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     Ce texte de l’ermite est à situer dans le blog dans l’éloge de Jack Goody grand connaisseur des autres cultures orientales ( Cf la rubrique   Objectifs et Projets avec l’analyse de son dernier ouvrage ( Comment nous avons « volé » l’histoire des autres continents )Et à rapprocher des études fines de la Chine qui existèrent en Occident nonobstant les difficultés  et que nous avons rassemblées sous le titre de « La chine et nous » dans la rubrique Accueil

     Deux aspects intéressants  nous ont retenu :

    A )   comment contrôler le capital  privé  s’exportant à l’extérieur , les businessmen chinois qui achètent à tout va en Occident ( ports, aéroports , grosses boites etc .)

     B)  Comment assurer le renouvellement des cadres politiques, des très hauts fonctionnaires et des dirigeants .  Problème ardu devant  lequel les bolcheviks russes ont échoué ; recrutement  en masse d’opportunistes après la victoire en 1917 ; pour lequel tous les régimes capitalistes  traditionnels qui  se heurtent à l’inégalité sociale à cacher  n’ont pas réussi  à tourner :  le non renouvellement  social au sommet, la reproduction à l’identique des mêmes castes ( les héritiers , les « fils de », etc)

     Le contrôle du capitalisme est plus aisé si on détient en partie « le marché financier » et  si la lutte contre la corruption interne est « sérieuse » ( mort physique ou morale des fonctionnaires « achetés ») La solution chinoise qui marche pour le moment est ingénieuse. Laisser les Bourses locales et nationales – passion du jeu, il y a des boursicoteurs en Chine – mais en être le principal actionnaire, avoir le dernier mot des transactions   grâce au contrôle des changes par la Centrale et vérifier les comptes individuels.  Les spéculateurs sont alors vite repérés. Quand les banques en Occident ont excessivement spéculé (subprimes),   elles font faillite et l’Etat les renfloue sans contrôle postérieur 

    Ça ne peut pas se produire en  Chine où l’Etat et les  « régions », entités politiques sont les actionnaires majoritaires et  où les excès sont vite réprimés ;  donc pas de catastrophes payées par les peuples  comme en France en 2008 . Les politiciens chinois surveillent, octroient les crédits,  les taux de prêts   ou de profit  du privé . Solution inédite créée par la connaissance chinoise des erreurs de l’URSS (tout au service « public ») et  celles de l’anarchie au bénéfice du privé en  Occident. Mais alors qui sont ces « contrôleurs » chinois, comment recruter des fonctionnaires qui ne seront pas les mandarins d’hier, se servant en premier et  rapidement corrompus ? Tout est dans la sélection   minutieuse des cadres intermédiaires aptes à « monter » et  à la surveillance   politique par le sommet. Mais cela ne fait que reporter le problème sur une catégorie de la population. Et làn on sait peu de choses. Osons une interprétation :  une sélection par les capacités intellectuelles en sciences exactes et en mathématiques !!

     La formation des élites, aptes à devenir des agents politiques

     C’est le phénomène  plus curieux, le plus étrange pour nous ,obnubilés par la voie sacrée : écoles catholiques, lycées privés ,puis sciences Po (grande école privée)  enfin ENA ou inspection finances etc.. Je note que c’est la voie de formation intellectuelle exclusive de tous les présidents de  notre République depuis  Giscard. Tous sans exception ; or en Chine la voie royale c’est la science et la pratique de la gestion collective en économie nationalisée .Être un savant,  ingénieur au minimum,  et avoir dirigé des entreprises( plutôt régionales modestes) : tous ont suivi ce chemin de formation scientifique, puis ensuite  pratique de terrain  en devenant un dirigeant local d’entreprise publique, un gestionnaire  d’Etat  qui a réussi  (= sans grève , avec des innovations productives techniques etc..) D’abord il y faut de grosses compétences  industrielles,  un  esprit  nationaliste rationnel, une très solide éducation technique et un grand sens diplomatique avec les syndicats !!    Bref une rationalité  économique au  sens de raisonnement  scientifique poussé ; pour le moment  ça marche !  Les seules élites politiques montées   depuis 1988 ont eu  un passé  de  scientifiques  et de fins observateurs matérialistes. Cela   semble enraciné dans la culture chinoise de l’amour des Sciences. Les enfants ont des capacités supérieures en maths-physique (réussite aux test internationaux les plus exigeants) aimant l’astronomie, la géographie bref les sciences qui réclamant une logique de raisonnement à l’épreuve des réalités. On voit qu’on est loin des littéraires  vaseux que nous, on promeut avec l’amour du « discours »,  de la rhétorique de  culture  générale  de salon,  d’où l’ absence de   rationalité dans la réussite de  l’univers scolaire par de-là un manque de sciences matérielles confrontées  au goût de l’abstraction   et une plus faible concentration  intellectuelle

     

     La revanche Gymnastique de l’esprit et du corps

      Au sein de ce contre-pied de l’Histoire  ( que notre Antiquité avait   pourtant soutenu : les techniciens  et les philosophes, tous  savants    comme Aristote) on ne doit pas  sous-estimer  le fort désir de revanche . Avoir été le centre du monde civilisé au cours de mille ans puis ensuite avoir été humiliés et colonisés pendant un demi- siècle soutient l’effort des enfants chinois, intensément scolarisés dès l’âge de 4 ans  et plus tard  imbattables dans les sciences  exactes ou en maths  pures :  les meilleurs maintenant dans tous les concours internationaux ( avec Japon et Corée).  Pour les Chinois depuis des siècles, la naissance de sciences en chine, ça ne s’oublie pas ! Ils ont le double de jours de classe ( 290 jours/an)  avec des élèves très motivés par rapport à notre défaitisme de l’effort scolaire qui détourne des apprentissages intensifs ;. Nos  enfants , nos « élèves », en France, derniers de la classe dans les tests en Occident seront « mangés » . En Chine le désir de revanche et l’envie patriotique de revenir  à la première place jouent encore  (fierté nationale, ciment extraordinaire)  mais demain ?   Les Chinois comptent sur autre aspect culturel : les enseignements de trois religions, de la modération des envies et des convoitises et de la recherche non agressive de solutions

    Les trois grandes religions s’entendent  sur ces points :elles  ne se combattent pas comme en Europe sur 3 siècles. Le Confucianisme, le Taoïsme, le Bouddhisme, les trois enseignent la maitrise de soi, l’harmonie cosmique (le respect de la nature), la tolérance. La gymnastique de l’esprit , l’amour des sciences concrètes  s’accordent avec le contrôle de soi à l’égard des autres. La gymnastique individuelle,  sorte de « prière quotidienne » en public, est une manifestation d’équilibre  dans les gestes offerts aux regards des autres, coordonnés par la nature collective de cette passion, un rapport pacifié  de respect aux autres et de respect de son propre corps. Une géométrie des mouvements qui rend la fluidité aux relations humaines, une tempérance de l’envie égoïste. Il n’y a qu’à regarder la circulation « anarchique » dans les rues (par ex au Vietnam) et l’absence d’accidents ou de querelles dans ce qui nous apparait comme un sommet du désordre .  Pourtant il y a derrière, une recherche de l’ harmonie de mouvements,  pour nous inconcevable, du fait des relations   conflictuelles de nos rues issues de l’individualisme  dans la possession de la route. C’est ce que quelques-uns d’entre  nous appellent  faute de mieux, la sagesse orientale Ce contrôle de soi s’est manifesté dans un domaine,  surprenant pour nos propres conceptions :le contrôle volontaire des naissances. Sans lui, aucun progrès possibles, (témoin l’Afrique actuelle, les pays Arabes ou Brésil dont le développement ne suivent pas la démographie.) Si on ne stoppe pas la croissance  excessive,  après avoir résolu les famines   et l’intense mortalité infantile antérieure, l’accroissement ultra-rapide des naissances  détruira  le progrès social-scolaire  collectif ( sauf pour une minorité à l’abri des besoins).  Le développement économique  sera  retardé,  entravé  ou pour le moins freiné. Bien sûr les esprits  étroits diront ; « Ah oui facile !  une interdiction par l’Etat !une dictature morale, et donc une  intrusion privée, insensée etc.. » Ridicule argument ! si ce projet n’avait pas été consenti,  admis par la population unie dans cet objectif ( limité  dans le temps) ; ce serait irréalisable. Même  le pire régime policier ne peut mettre un flic sous le lit de chaque couple ! Ça fait partie des impensables  de nos esprits ( dits «  cartésiens !), une  des nombreuses barrières caricaturales de nos  connaissances, un de nos écrans de  pensée  irréductibles. Les conditions que d’autres continents surent sagement s’imposer ne purent être perçues par notre ethnocentrisme qui a rendu aveugle

     Cet esprit de géométrie, d’équilibre entre soi et les autres aidèrent les Chinois à minutieusement observer les anciens capitalismes à l’œuvre  qui ont échoué dans le développement rapide et  mieux réparti : ils en ont tiré la leçon, les incitant à un juste milieu. La théorie du balancier ! « Pas de contraintes au capitalisme au profit individuel, à la concurrence bancaire ou celle des marchés acharnée » a dit l’Occident ;   de l’autre côté,  ils se refusèrent aux   anciennes solutions soviétiques  ( toutes les banques étaient nationalisées).   Il y eut bien en France   un essai de privatisation bancaire partiel, de De Gaulle et de Mitterrand mais il avorta.  Or devant l’échec de ces deux formules, la Chine a choisi la formule moyenne. Comme dans d’autres domaines également.

    Ça marchera un siècle, peut-être deux… mais présentement c’est incontournable. La preuve ? c’est le seul pays qui a su retourner une situation défavorable, en 60 ans. De pays en partie misérable, sous-développé, à famines en 1945, il est devenu la deuxième puissance mondiale et en passe de devenir la première. Ceci au moindre coût, au moins extérieur : pas de guerres externes, pas de colonisation et pas d’esclavage. Par conséquent un dépassement ahurissant des progrès inégalitaires de l’Occident dans les domaines de  santé, alphabétisation, longueur de vie et du nombre de diplômés  en sciences exactes en pourcentage de population . Donc tout le retard technique et industriel et scientifique a été comblé en  deux générations soit 50 ans !! un phénomène incroyable qui mériterait  un peu  plus d’intérêt  sans parler même simplement d’un peu de curiosité de nos élites et  nos  politiques, s’ils n’étaient à ce point  obsédés égocentriquement

     

     

     

     

     

     

    Les critiques de Jack Goody et de  Kenneth Pomeranz:

    -« Le vol de l’histoire ; Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde »

    - « Une grande divergence : La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale »

     

    Deux grands auteurs Goody et Pomeranz, deux grands scientifiques révèlent la part d’inconnu de l’histoire chinoise et se rebellent contre la manière dont notre histoire avait traité les autres continents (et la Chine particulièrement) dans la représentation du passé ancien et récent. La chronique de la naissance du capitalisme, de l’émergence des sciences et techniques, des connaissances des philosophies  a été déformée au long d’épisodes ou les idées métaphysiques de supériorité occidentale ont été constamment à l’œuvre à l’encontre des faits d’évidence

    La curiosité que l’Asie suscitait, les interrogations insatisfaites qu’elle soulevait, les études segmentées qui en ressortaient, ne se reliaient pas  assez à l’actualité vécue des années 60 (et combien elle était rapide !). J. Goody et K.  Pomeranz justifient le nécessaire retour sur ce passé  de savoirs sur le monde asiatique construits autour d’attentes variées, d’absence de grandes enquêtes  empiriques. Le contexte des lectures compte autant que leur contenu, et il faut mettre en scène les lecteurs des années 1970 et 80. Aucun de ces lecteurs ne naquît dans le ciel abstrait d’idées désincarnées : actuellement elles interfèrent dans le cadre  de l’histoire mondialisée  

    Les deux historiens-anthropologues, issus de deux générations, comparent donc l’histoire de la Chine, de l’Occident et du reste du monde. Leur rapprochement s’impose puisque leurs livres sont contemporains (six ans d’écart), aux démarches parallèles, aboutissent à des conclusions indispensables pour comprendre nos jugements successifs contrastés. Le principe de la comparaison entre auteurs, deux à deux, est pour nous, soit le temps, soit l’espace, soit bien autre chose ; ici c’est le contexte économique[1]. Ce principe  de lecture, établi en bonne méthodologie, présente l‘Asie et la Chine face à l’Occident et fournit aux grands auteurs l’occasion de mettre en perspective la vision ethnocentriste qui a débordé  dans les sciences sociales, de l’histoire jusqu’à l’économie politique. Confrontés au manque de relativisme savant et à la faiblesse de connaissances factuelles, les enquêtes du célèbre anthropologue de Cambridge et celles du jeune historien de l’économie de l’Université d’Irvine, récemment élu professeur à Chicago, ont bouleversé le paysage des connaissances en peu de temps. Leurs conceptions découlent d’une notion d’idée neuve, « mutante » peut-on dire, repoussant la référence modèle (ancien/nouveau ou progrès par bonds) jusqu’à leur contestation radicale.  Dans les livres qui ont ébranlé l’historiographie à l’aube du 21ème, parus entre 2000-2010, K .Pomeranz justifie son association avec Goody. Cette affiliation, -bien qu’il soit son cadet de 40 ans et qu’il n’eut aucune publication en français alors que son aîné bénéficiait,lui, d’une quinzaine- manifeste une réelle convergence à l’égard de l’histoire « globale ».  Cette entreprise de rectification en sciences historiques, en philosophie et en représentations politistes, a nécessité, de la part des deux hommes qui se lisent et s’estiment, un travail de longue haleine. Près de mille références bibliographiques appelées par chacun d’eux (dont un tiers au moins hors langue anglaise) placent la vulgarisation « mondaine » ou l’érudition de « salon », en position ridicule vis-à-vis des lectorats cultivés ! En France les chercheurs ont du retard en histoire de la mondialisation -(en voie de rattrapage ?)-, en raison de la pénurie de traductions et de la focalisation de l’attention sur notre pré carré : l’histoire moderne à la suite de notre « Grande Révolution » ou celle de la Résistance et l’Occupation,  et aussi de la décolonisation. Nous ne savons pas depuis Bloch, Braudel, Labrousse aussi bien mélanger les genres, sortir de la spécialisation étroite et combiner l’histoire à l’anthropologie, la géographie avec l’écologie et l’économie, ou encore la démographie avec la sociologie. Avec audace, Goody et Pomeranz ouvrent un champ à l’interdisciplinarité irrespectueuse des frontières. Le vent du changement a déjà soufflé dans les  années récentes  que nous qualifions sans hésiter de mémorables. Ce mouvement qui augure d’un futur surprenant a modifié les problématiques et, de là, les « approches » scientifiques.  La dimension et le cadre de travail ont été transformés par la mondialisation qui a donné un peu d’air frais à nos sciences sociales vieillissantes.  



     


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  •                                  3 La déconstruction de nos certitudes et de nos illusions
    .  L'auteur M El-MIRI  raisonne à partir de faits observés directement ( le nanoracisme  c’est-à-dire les petits faits inconscients » Parmi eux  ,à l’encontre des stéréotypes caricaturaux  l’un  est frappant : l’imputation que leur force physique au travail  des noirs migrants est associée  à leur scolarisation médiocre et à des capacités intellectuelles   faibles.  Le désintérêt social général pour les travaux manuels et les taches pénibles  entraine leur délégation inévitable à l’égard des migrants, qui seraient inaptes à du travail qualifié .Tel petit  patron  est ébahi que l’un d’eux parle anglais ( il lui traduit la notice d’une machine  en panne)  ,qu’il  sache écrire…etc ! Les compétences cognitives seraient inconcevables  puisque: «  grands enfants" ils ont au mieux  une faible réflexivité ; tout cela est implicite ! Or  pourtant ils sont nombreux  à arriver  en tant que bien scolarisés, souvent  polyglottes  parfois avec  des diplômes universitaires 
     Cela  peut être aisément justifié. Et c'était ce qui m’avait frappé lors de mon enquête dans la jungle de Calais : les Bacheliers n’étaient pas rares ( surtout  issus du Proche-Orient). Contrairement à  notre ignorance à leur égard ,eux arrivent informés et   ont préparé leur voyage .Qui exige argent, compétences d’organisation et  prévisions .  Ils savent qu’ils ne doivent pas apparaître comme des rivaux potentiels sur les emplois  moyens  ou intellectuels. D’autre part, contrairement à l’image   convenue ,  ils ont organisé leur passage de la mer et ont prévu des points de chute .En tous les cas ils ont intérêt à "sous-déclarer" leurs compétences pour ne pas apparaitre comme concurrents possibles   sur le marché  des qualifiés
     L’image médiatique  et l’impensé social  les perçoivent comme   des épaves "flottantes"  , inertes,  sans plans  ou informations sur ce qui les attend  . Cependant ils sont   très « modernes »  : ils ont planifié les transferts maritimes , ils ont les adresses des passeurs professionnels sérieux.  Les circuits de la migration sont  très divers. Toutefois  puisque leur autocensure  réussit et que personne ne cherche à les connaitre,  il profite de notre  désinformation . Ils acceptent  que leur critère  « race » s’ajoute au discrédit de « classes laborieuses » , celles qui n’auraient pas « d’aptitudes intellectuelles suffisantes ». Préjugés qui affectaient  déjà les ouvriers  instruits qui débarquaient dans les grandes villes pour remplir les positions les plus  ingrates. A la fin, les migrants subissent une triple discrimination, celle de la condition de vie et de logement,   celle  de l’exploitation  au travail ( postes  pénibles et salissants, salaires inférieurs,  non couverture sociale,  absence de droits )  et celle de force de travail  non défendue syndicalement, livrée à elle-même, considérée à  la limite de la légalité : en tout cas la  stigmatisation dans la ville ou dans la vie quotidienne  s’ajoute  à l’absence de solidarité syndicale
    Le  racisme avance masqué  et on en décèle  les détails  dans le récit de M. Em-Miri dans l’accueil qui leur est fait au Maroc ,  en Andalousie,  et en France  ou  plutôt  les divers racismes qui se superposent ( vie quotidienne, rue, travail, voyages )   sans  parler de sa démonstration  des différences subtiles entre racismes  nationaux et  de la  persistance des « stigmates » invisibles dont  celui de la  pathologisation  ( ils seraient  porteurs la peur des « maladies  africaines»).

    L’imprégnation  de nombreux comportements du quotidien  affecte les   Français démocrates les plus sincères. Le racisme est intériorisé dès la naissance comme un attribut aussi « collant » que le fait d’être Blanc.  « La littérature « Noire » des plus grands auteurs ( Fanon, Césaire Mmembé)  souligne que ceux qui  sont libérés de préjugés,   ne peuvent  s’en détacher  car ils ne peuvent échapper à l’héritage social  qui les imprègne.  Ce racisme ambiant est une seconde peau blanche qui permet la paix sociale (travaux  repoussants  destinés aux  migrants  et  infériorisation des statuts des hauts  qualifiés  embauchés) . Ce mécanisme universellement répandu en Europe a permis à nos sociétés libérales   riches de  destiner les travaux les plus durs à des catégories non « ouvrières », notamment  le travail au « noir »( image qui parle par elle-même),  le travail caché  et précaire, à des catégories  d’émigrants. Notre héritage colonial est difficile à éliminer car il est partie prenante des institutions, intériorisée dans toute notre culture et à l’école. La décolonisation des esprits est une tache surhumaine dans l’état actuel des rapports de Nations.

    Mécanismes de reproduction sociale et reconversion des schèmes colonialistes dans nos représentations contemporaines sont indissociables
     C’est pourquoi ici on peut associer en histoire politique, la « désouvrierisation»  actuelle , c’est-à-dire la disparition de la "classe ouvrière" ( en fait délocalisée et exportée vers les pays asiatiques et africains : qui n’est pas la disparition des ouvriers qui se maintiennent),  aux déplacements démographiques  et  réactions qu’ils provoquent. Alors que tout indique en politique que « race » remplace en valeur heuristique, la « classe » en Occident,  dans les luttes et les conflits internes , personne ne peut voir  que dans l’histoire des migrations, celle des  Blancs, colons ou marchands,  contre celle des « indigènes »,  le passé  n’est  pas qu’affaire de balancier  surtout avec l’Afrique en tant que continent  qui est celui de la  mauvaise conscience de notre Histoire.   Sans oublier que chaque continent a reçu sa part de violence et d’oppressions , l’Afrique devrait avoir une part spéciale  dans notre attention  car nous sommes profondément débiteurs de celui qui fut le plus exploité, abimé,  et aujourd’hui négligé  dans  la grande  Histoire des échanges (hommes, produits et richesses naturelles) : colons  ou marchands contre  manœuvres, esclaves,  sur 5 siècles de domination continue  du fait de la  supériorité armée  détenue par l’Europe et de sa proximité géographique ( à laquelle L’Asie a en partie échappé). Non la décolonisation des esprits   occidentaux, la rupture avec l’héritage colonial, la révision de l’inconscient dominateur  n’ont même pas commencé ; elles   prendront des dizaines d’années avant d’être extirpées, nettoyées de représentations négatives concernant les « indigènes »  devenus actuellement  migrants.   Ils auront besoin de beaucoup de ténacité de courage et de détermination -car ils auront de nombreux disparus sur la route- pour ébranler les barrières érigées depuis un demi millénaire, dans ce bras de fer avec l’Europe racialement conservatrice


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  • Eternels  Migrants et Ignorance tenace. 

     

    Le racisme commence avec les vocables incorrects et les notions confuses exprimant le refus de savoir des élites puis ensuite de la Nation. La Méditerranée, domaine d’asile et de migrant : maëlstrom depuis deux mille ans à la circulation intense. Tous les peuples ont tourné en multiples sens dans tout le Proche et Moyen Orient. Hier, les Grecs, les Phéniciens, Romains, Francs, Lombards, outre de multiples peuples différents qu’on confond avec le terme Arabe en masses indistinctes : hier les Byzantins, les Perses, les Berbères, les Ottomans, les Maghrébins, qui se battent ou échangent Marchandises ou Migrants en tous sens. C’est le sud qui vient au Nord après que ce fut l’inverse (Croisades, Napoléon, partage occidental de la Syrie de l’Irak et tout le Proche-Orient maintenant occupé depuis 1945 par un émissaire direct de l’Occident : Israël) ! Il faut lire l’Histoire de la Méditerranée de J. Carpentier et F. Lebrun(Seuil) 

     On confond une dizaine de peuples très différents par l’histoire, la religion (plusieurs types d’Islams), les langues (pas plus de rapports entre elles que toutes les langues européennes qui ont le latin comme mère lointaine). L’arabe littéraire, l’arabe du Livre dans ce mélange est la langue des élites, la langue de référence mais les langues parlées dites Arabes, sont nombreuses et n’ont que des rapports lointains entre elles sans être des dialectes nationaux. Il y a au moins une dizaine d’« Arabes » parlés  aujourd’hui. En confondant ces données historiques ainsi qu’en ne distinguant en religions que shiites et sunnites, on commet d’énormes bévues politiques. Typiques comme celle qui nous fit croire que nous avions vaincu et chassé les « Arabes » à Poitiers. Alors que c’étaient des Berbères, justement l’ennemi juré des premiers (voir le numéro 446 et l’article de G. Martinez-Gros dans l’histoire)

     Mis à part quelques centaines d’érudits qui connaissent ces langues arabes variées, les journalistes incultes et les politiques mettent tout ça dans le même sac. On sait les catastrophes qui en découlent. Que sort-il au sein de notre information et politique ? rien ! aucune leçon retenue du passé d’erreurs, aucune réflexion. L’incapacité, la faible compétence dont sont victimes des peuples arabes, si différents pourtant par leurs langues, leurs religions au sein de l’ensemble dit Islam et par leurs cultures ressemblent à celles des Américains qui débarquent en Europe et qui ne voient pas de différences entre un Suédois et un Portugais ; ils perpétuent d’effroyables bévues commettant des jugements politiques aberrants.

     Dans le chaos actuel au Proche-Orient, on voit surgir l’insuffisance crasse des médias et informateurs (radio, télé, presse, personnalités, élus). Personne ou presque pour rappeler l’Histoire ; que le pays de Bachar est lui-même divisé entre tendances irréductibles et insolubles, que « Syriens » signifie surtout amalgame d’erreurs et d’approximations induites par la terminologie.  Quelles différences, les enquêteurs, les commentateurs expéditifs font entre la trentaine de groupes ethniques ou de sectes dites islamistes, la douzaine de peuples distincts par l’histoire et les coutumes ou la diversité des langues parlées ? Aucune !  Quiconque s’approche de cette extrême division du monde arabe est saisi de notre manque de connaissance surtouts en France où l’ignorance est un culte, bon chic et bon genre, du style Sc Po ENA. Quand je « visitais » pour voir le camp de Calais,   on se rendait compte combien la non-saisie des différences entre « Arabes » est préjudiciable à notre entendement. Quelqu’un qui serait allé, jeune, en Algérie sait bien qu’on ne peut comparer un Mzabite avec un Kabyle, un Bédouin avec un Oranais, que leur histoire interne est complexe et divergente ainsi que la langue, leurs pratiques ou croyances religieuses. De même sans rien savoir de l’histoire des Omeyades, des Abbassides, des Andalous, des Ottomans, des Alaouites etc, on met tout ça dans le même sac syrien et… vogue la galère de notre « désinformation » usant de tout ce qui permet d’engendrer  puis de répandre l’ignorance arrogante bonne à diffuser dans notre société actuelle fermée aux migrants d’hier et de demain, une vision   européenne où surnagent les préjugés et l’hostilité à l’égard de ceux qui  cherchent à savoir avant de juger  

     

     Enfin… heureux sont les simples d’esprit qui abondent dans notre culture moderne dite éclairée ! Si le mot malheureux d’Arabe ou d’Islam permet toutes les confusions cela est peut-être l’effet recherché à des fins intéressées mais a des conséquences graves. Heureusement pour le symbole de notre passé cultivé, il reste quelques milliers de personnes chez nous pour respecter la connaissance, voire l’érudition, apprendre une des langues arabes, avant de parler pour ne rien dire. Ne pas penser, ne pas réfléchir se  fonde sur le non savoir. Nous commettons la même erreur avec l’autre inconnue de la planète quand on dit « le monde Chinois ». Mais là, on le paiera cher et cash. Quand on réfléchit au fait qu’un milliard et demi d’hommes ou presque sont amalgamés et appelés du même nom géographique, alors qu’on en ignore tout : les langues variées, les cultures internes, les croyances spirituelles. On mesure la vanité et le ridicule de nos juges  ou tribuns quand il n’y a en France qu’une dizaine de milliers de sinologues  qui eux ne traitent pas des centaines de millions de Chinois comme si c’était une entité même s’ils constituent une large palette de fédérations de Républiques 

     

    Malheureusement l’école, les médias donnent l’exemple de la suffisance et de l’aveuglement ; cela nous permet de nous exonérer de toute curiosité et du travail d’apprendre  avant de savoir. En tout cas notre méconnaissance est hallucinante. On se permet de juger des cultures millénaires et les situations inextricables actuelles, à l’aide de quelques stéréotypes et clichés.  Cela permet aux radios, télés et autres médias de nous raconter n’importe quelle absurdité tous les jours et nous…marchons, nous nous croyons informés et cultivés. Heureux les imbéciles arrogants ! Je souhaite à nos enfants et petits enfants des commentateurs et des politiques plus intelligents et cultivés. Mais cela n’arrivera pas… c’est le genre Trump qui nous guette !  

     

    Dans notre univers occidental étriqué, en pleine régression, on saluera donc le courage, dans la lutte contre les préjugés, de quelques spécialistes ès mondes étrangers, ceux qui ont appris les langues étrangères et l’histoire des autres continents.  Saluons aussi les quelques centaines d’amateurs qui tentent avec peine de s’y reconnaitre dans ce chaos et nous informent autant qu’ils le peuvent. Parmi eux, je salue en particulier les militants de Mulhouse Eric Chabauty et Pierre Freyburger auteurs de l’enquête « la Dérive du continent », (Médiapop éditions 2017) qui ont eu le courage d’enquêter sur place; tout comme le spécialiste connaisseur M. El-Miri (Université d’Aix) qui passe plusieurs mois sur le terrain 


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  • Racisme ambiant  et  fondation de  l’Histoire en « l’Occident »

     

     Au long de la démarche ethnographique de l’auteur Mustapha  El-Miri  (univ de Provence) au Proche Orient, en Afrique du nord  et subsaharienne , l’auteur démonte  les diverses situations  intriquées et obscures , les formes, les variantes du racisme,  essence de l’Occident qui s’expriment .  Grâce à l’observation directe et une forte érudition  il  décrit des faits vécus ou lus dont il tire les  conclusions au sujet du racisme contemporain,  qui se manifeste  sous des formes à peine neuves après 5 ou 6 siècles Il prend notamment le racisme anti-Noir  comme  principe fondateur,  ciment d’autres  racismes  depuis la Traite jusqu’aux migrations auxquelles l’Europe fait face de la manière  qu’on sait. Il nous conduit à concevoir le racisme comme une catégorie structurelle qui justifierait   la plupart des mouvements démographiques
    1   Le racisme noir occidental fondateur des autres racismes ( antisémitisme ,islamophobie, etc )
     Si le racisme a été universel à partir du moment où il y a eu conquête d’une population par une autre,  il est cependant multiforme  dans notre histoire  ( visible depuis  au moins  Christophe Colomb ),au  moment où   sur les autres continents toutes les populations  de natifs ont vu arriver sur leurs côtes,  particulièrement  en régions riches en terres,  minerais ou métaux précieux, des centaines de migrants « Blancs »  qui  deviendront des millions, déferlant par mer  terre  ( Afrique ,Asie, Australie, Amérique du nord et du sud) . Et tout à coup les autochtones se découvrent « Noirs » « Rouges ou « Jaunes »   selon  la désignation de leurs « visiteurs » Blancs. Attitudes multiculturelles qui façonneront une civilisation   et les mentalités des exploiteurs de ces    autochtones  ( style le petit Blanc)
      L'explication et les étapes historiques sont indispensables pour saisir la division interne, « naturelle », que  des sociétés qui s’  appuient sur la force inégale des armes détermineront  la durée de la domination. Classements et  catégorisations de « couleur » sont indispensables pour saisir  des  jugements  et des incompréhensions  consubstantielles  à toute la culture occidentale  Elles allaient déterminer des infériorisations,  des exploitations,  des déplacements forcés qui  survivraient  pour  réaliser   le socle  qui construirait nos conceptions profondes,  nos jugements historiques,  politiques et intellectuels  ( y compris dans les "sciences sociales"). C’est ce qu’avait esquissé Jack Goody dans Le vol de l’Histoire . Il s’est battu contre cette conception de l’écriture historique :«  Comment  l’Europe  a imposé le récit de son passé  au reste du monde »  ( sous-titre) a été son  livre le plus important,  un  grand pas en avant des  dernières années sauf en France  bien sûr où il a été ignoré malgré  sa traduction récente. 

    C’est-à-dire :d’abord on « fait » l’Histoire » (conquête, traite, esclavage, imposition d’une nouvelle religion,  transfert des richesses locales ) et  ensuite  on « l’écrit ».

    Cette façon de voir le passé   chez Goody  démolit les  préjugés de l’ histoire  académique classique . Il  rend justice aux études des meilleurs intellectuels locaux qui récusent ce qui fut écrit par les Européens sur leur société. Il combat  les  concepts scientifiques  en faisant appel à   de nombreux faits sur deux siècles . Ses références factuelles:   300 auteurs anglo-saxons  et une trentaine de Français qui prirent   un point de vue  non conventionnel  et ont contesté  l’ethnocentrisme des sciences  humaines .

    Quand les arguments racistes prirent-ils le pas sur la justification économique par rapport à la force  pure de la domination ?  Notamment quand les armées partirent et  que les colons restèrent ,et  légitimèrent leur présence  grâce aux théories biologiques  de la fin du 18è quand on déplace de force les  dominés et  qu’on les transforme en e soit en esclaves, soit en travailleurs forcés.  Goody suggère que  les théories de la domination naturelle des Blancs ont affecté toute la culture et toutes les attitudes, y comprises progressistes  et bien sûr les  idées religieuses ;  en en faisant  des convictions profondes, intériorisées et même parmi les plus engagés dans la libération   y compris les marxistes qui ont perçu les conflits de classe comme  premiers ; notamment  les intellectuels des sciences sociales et politiques du 19è et 20è.  Devenues naturelles au bout de 3 ou 4 siècles, ces convictions  n’eurent pas besoin  de longues justifications.  Selon  Goody ,  les idéologies écrites et raisonnées socialement,   n’eurent pas  besoin  de discours , ni de proclamations ou de récits  justificateurs ; elles devinrent innées   au point que les esprits les plus engagés, les révolutionnaires du XIXè manquèrent ce débat. Ce fut la remarque que de nombreux intellectuels Noirs  ou métis  adressèrent aux marxistes  (ainsi  lors de la lutte des Noirs américains pour les droits civiques) Ce sont ceux-là que la lecture de MEM remet au jour.
     Quel rapport   a ce combat de quelque  historiens  et anthropologues isolés au 20è avec la thèse de MEM ici étudiée ?  Justement il apporte de l’eau à ce moulin-là ,en   fournissant le matériau de l’ethnographe ou du sociologue d’observation participante  au sujet des formes subtiles et  diffuses du racisme  par rapport à l’exploitation de  la force de travail et la non reconnaissance de Droits. C’est pourquoi le racisme est  plus multiforme, plus enraciné  que l’aliénation au travail dans un rapport de race avant de classe. Il suggère que le racisme « méditerranéen » actuel (des pays du pourtour) est fait  de différenciations fines que seul l’ex-colonisé qui « transite », ressent.  Il montre les nombreux visages de ces   racismes : celui de pouvoir et d’institution bien sûr, mais aussi celui, privé des témoins, passeurs , aides et employeurs .  Le racisme corporel n’est pas la même chose de part et d’autre de la mer, le racisme de langage   est également distinct chez l’Arabe, qui voit transiter ou  chez l’Espagnol ou celui du Français méridional.  Les comportements racistes varient aussi selon le lieu, le moment et le style de comportement à leur égard   dans la cité, Ils ont imprégné la culture de voisinage et la moindre sociabilité ; ils ne sont pas saisissables pour la majorité des intermédiaires ou des observateurs extérieurs. Cela s’explique aussi par l’ancienneté du contact  et par   la durée du séjour  oula réussite du migrant   au contact de l’étranger.
     L’essentiel est de retenir que la culture occidentale ( et en partie aussi l’arabe)  a été imprégnée pendant de siècles de domination, de  représentations inconscientes inculquées par de nombreux biais  . Il est impossible de les percevoir de l’extérieur,et  de  concevoir comment elles sont reçues  Aussi les pages  de  El -Miri qui les  décrient sont riches en petits indices probants.

    Contrairement aux formules de l’ethnocentrisme classique ou de l’égocentrisme social,  celles du racisme institutionnel  consubstantiel  sont le filtre  à travers lequel  se construisit  « l’Histoire du monde ». Cette progression jusqu’à aujourd’hui est essentielle pour analyser   les étapes de la migration au XXè et XXIè et comprendre l’intériorisation par l’émigré actuel, de ces formules  historiques cumulées  qui le conduisent à travers  des « accueils » différents au long du périple à assumer au moins  plusieurs « identités » infériorisées   distinctes
      Avec ce cadre analytique en tête,  El-Miri  mène  une enquête  par observation directe  des diverses étapes   du déplacement  de Noirs à travers le  Sahara, puis le Maroc  et l’Europe du sud.  Il met en évidence les simplismes  de la construction ( et l’efficacité) d’un racisme anti Noir à chacune de ces étapes   au long de la traversée  (désert, pays arabes,  puis passage de la mer et rencontre avec l’Europe).  Ces migrants « noircissent » si on peut dire, au fur et à mesure des pays qu’ils traversent, se découvrant de plus en plus noir  au cours de la rencontre de l’émigré avec diverses acculturations. Tout cela  lui demande une gymnastique subjective imprévue, tissée de nombreuses ségrégations et discriminations du monde arabe vis-à-vis des subsahariens jusqu’à l’indésirable en Europe. Chacun des racismes au long du voyage   se construit sur des bases nationales   et le migrant doit découvrir, progressivement, l’intégrale altérité : couleur, statut, éducation, critères  assignés par des sociétés  qui présentent à leur égard,  des manifestations ambiguës  dans l’échelle de valeurs, allant de la désignation par la couleur de peau   aux imputations d’infantilisme,  pi bien d’ intelligence primaire, necesairement associées au  statut de quémandeur. A l'évidence  il   y a de nombreux barreaux   à descendre dans l’échelle du racisme tout au long de son périlleux parcours


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