dissimuler que l’officier, qui une fois a adopté l’Afrique, et en fait son théâtre, n’y contracte bientôt des habitudes, des façons de penser dangereuses et d’agir  partout, mais surtout dans un pays libre...Il y prend le goût d’un gouvernement dur, violent, arbitraire et grossier. C’est là une éducation que je ne me soucie pas de généraliser et de répandre. Je crois donc nécessaire d’envoyer en Afrique un certain nombre de régiments qui n’y font qu’y passer et rentrent en France au bout de peu d’années » ([16]). Tocqueville est bien entendu un partisan de la colonisation à la condition du contrôle strict de l’armée par un gouvernement vigilant et fort qui la contrôle!. « Quelque partisan que je sois de la création de régiments spéciaux à l’Afrique, je suis loin de croire cependant qu’il faille avoir en Afrique que des corps de cette espèce. » ([17]). Prémonitoire : l’habitude  de l’oppression (pas de  droits, au mieux un code de l’indigénat), les massacres, les bagnes, et bien entendu l’exploitation intense de la main d’œuvre : une situation pas du tout exceptionnelle de « militaires livrés à eux-mêmes »

     

    Les faits de l’été 1945

     

    En étudiant « trois mois terribles » pour le peuple algérien, on fait la chronique d’un « événement »  fortement structuré dans le temps et l’espace, de  la société coloniale des années 1950,  de la nature de la répression (tortures, famines) et les arguments qui allaient être imposés à travers la presse et l’administration à l’opinion. Ceci est grave car cet épisode, souvent cité, a été rarement étudié en profondeur, alors même qu’il a occasionné des dégâts démographiques, politiques, moraux, dans la droite ligne de la conquête française qui, de 1830 à 1871 dans l’Est, (dernière révolte tribale qui figure  une étrange coïncidence répressive à la même date: la Commune)  réduisant la population musulmane d’un tiers. « La surmortalité liée à la guerre et à la répression pendant 40 ans (1830-1870) est estimée à plus de 800 000 hommes. Par la violence et la durée, elle ne peut se comparer qu’à celle des guerres menées en Amérique du Nord contre les Indiens ». (p.21). En effet, notons les similitudes : disette organisée, expulsion et déplacement des tribus, mise sous séquestre de 400 000 ha des meilleures terres, utilisation  des antagonismes entre régions, emploi de soldats indigènes (harkis, tirailleurs algériens ou sénégalais), association de la gauche à la répression au nom de l’unité raciale européenne. Sortir du système « démocratique » métropolitain parut la seule alternative recevable pour les militants algériens post-Sétif.

    La répression  des musulmans  a été considérable au cours de cet été 1945: 30 000 civils tués en trois mois, du 8 Mai à début Août. Le rythme des tueries fut hallucinant, village par village, par « soirées », par sortie de bandes d’Européens (formés en milices), de  commandos qui font la chasse aux Arabes (l’invention de la « ratonnade »). En face, on dénombrera une centaine de « Blancs » victimes des troubles. Notons que c’est exactement le rythme des assassinats de civils commis par les nazis dans les pays de l’Est (Pologne Ukraine, Russie). Bien sûr, là, la largeur du front, leur durée les ont été  rendus plus « efficaces ». Ce fut aussi l’intensité de la mortalité des Algériens durant la guerre de libération. 3 000 morts sur 3 mois équivalent à 120 000 sur un an ; soit, sur 7 ans de guerre, le chiffre estimé par les Algériens de près d’un million de morts. A part la seconde guerre mondiale, aucun autre fait de guerre n’a été aussi meurtrier (sinon la répression contre les Communards pendant un mois). Les commandos seront incontrôlables dans le Constantinois et la contamination a touché toutes les catégories, les unes surenchérissant sur les autres. La peur raciale a fonctionné sur la base de rumeurs organisées, amplifiées par la presse et des institutions. Phénomènes bien évidemment préparant  la scène survenant dix ans après

      Le Pétainisme en Algérie sort renforcé  en 1945

     

    La fascisation d’une large partie  de la société coloniale se manifeste lors de l’arrivée au pouvoir à Paris de Pétain ; une forme réactionnaire et raciste dans la colonie qui a perduré au-delà de la Libération en 1944. Marc Ferro qui découvre alors l’Algérie a été abasourdi de l’ambiance qui régnait dans l’Ouest où il est nommé professeur au Lycée Lamoricière à Oran en 1947. Aux élections de 1947  il est  stupéfait de voir des candidats à le députation se réclamer franchement de Pétain « Voter pour De Saivre, c’est voter pour Pétain » (p 25). Voilà comment on obtient plus de 20% des voix à la libération ([18]).

    Le jour donc de la victoire des Alliés contre l’Allemagne, le 8 mai 45, victoire à laquelle les tirailleurs « indigènes » avaient participé, donna lieu dans l’Est constantinois à une résurgence du nazisme, qui, le jour même où il agonisait, réapparaissait dans un département français. Lors des célébrations spontanées de la victoire, le 8 mai, dans toutes les villes algériennes, l’Est Algérien prend un relief particulier Il est pourtant le moins peuplé de colons et donc le moins politisé et administré. La singularité réside plutôt dans un passé vieux de 70 ans (révolte d’El-Mokrani en Kabylie et des tribus du Sud).. Les cadres administratifs, les chefs, la presse pétainistes y subsistent après la Révolution nationale qui deviendra alors la « Répression nationale ».  L’esprit de Vichy y avait prospéré. L’épuration  des républicains et des laïques avait commencé tôt, dès juin 1940 : « Plus de 10 000 communistes, socialistes, francs-maçons, nationalistes algériens sont enfermés dans les prisons et les camps de la steppe, 2500 fonctionnaires jugés indésirables sont révoqués. Ceux qui ont appartenu au Front populaire doivent se repentir » .... « Le Juif sert de référence pour désigner ceux que le Maréchal appelle l’Anti-France. Trois mille fonctionnaires de confession israélite sont chassés, soit à population égale trois fois plus qu’en France métropolitaine » (p.45). La croix gammée avait été précocement affichée dès 1930 sur  le bandeau du journal du maire-député d’Oran. La confusion avait régné dans la colonie. Le Front Populaire n’avait pas été absent mais il s’était manifesté à travers une versatilité, une faiblesse des partis de gauches, divisés. A la Libération,  un espoir fragile : un maire communiste à Oran, à Alger un socialiste, un général français proche des communistes à Constantine ! Ce sera inextricable au bout du compte  pendant 20 ans puisque les lignes de l’opinion sont brouillées entre des villes ouvrières et le bled des colons qui demeurent  profondément réactionnaire. Les progressistes, en effet, sont divisés par la religion ou par les doctrines; entre socialistes et Francs maçons et  entre communistes  (témoin l’entreprise présidée par Ferro de « Fraternité algérienne »  qui s’éteindra en 1957). Après le 6 février, Guy Mollet manifeste son incompréhension totale de la situation algérienne : il capitule devant quelques jets de tomates et  cris hostiles. Les Israélites sont eux-mêmes divisés entre une intelligentsia de fonctionnaires ou de professions libérales et une masse de petits commerçants et artisans. Les musulmans, en face, sont déboussolés par le fractionnement des hommes de progrès prêts à des réformes; tantôt ils se retrouvent aux côtés des Juifs dominés, tantôt ils les tiennent à distance ou les prennent à partie (un pogrom à Constantine). Le Parti communiste à Alger est dirigé par des Juifs mais à l’intérieur ils sont écartelés entre plusieurs lignes. Avant la défaite de 1940, des manifestants juifs et arabes crient : « Vive la guerre ! A bas Hitler ! ». D’autres coloniaux clament : « Vive Hitler ! A bas les Juifs !». Le brouillage et le désarroi  furent ceux que Camus a parfaitement illustrés. Même aux grandes manifestations de l’été 1936, la politisation est faible et sporadique : « A Constantine, où les communistes ont rassemblé 5% des voix, les socialistes sont exaspérés d’avoir manqué l’occasion d’avoir un député. Le nombre de musulmans qui rejoignent, à l’appel des communistes, les défilés organisés le juin pour fêter la victoire de Blum déchaînent la colère au comité du Front Populaire ; le représentant du PS met en garde contre ce qu’il appelle : « ces masses incohérentes d’Indigènes pouilleux, l’écume à la bouche prostituant l’Internationale » (p.39). Socialistes et communistes en viennent aux mains. L’auteur montre que les grèves de 1936 furent aussi fortes à Constantine ou autres villes de l’Est qu’ailleurs. « Mais la CGT refuse de les coordonner et les abandonne à la répression en 1939 ».

    Le trouble règne dans la gauche  métropolitaine. Personne n’a prévu que les départements de l’Algérie pouvaient être concernés par des revendications propres aux travailleurs musulmans. La SFIO et le PCF locaux appellent à la répression après Sétif. Durant l’été 1936, Messali Hadj à la tête de l’étoile Nord Africaine, un parti d’émigrés réclame « l’indépendance ». Six mois plus tard, Blum la dissout, bien que ce parti soit membre du Front populaire et il lui applique la loi contre les ligues factieuses. Les positions sont compliquées par la succession de 4 régimes politiques antagonistes en 5 ans : « Vichy », Darlan, Giraud et les Américains ;de Gaulle et la 4e République. Les Arabes sont déçus après 100 ans de promesses non tenues et se retrouvent seuls en face de leur destin alors que leurs colonisateurs  sont plus puissants qu’ils ne l’étaient en 1935, consolidés à la fois par le Pétainisme structurellement conservé et le renforcement de la position internationale de la France. La voie est libre pour l’isolement de la colonie de sa métropole et pour la désinformation  systématique, particulièrement de la part de fonctionnaires devenus des proconsuls (comme Achiari, ex- jeune socialiste, à Constantine) qui invitent la police à des actions illégales. En mars 1956, Maurice Papon sera nommé super-préfet de Constantine par le gouvernement de Guy Mollet. On comprend qu’il se soit enthousiasmé « pour sa nouvelle tâche » et que la population de la capitale de l’Est l’ait accueilli en  « sauveur » ([19]).

    Une fascisation latente ou ouverte persévère dans ces circonstances. Les références historiques scolaires de la Grande révolution s’inversent. Le lieu de la suspension des procédures judiciaires légales s’appellera le « Tribunal de salut public » (p.203) ; l’histoire de la gauche devient la caution de la justice. L’ « organisation de la terreur » devient une valeur républicaine; l’assimilation des milices civiques fait appel aux « fédérés ». Une guerre impitoyable est alors renforcée contre ceux qu’on appelle les Indigènes devenus « ennemis de la République », « Vendéens ». Avec les mêmes méthodes : isoler une région, l’affamer, créer une psychose, susciter des informateurs, user des  délations entre voisins. Mécanismes de masse, de pouvoir  au service de domination de race et de religion, les conditions du basculement  vers un extrémisme récent  témoignent de la fragilité de frontières morales. On le saisit aussi bien sur une autre scène quand les Français Résistants sortant de la clandestinité ou des camps allemands oublièrent leurs engagements antérieurs. Un Résistant au pouvoir n’est plus le même résistant  du fait de la responsabilité du pouvoir. On n’écoute plus alors les camarades restés, eux, en dehors du pouvoir, comme G. Tillion ([20]) qui ont dénoncé la faillite des autorités face aux massacres  par des coloniaux. A Madagascar, au même moment des répressions brutales identiques firent plus de 80 000 morts et se produisirent justement au Nord-Ouest, région aux colons pareillement pétainistes. Les postures varient, soumises aux conditions nouvelles des rapports de force, et les résistants ou la gauche au pouvoir à Paris ne comprend pas qu’il n’y a pas des « justes » ou des « bons » par principe. On peut être le même et alternativement occuper un bon ou  mauvais côté. Robespierre avant de mourir, emporté par la Terreur qu’il a animée, voyait juste quant au sujet  des colonies quand  il y défendait ardemment l’abolition de l’esclavage.

    Le concept de situation est bien plus explicatif,  que celui de nature d’ethos, de « caractère ». De même les interactions locales (relations entre masses et groupes, effets de temps et d’espace) sont plus opératoires que les définitions historiques substantielles ou les concepts trop teintés d’idéologies. Toutefois, les embranchements une fois empruntés deviennent irréversibles. En 1945, l’Algérie s’engage dans la guerre. Les violences qui s’enchaînent sont irréparables pour  l’honneur des républicains. Paul Veyne décrit son étonnement dans un entretien bilan  de sa carrière : « Je ne me suis pas dépolitisé car il y eu quelques années plus tard la guerre d’Algérie ; un choc car je fus médusé par les rapports entre colons et indigènes .On m’avait envoyé en Algérie pour des raisons archéologiques .Et je n’ai vu que les rapports humains. Cela m’a paru invraisemblable ! La façon dont se comportaient les colons avec les indigènes était pour moi insupportable, révoltant, intolérable... Mais il a y eu après, les révélations sur la torture et ce fut pire encore ! Chaque matin je me réveillais  avec une idée dans le crâne : « Nous sommes en train de faire en Algérie ce que les nazis ont fait en Europe ([21])  ».

     

     Les événements de mai 58 et la fin de la quatrième république

     

    Episode  insensiblement oublié, le 13 mai 58,  événement édulcoré dans les mémoires. Est-il un simple accident ou une révolution ? Après coup on évoque le 2 décembre 1851, un éventuel  « Bonapartisme gaulliste », ou une sédition à la Franco qui se préparait en coulisses. L’émeute algéroise  fit tomber la Quatrième  bien qu’une  certaine continuité républicaine fut sauvegardée puisque les processus légaux ont été respectés par Coty et De Gaulle se soumettant au Parlement mais exigeant les pouvoirs spéciaux ; ce qui fit hurler de vieux républicains. Cette interprétation  légaliste des historiens à l’époque, manifeste là une certaine incompréhension .Y compris chez  Agulhon qui minimise quelque peu l’émotion qui a saisi les travailleurs ([22]).

    Rappelons que le 13 mai a été une émeute de rue à Alger avec occupation des lieux de pouvoir (forum, délégation générale, préfectures), puis une reprise en main  organisée par des franges dures des colons et les généraux sous l’égide de Salan. Devant les  refus d’obtempérer à des demandes de démissions politiques, et d’installation d’un  pouvoir militaire à Paris, des troupes débarquent en Corse, puis menacent les villes du sud-ouest  d’occupations des casernes et des aéroports. Légionnaires, régiments de parachutistes se disposent à envahir la France si la République ne laisse pas la place à  un régime autoritaire, favorable à leurs thèses.  

    Ceux qui ont vécu ces moments, se souviennent de l’atmosphère des rues, tendue, grave ; les étudiants à l’UNEF étaient abasourdis ; la population s’attendait à un affrontement  et les plus  belliqueux ressortirent des armes cachées à la Libération. Par rapport aux adultes, la situation cruciale des jeunes impliquait le risque d’être  immédiatement  envoyés en Algérie, encadrés par des éléments fascisants.  Un  avenir des plus sombres. C’est dans ces moments que l’on réalise que les historiographies ne s’identifient pas à ce que vivent les acteurs.  La crise de 1958 a été l’occasion pour une génération, toujours en vie, d’observer et de vivre la grande Histoire : l’inertie des institutions, le vide du  pouvoir, la  lutte de mille fractions qui pouvaient être militaires ou civiles, les conflits entre bourgeoisies  ou celles,   pacifiques et laïques, de partisans ou adversaires de l’« Empire français ». La réaction populaire  fut partiellement lucide, ou, à tout le moins, non angélique ; elle   avait jugé en conscience le vide républicain et les infirmités d’un régime apeuré. Mais les dégâts seront  catastrophiques et persistants. Puisque,  quiconque peut devenir un jeune nazi si on lui donne armes,  pouvoir de vie et de mort sur autrui et une légitimité idéologique, sans compter la liberté  de quelques pillages des mechtas, de viols ; toutes les transformations humaines sont psychologiquement réalisables. Ceci ne fait pas du 13 mai 58 un incident malheureux de parcours de la 4ème République mais  le constat de la faiblesse d’un  régime s’il est représenté par des chefs  sans courage physique, au  manque de vision par absence de qualités intellectuelles requises. Depuis Suez, la quatrième république s’était inscrite dans une série  d’aveuglements, d’absence de lucidité  de la part de  professeurs, avocats, fonctionnaires face à des rebellions indigènes et à l’incapacité  à  dépasser leur ignorance. A ce moment-là, aucun cadre de haut niveau politique ne parlait l’arabe (sauf quelques-uns, tel Soustelle), n’était réellement entouré de bons informateurs sur la société coloniale contrairement aux élites anglaises en Inde. On ne peut aujourd’hui qu’être frappé de l’inaptitude du haut personnel, que ce soit au cours du printemps 40, ou en mai 58. Leur abdication  conduit à questionner la formation de dirigeants  aux commandes, apeurés devant une  fraction militaire qui, rajeunie, a pris goût à la désobéissance.  Comme si les républiques existaient dans les parenthèses que les  généraux leur accordent.

    Cette réflexion,  les étudiants et les jeunes travailleurs des années 1950 ne l’avaient pas entreprise clairement car, à l’époque, l’historiographie  manifestait une discrétion au sujet du plus important des faits contemporains :le colonialisme et insistait plutôt sur la Libération et la Résistance en métropole. En faculté, l’enseignement de l’histoire coloniale  se révélait affligeant ; le manque d’informations  sur l’Islam ou l’Afrique paralysait l’Université préoccupée  après la guerre à refonder ses disciplines, et à occuper un nouvel espace. La gauche qui se disait libératrice pouvait-elle garder les colonies sans violence ? Qui définit la violence sinon les juges et les gendarmeries ?  Qui contrôle les appareils de contrainte ? Toutes les questions étaient sans réponse dans l’euphorie de l’après guerre[23].

    C’est ce que découvrait au même moment Paul Veyne, par ses propres  expériences  « Il y avait donc pas deux versions de  l’histoire, la gauche et la droite- mais également celle des colonisés ... ce qui dans cette expérience algérienne m’avait frappé , c’est bien l’ignorance dans laquelle se trouvait la métropole des problèmes qui se posaient  dans ce pays , le miroir déformé que les Européens, les Arabes, les métropolitains avaient, chacun de  la situation » (art. cit.  p. 94 »).

    Les appelés, en permission, racontaient l’innommable : les exécutions et les morts d’enfants, de femmes, de vieillards (et les tortures qui leur étaient infligés), les destructions systématiques de mechtas, de troupeaux, des biens, les vols de bijoux et bien sûr les viols lors des razzias. Quelques-uns  d’entre eux sombrèrent dans l’alcoolisme, d’autres dans la folie ou le suicide. Dérive incompréhensible du régime : on n’impute pas ce « travail » ou cette expérience  de  violence à une jeune génération, de plus sans raison et sans justification, sinon l’éternel et inusable argument de terrorisme : nos proches ou nos voisins, Résistants, avaient été ainsi qualifiés par les Allemands.  Les dégâts psychologiques et humains  furent masqués, silencieux car le plus souvent refoulés ([24]). Mais les  soldats  du rang s’expriment aujourd’hui, expliquent les comportements induits, les  réflexes ordinaires de collectifs isolés  cherchant  l’évitement des conflits avec leur hiérarchie ou avec certains de leurs camarades tortionnaires. Le pire (ainsi que pour les soldats du troisième Reich) consista pour quelques-uns  à suspendre les codes et  les valeurs  contredisant trop ouvertement leurs actes et à faire cohabiter les divers « moi ». Ces déchirements visibles dans les carnets intimes, les correspondances, des « confessions » quelquefois envoyées à la presse , suggèrent que  le contingent fut en guerre  contre lui- même : quelle loyauté servir ? Se taire ou  avertir la métropole ? Que conseiller aux camarades non encore mobilisés: la désertion, l’insoumission, la complicité ou bien l’évitement par le témoin impuissant?  La  déchirure  fut profonde   d’autant que seuls quelques engagés volontaires, les membres des commandos ou des parachutistes, assumaient  l’utopie de la fraternisation  et de l’intégration mais la aveint la force des armes pour eux. Les plus politisés des jeunes Français furent désemparés devant les hésitations de la gauche,  sa compromission  locale ou nationale. En 1954, en Algérie, on assista à une situation  qui n’est pas rare – dans le cadre de l’héritage culturel et  militant- où des jeunes optèrent pour la rupture complète avec leur famille politique et avec leurs « pères » spirituels. Cela est  significatif. Nous avons appris après coup, stupéfaits qu même le Général de Gaulle au pouvoir après mai 58, fut censuré par l’armée qui détenait les  moyens de transmission aux médias et donc  faisait localement l’opinion  Le nazisme, pour un exemple inverse, fut un mouvement qu’ont rallié et animé les jeunes (ils en ont payé le prix fort en terme de vies) ; en revanche ce mouvement, le nazisme, a été initié, dominé  par des quadragénaires pour renverser et prendre la place des   septuagénaires.  

    En Algérie, les situations étaient brouillées,  différentes  selon le sentiment de chacun ; elles dépendaient de circonstances singulières ;  l’effort de réflexivité, sur place, impliquait des risques certains. Cependant dominait toujours l’impression de l’incohérence individuelle, de changements rapides d’attitude au vu des situations immédiates. Regardons, dans son  autobiographie , les allers-retours de Gilles Perrault de  famille de droite catholique stricte qui  devient communiste et s’engage alors comme para dans un régiment « dur », aux méthodes répressives radicales ; quand il revient il reprend sa carte au PCF. Que de sinuosités et de hasards dans ces cheminements ! Sans aller à ces extrémités, chacun des protagonistes a été   porté à des  appréciations extrêmes, influencées par des situations  et des visions au hasard. Un jour passé aux  atrocités assumées, un autre jour  démoralisé par l’inéluctable violence gratuite ; un jour on s’insurge et se révolte, un jour on ferme  les yeux. Il n’y a pas d’unité personnelle quand la situation est si chaotique et changeante. Les réactions à chaud sont imprévisibles, non maîtrisables.  Le difficile problème de l’historien réside dans la recherche d’une logique improbable dans la transcription ainsi que dans l’interprétation de cette narration  aux ressources volatiles. 

     L’invocation à tort et à travers de la Démocratie ou de la liberté en République occulte l’arbitraire,  participe d’une politique de l’amalgame. Il y a de multiples variantes à l’organisation interne d’une république,  éparpillées dans ses pratiques concrètes. Une démocratie peut être autoritaire, anarchiste, ou laxiste, ouvertement ou subtilement, ici ou là, violente pour les uns, paisible pour d’autres, parfois démocrate, parfois fascisante. Dans les départements français  d’Algérie les deux formes coexistaient. Aucune définition n’est  claire, ni acquise  puisqu’elle est un rapport de force à l’intérieur de chaque segment de la société 

     

    La lucidité  démocratique est par conséquent un combat jamais gagné  Ce qu’elle fut au cours de la guerre d’Algérie  (suspension des procédures ordinaires, ordonnances d’urgence,  referendums, pouvoirs spéciaux, discours  gouvernementaux censurés) comparée à ce qu’elle est devenue après 1968,  jusqu’aux années 1995 : un césarisme doux, parfois  un Etat mi- anarchique irréformable. La Vème que nous vivons,  cultive sa vieillesse, à  près de 70 ans, âge canonique d constitutionnel),  a été bouleversée au point que son fondateur le général de Gaulle ne la reconnaîtrait  probablement pas

     

    [1]   Claude Quétel L’impardonnable défaite 1918-1940, éditions JC Lattès 2010 Livre indispensable à celui qui veut saisir l’analyse par le temps court et l’événementiel d’interactions des chefs et des institutions

    [2] M Agulhon Histoire et politique à gauche  Perrin 2005

    !

    [3] Nous y avons été sensibilisés en tant qu’étudiants : Bloch fut un des historiens Résistants (Vernant était alors philosophe, M.Ferro, et A.Kriegel étudiants )  un universitaire qui s’était engagé. La profession historienne, souvent prudente, sinon timorée,  a  pourtant accompagné  les résistants ethnologues, philosophes, scientifiques, médecins...  

     ([4]).Une contre-histoire de la IIIè république. Cette tentative de synthèse  équivaut au  livre cité supra le « 2 décembre, un coup d’Etat »,  correspond à un moment  de   mise en cause  des mythes républicains  de

    Ces  livres sont  iconoclastes  encore que les contributeurs du second  se montrent  radicaux traitant notamment de la « mission civilisatrice de la république coloniale : d’une légende,  l’autre ». L’introduction des trois éditeurs « L’historiographie de la IIIème Republique, ni histoire, ni République ? » amorce un tournant dans la prise en compte de  « l’armée,  une institution républicaine ? »  

    [5] L’étrange défaite p.203

    [6] Ibid p 195

    [7] Ibid p 62

    [8] Ibid p 116

    [9] Ibid p 186

    [10] Lire p 156 et suivantes

    [11] Jean-Louis Planche, Sétif 1945 : Chronique d’un massacre annoncé, Paris, Perrin,.  L’auteur consacre une cinquantaine de pages à l’avant 1945.

    [12] Ainsi que ce fut le cas en 1937 où Blum essaya  d’imposer un statut d’autonomie  avantageux pour les indigènes « évolués » Echec complet de projet dit « Violette » 

    [13] Tocqueville : Sur l’Algérie, Flammarion 2003.

    [14] P 28

    [15] Jean –Joël Brangeon a  donné  un exemple de l’action des troupes françaises en Espagne de 1808 à 1812 : impuissants contre la guérilla les soldats français se vengent sur les civils faute de vaincre les guérilleros.

    [16] Tocqueville  

    [17] Ibid

    [18] Marc Ferro : Autobiographie intellectuelle,  Perrin   

     

    [19]  Toujours en première ligne dans ce genre d’activisme, sa carrière après Vichy et la préfecture de Bordeaux  en témoigne. En effet il est en 1949 préfet de Constantine ; Au Maroc, nommé pour réprimer les troubles lors de la déposition du sultan en 1954-56. Il est en Algérie, de retour à Constantine de 1956 à 58; puis préfet de police de Paris et responsable de la mort de jeunes manifestants français au métro Charonne, le « jeudi noir » du 8 février 1962, après le lynchage et les noyades dans la Seine des ouvriers musulmans, ou encore mêlé en 1965 à l’enlèvement de l’opposant marocain Ben Barka avant d’être nommé ministre de Giscard. Toujours présent au « bon » moment, dans tous les coups « durs » de la République.

    [20] Elle a réuni ses réflexions de l’époque dans un bilan : Combats de guerre et de paix, Seuil 

    [21] Référence!  Revue Lire  déc. 2005, p 94

    [22] Maurice Agulhon Histoire et politique à gauche, Paris,  Perrin 2005.

     

    [23] Lire De Gaulle et l’Algérie 1943-1969 ; Maurice Vaïsse éditeur  A Colin/ Min Défense  2012 « De la parole confisquée »

    [24] Cette partie de l’histoire maintenant connue,  s’exprime spécialement dans l’essai collectif :    « Oublier nos crimes ; l’amnésie nationale : une spécificité française ? (Publié par les éditions Autrement en 1994). De jeunes historiens depuis une vingtaine d’années ont pris à bras le corps, cette remise à jour : Florence Beaugé :Algérie une guerre sans gloire,  Calmann-Lévy, 2005 ; Raphaëlle Branche, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée ? Paris, Le Seuil 2005,Claire Mauss- Copeaux, Appelés en Algérie : la parole confisquée Hachette 1998 ; Sylvie Thénault Histoire de la guerre d‘indépendance algérienne Flammarion 2005 et de la même : « Une drôle de justice, : les magistrats dans la guerre d’Algérie, La découverte 2001 ; Jean-Charles Jauffret  Soldats en Algérie 1954-62 (sld) expériences contrastées des hommes du contingent  2000, Paris, Editions Autrement.

     

     


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  • Partie 5


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