• Marx par lui-même

     

    Ne  pas être marxiste signifie aujourd’hui appliquer quelques principes de recherche de Marx lui-même, sans tabou, sans révérence excessive. Le procédé initial qu’il nous a légué est le refus des dogmes, le confort de la pensée qui ronronne. On peut négliger l’entrée traditionnelle, dévote, philosophique et académique, trop impressionnante et respectueuse de son œuvre, mais prendre de préférence la porte de côté, l’historien polémiste. Nous allons mettre sa propre existence à l’épreuve. Dans les éléments biographiques décisifs, exprimés dans sa correspondance ou dans ses conversations avec Engels, il examinait prioritairement la morale politique pratiquée dans la vie quotidienne. Cela allait de la façon d’user du pouvoir d’influencer les militants jusqu’à refuser le genre de vie des bourgeois. Ses opinions, hélas ou heureusement   varient selon les parties sa vie. jusqu ‘en 1849 (33 ans), il anime les révolutions en Belgique, Allemagne (menacé de prison, il  s’enfuit, sa femme est arrêtée), puis l’expulsion de France, l’exil à Londres où l’action révolutionnaire lui manque ; il trouve les exilés oisifs particulièrement  bavards; il « vit » à la Bibliothèque, travaille jour et nuit. A partir de la cinquantaine (1865) il se consacre à ses publications, à l’Association Internationale des travailleurs. Ces dix dernières années (1865 -75) sont agitées : publication du Capital, organisation des actions de l’Internationale. Il s’arrête de travailler à 60 ans, voyage et en 1883 s’éteint doucement  

     

      I  Vie privée.

     

    Homme à la volonté prodigieuse et à la force de travail immense,  il avait révélé les contradictions du capitalisme mais  était lui-même pétri de contradictions. Son comportement avec la gouvernante allemande qui avait rejoint sa famille et dont il eut un enfant, est à la limite de la moralité  bourgeoise (enfant dont il fit supporter la paternité à Engels et qui fut placé dans une famille ouvrière de Londres ; il devint ouvrier, militant socialiste, sans jamais savoir qu’il était le fils de Marx). Mais on imagine les sentiments de la bonne ! Un siècle auparavant Rousseau le pédagogue et chantre de l’éducation enfantine  a fait pire : 5 enfants abandonnés.

    A côté de cet épisode, la vie domestique de Marx  témoigne d' attitudes de père tendre  et attaché à 3 filles pas faciles, heureux au sein des familles nombreuses qu’il affectionne ; la communauté qu’il forme avec les siens, la complicité (notamment avec le premier garçon mort à 10 ans, Edgar, « le colonel Munch » disaient ses sœurs affectueusement, de  ce garçon « surdoué ») ont  surpris tous les visiteurs. Toutefois il ne renonce pas aux prérogatives patriarcales. Ayant élevé ses filles dans une grande liberté intellectuelle (deux se suicideront pour des raisons sentimentales ou politiques), il exerce une surveillance rigide quant à leurs choix matrimoniaux, à rendre envieux de l’autorité paternelle, un Islamiste radical aujourd’hui. Quand on pense à Marx, il est impossible de ne pas évoquer sa femme. Cette fille de la noblesse de Prusse, baronne de Von Westphalen (son père fut ministre) se consacra corps et âme à son mari, à son combat, à son œuvre (elle passait ses rares loisirs à recopier les manuscrits ; elle seule et Engels pouvaient déchiffrer sa petite écriture ) ; elle donnait son avis car elle en avait un. Elle s’occupait du ménage et de l’entretien de 6 ou 7 personnes, soutenait sans cesse le moral du « Maure » déprimé et souvent malade. Ce diminutif affectueux était donné, rappelons–le à Karl, par ses filles et son épouse, en raison de son type arabe accentué. Les Juifs  Bataves( du côté de sa mère) avaient été des descendants des expulsés d’Andalousie où ils s’étaient mélangés aux Arabes  avant la reconquête d Isabelle la Catholique, un des premiers effets de la mondialisation à la Renaissance. Sans Jenny, pas de Marx, aspect souvent oublié ! Elle s’est dévouée à la cause prolétarienne.  Ce n’est pas la première fois que la bourgeoisie donnait une de ses filles au combat des prolétaires (ironie et contradiction de l’Histoire) mais ici le devoir révolutionnaire en fit une héroïne admirable[1]. En réalité la vie des Marx se divise en deux époques ; la première de 1849 à Londres jusqu’en 1870, c’est le dénuement total. Après cette date, jusqu’à sa mort en 1883,  la pression financière s’adoucit : paiements d’articles parus en Amérique, legs et dons dont celui à qui est dédié le capital. Un ouvrier qui a réussi et qui donne  un héritage important de 800 livres met les Marx à l’abri. Ils vont vivre alors comme des petits bourgeois, allant aux eaux, à Ramsgate, l’été, élevant leurs filles selon les habitudes de la bonne société (bals, musique, écoles)

     

    II  Il se place délibérément hors de tout pouvoir,

     

     Il s’exclut de toute institution officielle, de toute influence de notable ou de chef charismatique. Ceci nous surprend aujourd’hui où tout le monde veut faire carrière dans la contestation ou le radicalisme. Le preuve est qu’il a du mal à publier.  Comment  trouver un éditeur (allemand ; anglais c’est exclu, ce fut Messner de Hambourg, on le sait), quand on s’appelle Marx et qu’on a un manuscrit comme Le Capital dans son tiroir ? Comment trouver des lecteurs après pour éviter que la seconde édition, en 1875, soit à compte d’auteur ? La solution est cocasse : écrire soi-même les recensions sous un pseudonyme, puisque personne ne « voit » le livre, et les faire soit à louanges dans la presse syndicale (tache d’Engels) ou hostile, voire d’éreintement, dans les journaux de droite (charge plutôt de Marx).

     

     

     III livres. Les trois biographies  les plus éclairantes selon nous,  sont celles de  Frantz Mehring Karl Marx ,Histoire de sa vie, éd. sociales 1983 ;  Fritz  Raddatz, Karl Marx une biographie politique, Fayard, 1978 ;  Francis Wheen, Karl Marx Camann-Lévy, 1999. Paradoxalement ces trois auteurs sont, parmi les meilleurs exégètes, des non- philosophes académiques mais des journalistes, des militants indépendants.  

     

     Que lire si on est pressé ? Eviter la philosophie et la théorie. On peut ne pas lire le Capital  en entier mais préférer certains chapitres d’économie., K Marx est un grand intellectuel du 19ème, le meilleur des économistes et un historien génial.. On ajoutera un tacticien contestable (cela dépend des objectifs visés) et un mauvais pronostiqueur ainsi qu’un sociologue médiocre : mais, ici et là, qui ne l’est pas ? On doit surtout lire ses petits ouvrages percutants de chronique politique et d’histoire de la France. Bon connaisseur de notre pays, il a été inspiré par ses  événements et les actions de 1789 à 1871.  



    [1] Elle est passée sur la confusion de son mari qui eut un enfant avec la bonne Helen Demuth en 1851, Freddy, qui ne fut donc pas reconnu (sauf par complaisance par Engels) . Ceci est la face cachée, noire du caractère de Marx : dans la vie concrète parfois sécheresse de cœur, cynique comme il le reconnaît lui même après avoir été insultant à la mémoire de la compagne décédée du « Général » surnom donné à Engels, l’ouvrière irlandaise avec laquelle il vivait

     

     


    votre commentaire
  • Mondialisation des finances

     

    La mobilisation bancaire qui nous irrigue vient de loin. Elle a ses racines dans la deuxième guerre mondiale. Plusieurs livres contemporains suggèrent que l’ordre nazi  l’ initiée en partie (Fabrizio Calvi, Marc J. Masurovsky ; Le festin du Reich Le pillage de la France occupée 1940-1945, Fayard, 2006, dont l’idée centrale est ainsi évoquée en couverture : « Dans quelle mesure l’économie mondiale d’aujourd’hui découle-t-elle de la nouvelle donne économique nazie des  années 1940 ? » ..En 1945 l’épuration économique de la société française achoppe sur la question des élites, empêchant l’étude détaillée des mécanismes de pillage de la France occupée.

    Un autre livre le confirme : Wolfram Wet, Les crimes de la Wehrmacht,2008 .Voir aussi Gotz Aly,Comment Hitler a acheté les Allemands,Flammarion 2005)

    On se rend compte de la part prise par des officiers, des hauts fonctionnaires intendants des armées, le département économique à l’étranger et les  services nazis dans la gestion financière de la guerre de Hitler. ils  eurent à traiter   une vingtaine de pays occupés ( en Europe ou en Afrique). Ils pillèrent pour la première fois à cette dimension et il fallut des organisations bancaires complexes situées dans le monde entier pour faire transiter, abriter, cacher cet afflux de ressources. Des contacts qui durèrent, des habitudes du trafic de devises, de matériaux précieux de produits financiers (on ne parle pas du vol d’art ni de biens industriels) mais de trafics bancaires qui ont été remplacé peu après la guerre par des trafics d’armes , de drogue  furent pris. Habitudes des activités légales pour cacher des produits illégaux. Une part de ce butin (des SS des officiers ou des fonctionnaires nazis) fut « blanchie » en Europe au Canada et aux USA,déposées sur des comptes secrets  et récupérée après la guerre par leurs « bénéficiaires ».L’attitude de Roosevelt et de ses conseillers pro allemands comme Murphy, plutôt  hostile à de Gaulle (soutien à Giraud pour évincer de Gaulle) fut ambiguë. Elle se maintient avec Truman. Prévision d’un Franc américain pour modifier la monnaie en France à la Libération. La méfiance de De Gaulle envers le capitalisme américain vint peut-être de là .Toutes ces réflexions s’alimentent à de nouveaux courants de la recherche, qui éclairent les problèmes bancaires et les crises financières actuelles. Bien connaître l’histoire est toujours utile au commentateur de la mondialisation qui  la croit la présente, unique et brutale.

     

     Autres lectures pour comprendre la situation présente : Lectures Utiles


    votre commentaire
  •  « Les marchés , ces bienfaiteurs »

     

    C. Lagarde annonça en décembre, qu’il y avait de quoi payer les fonctionnaires dans les caisses de l’Etat, en cette fin d’année . Les trois interlocuteurs, qui nous accompagneront régulièrement, s’en réjouissent.

    Legrincheux « Camarades : pension payée, retraite assurée, maladie remboursée ; je suis soulagé »

    Lhésitant « En effet, c’est une conjoncture heureuse ! Les rois mages sont passés. L’Asiate, le Saoudien, l’Américain. Qu’ils soient remerciés ! Les marchés mondiaux sont vraiment des bienfaiteurs citoyens : remercions-les !

    Lindifférent « N’oubliez pas le  banquier français qui verse sa manne et couvre une part de notre déficit. Chers frères, saluons le marché qui chaque lundi, jeudi, vendredi que Dieu fait, souscrivent nos Bons du Trésor et apportent du ciel les milliards hebdomadaires qui assurent notre salut, véritable cadeau du ciel. »

    Lhésitant « Et en plus, ils viennent de nous mettre en tête de classe avec un triple A plus : que du bonheur ! »

    Legrincheux :« Camarades, ne vous réjouissez pas trop. Bienfait rime avec méfait demain. Vous souciez-vous d’où viennent cet or, cet argent, cette myrrhe et cet encens qui vous enivrent ? Ces cadeaux vous lient les mains.

    Lhésitant : Legrincheux est un rabat-joie ; les rois mages nous pourvoient régulièrement de leurs trésors depuis de nombreuses années, qu’importent l’origine ou la source !

    Lindifferent : Legrincheux est un pisse-vinaigre. Reconnaissons que cette manne hebdomadaire est le dû à notre effort de paix, la récompense au progrès mondial que nous fournissons; un soutien moral pour notre contribution exceptionnelle à la civilisation ; ce n’est là qu’une marque de respect à l’égard de notre responsabilité de grande puissance guerrière, de notre combat pour  droits de l’homme et toutes les générosités que nous, Occidentaux, avons répandues pendant deux siècles»

     

    Lhésitant :Il est vrai, citoyens, que si les rois mages ne revenaient pas chaque semaine, 20% des salaires de  nos fonctionnaires ne seraient plus payés, 30% de nos retraites seraient introuvables, 15% des frais supplémentaires de maladie seraient non remboursables par la Sécu et d’autres parties de ressources (locales, municipales notamment) deviendraient insolvables[1]. Alors remercions Christine Lagarde, cette messagère ailée, de nous annoncer la divine nouvelle : les marchés nous font toujours confiance »



    [1] Le témoin-auditeur de ces conversations  que nous sommes, présume que ces proportions représentent le déficit annuel de chacun de ces budgets , depuis 20 ans 


    votre commentaire
  • Pourquoi publier un blog sans nombrilisme, sans narcissisme ( sous-entendu : « j’ai raison, j’affirme, je proclame. J’étale mon moi ») ? On propose plutôt une lecture ouverte, appelant des études supplémentaires, adaptées au moment crucial que nous vivons. Et justement, depuis une petite dizaine d’années, des livres vraiment innovateurs, en histoire, en anthropologie, sur l’histoire du nazisme, affluent.. Ces  livres, pour le cas où, par analogie ou par extrapolation, ils expliqueraient quelque chose de l’époque actuelle, seront signalés. Ils tournent autour de l’idée à renouveler de Révolutions, de rivalités et de domination de civilisations ! Démocratie et Violence, Colonisation et délocalisations, Mondialisations récentes, Rapports Chine-Europe, voici des thèmes à retourner. En effet il apparaît des relations entre ces phénomènes historiques que ce blog de réflexion rapide (et non de discussion académique)  veut faire analyser collectivement. Débattre sereinement à l’abri de l’avalanche d’ouvrages d’économistes répétitifs et fatigués de leurs propres prophéties. On veut simplifier des résultats des auteurs aussi bien pour les lecteurs pressés que pour les spécialistes désireux de sortir de leur isolement; l'essentiel est de situer la frontière. Nous chercherons des faits nouveaux, fournis par des professionnels sans être esclave d’internet. Inventer un blog de communication réellement scientifique et à la portée de chacun, (qui ne serait pas un biais pour imposer nos émois futiles), c’est faisable.


    votre commentaire