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Je joins un texte qui a été publié avec le reportage souvenir de mon oncle paru en 200O avec ses photos de la Retirada anniversaire de l'époque où les réfugiés républicains espagnols arrivant en France étaient mis dans les camps d'Argelès etc ; ceci est imposé par l'actualité : le rejet actuel des "Migrants" :
Quelques photos du peuple
De Manuel Moros, peintre : 1898-1975
Moros a été , dans son art, connu parmi les peintres modernes du XXè: il a exposé plusieurs fois à Paris ou à Perpignan. Mais il a été aussi un remarquable photographe notamment des réfugiés espagnols ; il a été -et ceci est méconnu- l’observateur des plus humbles de ses contemporains comme cela se fît aux USA, dans la grande tradition ethnographique ( voir H. Becker: « Exploring Society Photographically » concernant les plus grands photographes, de M Mead à Douglas Harper), un genre qui n’est pas passéiste, mais indispensable à la compréhension sociale.Rappel de sa situation : Il a été photojournaliste militant, fournisseur de documents imagés et engagés pour la presse, documents reconnus partout aujourd’hui grâce au travail de E. Forcada et G. Tuban eux qui ont le mieux interprété et présenté ses photos émouvantes de la Retraite espagnole de 1939 dans une très belle édition et un excellent commentaire des deux auteurs, édité à Perpignan .Ces deux auteurs ont produit de nombreuses informations biographiques sur Moros ( voir in fine l’étude fouillée de E .Forcada), homme au destin étrange et complexe. Je voudrais, quant à moi, son neveu, évoquer non le peintre, mais son activité de reporter spontané au sujet d’une cause, celle du peuple de paysans , bergers, pêcheurs du Roussillon. J’admirais ces photos ; nous en parlâmes souvent : il m’a légué tout son stock dont je donne ici une idée en les replaçant dans leur contexte d’artiste peu conventionnel à la suite d’une enfance « errante ».
Sa biographie est inhabituelle et émouvante. Rejeté, renié puisque accouché sous X : sa mère issue de la grande bourgeoisie parisienne, enfante de lui à 20 ans mais célibataire , elle refuse de reconnaître cet enfant « bâtard ». Le père lui le reconnaissant lui donne son nom, et le confie à une nourrice ! Trois ans après, ce père, peintre Colombien, est rappelé dans son pays pour diriger une importante académie : Manuel désormais seul est placé en orphelinat. Il va être ensuite « à demi » récupéré par sa famille maternelle puisque sa mère le reconnait enfin et le placera chez sa belle-mère (entre- temps, cette mère a fait un bon mariage avec un homme d’affaires). Cette vieille dame, pour Manuel, serra une mère bien que sans lien du sang. Il est interne chez les Frères de Noisy -le- Sec., toujours sous le nom déclaré Moros. Donc de père étranger, il n’obtiendra la nationalité française qu’à l’âge de 12 ans sur décision juridique. Voir photo de mariage de sa mère, ou elle est entourée de ses deux enfants dont Moros – famille catholique ancienne, « tradi » ; proche du pouvoir sous les second Empire flirtant plus tard avec l’extrême-droite.
Parcours chaotique que ne stabilisent pas de bonnes études chez les Frères éduquant les enfants de la bourgeoisie « chic » de la banlieue parisienne . Il sera laissé pour compte une seconde fois quand on ne peut ( ou ne veut) lui payer des études au-delà de 16 ans ; il se place alors comme ouvrier agricole dans des fermes de maraichers du voisinage jusqu’à son incorporation à l’armée en 1916 quand il a 18 ans . Blessé en 1918, il se retrouve prisonnier, ouvrier dans une ferme de Bavière : la fille du propriétaire s’éprend de lui et le poursuivra de lettres quand il sera rapatrié en 1919 (amusé, il me montrera ces lettres passionnées)
Son éducation en tant que peintre commence à l’Académie Jullian qu’il fréquente deux ans . Il paye ces études, de sa prime de démobilisation et d’une indemnité annuelle pour une incapacité partielle (de 20%) pour sa blessure aux poumons au Chemin des Dames. Après ces études, il fait quelques expositions de dessins et quelques ventes. Puis il décide de partir en Catalogne. Cette partie de carrière est aujourd'hui bien documentée. En province, loin de Paris, il entre dans un autre monde : celui de la province affichant son autorité et ses prétentions artistiques. Par son mariage avec la fille d’un architecte renommé, il fréquente la bourgeoisie perpignanaise des arts, des affaires et du commerce de résidences à décorer. Grace à cette entrée, il se fait connaître, expose, vend et, à l’occasion, fréquente une importante colonie d’artistes de « l’Ecole » dite de Collioure. Où il rencontre les grands peintres du temps. Le succès lui tend les bras et il est très en vue. Mais après six ans, il divorce et se coupe du milieu des élites locales argentées . En manque d’ouverture d’expositions et d’acheteurs, il quitte Perpignan, pour ouvrir et vivre d’un cabinet de photographies ( identités, mariages, presses, motifs pour cartes postales). Alors qu’il a remonté la pente (son activité à Collioure marche notamment grâce à la valeur reconnue de ses photos sur la retraite républicaine espagnole et ses cartes postales éditées) voici que1940 arrive ! Encore mobilisé dans la défense passive, il ne vend guère, la photo de famille ou de loisirs n’est plus un marché lucratif.
Depuis plusieurs années, il rencontrait régulièrement, l’été, trois amies fréquentant la Cerdagne : toutes trois institutrices -dont deux sœurs- venant de Toulouse. Il épousera plus tard l’une d’elles, qui est la sœur ainée de ma mère. Ma tante, donc, non encore mariée, m’emmena passer mes vacances à Collioure ou à Argelès pour le « bon air » ; (ma mère restant auprès de son mari et de sa fille, ma cadette)! Quand fin 1942, les Allemands envahissent la région, il se marie et s’éloigne définitivement, renonçant à l’inspiration locale pour ses peintures ou ses photos qu’il cache ou amène en son déménagement
Il rejoint le logement de fonction de sa femme, institutrice de classe unique, dans un petit village en Haute Garonne, où il sera connu comme jardinier . En effet il cultive un très grand terrain attenant à l’école :il vit en troc avec les paysans locaux : lait, fromages, œufs contre fruits et légumes de sa production. Il repart sur un nouveau style de peintures, de photos, et aussi -fait remarquable- de lectures se découvrant, dans sa solitude artistique, une passion pour les manuscrits anciens ou les auteurs caustiques du passé , du Moyen Age (Rabelais, Montaigne, St Simon etc). Également il s’intéresse aux livres sur la culture asiatique en tant qu’érudit. Mais il reste au courant des modes et suit les nouveautés parisiennes en littérature moderne. Que ce soit peintures, estampes, tapisseries alors peu à la mode ou musique moderne, atonale, jazz etc… ou que ce soit les grands classiques du XXè, P. Claudel, À. Gide, P. Valery,A. Camus et surtout Kafka ; il s’invente une culture personnelle, extrêmement originale puisqu’il lit beaucoup, réfléchit en solitaire et vit une sorte d’ascèse intellectuelle. Il s ‘entoure de silence, d’autant qu’il est de nature peu volubile, y compris avec sa femme, ou ses voisins, les paysans qui apprécient sa discrétion et sa connaissance du travail agricole . Il est féru de musique et de documents sur l’Orient extrême : la Chine, Japon, Laos, etc. Dans le même temps, il reconstruit une cercle d’amis dans la bourgeoisie toulousaine non conventionnelle, proche de lui pour son amour de la montagne qu’il pratique avec eux. Il peint dans un style nouveau, peu figuratif, inspiré de l’art de la décoration japonaise : lignes courbes ,épurées , simplicité des abstractions ( les meilleurs tableaux de cette sont reproduits dans le livre de Tuban et Forcada) ; il pratique les dessins calligraphiques, les photos d’art de la nature ( neige, eau, scènes paysannes, plantes et fleurs ou arbres aux formes originales)
Je l’ai connu à ce moment-clé, le fréquentant souvent, étudiant à Toulouse. Son scepticisme manifesté de façon argumentée ,outre un refus et une critique des illusions morales et béates sur la nature humaine, plaisaient à des jeunes gens révoltés par la société bourgeoise, triomphante dans les années 1960 . Sarcastique, dénigrant mais sans provocation tous les idéalismes, il était bienveillant à l’égard des gens de condition modeste. D’un port sévère, rarement souriant, silencieux mais pas bougon, ironique sur les codes de la morale et d’orgueil, il évitait les publics aux prétentions artistiques ou littéraires ronflantes. Cependant s’il expose à Paris, il ne vend guère. A de rares occasions, il revoit son demi-frère musicien (violoniste à l’orchestre de Bordeaux), avec qui il est en bons termes mais qui mourra jeune . C’est le seul membre de sa famille maternelle qu’il revoit. Je suis le seul « de la parentèle » qu’il supporte. Je le fréquente pour fuir l’ambiance de la faculté de Droit, alors fascisante au cours de la guerre d’Algérie et de ses retombées à Toulouse, également pour fuir les conventions petites bourgeoises de mon milieu (révolte adolescente ordinaire) ! Ses discussions et l’ouverture de sa bibliothèque de même que ses conseils, me furent bénéfiques pour me former une personnalité libre, outre un grand goût pour la lecture en tout genre. Aussi pour apprendre à lire vite, avec quelques notes au crayon en marge, pour fixer le souvenir ; et d’autres modes d’invention d’une personnalité. Il m’a appris aussi le contact direct avec la « terre », un rapport quotidien de deux heures au moins de marches, la haute montagne, le jardin, la contemplation etc
Il poursuivra ce genre de vie de solitaire à Manosque où sa femme est nommée ; ils achètent un petit appartement avec vue sur la Durance, au pied de la colline du Mont d’or, situé non loin de la maison de Jean Giono ; il loue un jardin et commence à l’exploiter. Il décèdera pourtant loin de là, frappé d’une crise cardiaque dans l’appartement de vacances prêté par mes parents pour ses séjours à Banyuls qu’il affectionne. Il meurt quelques jours après l’hôpital. Il ne veut aucune cérémonie ni réunion intime ; il demande d’être enterré en anonyme dans la fosse commune.
Il m’avait auparavant en quelque sorte « adopté »,, me désignant comme son légataire universel dont une trentaine de tableaux, sa bibliothèque de 300 ou 400 livres, d’art notamment et de littérature française « moderne », il m’ait fait lire à 15 ans : Camus, Sartre Malraux et surtout Gide ; ainsi que les nombreux poètes publiés chez Seghers. Il me laisse aussi, outre son appartement, 300 photos de toute sorte, dont celles de cet album que je sors pour un dernier hommage à celui qui m’a formé intellectuellement, car je n’avais qu'une faible culture personnelle. De plus, il m’a donné le goût de l’ascétisme de moyens, une sagesse de la vieillesse en quasi ermite qui est également mon choix personnel, en haute montagne, présentement.Beaucoup de « natures mortes », plantes aux formes originales, fleurs rares, scènes de labour ou moissonnage, meules et animaux dans la nature. Tous les objets décoratifs originaux, selon les normes de chaque milieu, sont photographiés s’ils correspondent à ses normes de beauté épurée, d’équilibre dans le décor et de légèreté. Ses sujets ou ses paysages sont sans détails superflus et manifestent une recherche de la simplicité et de jeu avec la lumière.
Tel est l’homme qui a traversé trois-quarts de siècle en occupant toutes les positions dans l’échelle sociale. Rejeté, repris, ré-abandonné, refaisant surface, il a pratiqué tous les milieux sociaux :la haute bourgeoisie parisienne des arts ou des lettres, les prolétaires des villes ou des champs, les petits artistes de grandes villes ou de la campagne ; il a fréquenté les Ecoles de peintures renommées ou les groupes avant-gardistes, des plus classiques ou des plus marginaux. Je considère aujourd’hui que son point de vue sur les classes sociales est un des plus expérimentaux et « réfléchis » possibles ; ce qu’il m’a donné à voir, utile en sociologie, de son travail d’artiste ou de son style de vie, est une ouverture sur le monde, que rares, des intellectuels de mon temps ont pu rencontrer.
Je réfléchis à son mode de semi-retrait ou de silence, recherché ou non, dû à ses allers -retours au sein de la bourgeoisie jusqu’au bas du monde agricole. Cela lui donna une vision perçante, un œil acéré, à double cible: indigène nulle part et intégré à rien, sinon en tant que pièce rajoutée, ici ou là, dans tel ou tel milieu, momentanément. Ni misanthrope et encore moins philanthrope, un homme extrêmement original dont l’itinéraire et l’indépendance de pensée me fascinèrent ! Pas grincheux pour les gens qu’il supportait, encore moins aigri, il pouvait être d’un humour dévastateur ou simplement ironique au sujet des prétentions sociales et des vanités mondaines de quelques-uns bien en vue. Surtout il était avare de son temps et de ses mots, se consacrant à une culture personnelle, travaillant ses photos, peintures et autres productions (dessins, esquisses, aquarelles, cailloux ou autres objets naturels trouvés au hasard de ses promenades) ; bref une culture de la beauté visuelle simple, à affiner sans cesse. Je le vis régulièrement Toulouse pour mes vacances et mes W-E. Il m’encouragea à publier mes « poèmes « de jeunesse, » !! me fit lire sa riche bibliothèque, m’expliqua les estampes et dessins « chinois », l’équilibre de l’art japonais. Il m’a initié à une sagesse orientale (mais tout ceci, je ne l’ai compris 50 ans plus tard) et m’a fait aimer la musique éloignée, africaine ou d’Orient, le plaisir d’exposer chez soi de menus objets décoratifs qu’il achetait chez des collectionneurs d’art africain ou d’autres brocanteurs, en avance sur son époque ! .
Tout ceci paraîtra aujourd’hui complètement désuet et si décalé qu’il est un peu ridicule de le sortir de l’oubli. Un enfant de la bourgeoisie qui rejoint effectivement le peuple après deux aller-retours par choix et non par accident : c’est incompréhensible ! Voici une anomalie qui se réalise peu de fois dans un demi-siècle ! on justifiera , par-là, son humanisme discret, la qualité humaine de ses photos ou celle de ses tableaux tardifs : l’Homme y est petit dans la nature mais immense dans le cosmos ; l’art populaire est un art réaliste à part entière mais on ne lui laisse pas le temps de s’exprimer et de conceptualiser et autres de ses convictions .Voilà ce que je voulais souligner avant d’aborder quelques caractéristiques de l’originalité de ses photos du peuple, de valeur artistique et informative indiscutable.La beauté des visages ( ce texte est en principe accompagné de 5O photos choisies)
une singularité pour un non photographe : Moros a photographié le regard surtout des enfants arrivant dans les camps après avoir échappé à Franco: peindre, surprendre ou imager le regard des autres est une gageureUne recherche de l’équilibre et de la beauté en soi : telle est la figure humaine d’une expression naturelle saisie au vol. Même la tête animale a une simplicité biblique. Le visage surpris par l’objectif recèle la tension, l’émotion, l’effort, la place du travailleur dans cette immensité : la plaine, la montagne, la mer, espace naturel où l’homme est petit, mais grand par sa situation de témoin réflexif
La beauté des visages du peuple : pas simplement parce qu’ils sont « peuple », ni les visages burinés parce qu’ils expriment le labeur collectif, pas plus que la mère espagnole migrante avec son enfant dans ses bras ne sont que des compositions sur la douleur. Plutôt des réflexions sur « la condition humaine ». De la Retirada, il a donné des images si expressives qu’elles nous troublent encore : visages de femmes réfugiées à la frontière dont une photo qui a fait « le tour du monde » des musées, aussi saisissante que les patres grecs idéalisés ou les modèles féminins de la peinture de la Renaissance
Moins connues étaient ses prises d’attitudes, ses « angles » de vue inattendus d’enfants, de vieillards où personne ne pose évidemment : tout sur le vif, sans être vu, que ce soit en ami ou acteur. Danse avec le blé, le ballet autour de la batteuse ; danse avec les arbres quand 2 ou 3 bucherons écorchent le chêne, frappant à tour de rôle, ou encore la mer infinie qui fait danser le bateau de pêche. La valeur du travail populaire est toujours magnifiée, de manière non folklorique, encore moins touchante, mais avec la dureté et la précision du scalpel : précision et radicalité signifiante. La beauté au quotidien des visages (ni corps ni têtes entières) mais plutôt la saisie d’un éclair du regard, une émotion, tension dans l’effort. Le visage humain est beau à tout âge mais certains vieillards ou enfants saisis au hasard font voir des expressions ou gestes baroques (enfants au jeu) sous l’angle du « naturel » à l’insu . Même le joueur de boules a une posture originale sinon gracieuse, le chaisier également très concentré, ou le brocanteur ; et des animaux domestiques (hors chiens et chats, ici quasi absents). Le simple quotidien ; le corps et l’outil ; le mouvement lent et réfléchi, la solitude à plusieurs, la chaîne du travail dans le marquage des animaux, la présence et l’aide des femmes lors du repas commun, la sieste etc.. De ces animaux au travail ou la préparation du repas, ou bien la sieste, toute une force se dégage : le mouvement, lent, posé, calme ou bien la solitude dans l’immensité de la mer ou de la campagne. La marche en montagne est rythmée par le cheval ; l’avancée silencieuse du groupe sur le sentier est conduite par le berger : en général homme qui œuvre seul, qui marche, ou celui qui laboure, qui répare le filet. Le photographe est ascétique dans ses moyens d’expression, mais l’œil est acéré et décape la scène d’attributs secondaires
La profondeur de la photo
Groupes ou travailleurs isolés, l’horizon est toujours là, haut et puissant. Du collectif, il se dégage un silence : le panoramique de montagne impose la sérénité au berger, comme à l’animal de trait qui, dans l’espace vide, se concentre sur l’effort. Finalement l’homme est minuscule sous l’horizon et le ciel est écrasant mais il s’en dégage un équilibre, un apaisement, un sens de l‘adhésion consentie à la tâche, la concentration des travailleurs séparés ou assemblés. Il y a, non pas une philosophie politique ou sociale, ni un esthétisme allogène, mais une sympathie avec l’aspect routinier de la vie ; mais si lointain aujourd’hui qu’il nous parait exotique. Le travail des autres, ceux qui nous nourrissent, qui entretiennent notre milieu, si discrètement que nous ne les voyons plus, ne les regardons plus travailler, et même quand, visibles, ils sont sous nos pieds dans la tranchée urbaine, ou en hauteur sur le bâtiment qui s’élève, ou au volant d’engins qui nous gênent mais qui se « polluent » d’abord eux-mêmes . Le corps est rarement entier, ni la tête complète, mais on ne décèle bien sûr aucune idéalisation, sauf la force du regard et un certain ascétisme du décor extérieur choisi :le tracé de lignes choisies, droites et des angles ou volumes simplifiés. Ses paysages de neige, ses labours et ses moissons, toutes ses natures mortes sont des modèles d’équilibre, de facture soignée, recherchée. Les courbes et droites du sujet sont épurées. Et ses nombreuses fleurs, arbustes, plantes sauvages, arbre unique, sont saisissants par la force de la beauté simplifiée, naturelle. Toutes les peintures de ses dernières productions obéissent à cette facture ascétique, sans fioritures.
Les visages du peuple ou la profondeur de la scène commune sont une célébration du travail, plus qu’un jeu formaliste. Moros y fut attentif dans les années 30 et 40, plus que bien de ses contemporains, il nous informe par les sens de l’expression visuelle au sujet des travailleurs de la terre ou de la mer, sans idéalisme militant, ni esthétisme particulier. Il le montre dans cet échantillon d’une soixantaine de photos que j’ai choisies, dans les centaines qu’il m’a laissées. Le travail modeste de l’artisan photographe, proche du populaire est en effet si oublié, si négligé, si occulté aujourd’hui que, pour être « moderne » , il paraîtra peut-être ridicule de le ressortir, tant il est hors de notre temps.
Cependant Moros et d’autres émules sont des témoins profonds pour nous-mêmes, notamment si la bourgeoisie les a rejetés hors des familles et des bâtardises. A côté de lui, il existe de nombreux méconnus aux témoignages oubliés de leurs époques. Par deux fois il s’est placé du côté du peuple, ouvrier agricole anonyme, militant du soutien aux réfugiés espagnols, grâce à « l’image diffusée » et engagée ; un signe de sa vie. S’il fut un marginalisé comme beaucoup d’autres inconnus, il a parfaitement assumé. On affirme cela en considérant qu’il est « aller mourir » dans ce pays de Cerdagne où il se sentit tant de fois renaître après son parcours accidenté. Néanmoins, les échos contemporains de son cri silencieux par des images si fortes nous saisissent encore aujourd’hui.
Par exemple, celle de la vieille femme portant un fagot qui semble sortie du livre de Jaurès que je cite : « Elles rapportaient, non pas sur leurs épaules sur leur dos une charge de verts rameaux. Et le vent qui passait par le feuillage éveillait, tout autour de la vieille paysanne comme un vaste bruissement de la forêt ; mais elle n’entendait pas et cheminait son pas automatique sans comprendre cette chanson de rêve ». La photo particulière (page ) pourrait être une de ses légendes, illustrant notre cécité, celle que soulignait Jaurès sensible au labeur du peuple.
Y a-t-il un art populaire, en soi, ou est-ce un sous-produit de l’art dominant et légitime ? Les classes inférieures peuvent-elles créer un art à part entière ? Par exemple le soin apporté à l’élégance de quelques objets ou produits de l’activité quotidienne : le bâton sculpté de berger, la décoration d’une étable,l' arrangement d’instruments bien disposés, sont-ils là pour le plaisir de l’œil ? Moros le pensait mais c’est plus que cela : l’harmonie de quelques espaces ou formes d’ outils est une façon d’être, peu spéculative certes, néanmoins c’est une façon de sentir autonome, une sensibilité bien réelle par rapport aux critères dominants conformistes ( gratuité du geste, sans formalisme de règle esthétique). Dans La réalité du monde sensible, Jaurès ( titre de sa thèse) « d’emblée entend se démarquer de tout idéalisme subjectif et va à l’encontre de la démarcation philosophique qui affirme le sujet pensant pour s’en aller poser l’existence du monde » ( cf C. Dupont ). Alors Jaurès déclare : « Le travail humain appelle à soi, avec les vifs rayons de la lumière d‘aujourd’hui , la force obscure de la lumière de jadis !Et le « geste auguste du semeur » ouvrant le cycle du blé que la houille achèvera , ne s’élargit pas seulement aux horizons visibles : il évoque en outre maintenant, pour l‘accomplissement suprême de l’œuvre, les forces qui rayonnèrent dans les horizons du passé » voilà ce que dit un philosophe à la cité » ; dans le beau texte :La houille et le blé, la question de l’art du peuple selon Jaurès, nous oriente vers un esthétisme où les classes basses ne pourraient l’exprimer qu’avec de pauvres moyens, moins de force et d’audace que les autres classes. Quand on avait discuté de cette déclaration de Jaurès (qu’il trouvait un peu paternaliste et sentimental), Moros prétendait ,bien sûr, que le peuple a un sentiment inné du beau , une sensation de l’esthétique, mais que c’est une erreur de croire qu’il ne le théorise pas, qu’il ne sait pas le formaliser, l’ enseigner et transmettre la beauté d’un bâton sculpté de berger, les fioritures des artisans bâtisseurs d’églises , ou dans la décoration de telle masure, l’association choisie de fleurs dans un jardin de primeurs. Toutes sont des manifestations visibles des classes sociales basses, dans la production qui sont aussi pensées que d’ autres intellectualismes. Néanmoins elles sont diffuses par manque de moyens de distribution refoulée ; telle était l’opinion de Moros qui, par ses photos, fait vivre ces opinions. Moros pensait que Jaurès était un protecteur ambigu de morales esthétiques et qu’il y avait, en soi et de manière suffisante, une recherche de beauté évidente parce qu’il existe des attitudes , des postures, des mouvements, une plastique chez tous les travailleurs du blé ou de la houille, de la mer ou de la forêt, qui ont valeur esthétique; ne serait-ce que pour ceux qui vivent la sensation de l’immensité du ciel ou de l’horizon, là où le labeur se déroule, ainsi que le sentiment que le travail est tout, sauf une solitude et un isolement, mais un geste collectif, une relation réussie et riche aux autres. Chacune de ses photos, qui réclame notre attention, fait surgir la dimension de l’homme dans l’espace, vide ou panoramique, et la force harmonieuse du groupe. « L’art du peuple », senti par et exprimé par le « peuple », serait moins connu parce qu’il n’a pas les moyens et l’ambition de diffusion d’autres expressions. C’est tout, mais ce n’est pas une différence de nature, ni une réhabilitation et il n’y a pas réelle compétition. Ce sont la non fréquentation, le non partage des conditions de vie qui nous empêchent de voir un art et une force, telles que la solitude dans l’immensité ou l’association de groupes dans le labeur quotidien. Sa photo est plus que tout autre, un raisonnement esthétique, sinon philosophique, une élaboration venue de sa réflexion et de sa longue observation (il passait beaucoup de temps à contempler un éventuel « sujet » avant de le « travailler » avec l’appareil de photo). Il a ainsi développé un regard sociologique de manière aigüe et il nous encourage à le suivre dans cette voie. Tel est l’objet de cet album.
Histoire des photographies d’un homme sans patrie et sans frontières
L’homme qui a pris deux fois l’ascenseur social ,à la montée et à la descente, fut un enfant de la haute bourgeoise artistique d’affaires qui ne le reconnait pas, puis qui le « récupère », mais alors il redescend ouvrier agricole à 16 ans ; pourtant il remonte la pente en intégrant à Perpignan la bourgeoisie locale mais il redescend dans une semi pauvreté pendant la guerre de 39-45.Il a su développer un œil social exceptionnel , un regard acéré dur les classes sociales quand il décide de vivre en autarcie, sur le salaire de sa femme, institutrice à Manosque en fin de carrière, originaire des classes moyennes assez ouvertes pour accepter qu’il vive aux crochets de sa femme. Photographe et peintre indépendant, à partir de 1950, il ne vend plus et ne fréquente guère les musées ; à la fin, un peu les librairies mais il reste en contact avec des cercles d’amateurs bourgeois parisiens, des amis non conventionnels comme lui. Il est devenu une sorte de moine ascétique, bibliophile qui lisait Montaigne dans le texte original en s’aidant d’un dictionnaire de vieux français et lisait les Mémorialistes acides comme Saint Simon, ou d’autres au regard dévastateur. Il démystifiait tous les discours humanistes convenus. Il s’affichait antireligieux mais pas anticlérical, apolitique complexe : bref une personnalité fascinante d’un scepticisme absolu sur la nature humaine, riche et utile pour les jeunes gens de ma génération portés à un idéalisme que l’époque (guerre d’Algérie, post-colonialisme) allait désillusionner .Par contre il fut très intéressé par Mai 68 qu’il regarda de loin mais intensément en recherchant les meilleures photos. Une personnalité hors-pair qui marquait les gens qui le rencontraient et qui appréciaient son esprit acerbe et décapant.
Pourtant c’est à travers ce scepticisme et ce décalage qu’on se doit de construire un regard sociologique lucide et acéré.
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Selon Thoreau, marcher en forêt c’est désobéir (Rousseau le grand marcheur le pensait aussi).
Pour moi dormir à la belle étoile quel que soit le temps c’est aussi ne pas obéir aux lois de conformisme, des conventions et des contraintes du besoin de confort. Pas besoin d’aller dans le Massachusetts ou dans les forêts de Sibérie… pour sortir des sentiers battus et des excès du modernisme
Ne pas obéir compense et justifie le refus de la protection artificielle des villes, de la chaleur de sa maison et le refus de se sentir mouton, noyé dans la masse de la foule anonyme. Dormir dehors signifie une perception très différente de la nature, du monde minéral ou vivant. Cela commence dans l’enfance par apprivoiser les bruits étranges nocturnes, par retourner la peur du noir en amitié solide avec l’obscurité, par rencontrer peut-être sans les craindre, nos fantômes intérieurs. En dormant dehors, on maîtrise quelques heures son destin loin des horaires et contraintes des « effrois » de notre temps. Il y a longtemps que je pris cette habitude pour me débarrasser des miasmes de la civilisation organisée jusqu’aux minuscules détails de notre vie. C’est pour ce genre d’éducation, qu’adepte régulier de cette pratique, j’y mène souvent mes enfants ….ou des amis curieux de cet univers inconnu qu’est la nature, la nuit. Tout s’y transforme : des bruits aux perceptions des couleurs du soir ou du matin, et bien sûr la meilleure connaissance de la vie sauvage, celle des animaux
Sortir la nuit de chez soi, c’est sortir de soi, de la protection artificielle de la civilisation : c’est penser librement. La situation nocturne y convie .Partir seul à l’aventure dans un coin peu habité, voire désert, c’est se consacrer à l’essentiel ; construire ou aménager son abri improvisé, faire un feu pour cuire son repas (notamment si on a pris quelque poisson avant) . Partir la nuit hors de chez soi c’est aussi s’enraciner dans la vie organique ; c’est fonctionner auprès des arbres, élément essentiel de la protection de l’humanité dès ses débuts. Pour moi les arbres me protègent de la pluie ou de la rosée, m’octroie le bois pour le feu , me donnent le droit accrocher mon hamac (je suis partisan de ce couchage depuis que j’en pris l’habitude chez les Indiens d’Amazonie ;un hamac bien choisi protégeait de l’humidité et des animaux rampants en forêt équatorienne ). La nuit, ici, dans un endroit totalement isolé me donne la possibilité de renouer avec mon passé. En général je choisis la montagne, les bords des lacs ou des rivières, ou encore les cabanes de pierres sèches des bergers du Causse : là où on ne rencontrera personne. Bien choisir son arbre, comme Brassens le dit, est essentiel : on doit calculer une distance correcte pour la suspension, l’orientation et la solidité du hamac! Tout un symbole : l’arbre a été l’ami de Henry Thoreau, celui de Sylvain Tesson en Sibérie aussi. Le bois représente tout dans la mythologie des gens de la nature, des marcheurs ; il sert à toutes sortes d’usage sans parler des fruits : bois de construction, bois des vaisseaux afin de traverser les mers, bois de chauffage. Le foyer de la grotte préhistorique jusqu’à la maison protectrice ont été alimentés par lui pendant des millénaires. Il est aussi la protection contre le vent, atténue la pluie ; il parle à travers ses branches sous le vent ; il se plaint, gémit ou adoucit la violence de la bourrasque
Donc d’abord toucher l’arbre, obtenir sa confiance, accrocher nos affaires lui laisser le temps de se familiariser avec l’intrus que nous sommes. Lui qui va nous balancer au gré de la brise, fait admirer son fut et ses bouquets de branches qui, vus du bas, couché à leur pied, nous transmettent sa force, son éternité au-dessus de nous, loin du sol
Ordre des taches vitales
1) Nettoyer d’abord l’endroit choisi des déchets de la civilisation de loisirs et de ses pollutions de la part de promeneurs ou des touristes peu responsables
2) Ranger ses affaires, prendre ses marques d’un soir ; préparer du bois pour le feu , se baigner ou trouver un bon endroit de pêche particulièrement si on a emmené son canoë gonflable
3) Puis explorer les alentours ; écouter la rivière, admirer la voûte céleste et vérifier si la « belle étoile » est arrivée,
4) En partant laisser la place intacte; notamment remettre les pierres qui ont servi au foyer à leur place initiale, recouvrir les cendres de terre et de feuilles ; n’abandonner aucune des traces de son passage que le temps serait chargé d’effacer : la nature n’est pas faite pour notre service ; c’est l’inverse
Une nuit dehors : on ne s’ennuie pas ; au contraire. Mais à notre époque, on n’écoute pas ce message; ici, pourtant, on peut reprendre possession de soi-même et retrouver le sens du silence. Non qu’il n’y ait pas de bruit la nuit. Au contraire, il y en a de multiples : arbres qui « parlent » au gré du vent, l’eau tumultueuse du torrent ou les animaux nocturnes qui s’appellent .Le tout a une sonorité singulière, selon la situation géographique ou la saison ; une autre musique, douce ou colérique. On ressent l’histoire des hommes qui depuis des éternités vivaient là et qui eux respectaient la nature nourricière. Les arbres qui vont soutenir mon hamac sont mes deux piliers de cette régénération. Chaque fibre, chaque branche s’élance à cette recherche de liberté. C’est pourquoi je noue une relation particulière avec eux . A passer des nuits dehors, je retrouve le goût de marcher pied nus, ce que je ne peux faire en ville ; je choisis là un mode de circulation dont j’use régulièrement dans la vie quotidienne, chez moi dans mon jardin et en tous terrains. On ressent directement notre lien avec le minéral, la solidité de la terre qui nous supporte. Le contact fréquent avec le sol que j’apprends à mes enfants est une nécessité organique afin de se sentir en accord avec son environnement matériel
4 Ne pas oublier de contempler le coucher du soleil, de se laver au torrent. Et le faire également au sens figuré, afin de se laver de toutes les fausses obligations, les artifices et les occupations oiseuses imposées par notre société. Cela permet d’ établir à l’occasion une autre relation humaine avec d’autres solitaires. Quand on rencontre le berger avec ses moutons, le pêcheur et ses truites, le ramasseur et ses champignons, on noue un rapport simple et authentique puisqu’ils sont amateurs et connaisseurs de la nature nourricière que nous respectons ensemble
Une autre relation humaine de qualité
Si j’ai emporté un livre de Thoreau je le lis à l’aide de ma frontale ; alors, je ressens les mêmes sensations exprimées dans sa Bible : « Désobéir » (Cf p 106) qui est une Ode à la forêt. La sauvegarde du monde implique la préservation de cette nature sauvage dit-il :
« Je pénètre dans la forêt comme dans un lieu saint ; c’est là que se trouve la vigueur, la moelle de la Nature La préservation des animaux sauvages suppose la création d’une forêt pour qu’ils puissent y demeurer ou s’y retirer. Il en va de même pour l’homme. Il y a cent ans on vendait dans nos rues de écorces prélevées sur les troncs de nos arbres et autres plantes médicinales… Je crois en la forêt, en la prairie, et en la nuit qui voit pousser le grain (p100).. Le voyageur peut fort bien s’étendre dans les bois la nuit presque partout en Amérique du Nord .Il y a quelque chose dans l’air qu’on respire en montagne qui nourrit l’esprit et l’inspire » p 97.
A mon retour dans la « civilisation », je vois la société d’une autre manière : plus miséricordieuse, plus compréhensive et je suis plus tolérant à son égard. Ceux qui pratiquent ces bases fraternelles entretiennent et font survivre le respect de la Nature font comme moi. Car nous sommes plus nombreux qu’on le croit à exercer cette démarche, non de retrait égoïste et de refus de la société, mais de recherche d’un meilleur rapport à la société à travers une relation profonde avec notre mère : la terre. Donc j’envoie ce signal à tous ceux qui n’ont jamais essayé et qui vont le tenter .Partager cette Renaissance et se ressourcer : ce pas de côté, dans les horaires et contraintes de la vie quotidienne, est une source de résistance face à la société quand on la trouve parfois trop conformiste ou envahissante .
Alors... ce que je viens de raconter n’est pas une histoire à dormir debout, mais simplement un geste de bonne santé et d’équilibre mental que tout un chacun peut pratiquer à l’abri du regard des curieux, des pulsions de l’exhibition ou de la grande absence de modestie ; choses si banales chez nos contemporains .Je suis jaloux de ma liberté et je n’en parle qu’à mes très proches ; je n’aurais pas confié mes réflexions si mon père - qui connaît la chose et l’a pratiquée - ne m’y avait invité. C’est pourquoi je n’écris ce témoignage qu’à l’adresse du petit nombre de personnes, celles qui sont aptes à comprendre : bien sûr mes familiers et quelques amis intimes qui, eux, ont saisi le sens profond de l’acte de dormir dehors : Alors Bonne Nuit !
Doc
La chanson de Brassens est « auprès de mon arbre,je vivais heureux »
Les deux livres de Thoreau :Désobéir et de S. Tesson dans les forets de Sibérie sont édités en livre de poche
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22/12/2021
Don Quichotte en ermite : l'isolement pour réfléchir.
Lucas m'a ramené mes textes écrits et dispersés sur les blogs, dans des papiers de conférences et des notes pour moi, la soixantaine de petits articles que j'y ai publié depuis une dizaine année. Il les a réuni en quatre tomes, respectivement à leur répartition effective depuis le sommaire de ce blog. Le premier se nomme « Accueil » et fait 500 pages, le second « La mort des républiques » fait 25 pages, le troisième « politisation de la jeunesse » fait 20 pages, et le quatrième « objectifs et projets » fait 80 pages.
En relisant cette centaine de notes et d'articles, j'ai réalisé que j'avais travaillé plus que je ne le croyais depuis dix ans, depuis que j'ai arrêté d'écrire des livres. Mon dernier, sans compter Ader, date de 2009 et s'appelle Le goût de l'observation. C'était là mon testament intellectuel. Après je me suis lâché et j'ai utilisé l'hostilité de mon ermitage pour écrire sur la société, au jour le jour, en improvisant, sans codes ni normes, bref, une totale liberté d'invention et d'imagination.
Le bilan que je tire de cette réunion de réactions épidermiques est un sentiment de Don Quichottisme où je me suis sentie ridicule dans mon projet de me rendre utile en m'enfermant, là-haut, dans une solitude extrême.
Cependant, je considère encore que dans la confusion actuelle, dans la manipulation des esprits, même involontaire, dans le brouillage des idées et l'abaissement du sens de l'intelligence, il était justifié de s'en éloigner, de s'en distinguer, et de voir de haut et de loin ce que mes contemporains sont en train de fabriquer, ou de détruire.
Je vois plutôt le sens de la destruction, de l'automutilation, et de l'abaissement de ce qui fait le propre de l'Homme, c'est-à-dire la pensée, la réflexion et l'observation. Si je reprends cette lecture à mon compte, je réfléchis à ce truc de dingue : 800 pages en 10 ans sur l'actualité, le passé récent, et le futur probable.
Alors, il s’agissait peut-être pour moi d’un défoulement, l'ennui d'être seul, là-haut, de marcher de manière automatique pour susciter une vision neuve.
D'accord, on dira orgueil, vanité, c'est probable. Mais depuis cinq ou six ans tout va trop vite, tout change en un éclair, par exemple il n'y a plus de lecteurs, de lectures, très peu de livres, et surtout, ce qui me frappe, plus aucun sens critique.
Alors, on excusera le manque d'unité de cet homme et de ses papiers parce qu'il n'y a pas de possibilité d'échanger, les quelques esprits libres qui demeurent sont éparpillés, et je ne vois aucune unité à l'expression critique qui se manifeste, ici ou là. Donc je livre ces textes à la bienveillance de quelques lecteurs qui m'excuseront d'être parfois mauvais, parfois impulsif, parfois observateur judicieux. Puisqu'il n'y a plus de sociologues engagés, au moins il restera l'intuition d'un sociologue dégagé, d'un intellectuel arrivé qui refuse, un jour de plus, de travailler dans un lieu de prestige, refusant la contamination par un orgueil intellectuel, la vanité des manières d'idées que nous sommes, et l'influence qu'il aurait pu avoir sur les étudiants, de les manipuler par nos observations dites supérieures, et par les notes arbitraires que nous leur donnons. Donc je ne veux plus de ce pouvoir sur l'avenir des jeunes gens, pouvoir que rien ne justifiait auparavant dans ma vie, ou dans mon expérience.
Je laisse donc les lecteurs anonymes de ces textes, peu régulés et homogènes, se promener sur mes deux blogs avec bienveillance : « Mondialisation et histoire, comprendre la crise », et « Jean Peneff ».
C'est triste une société qui a perdu son sens du ridicule, le goût de la caricature, l'ironie comme moyen d'intelligence, et qui ne fait preuve d'aucune fantaisie. Je regrette les années 60 à 80 où les chansonniers, les comiques, les intellectuels, se montraient d'une très grande acidité ironique, faisaient rire de nous et donc de notre société. Ce sens de l'ironie est perdu. Le rire, comme moyen de réflexion, a disparu. Il n'y a plus de comiques professionnels qui nous faisaient réfléchir. Et pourtant, que de choses à dire aujourd'hui sur les absurdités, les incongruités extravagantes de notre pauvre société qui a perdu le sens de l'auto-critique.
Et pourtant, que de choses il y aurait à dire sur le petit macroléon devant lequel sont agitées des marionnettes de Zemmour.
Une société qui a perdu le sens de la caricature devient totalement manipulable, et peut-être intoxiquée par n'importe quelle marionnette, ou par une menace supposée mortelle. Mais cette prophétie, facile à faire, nous l'avions fait en 2005 sur les essais thérapeutiques. Je fais référence au texte de Brochier qui avait testé les médicaments, contre un bon salaire d'ailleurs, mais qui montrait l'aspect superficiel, incohérent et inapplicable des règles de fonctionnement pour établir des remèdes. A partir de là, nous avons fait de ce genre d'écritures, d'énoncés par l'ironie, d'énoncés de falsificateurs, les outils de destruction des illusions faciles pour mettre à la place des choses réelles (200 ou 300 migrants dont des enfants noyés par jour et par nos attitudes d'un égoïsme forcené ou de citoyens masqués qui sont la proie de n'importe quelle religion de la médecine ou des illusions républicaines que les médias, à longueur de journée, ne cesse de diffuser).
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15/12/2021
Ce cher plastique,
Ce cher produit moi j'en veux au moins trois couches. Ma biscotte du matin dans sa boîte plastiquée, dedans la ranger dans sa boîte plastiquée, et ce cher plastique pour ma biscotte à croquer. Cette chère biscotte il faut la gagner.
Le plastique est partout. Il nous inonde, il tue la planète, il détraque le climat, mais ça ne fait rien, c'est bien. D'ailleurs, quand je disparaîtrais, je veux être emballé dans du plastique. Le regret c'est de constater que dans ces bêtises de production de la société, aucun sociologue ne se lève pour se moquer. C'est comme le sucre : il est partout, dans tous les aliments, les légumes sélectionnés, la viande arrangée. Nous sommes devenus addicts au sucre. Mais je suis content puisque les asticots aussi, qui me dévoreront, seront devenus addicts au sucre.
Il n'y a plus de ces humoristes, de ces chansonniers, de ces acteurs comiques qui bercèrent notre jeunesse et le début de la vie adulte grâce à l'auto-moquerie, à la caricature de nos défauts et à la dénonciation par le rire des bêtises que notre société véhicule à longueur de journée. Cela ne pousse pas à l'admiration. Le manque d'esprit caustique, l'absence d'auto-ironie, le recul de la caricature, sont le fait de la gauche et de la droite. Ils dénotent l'effondrement de l'esprit et l'absence de tout recul historique de nos élites et de nos chers professeurs. On peut dire « la gauche, la gauche, la main sur le cœur » et sentir qu'il n'y a plus aucune différence dans les esprits laminés par la bêtise et l'absence d'humour. Si ce n'était pas prétentieux, on leur dirait « rappelez-vous : où étaient vos parents en 1940, en 1958, en 1968, avant la grande disparition des esprits libres et de la recherche de l'indépendance de la pensée ? ».
Pour observer, il faut avoir des idées d'observation. Il faut se saisir de toutes les scènes de rue, de transports, des univers observables de loin ou de près, et initier les jeunes à ce besoin éternel d'écouter, regarder, lire et observer la vie. Les profs et les élèves, la rue ou le café, le travail ou la maison, le bus ou le train : tout est là, offert au regard. Et demandez-vous : qu'est -ce qui a changé en 6 ou 10 ans (rien vous me dites, mais si, tout à changé ces dernières années). Profitez de ces univers observables, voyagez, circulez, ouvrez les yeux, fouillez votre mémoire, et mettez de côté sur des carnets, ou dans un coin de votre tête, ce que vous avez vu et que vous voulez garder.
Sinon cette belle société du 21ème siècle va disparaître sans regard extérieur, sans auteur neutre, et sans spectateur passionné par les phénomènes contemporains inouïs et passés inaperçus. J'ai pu en citer quelques-uns, d'une main noyer les migrants, et de l'autre se sucrer , bouleverser le climat par le plastique et la pollution, se signer et se réfugier dans des mirages où se noyer d'illusion.
15/12/2021
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17/11/2021
Retour sur le Singe Nu
Pour une sociologie ouverte s'intéressant aux deux problèmes de notre temps :
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Les migrations s'accélèrent et le monde s'est mis en mouvement, il y a des migrants partout, pour le bonheur ou pour le malheur de nos sociétés vieillies, repliées sur elles, et fermées à tout mélange de races ;
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Le rapport qu'il y a entre les événements météorologiques terrestres, les nouvelles conditions d'existence de la planète et l'action de destruction, donc d’auto-destruction, des conditions de santé que des minorités nous imposent par la pollution de l'air, de l'eau (multiplication des voyages en avion, des paquebots de croisière) et la création de matières artificielles, participent à bouleverser les conditions physiques et chimiques de la dernière étape de notre vie d'Homo Sapiens.
Je pense qu'il faut réfléchir aux grands textes des anthropologues, des paléoanthropologues et des zoologistes qui viennent de tirer la sonnette d'alarme. Nous sommes sur la voie de plus en plus rapide de la destruction de notre environnement. Cette destruction peut prendre de multiples formes : inondation, cyclone, changement de climat, réchauffement, mauvaise qualité de l'air. Nous sommes à un seuil de vérité. Si nous continuons à épuiser la terre nourricière et les ressources nécessaires à notre survie, comme le font déjà l'agriculture industrielle et la production d'un bien plus ou moins utile, nous connaîtrons à une catastrophe naturelle avec une prolifération de nouveaux germes, de virus, de microbes.
L'épisode de ce petit virus 19 est typique des dégâts que nous pouvons créer. En effet, notre histoire a connu des centaines de virus, de bactéries, de microbes. Par exemple, la Peste Noire qui a éradiqué un quart de la population sur un siècle ou deux pour arriver au XXème siècle, provoquant 20 millions de morts. Ce petit virus 19 que nous venons de traverser est une aventure d'ampleur ridicule par rapport à ce que notre espèce a connu. Ainsi, il faut être vigilant sur nos consommations, le maintien de l'équilibre ressources / exploitation, et ne pas se laisser intoxiquer par les médias qui alternent régulièrement endormissement – écran – menaces hallucinatoires – création de peurs paniques.
Il ne faut pas se laisser intoxiquer par les fabricants d'opinion qui a coup de milliards achètent la presse, la presse, la télévision, la radio etc. Pour cela il vaut mieux vivre un peu à l'écart, en retrait, sans participer à la folie générale.
En recommandant les deux lectures utiles, dont les références figurent ci-dessous, je souhaite souligner la parenté entre ces deux grands chercheurs qui relativisent les peurs et les paniques que nous connaissons, et qui dévoilent les corrélations et les signes que nous ne voulons pas voir. En signalant que Sapiens est une société toujours en mouvement, que la planète est en libre circulation, que ses ressources et ses conditions sont pour tous universelles, ils relativisent les menaces que nous fabriquons à l'égard des migrations. La circulation incessante, l’exploration du milieu, le mouvement éternel, c'est le propre de toutes les espèces y compris de la notre. Depuis un ou deux millions d'années, Homo Sapiens est un membre de l'univers en perpétuelle mouvement (alors oui, c'est vrai qu'aujourd'hui le mouvement par la technique et l'invention s'est accéléré. De Clément Ader, mon ancêtre, premier créateur d'avion, à Pesquet, l'astronaute français qui descend de là-haut, il n'y a que 130 ans : un rien, une poussière dans l'histoire du temps. Mais ceci caractérise la relativité que nous devrions construire au sujet des paniques et des terreurs que les gens qui nous dirigent, les médias qui nous informent, les hauteurs et les philosophes qui nous assomment d'idées reçues) nous devrions relativiser tout ce que nous attendons aujourd'hui et qui n'ont aucun rapport avec la réalité. Il est temps de se reprendre en main, de se mettre à l'écart pour réfléchir. Et enfin, d'observer les phénomènes sociaux incroyables que l'on voit se dérouler sous nos yeux.
A peu près tous les gouvernements de notre planète se servent de l'épidémie du covid pour asseoir leur pouvoir, réguler leurs intérêts, encadrer les esprits et fabriquer une nouvelle espèce d'homo sapiens proche de l'animal bien dressé, obéissant, aux réflexes conditionnés. L'histoire de la planète doit nous servir à nous libérer, nous émanciper des clichés et des faux problèmes pour ne plus rester coincer à la maison, marcher au pas, se faire vacciner de telle ou telle manière, comme des animaux dociles et obéissants et qu'une poignée de dirigeants, d'entrepreneurs, ou de politiques, cherche en rivalisant entre eux à nous imposer un conditionnement idiot et en menaces exagérées.
C'est comme ça, doucement, que le monde occidental a fabriqué un ordre moral aux mains d'une poignée de dirigeants marionnettes afin d'éliminer toutes contestations, toutes critiques et interdire dorénavant, tout esprit libre.
Alors oui, la question des migrations, celle de la désobéissance démocratique, de l'émancipation de notre cerveau des cadres de pensée imposés, cette question se pose comme urgente, cruciale, vitale.
C'est pourquoi mon petit esprit critique m'a suggéré de me mettre pendant 20 ans à l'écart de ce mouvement perpétuel et de cette fausse agitation des esprits pour me faire retirer en montagne dans une sorte de refuge, d’ermitage, pour avoir le recul nécessaire, le retrait des activités superficielles, pour me faire récupérer mon équilibre et mon analyse. Parti à la retraite le premier jour où j'ai pu le faire, j'ai alors abandonné un poste de prestige, des créations lucratives. Ce que je ne regrette pas, étant donné ce que j'observe de l'évolution triste et négative de la société dans laquelle j'ai vécu.
Le nouvel observateur, Pierre Mornet, propos recueillis par Véronique Radier, « Yves Coppers : Sapiens est un pirate de l'évolution » , n° 2776, 2018
Le Singe Nu, Desmond Morris, 1968, ed. Grasset
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