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Ce texte de l’ermite est à situer dans le blog dans l’éloge de Jack Goody grand connaisseur des autres cultures orientales ( Cf la rubrique Objectifs et Projets avec l’analyse de son dernier ouvrage ( Comment nous avons « volé » l’histoire des autres continents )Et à rapprocher des études fines de la Chine qui existèrent en Occident nonobstant les difficultés et que nous avons rassemblées sous le titre de « La chine et nous » dans la rubrique Accueil
Deux aspects intéressants nous ont retenu :
A ) comment contrôler le capital privé s’exportant à l’extérieur , les businessmen chinois qui achètent à tout va en Occident ( ports, aéroports , grosses boites etc .)
B) Comment assurer le renouvellement des cadres politiques, des très hauts fonctionnaires et des dirigeants . Problème ardu devant lequel les bolcheviks russes ont échoué ; recrutement en masse d’opportunistes après la victoire en 1917 ; pour lequel tous les régimes capitalistes traditionnels qui se heurtent à l’inégalité sociale à cacher n’ont pas réussi à tourner : le non renouvellement social au sommet, la reproduction à l’identique des mêmes castes ( les héritiers , les « fils de », etc)
Le contrôle du capitalisme est plus aisé si on détient en partie « le marché financier » et si la lutte contre la corruption interne est « sérieuse » ( mort physique ou morale des fonctionnaires « achetés ») La solution chinoise qui marche pour le moment est ingénieuse. Laisser les Bourses locales et nationales – passion du jeu, il y a des boursicoteurs en Chine – mais en être le principal actionnaire, avoir le dernier mot des transactions grâce au contrôle des changes par la Centrale et vérifier les comptes individuels. Les spéculateurs sont alors vite repérés. Quand les banques en Occident ont excessivement spéculé (subprimes), elles font faillite et l’Etat les renfloue sans contrôle postérieur
Ça ne peut pas se produire en Chine où l’Etat et les « régions », entités politiques sont les actionnaires majoritaires et où les excès sont vite réprimés ; donc pas de catastrophes payées par les peuples comme en France en 2008 . Les politiciens chinois surveillent, octroient les crédits, les taux de prêts ou de profit du privé . Solution inédite créée par la connaissance chinoise des erreurs de l’URSS (tout au service « public ») et celles de l’anarchie au bénéfice du privé en Occident. Mais alors qui sont ces « contrôleurs » chinois, comment recruter des fonctionnaires qui ne seront pas les mandarins d’hier, se servant en premier et rapidement corrompus ? Tout est dans la sélection minutieuse des cadres intermédiaires aptes à « monter » et à la surveillance politique par le sommet. Mais cela ne fait que reporter le problème sur une catégorie de la population. Et làn on sait peu de choses. Osons une interprétation : une sélection par les capacités intellectuelles en sciences exactes et en mathématiques !!
La formation des élites, aptes à devenir des agents politiques
C’est le phénomène plus curieux, le plus étrange pour nous ,obnubilés par la voie sacrée : écoles catholiques, lycées privés ,puis sciences Po (grande école privée) enfin ENA ou inspection finances etc.. Je note que c’est la voie de formation intellectuelle exclusive de tous les présidents de notre République depuis Giscard. Tous sans exception ; or en Chine la voie royale c’est la science et la pratique de la gestion collective en économie nationalisée .Être un savant, ingénieur au minimum, et avoir dirigé des entreprises( plutôt régionales modestes) : tous ont suivi ce chemin de formation scientifique, puis ensuite pratique de terrain en devenant un dirigeant local d’entreprise publique, un gestionnaire d’Etat qui a réussi (= sans grève , avec des innovations productives techniques etc..) D’abord il y faut de grosses compétences industrielles, un esprit nationaliste rationnel, une très solide éducation technique et un grand sens diplomatique avec les syndicats !! Bref une rationalité économique au sens de raisonnement scientifique poussé ; pour le moment ça marche ! Les seules élites politiques montées depuis 1988 ont eu un passé de scientifiques et de fins observateurs matérialistes. Cela semble enraciné dans la culture chinoise de l’amour des Sciences. Les enfants ont des capacités supérieures en maths-physique (réussite aux test internationaux les plus exigeants) aimant l’astronomie, la géographie bref les sciences qui réclamant une logique de raisonnement à l’épreuve des réalités. On voit qu’on est loin des littéraires vaseux que nous, on promeut avec l’amour du « discours », de la rhétorique de culture générale de salon, d’où l’ absence de rationalité dans la réussite de l’univers scolaire par de-là un manque de sciences matérielles confrontées au goût de l’abstraction et une plus faible concentration intellectuelle
La revanche Gymnastique de l’esprit et du corps
Au sein de ce contre-pied de l’Histoire ( que notre Antiquité avait pourtant soutenu : les techniciens et les philosophes, tous savants comme Aristote) on ne doit pas sous-estimer le fort désir de revanche . Avoir été le centre du monde civilisé au cours de mille ans puis ensuite avoir été humiliés et colonisés pendant un demi- siècle soutient l’effort des enfants chinois, intensément scolarisés dès l’âge de 4 ans et plus tard imbattables dans les sciences exactes ou en maths pures : les meilleurs maintenant dans tous les concours internationaux ( avec Japon et Corée). Pour les Chinois depuis des siècles, la naissance de sciences en chine, ça ne s’oublie pas ! Ils ont le double de jours de classe ( 290 jours/an) avec des élèves très motivés par rapport à notre défaitisme de l’effort scolaire qui détourne des apprentissages intensifs ;. Nos enfants , nos « élèves », en France, derniers de la classe dans les tests en Occident seront « mangés » . En Chine le désir de revanche et l’envie patriotique de revenir à la première place jouent encore (fierté nationale, ciment extraordinaire) mais demain ? Les Chinois comptent sur autre aspect culturel : les enseignements de trois religions, de la modération des envies et des convoitises et de la recherche non agressive de solutions
Les trois grandes religions s’entendent sur ces points :elles ne se combattent pas comme en Europe sur 3 siècles. Le Confucianisme, le Taoïsme, le Bouddhisme, les trois enseignent la maitrise de soi, l’harmonie cosmique (le respect de la nature), la tolérance. La gymnastique de l’esprit , l’amour des sciences concrètes s’accordent avec le contrôle de soi à l’égard des autres. La gymnastique individuelle, sorte de « prière quotidienne » en public, est une manifestation d’équilibre dans les gestes offerts aux regards des autres, coordonnés par la nature collective de cette passion, un rapport pacifié de respect aux autres et de respect de son propre corps. Une géométrie des mouvements qui rend la fluidité aux relations humaines, une tempérance de l’envie égoïste. Il n’y a qu’à regarder la circulation « anarchique » dans les rues (par ex au Vietnam) et l’absence d’accidents ou de querelles dans ce qui nous apparait comme un sommet du désordre . Pourtant il y a derrière, une recherche de l’ harmonie de mouvements, pour nous inconcevable, du fait des relations conflictuelles de nos rues issues de l’individualisme dans la possession de la route. C’est ce que quelques-uns d’entre nous appellent faute de mieux, la sagesse orientale Ce contrôle de soi s’est manifesté dans un domaine, surprenant pour nos propres conceptions :le contrôle volontaire des naissances. Sans lui, aucun progrès possibles, (témoin l’Afrique actuelle, les pays Arabes ou Brésil dont le développement ne suivent pas la démographie.) Si on ne stoppe pas la croissance excessive, après avoir résolu les famines et l’intense mortalité infantile antérieure, l’accroissement ultra-rapide des naissances détruira le progrès social-scolaire collectif ( sauf pour une minorité à l’abri des besoins). Le développement économique sera retardé, entravé ou pour le moins freiné. Bien sûr les esprits étroits diront ; « Ah oui facile ! une interdiction par l’Etat !une dictature morale, et donc une intrusion privée, insensée etc.. » Ridicule argument ! si ce projet n’avait pas été consenti, admis par la population unie dans cet objectif ( limité dans le temps) ; ce serait irréalisable. Même le pire régime policier ne peut mettre un flic sous le lit de chaque couple ! Ça fait partie des impensables de nos esprits ( dits « cartésiens !), une des nombreuses barrières caricaturales de nos connaissances, un de nos écrans de pensée irréductibles. Les conditions que d’autres continents surent sagement s’imposer ne purent être perçues par notre ethnocentrisme qui a rendu aveugle
Cet esprit de géométrie, d’équilibre entre soi et les autres aidèrent les Chinois à minutieusement observer les anciens capitalismes à l’œuvre qui ont échoué dans le développement rapide et mieux réparti : ils en ont tiré la leçon, les incitant à un juste milieu. La théorie du balancier ! « Pas de contraintes au capitalisme au profit individuel, à la concurrence bancaire ou celle des marchés acharnée » a dit l’Occident ; de l’autre côté, ils se refusèrent aux anciennes solutions soviétiques ( toutes les banques étaient nationalisées). Il y eut bien en France un essai de privatisation bancaire partiel, de De Gaulle et de Mitterrand mais il avorta. Or devant l’échec de ces deux formules, la Chine a choisi la formule moyenne. Comme dans d’autres domaines également.
Ça marchera un siècle, peut-être deux… mais présentement c’est incontournable. La preuve ? c’est le seul pays qui a su retourner une situation défavorable, en 60 ans. De pays en partie misérable, sous-développé, à famines en 1945, il est devenu la deuxième puissance mondiale et en passe de devenir la première. Ceci au moindre coût, au moins extérieur : pas de guerres externes, pas de colonisation et pas d’esclavage. Par conséquent un dépassement ahurissant des progrès inégalitaires de l’Occident dans les domaines de santé, alphabétisation, longueur de vie et du nombre de diplômés en sciences exactes en pourcentage de population . Donc tout le retard technique et industriel et scientifique a été comblé en deux générations soit 50 ans !! un phénomène incroyable qui mériterait un peu plus d’intérêt sans parler même simplement d’un peu de curiosité de nos élites et nos politiques, s’ils n’étaient à ce point obsédés égocentriquement
Les critiques de Jack Goody et de Kenneth Pomeranz:
-« Le vol de l’histoire ; Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde »
- « Une grande divergence : La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale »
Deux grands auteurs Goody et Pomeranz, deux grands scientifiques révèlent la part d’inconnu de l’histoire chinoise et se rebellent contre la manière dont notre histoire avait traité les autres continents (et la Chine particulièrement) dans la représentation du passé ancien et récent. La chronique de la naissance du capitalisme, de l’émergence des sciences et techniques, des connaissances des philosophies a été déformée au long d’épisodes ou les idées métaphysiques de supériorité occidentale ont été constamment à l’œuvre à l’encontre des faits d’évidence
La curiosité que l’Asie suscitait, les interrogations insatisfaites qu’elle soulevait, les études segmentées qui en ressortaient, ne se reliaient pas assez à l’actualité vécue des années 60 (et combien elle était rapide !). J. Goody et K. Pomeranz justifient le nécessaire retour sur ce passé de savoirs sur le monde asiatique construits autour d’attentes variées, d’absence de grandes enquêtes empiriques. Le contexte des lectures compte autant que leur contenu, et il faut mettre en scène les lecteurs des années 1970 et 80. Aucun de ces lecteurs ne naquît dans le ciel abstrait d’idées désincarnées : actuellement elles interfèrent dans le cadre de l’histoire mondialisée
Les deux historiens-anthropologues, issus de deux générations, comparent donc l’histoire de la Chine, de l’Occident et du reste du monde. Leur rapprochement s’impose puisque leurs livres sont contemporains (six ans d’écart), aux démarches parallèles, aboutissent à des conclusions indispensables pour comprendre nos jugements successifs contrastés. Le principe de la comparaison entre auteurs, deux à deux, est pour nous, soit le temps, soit l’espace, soit bien autre chose ; ici c’est le contexte économique[1]. Ce principe de lecture, établi en bonne méthodologie, présente l‘Asie et la Chine face à l’Occident et fournit aux grands auteurs l’occasion de mettre en perspective la vision ethnocentriste qui a débordé dans les sciences sociales, de l’histoire jusqu’à l’économie politique. Confrontés au manque de relativisme savant et à la faiblesse de connaissances factuelles, les enquêtes du célèbre anthropologue de Cambridge et celles du jeune historien de l’économie de l’Université d’Irvine, récemment élu professeur à Chicago, ont bouleversé le paysage des connaissances en peu de temps. Leurs conceptions découlent d’une notion d’idée neuve, « mutante » peut-on dire, repoussant la référence modèle (ancien/nouveau ou progrès par bonds) jusqu’à leur contestation radicale. Dans les livres qui ont ébranlé l’historiographie à l’aube du 21ème, parus entre 2000-2010, K .Pomeranz justifie son association avec Goody. Cette affiliation, -bien qu’il soit son cadet de 40 ans et qu’il n’eut aucune publication en français alors que son aîné bénéficiait,lui, d’une quinzaine- manifeste une réelle convergence à l’égard de l’histoire « globale ». Cette entreprise de rectification en sciences historiques, en philosophie et en représentations politistes, a nécessité, de la part des deux hommes qui se lisent et s’estiment, un travail de longue haleine. Près de mille références bibliographiques appelées par chacun d’eux (dont un tiers au moins hors langue anglaise) placent la vulgarisation « mondaine » ou l’érudition de « salon », en position ridicule vis-à-vis des lectorats cultivés ! En France les chercheurs ont du retard en histoire de la mondialisation -(en voie de rattrapage ?)-, en raison de la pénurie de traductions et de la focalisation de l’attention sur notre pré carré : l’histoire moderne à la suite de notre « Grande Révolution » ou celle de la Résistance et l’Occupation, et aussi de la décolonisation. Nous ne savons pas depuis Bloch, Braudel, Labrousse aussi bien mélanger les genres, sortir de la spécialisation étroite et combiner l’histoire à l’anthropologie, la géographie avec l’écologie et l’économie, ou encore la démographie avec la sociologie. Avec audace, Goody et Pomeranz ouvrent un champ à l’interdisciplinarité irrespectueuse des frontières. Le vent du changement a déjà soufflé dans les années récentes que nous qualifions sans hésiter de mémorables. Ce mouvement qui augure d’un futur surprenant a modifié les problématiques et, de là, les « approches » scientifiques. La dimension et le cadre de travail ont été transformés par la mondialisation qui a donné un peu d’air frais à nos sciences sociales vieillissantes.
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3 La déconstruction de nos certitudes et de nos illusions
. L'auteur M El-MIRI raisonne à partir de faits observés directement ( le nanoracisme c’est-à-dire les petits faits inconscients » Parmi eux ,à l’encontre des stéréotypes caricaturaux l’un est frappant : l’imputation que leur force physique au travail des noirs migrants est associée à leur scolarisation médiocre et à des capacités intellectuelles faibles. Le désintérêt social général pour les travaux manuels et les taches pénibles entraine leur délégation inévitable à l’égard des migrants, qui seraient inaptes à du travail qualifié .Tel petit patron est ébahi que l’un d’eux parle anglais ( il lui traduit la notice d’une machine en panne) ,qu’il sache écrire…etc ! Les compétences cognitives seraient inconcevables puisque: « grands enfants" ils ont au mieux une faible réflexivité ; tout cela est implicite ! Or pourtant ils sont nombreux à arriver en tant que bien scolarisés, souvent polyglottes parfois avec des diplômes universitaires
Cela peut être aisément justifié. Et c'était ce qui m’avait frappé lors de mon enquête dans la jungle de Calais : les Bacheliers n’étaient pas rares ( surtout issus du Proche-Orient). Contrairement à notre ignorance à leur égard ,eux arrivent informés et ont préparé leur voyage .Qui exige argent, compétences d’organisation et prévisions . Ils savent qu’ils ne doivent pas apparaître comme des rivaux potentiels sur les emplois moyens ou intellectuels. D’autre part, contrairement à l’image convenue , ils ont organisé leur passage de la mer et ont prévu des points de chute .En tous les cas ils ont intérêt à "sous-déclarer" leurs compétences pour ne pas apparaitre comme concurrents possibles sur le marché des qualifiés
L’image médiatique et l’impensé social les perçoivent comme des épaves "flottantes" , inertes, sans plans ou informations sur ce qui les attend . Cependant ils sont très « modernes » : ils ont planifié les transferts maritimes , ils ont les adresses des passeurs professionnels sérieux. Les circuits de la migration sont très divers. Toutefois puisque leur autocensure réussit et que personne ne cherche à les connaitre, il profite de notre désinformation . Ils acceptent que leur critère « race » s’ajoute au discrédit de « classes laborieuses » , celles qui n’auraient pas « d’aptitudes intellectuelles suffisantes ». Préjugés qui affectaient déjà les ouvriers instruits qui débarquaient dans les grandes villes pour remplir les positions les plus ingrates. A la fin, les migrants subissent une triple discrimination, celle de la condition de vie et de logement, celle de l’exploitation au travail ( postes pénibles et salissants, salaires inférieurs, non couverture sociale, absence de droits ) et celle de force de travail non défendue syndicalement, livrée à elle-même, considérée à la limite de la légalité : en tout cas la stigmatisation dans la ville ou dans la vie quotidienne s’ajoute à l’absence de solidarité syndicale
Le racisme avance masqué et on en décèle les détails dans le récit de M. Em-Miri dans l’accueil qui leur est fait au Maroc , en Andalousie, et en France ou plutôt les divers racismes qui se superposent ( vie quotidienne, rue, travail, voyages ) sans parler de sa démonstration des différences subtiles entre racismes nationaux et de la persistance des « stigmates » invisibles dont celui de la pathologisation ( ils seraient porteurs la peur des « maladies africaines»).L’imprégnation de nombreux comportements du quotidien affecte les Français démocrates les plus sincères. Le racisme est intériorisé dès la naissance comme un attribut aussi « collant » que le fait d’être Blanc. « La littérature « Noire » des plus grands auteurs ( Fanon, Césaire Mmembé) souligne que ceux qui sont libérés de préjugés, ne peuvent s’en détacher car ils ne peuvent échapper à l’héritage social qui les imprègne. Ce racisme ambiant est une seconde peau blanche qui permet la paix sociale (travaux repoussants destinés aux migrants et infériorisation des statuts des hauts qualifiés embauchés) . Ce mécanisme universellement répandu en Europe a permis à nos sociétés libérales riches de destiner les travaux les plus durs à des catégories non « ouvrières », notamment le travail au « noir »( image qui parle par elle-même), le travail caché et précaire, à des catégories d’émigrants. Notre héritage colonial est difficile à éliminer car il est partie prenante des institutions, intériorisée dans toute notre culture et à l’école. La décolonisation des esprits est une tache surhumaine dans l’état actuel des rapports de Nations.
Mécanismes de reproduction sociale et reconversion des schèmes colonialistes dans nos représentations contemporaines sont indissociables
C’est pourquoi ici on peut associer en histoire politique, la « désouvrierisation» actuelle , c’est-à-dire la disparition de la "classe ouvrière" ( en fait délocalisée et exportée vers les pays asiatiques et africains : qui n’est pas la disparition des ouvriers qui se maintiennent), aux déplacements démographiques et réactions qu’ils provoquent. Alors que tout indique en politique que « race » remplace en valeur heuristique, la « classe » en Occident, dans les luttes et les conflits internes , personne ne peut voir que dans l’histoire des migrations, celle des Blancs, colons ou marchands, contre celle des « indigènes », le passé n’est pas qu’affaire de balancier surtout avec l’Afrique en tant que continent qui est celui de la mauvaise conscience de notre Histoire. Sans oublier que chaque continent a reçu sa part de violence et d’oppressions , l’Afrique devrait avoir une part spéciale dans notre attention car nous sommes profondément débiteurs de celui qui fut le plus exploité, abimé, et aujourd’hui négligé dans la grande Histoire des échanges (hommes, produits et richesses naturelles) : colons ou marchands contre manœuvres, esclaves, sur 5 siècles de domination continue du fait de la supériorité armée détenue par l’Europe et de sa proximité géographique ( à laquelle L’Asie a en partie échappé). Non la décolonisation des esprits occidentaux, la rupture avec l’héritage colonial, la révision de l’inconscient dominateur n’ont même pas commencé ; elles prendront des dizaines d’années avant d’être extirpées, nettoyées de représentations négatives concernant les « indigènes » devenus actuellement migrants. Ils auront besoin de beaucoup de ténacité de courage et de détermination -car ils auront de nombreux disparus sur la route- pour ébranler les barrières érigées depuis un demi millénaire, dans ce bras de fer avec l’Europe racialement conservatrice
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Eternels Migrants et Ignorance tenace.
Le racisme commence avec les vocables incorrects et les notions confuses exprimant le refus de savoir des élites puis ensuite de la Nation. La Méditerranée, domaine d’asile et de migrant : maëlstrom depuis deux mille ans à la circulation intense. Tous les peuples ont tourné en multiples sens dans tout le Proche et Moyen Orient. Hier, les Grecs, les Phéniciens, Romains, Francs, Lombards, outre de multiples peuples différents qu’on confond avec le terme Arabe en masses indistinctes : hier les Byzantins, les Perses, les Berbères, les Ottomans, les Maghrébins, qui se battent ou échangent Marchandises ou Migrants en tous sens. C’est le sud qui vient au Nord après que ce fut l’inverse (Croisades, Napoléon, partage occidental de la Syrie de l’Irak et tout le Proche-Orient maintenant occupé depuis 1945 par un émissaire direct de l’Occident : Israël) ! Il faut lire l’Histoire de la Méditerranée de J. Carpentier et F. Lebrun(Seuil)
On confond une dizaine de peuples très différents par l’histoire, la religion (plusieurs types d’Islams), les langues (pas plus de rapports entre elles que toutes les langues européennes qui ont le latin comme mère lointaine). L’arabe littéraire, l’arabe du Livre dans ce mélange est la langue des élites, la langue de référence mais les langues parlées dites Arabes, sont nombreuses et n’ont que des rapports lointains entre elles sans être des dialectes nationaux. Il y a au moins une dizaine d’« Arabes » parlés aujourd’hui. En confondant ces données historiques ainsi qu’en ne distinguant en religions que shiites et sunnites, on commet d’énormes bévues politiques. Typiques comme celle qui nous fit croire que nous avions vaincu et chassé les « Arabes » à Poitiers. Alors que c’étaient des Berbères, justement l’ennemi juré des premiers (voir le numéro 446 et l’article de G. Martinez-Gros dans l’histoire)
Mis à part quelques centaines d’érudits qui connaissent ces langues arabes variées, les journalistes incultes et les politiques mettent tout ça dans le même sac. On sait les catastrophes qui en découlent. Que sort-il au sein de notre information et politique ? rien ! aucune leçon retenue du passé d’erreurs, aucune réflexion. L’incapacité, la faible compétence dont sont victimes des peuples arabes, si différents pourtant par leurs langues, leurs religions au sein de l’ensemble dit Islam et par leurs cultures ressemblent à celles des Américains qui débarquent en Europe et qui ne voient pas de différences entre un Suédois et un Portugais ; ils perpétuent d’effroyables bévues commettant des jugements politiques aberrants.
Dans le chaos actuel au Proche-Orient, on voit surgir l’insuffisance crasse des médias et informateurs (radio, télé, presse, personnalités, élus). Personne ou presque pour rappeler l’Histoire ; que le pays de Bachar est lui-même divisé entre tendances irréductibles et insolubles, que « Syriens » signifie surtout amalgame d’erreurs et d’approximations induites par la terminologie. Quelles différences, les enquêteurs, les commentateurs expéditifs font entre la trentaine de groupes ethniques ou de sectes dites islamistes, la douzaine de peuples distincts par l’histoire et les coutumes ou la diversité des langues parlées ? Aucune ! Quiconque s’approche de cette extrême division du monde arabe est saisi de notre manque de connaissance surtouts en France où l’ignorance est un culte, bon chic et bon genre, du style Sc Po ENA. Quand je « visitais » pour voir le camp de Calais, on se rendait compte combien la non-saisie des différences entre « Arabes » est préjudiciable à notre entendement. Quelqu’un qui serait allé, jeune, en Algérie sait bien qu’on ne peut comparer un Mzabite avec un Kabyle, un Bédouin avec un Oranais, que leur histoire interne est complexe et divergente ainsi que la langue, leurs pratiques ou croyances religieuses. De même sans rien savoir de l’histoire des Omeyades, des Abbassides, des Andalous, des Ottomans, des Alaouites etc, on met tout ça dans le même sac syrien et… vogue la galère de notre « désinformation » usant de tout ce qui permet d’engendrer puis de répandre l’ignorance arrogante bonne à diffuser dans notre société actuelle fermée aux migrants d’hier et de demain, une vision européenne où surnagent les préjugés et l’hostilité à l’égard de ceux qui cherchent à savoir avant de juger
Enfin… heureux sont les simples d’esprit qui abondent dans notre culture moderne dite éclairée ! Si le mot malheureux d’Arabe ou d’Islam permet toutes les confusions cela est peut-être l’effet recherché à des fins intéressées mais a des conséquences graves. Heureusement pour le symbole de notre passé cultivé, il reste quelques milliers de personnes chez nous pour respecter la connaissance, voire l’érudition, apprendre une des langues arabes, avant de parler pour ne rien dire. Ne pas penser, ne pas réfléchir se fonde sur le non savoir. Nous commettons la même erreur avec l’autre inconnue de la planète quand on dit « le monde Chinois ». Mais là, on le paiera cher et cash. Quand on réfléchit au fait qu’un milliard et demi d’hommes ou presque sont amalgamés et appelés du même nom géographique, alors qu’on en ignore tout : les langues variées, les cultures internes, les croyances spirituelles. On mesure la vanité et le ridicule de nos juges ou tribuns quand il n’y a en France qu’une dizaine de milliers de sinologues qui eux ne traitent pas des centaines de millions de Chinois comme si c’était une entité même s’ils constituent une large palette de fédérations de Républiques
Malheureusement l’école, les médias donnent l’exemple de la suffisance et de l’aveuglement ; cela nous permet de nous exonérer de toute curiosité et du travail d’apprendre avant de savoir. En tout cas notre méconnaissance est hallucinante. On se permet de juger des cultures millénaires et les situations inextricables actuelles, à l’aide de quelques stéréotypes et clichés. Cela permet aux radios, télés et autres médias de nous raconter n’importe quelle absurdité tous les jours et nous…marchons, nous nous croyons informés et cultivés. Heureux les imbéciles arrogants ! Je souhaite à nos enfants et petits enfants des commentateurs et des politiques plus intelligents et cultivés. Mais cela n’arrivera pas… c’est le genre Trump qui nous guette !
Dans notre univers occidental étriqué, en pleine régression, on saluera donc le courage, dans la lutte contre les préjugés, de quelques spécialistes ès mondes étrangers, ceux qui ont appris les langues étrangères et l’histoire des autres continents. Saluons aussi les quelques centaines d’amateurs qui tentent avec peine de s’y reconnaitre dans ce chaos et nous informent autant qu’ils le peuvent. Parmi eux, je salue en particulier les militants de Mulhouse Eric Chabauty et Pierre Freyburger auteurs de l’enquête « la Dérive du continent », (Médiapop éditions 2017) qui ont eu le courage d’enquêter sur place; tout comme le spécialiste connaisseur M. El-Miri (Université d’Aix) qui passe plusieurs mois sur le terrain
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Racisme ambiant et fondation de l’Histoire en « l’Occident »
Au long de la démarche ethnographique de l’auteur Mustapha El-Miri (univ de Provence) au Proche Orient, en Afrique du nord et subsaharienne , l’auteur démonte les diverses situations intriquées et obscures , les formes, les variantes du racisme, essence de l’Occident qui s’expriment . Grâce à l’observation directe et une forte érudition il décrit des faits vécus ou lus dont il tire les conclusions au sujet du racisme contemporain, qui se manifeste sous des formes à peine neuves après 5 ou 6 siècles Il prend notamment le racisme anti-Noir comme principe fondateur, ciment d’autres racismes depuis la Traite jusqu’aux migrations auxquelles l’Europe fait face de la manière qu’on sait. Il nous conduit à concevoir le racisme comme une catégorie structurelle qui justifierait la plupart des mouvements démographiques
1 Le racisme noir occidental fondateur des autres racismes ( antisémitisme ,islamophobie, etc )
Si le racisme a été universel à partir du moment où il y a eu conquête d’une population par une autre, il est cependant multiforme dans notre histoire ( visible depuis au moins Christophe Colomb ),au moment où sur les autres continents toutes les populations de natifs ont vu arriver sur leurs côtes, particulièrement en régions riches en terres, minerais ou métaux précieux, des centaines de migrants « Blancs » qui deviendront des millions, déferlant par mer terre ( Afrique ,Asie, Australie, Amérique du nord et du sud) . Et tout à coup les autochtones se découvrent « Noirs » « Rouges ou « Jaunes » selon la désignation de leurs « visiteurs » Blancs. Attitudes multiculturelles qui façonneront une civilisation et les mentalités des exploiteurs de ces autochtones ( style le petit Blanc)
L'explication et les étapes historiques sont indispensables pour saisir la division interne, « naturelle », que des sociétés qui s’ appuient sur la force inégale des armes détermineront la durée de la domination. Classements et catégorisations de « couleur » sont indispensables pour saisir des jugements et des incompréhensions consubstantielles à toute la culture occidentale Elles allaient déterminer des infériorisations, des exploitations, des déplacements forcés qui survivraient pour réaliser le socle qui construirait nos conceptions profondes, nos jugements historiques, politiques et intellectuels ( y compris dans les "sciences sociales"). C’est ce qu’avait esquissé Jack Goody dans Le vol de l’Histoire . Il s’est battu contre cette conception de l’écriture historique :« Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde » ( sous-titre) a été son livre le plus important, un grand pas en avant des dernières années sauf en France bien sûr où il a été ignoré malgré sa traduction récente.C’est-à-dire :d’abord on « fait » l’Histoire » (conquête, traite, esclavage, imposition d’une nouvelle religion, transfert des richesses locales ) et ensuite on « l’écrit ».
Cette façon de voir le passé chez Goody démolit les préjugés de l’ histoire académique classique . Il rend justice aux études des meilleurs intellectuels locaux qui récusent ce qui fut écrit par les Européens sur leur société. Il combat les concepts scientifiques en faisant appel à de nombreux faits sur deux siècles . Ses références factuelles: 300 auteurs anglo-saxons et une trentaine de Français qui prirent un point de vue non conventionnel et ont contesté l’ethnocentrisme des sciences humaines .
Quand les arguments racistes prirent-ils le pas sur la justification économique par rapport à la force pure de la domination ? Notamment quand les armées partirent et que les colons restèrent ,et légitimèrent leur présence grâce aux théories biologiques de la fin du 18è quand on déplace de force les dominés et qu’on les transforme en e soit en esclaves, soit en travailleurs forcés. Goody suggère que les théories de la domination naturelle des Blancs ont affecté toute la culture et toutes les attitudes, y comprises progressistes et bien sûr les idées religieuses ; en en faisant des convictions profondes, intériorisées et même parmi les plus engagés dans la libération y compris les marxistes qui ont perçu les conflits de classe comme premiers ; notamment les intellectuels des sciences sociales et politiques du 19è et 20è. Devenues naturelles au bout de 3 ou 4 siècles, ces convictions n’eurent pas besoin de longues justifications. Selon Goody , les idéologies écrites et raisonnées socialement, n’eurent pas besoin de discours , ni de proclamations ou de récits justificateurs ; elles devinrent innées au point que les esprits les plus engagés, les révolutionnaires du XIXè manquèrent ce débat. Ce fut la remarque que de nombreux intellectuels Noirs ou métis adressèrent aux marxistes (ainsi lors de la lutte des Noirs américains pour les droits civiques) Ce sont ceux-là que la lecture de MEM remet au jour.
Quel rapport a ce combat de quelque historiens et anthropologues isolés au 20è avec la thèse de MEM ici étudiée ? Justement il apporte de l’eau à ce moulin-là ,en fournissant le matériau de l’ethnographe ou du sociologue d’observation participante au sujet des formes subtiles et diffuses du racisme par rapport à l’exploitation de la force de travail et la non reconnaissance de Droits. C’est pourquoi le racisme est plus multiforme, plus enraciné que l’aliénation au travail dans un rapport de race avant de classe. Il suggère que le racisme « méditerranéen » actuel (des pays du pourtour) est fait de différenciations fines que seul l’ex-colonisé qui « transite », ressent. Il montre les nombreux visages de ces racismes : celui de pouvoir et d’institution bien sûr, mais aussi celui, privé des témoins, passeurs , aides et employeurs . Le racisme corporel n’est pas la même chose de part et d’autre de la mer, le racisme de langage est également distinct chez l’Arabe, qui voit transiter ou chez l’Espagnol ou celui du Français méridional. Les comportements racistes varient aussi selon le lieu, le moment et le style de comportement à leur égard dans la cité, Ils ont imprégné la culture de voisinage et la moindre sociabilité ; ils ne sont pas saisissables pour la majorité des intermédiaires ou des observateurs extérieurs. Cela s’explique aussi par l’ancienneté du contact et par la durée du séjour oula réussite du migrant au contact de l’étranger.
L’essentiel est de retenir que la culture occidentale ( et en partie aussi l’arabe) a été imprégnée pendant de siècles de domination, de représentations inconscientes inculquées par de nombreux biais . Il est impossible de les percevoir de l’extérieur,et de concevoir comment elles sont reçues Aussi les pages de El -Miri qui les décrient sont riches en petits indices probants.Contrairement aux formules de l’ethnocentrisme classique ou de l’égocentrisme social, celles du racisme institutionnel consubstantiel sont le filtre à travers lequel se construisit « l’Histoire du monde ». Cette progression jusqu’à aujourd’hui est essentielle pour analyser les étapes de la migration au XXè et XXIè et comprendre l’intériorisation par l’émigré actuel, de ces formules historiques cumulées qui le conduisent à travers des « accueils » différents au long du périple à assumer au moins plusieurs « identités » infériorisées distinctes
Avec ce cadre analytique en tête, El-Miri mène une enquête par observation directe des diverses étapes du déplacement de Noirs à travers le Sahara, puis le Maroc et l’Europe du sud. Il met en évidence les simplismes de la construction ( et l’efficacité) d’un racisme anti Noir à chacune de ces étapes au long de la traversée (désert, pays arabes, puis passage de la mer et rencontre avec l’Europe). Ces migrants « noircissent » si on peut dire, au fur et à mesure des pays qu’ils traversent, se découvrant de plus en plus noir au cours de la rencontre de l’émigré avec diverses acculturations. Tout cela lui demande une gymnastique subjective imprévue, tissée de nombreuses ségrégations et discriminations du monde arabe vis-à-vis des subsahariens jusqu’à l’indésirable en Europe. Chacun des racismes au long du voyage se construit sur des bases nationales et le migrant doit découvrir, progressivement, l’intégrale altérité : couleur, statut, éducation, critères assignés par des sociétés qui présentent à leur égard, des manifestations ambiguës dans l’échelle de valeurs, allant de la désignation par la couleur de peau aux imputations d’infantilisme, pi bien d’ intelligence primaire, necesairement associées au statut de quémandeur. A l'évidence il y a de nombreux barreaux à descendre dans l’échelle du racisme tout au long de son périlleux parcours
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